• “CORONA CAPITAL”, Léon de Mattis
    http://dndf.org/?p=18462

    Corona Capital. Première partie.

    Crise épidémique et crise du capital

    Ce texte a pour ambition de commencer à réfléchir à l’impact de la crise du coronavirus. Cette crise entraîne déjà un profond bouleversement de l’économie capitaliste, et s’accompagne, même dans la période de confinement actuelle, d’une certaine agitation sociale. Il n’est pas impossible que cette agitation sociale puisse s’étendre, particulièrement vers la fin de l’épidémie, surtout si l’ampleur des changements rend impossible le retour à la normale.

    La théorie n’a pas pour fonction de prédire l’avenir. L’objectif de ce texte n’est pas de faire de la politique-fiction. Cependant, les épidémies, comme les guerres, jouent souvent le rôle d’un accélérateur de l’histoire. Il s’agit donc de s’interroger sur les tendances déjà décelables dans la situation actuelle et de formuler des hypothèses sur les trajectoires qu’elles dessinent pour un avenir proche. Pour remplir cet objectif, ce texte pose deux hypothèses de départ.

    La première hypothèse est que l’épidémie risque d’avoir un impact profond sur la phase actuelle du capitalisme que l’on pourrait qualifier de « néolibérale et mondialisée », et ce d’autant plus que cette période du capitalisme a déjà rencontré certaines de ses limites au cours des dernières années. L’épidémie elle-même peut s’analyser comme un produit des caractéristiques de cette phase. En ce sens, elle doit donc être considérée comme la manifestation d’une des limites du capitalisme actuel. Ce n’est pas en tant que cause extérieure, mais bien comme cause endogène que cette épidémie va avoir un impact profond sur le capitalisme néolibéral mondialisé. Cette hypothèse est développée ici, dans la première partie de ce texte : « Crise épidémique et crise du capital ».

    La seconde hypothèse tient à l’idée que la contestation sociale qui se manifeste à l’heure actuelle pourrait se renforcer lors du reflux de la crise épidémique, lorsque le danger se sera éloigné mais que le retour à la normale apparaîtra comme difficile, voire impossible. Les périodes de sortie de crise sont souvent des périodes d’agitation sociale. Par exemple, les lendemains de la Première Guerre mondiale ont été des moments de lutte intense en France, en Italie, en Allemagne et aux États-Unis. Il ne s’agit évidemment pas de croire à une loi de l’histoire qui s’appliquerait mécaniquement, mais plutôt de réfléchir aux débouchés de la contestation actuelle lorsque les luttes cesseront de s’autolimiter pour éviter d’aggraver la situation sanitaire. Cet axe de réflexion sera développé dans la deuxième partie de ce texte : « Lutte de classe et pandémie ».

    Bien entendu, tout dépend du temps que l’épidémie mettra à se résorber. Un épisode court a moins de chance de laisser des traces durables. On peut penser cependant que ce temps sera long, car même si le gros de l’épidémie qui affecte l’Europe et l’Amérique du Nord à la suite de l’Asie se résorbe en quelques semaines ou quelques mois, le coronavirus restera actif dans d’autres parties du monde. Tant qu’un vaccin ne sera pas développé, d’autres vagues sont susceptibles de se succéder. La fermeture mondiale des frontières, qui s’est amorcée au début de la crise, pourrait ainsi être prolongée durablement. Au total, l’économie et le commerce mondial pourront potentiellement être affectés par le virus pendant encore plusieurs années : autrement dit, à l’échelle du capitalisme actuel, une éternité.

