Soutien aux squatteurs et squatteuses
Texte rédigé en avril 2009 le lendemain de la fermeture du squat de la rue Saint-Genès à Bordeaux
Cher-e-s ami-e-s,
J’ai été mis au courant, ce matin, de l’opération policière de jeudi dernier visant à la fermeture du squat de la rue Saint Genès et à l’expulsion de ses occupants. Les différents mails qui me sont arrivés m’ont offert suffisamment de détails pour pouvoir imaginer… La surprise, la peur, la panique, la colère et le sentiment d’injustice. C’est pourquoi je tiens d’abord à vous manifester mon soutien le plus fraternel.
Mais pour que vous sachiez que ce message n’est pas purement formel et que la colère me vient du ventre, je me permets de vous raconter pourquoi je n’étais pas présent au rassemblement de la rue Saint Genès.
J’ai la chance d’être étudiant depuis 2001. C’est bien une chance car j’ai pu assister à tout un tas de mouvements sociaux et politiques : du début de la réforme LMD à la guerre en Irak, du 21 avril 2002 au CPE. Je me suis toujours impliqué dans ces mouvements de contestation voulant absolument défendre mes opinions, et, peut-être un peu naïvement, apporter ma pierre au mieux au changement social, au pire dans la gueule des flics.
Par ailleurs, mais vraiment ailleurs, en parallèle, ou en plus, en tout cas pas en moins, je suis atteint d’un handicap moteur qui, je dois le dire, influence de plus en plus mon mode de vie et mon existence sociale. Mais je continue à considérer celui-ci comme une particularité me définissant, comme beaucoup d’autres, partiellement.
Il y a un an, en plein blocage LRU, j’écrivais un texte sur les conditions d’accueil des étudiants handicapés à l’université. J’en profitais pour détailler à quelles difficultés devait se confronter un étudiant handicapé s’il voulait lutter avec les autres étudiants contre la loi Pécresse. Mon bilan était assez négatif et ne donnait pas beaucoup de perspectives ni de solutions.
Je me suis ainsi accroché quelques années à faire une manif sur dix, une réunion de temps en temps, à me tenir au courant et à pester régulièrement contre ces conditions de militantisme qui me paraissaient être faites pour des gens valides, en pleine forme et entièrement disponibles. C’est pour ça que je me suis cette année décidé à me tenir informé et à me recentrer sur des problématiques plus spécifiques au handicap.
Me déplaçant en fauteuil électrique, je peux dire, avec un peu de mauvaise fois que j’ai une sérieuse tendance à me foutre royalement des squats puisque ceux-ci me sont généralement inaccessibles. Ça ressemble un peu à de l’aigreur.
Quand je parle de me recentrer sur des problématiques plus spécifiques au handicap je parle par exemple de lutte pour l’amélioration du niveau de vie des personnes handicapées. Ces améliorations passent entre autre par l’accès à tous les lieux de vie : scolaire, professionnelle, et sociale. Et c’est grâce à cet accès total (symbolique et matériel) que des personnes, par ailleurs, mais vraiment ailleurs, en parallèle ou en plus, en tous cas pas en moins, handicapées pourront se découvrir des convictions politiques, des certitudes de lutte et des acquis à défendre.
On peut donc aussi dire, plus brièvement, que je me démène comme un âne pour être reconnu comme être social plutôt qu’objet médical, militant subversif plutôt que gentil nandicapé, bref acteur plutôt que sujet.
Alors en effet, dans les squats comme dans les rassemblements nocturnes devant le commissariat, je me sens, de fait, pas exclu, mais pas à ma place.
Mais lorsque l’on me parle d’effectif de 150 policiers, de courses poursuites avec les chiens,et de manifestants mis en joue, et lorsque j’imagine la cinquantaine de manifestants dont, j’en suis sûr, au moins trois avaient des balles de jonglage (un jour j’arrêterai ma mauvaise foi), je me rends compte de la disproportion d’une telle démonstration de force.
Et là, j’y vois plus clair. Le problème ce n’est pas de ne pouvoir accéder aux squats, ce n’est pas de ne pas pouvoir rester 5 heures à attendre un copain au commissariat, ce n’est pas non plus de ne pas pouvoir voter à main levée. Le vrai problème, la véritable injustice, ce qui me met en colère et ce qui me rendra toujours infiniment plus solidaire avec les habitants d’un squat au troisième étage même sans ascenseur qu’avec le gentil myopathe à tête blonde du Téléthon, c’est l’utilisation brutale, idiote, outrageusement démonstrative et outrageusement simple de la manière forte. C’est cette manière forte qui, en même temps qu’elle étrangle le moindre mouvement de résistance, me remet violemment à ma place d’handicapé. C’est ce même procédé démonstratif, cet étalage vulgaire et sans complexe de la raison du plus fort qui nie sauvagement ma volonté d’exister politiquement en même temps qu’elle frappe et enferme des manifestants non violents.
Alors c’est pour cela que je me dois de vous renouveler mon soutien, à vous comme à Abdel, en ajoutant de pleine conviction :
Si j’avais su, j’y serai allé.
Vous imaginez le bordel, un ou deux flics se demandant s’il y a problème à taper un handicapé. Ou pire, un autre me demandant de bien vouloir me mettre sur le côté parce que cela risquait d’être dangereux. Ou encore pire, trois flics déplaçant mon fauteuil en douceur malgré mes protestations et me retirant la manette pour s’assurer de mon plein statut de légume…
… j’ai peut-être encore trop de distance, cela aurait pu, tout simplement, être pire.
R.
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@rezo