    #pandémie #capital #économie #luttes #Luttes_de_classe #théorie

    • Ce qui donc va dominer après la crise, c’est le discours pseudo-critique des excès de la mondialisation, avec un programme de relocalisation des industries et un néonationalisme plus ou moins chauvin. Jusqu’où sera-t-il possible de mettre réellement ce programme en œuvre ? Cela reste une question ouverte : mais ce qui est certain, c’est que l’idéologie de la remise au pas des prolétaires au nom du nationalisme économique et politique est déjà là, prête à accompagner le maintien des politiques autoritaires mises en place partout par les États pour répondre à l’urgence sanitaire. C’est à présent ce à quoi cette idéologie va être opposée, à savoir la résistance prolétarienne à l’heure de l’épidémie, qu’il faut se consacrer dans la deuxième partie de ce texte.

    • Un premier point mérite sans doute d’être précisé. Lorsqu’il est question, dans ce texte, d’un effondrement du système monétaire et financier mondial, il ne faut pas imaginer un phénomène instantané. C’est plutôt un effondrement lent, comme dans ces films où l’on voit des immeubles tomber au ralenti. Les Bourses mondiales ont connu un krach retentissant au début de la pandémie : mais pour la suite, on peut supposer un long marasme plutôt que la poursuite d’une chute vertigineuse. Un effondrement brutal de la monnaie, avec des billets de banque qui ne valent plus rien et un retour du troc, est très peu probable : avant d’en arriver là, les États auront imposé un cours forcé qui pourra permettre de fonctionner quelque temps. En réalité, l’effondrement ne sera patent que lorsque l’on constatera, peut-être après quelques tentatives, que l’on ne peut tout simplement pas reconstruire le système financier mondial d’avant la crise.

  • Il n’y a pas de « continuité pédagogique » : éteignez les tablettes ! | Des membres du collectif de l’Appel de Beauchastel contre l’école numérique
    https://sniadecki.wordpress.com/2020/04/11/num-confinement

    Confinement oblige, l’Éducation nationale invite à la « continuité pédagogique », possible grâce au numérique. Or, selon les auteurs de cette tribune, « la pédagogie virtuelle n’existe pas », et « seuls les élèves éveillés, enfermés avec des parents désœuvrés au fort niveau d’études vont bénéficier d’une pédagogie efficace : l’instruction en famille ». Source : Et vous n’avez encore rien vu...

    • Il est urgent que le ministre annonce : […] en lien avec le ministère de la Santé, que le temps d’écran doit être limité : tant pour préserver sa santé que sa capacité à étudier, il faut réduire au strict minimum sa consommation d’écran – travail scolaire compris ;

      Et comment ils comptent faire pour que les gamins ne passent pas leur journée devant BFMTV, Netflix et Gully, ou WhatsApp, au motif que Blanquer leur aurait dit que « le temps d’écran doit être limité » ? A coup de LBD ou en faisant débarquer les flics à l’improviste dans les appartements pour contrôler les « temps d’écran » ?

      Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il faudrait préférer une solution imparfaite à une solution absolument pire, avec des gamins laissés en total désœuvrement, enfermés à la maison et quasiment aucune chance de faire autre chose que regarder la téloche. Parce qu’on ne peut pas sortir, on ne peut pas aller se promener avec ses gamins, on ne peut pas faire de sport avec ses gamins, on ne peut pas les laisser jouer dehors avec les voisins, on ne peut même pas les emmener quand on fait les courses, etc. Je veux dire qu’ici le désœuvrement n’est pas un jugement moraliste, c’est le fait social incontournable imposé par le confinement. Je suis désolé, mais pour le coup, les tentatives (que je trouve pas du tout satisfaisantes par ailleurs) de garder le contact avec l’école, c’est un motif assez incontournable – le seul ? – pour arrêter de regarder la téloche.

      Je note notamment que le texte évacue avec une facilité déconcertante les cours en téléconférence, pour ensuite se plaindre du fait que sans interaction avec les enseignants l’école ça peut pas fonctionner, que les parents laissés seuls avec leurs gamins ça creuse les inégalités… Ce que, justement, les cours en téléconférence tentent de limiter.

      Enfin je pige pas quoi.

    • Un autre argument : et comment les auteurs comptent interdire aux familles qui le peuvent d’assurer la « continuité pédagogique » tout seuls au motif que d’autres ne peuvent pas et que ce serait un facteur d’inégalités ?

      C’est tout de même épatant cette logique : d’un côté on aura toujours les parents qui, comme actuellement, sont capables d’assurer « l’école à la maison » (bagage éducatif, qui ont le temps…), même si les structures scolaires n’essaient plus de maintenir cette « continuité pédagogique ». Les plus aisés se tourneront directement vers des écoles privées spécialisées, qui savent très bien faire ça.

      Et de l’autre côté, tous les autres qui, du coup, n’auront même plus les quelques outils fournis par l’école publique – dont, par exemple en Italie, les cours en téléconférence avec les enseignants pour les établissements publics.

      La logique de l’appel ci-dessus revient à imposer un renforcement des inégalités qu’il prétend dénoncer : ceux qui peuvent déjà continueront à assurer la pédagogie à la maison, les autres n’auront plus rien du tout.

    • Je vois pas en quoi les cours en téléconférence assurent une forme de "contact avec l’enseignant" particulièrement susceptible de "limiter le creusement des inégalités".

      Au contraire, la "culture" de la téléconférence, c’est aussi et d’abord celle de celles et ceux qui, justement, "sont [aussi] capables d’assurer « l’école à la maison »"

    • Je n’ai pas du tout écrit : « particulièrement susceptible ». J’ai au contraire explicitement précisé « que je trouve pas du tout satisfaisantes par ailleurs », et « tentent de limiter » ; deux formulations qui signifient à peu près l’exact opposé de « particulièrement susceptible ».

      Mes deux arguments principaux (dans les deux messages successifs), c’est que si, au motif que les tentatives sont insatisfaisantes et déjà inégalitaires (ce avec quoi je suis bien d’accord), il faudrait totalement s’en priver sans les remplacer par quoi que ce soit, alors en pratique ce qu’on propose c’est une situation encore plus catastrophique : téloche 12 heures par jour pour des gamins à qui on interdit rigoureusement toute autre activité et renforcement de l’inégalité d’accès à l’éducation.

      Parce que (1) on retirera la seule alternative vaguement « obligatoire » pour que les gamins fassent autre chose que regarder la télé ou buller sur Whatsapp, (2) de toute façon les parents « qui peuvent déjà » pourront toujours.

    • Tout à fait d’accord avec @arno j’allais écrire sensiblement la même chose (en moins développé) quand j’ai lu cette tribune.

      Je trouve ça dit de manière totalement théorique et hors-sol. Comme si c’était dans un autre monde, avec des si si si. Là on ne parle pas de deux semaines sans école, mais de plusieurs mois, dans le monde actuel.

      La conséquence très concrète, s’il n’y avait pas ce suivi avec internet, y compris s’il y avait des manuels papiers, ça serait de renforcer encore plus les inégalités qu’actuellement, et que seuls les familles avec un capital culturel élevé ET du temps (il faut avoir les deux) forcent les enfants à continuer d’apprendre. On pourra toujours arguer que telle famille populaire le fait aussi etc, on s’en fout, dans tout il y a des exceptions. Sur la population entière ça sera négligeable.

      Quand bien même c’est la présence en face à face qui restera à jamais le moyen d’avoir de vraies relations pédagogiques (j’en suis convaincu), les profs actuellement font ce qu’ils peuvent pour suivre où en sont leurs élèves (et la majorité le font au mieux), les incite à poser des questions, savoir où ils en sont, etc. En tout cas à partir du collège, car ça doit être bien plus compliqué en maternelle et primaire.

      Par ailleurs les profs sont pas gogols hein. Au collège le prof de français du fils leur fait bien lire des textes longs, des nouvelles (Poe en ce moment).

      Que les auteurices de la tribune répondent à cette question : s’il n’y avait pas ce suivi fort imparfait, concrètement là maintenant tout de suite il se passerait quoi dans les familles avec moins de capital culturel, les familles nombreuses, les parents qui bossent ? Répondre sans aucun « si » dans la phrase.

      Par contre je suis tout à fait d’accord qu’il faut insister sur le fait que tout devra reprendre où ça en était, sans préjuger que les élèves aient tous acquis des nouvelles choses.

    • Je trouve, pour ma part, qu’il n’y a aucune « tentative de limitation » des inégalités par l’usage de la téléconférence, mais, qu’au contraire, cet usage renforce les inégalités existantes. L’usage « productif » de la téléconférence dans le domaine de l’éducation ne peut se déployer qu’en s’inscrivant dans un habitus qui est déjà celui concourant aux inégalités croissantes en ce domaine. Raison pour laquelle il faut bien s’en passer, et ce non pas en la dénonçant comme solution individuelle de repli, mais comme mesure systématique préconisée par un ministère cherchant un mettre en œuvre un agenda qui a peu à voir avec l’attention à porter aux gamins.
      D’ailleurs, le terme « continuité pédagogique » est brandi par Blanquer comme un écran de fumée : il n’est pas là question du lien enseignant/écolier, mais bien de la continuité du fonctionnement de l’institution (sa capacité à « produire », en temps et en heure, des instruits conformes aux attentes du « plan quinquennal » défini par les indicateurs PISA et autres)

      Les enseignant.e.s n’ont pas attendu Blanquer pour ne pas laisser totalement sombrer une version de continuité pédagogique qui, cette fois ci, correspond bien au lien privilégié entre pédagogue et enfant, non médiatisé par un appareil de « production »). Illes ne s’en sont pas remis à la téléconférence, qui s’avère une bien piètre solution dans ce cas, à la fois sur le plan technique et sur le terrain de la pédagogie.

      La téléconférence n’est pas un moyen « imparfait » de maintenir un lien prof/élève ou d’occuper à moindre conséquence l’esprit des enfants. C’est un moyen parfaitement efficace pour renforcer l’habitus des gagnants et se donner des prétextes de renvoyer les superflus à leur incapacité de « bien utiliser les outils qu’on leur donne ». La télévision, en son temps, a connu exactement les même débats et sert aujourd’hui, par les usages différenciés qui en ont émergé, de marqueur social assurant la reproduction des inégalités.

    • Mais pourquoi tu ne parles que de téléconférence ? La tribune ne parle absolument pas de ça spécialement mais de « continuité pédagogique par le numérique » en général, téléconférence ou pas.

      Concrètement, il n’y a quasiment aucun prof qui utilise la téléconférence, ou alors seulement ponctuellement. La majorité des profs utilisent les ENT en place (pronote nous), qui sont uniquement textuels, et ils l’utilisent pour lister des choses à faire ou à lire, et pour messagerie (textuelle encore donc) pour que les élèves leur posent des questions et renvoient parfois leur travail régulièrement (faire des exercices de maths, et les donner au prof etc).

      Pour l’instant la seule téléconférence que j’ai vu, c’est en langue, la prof d’italien qui leur donne parfois rendez vous (à son heure habituelle de ses cours) sur une visioconf, où elle leur parle en italien à l’oral donc, et elle leur demande de parler eux, histoire de leur faire prononcer des choses.

      Mais bref, aussi bien la tribune que nos réponses sont sur l’ensemble, pas juste la téléconférence.

    • Je crois que c’est important qu’émergent des discours critiques de la possibilité non pas de faire de la sous-école en temps de crise comme celle-ci mais des discours qui ne manquent pas sur « qu’est-ce que c’est génial la continuité pédagogique le seul problème c’est notre manque de préparation alors préparons-nous mieux ». Ça me fait assez flipper qu’on s’empare de ces semi-succès (litote) pour avancer sur une voie aussi inquiétante en se disant qu’on fera ça mieux et sans en saisir l’enseignement principal qui est : c’est en présentiel que se passent les interactions les plus constructives.

      C’est un peu comme le revenu garanti : on ne peut pas dire que le revenu garanti, c’est génial en général simplement parce que c’est le meilleur moyen d’assurer la survie en temps de crise. Mais on ne peut pas non plus se passer des béquilles que ça représente dans cette situation si particulière.

      Et ceci dit, je teste la continuité pédagogique à Langues O’ et nos profs ont continué les cours pendant toutes les vacances d’avril : d’abord pour compenser l’enseignement de moindre qualité en ce moment, en plus parce qu’on y prend tou·tes plaisir, enseignant·es et étudiant·es (effectif de 3 à 6), c’est le truc anti-déprime pour les étudiant·es isolé·es qui n’arrivent pas à s’y mettre (malgré des années d’études sup, il n’y a pas que les gosses de pauvres qui ont du mal). On a tout essayé : Teams (pas pu entrer dans le salon), Skype (pour les cours magistraux ou avec la fonction chat pour des TD), WhatsApp pour les cours moins magistraux (je rattrape ceux-là en lisant le fil après coup avec les trads AV envoyées à côté par Wetransfer). C’est du bricolage avec des outils corporate...

    • Il me semble que le temps ordinairement passé devant la télé depuis les années 70, et depuis un bon moment, d’autres écrans, réseaux ou pas, en fait déjà -hors confinement - un temps de formation des subjectivités et à des savoirs, ce qui a contribué à une mise en cause radicale de l’école comme institution, mise en cause tout autre que celle autrefois exercée par des critiques internes (Freinet, pédagogie institutionnelle, etc), ou externes (Illitch, par exemple).
      La disqualification sociale (et salariale) des profs tient pour partie à cette émergence de la formation hors l’école. Hanouna-Youtube valent plus qu’eux. On peut avoir une capture par le divertissement, mais il y a des usages étonnants qui se greffent sur ce primat de l’image, si on envisage ce que font certains youtubeurs, ou encore l’application tiktok, bien plus horizontale, et ancrée dans des réseaux de relations affectives, où les utilisateurs font sur le mode du jeu des apprentissages, produisent et se produisent.
      Pédagogiser l’utilisation des écrans (téléconférence) suffira pas à modifier ce rapport. Surtout si l’investissement de ces moyens est laissée à l’atomistique de la famille nucléaire. Quelque chose comme une « éducation populaire », supposerait l’invention de collectifs ad hoc. Est-ce que c’est ce qui se cherche à travers ce basculement (bien partiel, socialement distribué) des pratiques, à travers ces débats ? No sé.

      #enfants #école #continuité_pédagogique #téléconférence #éducation #capital_humain #formation #famille #habitus

    • Je me demande comment se positionne « Acadomina » (© @mad_meg)

      École à la maison - COVID-19
      [Acadomina] propose des solutions d’accompagnement scolaire en ligne, depuis votre domicile, quotidiennes ou hebdomadaires : cours particuliers en visioconférence, cours collectifs en classes virtuelles.
      Nos Conseillers Pédagogiques sont joignables par téléphone au : 09XXXXXXXX
      Dans le contexte du confinement, les cours à distance bénéficient de 50% de crédit d’impôt sur le coût horaire.
      EN SAVOIR PLUS

    • Je viens mettre l’image d’Acadomina
      http://www.madmeg.org/delizie/#5/0.117/0.220
      Illes sont sympas de faire une remise de 50% de crédit d’impôt chez Acadomina - encore faut il être imposable !

      On ne prête qu’aux riches et comme on dit dans le management (et dans l’évangile dans la parabole des talents)
      WINNER TAKES ALL (version cannibale)
      https://www.youtube.com/watch?v=mjxaa_Vu7bU

      The winner takes it all
      The loser standing small

    • @rastapopoulos

      Effectivement ; je ne parle jusque là que de téléconférence car je réagissais en premier lieu à la dernière phrase du premier commentaire d’@arno

      Concernant le rapport au numérique en général, j’aurais du mal à résumer ici mon approche en quelques lignes. Je peux éventuellement envoyer à https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02493223 dans un premier temps.

      Si je m’accorde avec les promoteurs de l’appel de Beauchastel sur la nécessité de critiquer le numérique dans l’éducation et au-delà, je sais par ailleurs que cette position n’est pas fondée aujourd’hui sur les mêmes prémisses.

    • @arno "Un autre argument : et comment les auteurs comptent interdire aux familles qui le peuvent d’assurer la « continuité pédagogique » tout seuls au motif que d’autres ne peuvent pas et que ce serait un facteur d’inégalités ?"

      Ta logique est en effet épatante. Personne parmi les signataires n’ambitionne de devenir Blanquer à la place de Blanquer. Quand pense-tu ?

      @rastapopoulos En ce qui concerne la téléconférence, Renaud Garcia nous a donné un aperçu de son usage sur Radio Zinzine mardi dernier : il y a des prof qui fond l’appel de leurs élèves dès 8h comme ça.

      Mais bon, à part ça, tout va très bien, tout va très bien, madame la marquise (air connu)...

    • C’est évidemment une question rhétorique par l’absurde (et donc absurde d’y répondre en disant que c’est illogique) : si évidemment les signataires de la tribune ne comptent pas interdire aux familles qui le peuvent (avec le temps, les savoirs, etc) d’assurer la continuité, alors encore une fois concrètement c’est ce qui va se passer, dans des proportions bien bien plus qu’actuellement : celles qui le peuvent vont évidemment le faire à fond, et toutes les autres ne vont juste rien faire (alors qu’actuellement les profs tentent de garder un lien et donc de fait, sans la supprimer évidemment, réduisent quand même cette inégalité).

      S’il n’y avait pas ce lien, aussi nul soit-il, mais ce lien quand même, sans « si on avait fait ci ou ça avant » (là on parle de quoi faire dans le monde de maintenant), il se passerait quoi pour la majorité des familles sans temps et sans capital culturel ? Les N gosses iraient gambader dans la garrigue et « apprendraient de la vie » comme dans un bon Pagnol ? Ah bah non, on n’a pas le droit. Ils seraient juste en train de binge-watcher les 220 épisodes de Naruto, pendant que les parents bossent (à la maison ou ailleurs).

    • alors qu’actuellement les profs tentent de garder un lien et donc de fait, sans la supprimer évidemment, réduisent quand même cette inégalité

      Je pense que rien aujourd’hui ne démontre que le lien numérique réduit l’inégalité, que ce soit par rapport à la situation de pédagogie en présence, bien sûr, mais aussi par rapport au scénario « binge-watcher les 220 épisodes de Naruto, pendant que les parents bossent ». L’hypothèse qu’il le renforce peut même être légitimement mise sur la table si l’on se réfère à d’autres exemples historiques, comme la télévision ou le plan informatique pour tous de 1985, que je connais bien.

      Ce que j’essaye de dire, c’est que se convaincre malgré tout que c’est le cas est peut-être un biais qui peut avoir deux sources : la distinction, au sens bourdieusien, et la confiance mal placée dans l’outil pour celleux qui y sont trop bien acclimatés par leur pratique professionnelle

  • Ce que le confinement nous apprend de l’économie - Page 1 | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/110420/ce-que-le-confinement-nous-apprend-de-l-economie

    La démarche est remarquable par ce qu’elle dit de ce qu’est l’économie capitaliste. Elle s’appuie sur un des éléments les plus puissants de ce système, mais aussi, lorsqu’il est mis à nu, un des plus fragiles : l’abstraction. Car dans cette macabre comptabilité, deux réalités distinctes sont mises à égalité. D’un côté celle d’un phénomène qui s’impose à l’homme, un virus contre lequel nous n’avons pas d’armes, du moins pour l’heure, et qui tue directement des hommes et des femmes. Et de l’autre, une création de l’humanité, l’économie de la marchandise, qui imposerait sa loi à sa créatrice au point de lui enlever également des vies.

    Il n’est pas question de nier que les crises économiques ne sont pas coûteuses en vie humaine. Les exemples du passé le montrent assez. Mais ce que ces doctes penseurs oublient, c’est que ces crises ne sont pas des phénomènes qui échappent aux hommes. Elles sont le produit de leur organisation sociale, de leur activité et de leurs choix. Et il ne dépend que d’eux de trouver d’autres formes d’organisation qui sauvent des vies et empêchent que les crises ne tuent autant.

    On comprend leur colère : soudain, en quelques semaines, on se rend compte que l’on peut stopper la fuite en avant de l’économie marchande, que l’on peut se concentrer sur l’essentiel : nourrir, soigner, prendre soin. Et que, étrangeté suprême, la Terre ne cesse pas de tourner, ni l’humanité d’exister. Le capitalisme est suspendu dans son fonctionnement le plus primaire : il génère une plus-value minimale, insuffisante à alimenter la circulation du capital. Et l’homme existe encore.

    Alors, pour continuer à maintenir en vie le mythe du caractère capitaliste intrinsèque de l’humanité, on a recours à des menaces : tout cela se paiera, et au centuple. Et par des morts. On ne réduit pas impunément le PIB de 30 %. Sauf que, précisément, l’époque montre le contraire et invite à construire une organisation où, justement, la vie humaine, et non la production de marchandises, sera au centre.

    Et là encore, l’époque est bavarde. Ces gens qui pensent que seul le marché produit de la valeur se retrouvent, eux-mêmes, à pouvoir manger à leur faim dans une ville propre, alors même que le marché ne fonctionne plus de façon autonome. Ils ne le peuvent que grâce au travail quotidien de salariés, des éboueurs aux caissières, des chauffeurs de bus aux soignants, des livreurs aux routiers qui, tout en s’exposant au virus, exposent au grand jour la preuve de l’écart béant entre la valorisation par le marché de leur travail abstrait et la valeur sociale de leur labeur concret. La valeur produite par le marché qui donne à un consultant un poids monétaire dix fois supérieur à celui d’une caissière ou d’un éboueur apparaît alors pour ce qu’elle est : une abstraction vide de sens. Ou plutôt une abstraction destinée à servir ce pourquoi elle est créée : le profit.

    Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est que partie remise. Plus cette crise « politiquement fabriquée » sera sévère, plus, là aussi, on la fera payer à la population. Pour « reconstruire », assurer les « emplois », attirer les investisseurs, bref, faire repartir la machine, on demandera, comme a commencé à le faire Bruno Le Maire, des « efforts » à la population. On fera donc tout pour que le confinement produise une violente crise économique qui, effectivement, sera cruelle et coûteuse en vies humaines. On le fera simplement : en se contentant de « geler » le système économique et en se gardant de profiter de cette suspension pour le modifier. Une fois décongelé, l’économie marchande donnera le pire d’elle-même. Ses mécanismes propres se déchaîneront. Mais on devra l’accepter comme une loi divine.

    Pour faire tenir le peuple, on lui envoie soit des messages et des chansons de stars bien à l’aise dans leurs douillettes résidences, soit le bâton du gendarme et du juge, qui s’en donnent à cœur joie pour « faire des exemples ». On demande au peuple de continuer à regarder le spectacle passivement, sans bouger, sans penser. Mais n’est-ce pas l’inverse même de la vie humaine ?

    Cette réponse moralisatrice est hautement problématique. Dans le silence du confinement, elle aggrave les tensions sociales et les dissensions au sein de la société. Chacun blâme son voisin pour ses actes, les délations se multiplient, les jugements sont légion. Les bases de la société démocratique sont remises en cause par un climat de suspicion, d’angoisse et de peur. La culpabilisation est la première étape vers cette exigence de discipline que l’on affirmera pendant la crise économique. Et c’est bien de cela qu’il faut parler.

    #Coronavirus #Jour_après

    • Waouh Les temps changent comme dirait Robert Z.

      Les propos sont en effet explicites :

      les victimes de la crise [...] seront les victimes de l’organisation économique fondée sur le fétichisme de la marchandise

      Bon, ce fétichisme est encore interprété comme un manque de volonté par lequel nous laissons l’abstrait s’imposer face au concret. Dans la marchandise, pourtant, ces deux pôles sont constitutifs l’un de l’autre, et c’est toujours le même fétichisme que de vouloir brandir l’un de manière positive (le soi-disant « concret ») face à l’autre qu’on a vite fait de personnifier (l’abstraction propre au capitaliste). Le fétichisme de la marchandise peut aussi se présenter comme un fétichisme de la valeur d’usage : https://seenthis.net/messages/840924

      Encore un effort, camarade Romaric, et tu constateras qu’il ne s’agit pas de remettre l’économie à sa place, mais bien d’en sortir, seul terrain à partir duquel nous pourrons enfin produire des « richesses » et non plus des marchandises.

      Un marqueur de cette critique totale de la marchandise sera le fait de parler non plus de profit (du capitaliste) mais de survaleur (à la fois produit et moteur du travail producteur de marchandises, et donc du capital)

    • On comprend leur colère : soudain, en quelques semaines, on se rend compte que l’on peut stopper la fuite en avant de l’économie marchande, que l’on peut se concentrer sur l’essentiel : nourrir, soigner, prendre soin. Et que, étrangeté suprême, la Terre ne cesse pas de tourner, ni l’humanité d’exister. Le capitalisme est suspendu dans son fonctionnement le plus primaire : il génère une plus-value minimale, insuffisante à alimenter la circulation du capital. Et l’homme existe encore.

      Oui et non : d’un côté les milliardaires sont décimés (moins il y en a et moins ils ont de fric globalement, mieux nous nous portons) mais beaucoup d’activités inutiles continuent et dans le Sud global les populations pauvres ont le choix entre se confiner et mourir de faim aujourd’hui et sortir chercher leur croûte pour mourir du virus plus tard. Aucun effet L’An 01, on réfléchit et plus tard on rallume les industries qui nous semblent nécessaires à la vie humaine avec les densités et les mauvaises habitudes qui sont les nôtres.

  • Corona-crise : le krach à venir

    http://www.palim-psao.fr/2020/04/corona-crise-le-krach-a-venir-par-tomasz-konicz.html

    Les appels manifestement absurdes mentionnés plus haut à retourner au travail salarié malgré la pandémie et à se sacrifier pour le dieu de l’argent sont précisément sous-tendus par cette compulsion fétichiste d’une valorisation illimitée du capital. Sans quoi la société capitaliste est menacée d’effondrement, car elle ne peut se reproduire socialement que lorsque les processus d’accumulation réussissent. La production d’une humanité économiquement superflue, laquelle résulte de la crise systémique du capital se déployant par à-coups, et qui pouvait être jusqu’ici largement répercutée sur les salariés de la périphérie au cours de la concurrence de crise, frapperait donc les centres de plein fouet si la lutte contre la pandémie devait s’installer dans le temps.

    En passant, le digital labor n’est qu’une des mille façons de mobiliser/exploiter les « salariés de la périphérie »

  • Adieu à la valeur d’usage, par Robert Kurz
    http://www.palim-psao.fr/2020/04/adieu-a-la-valeur-d-usage-par-robert-kurz.html

    Pendant qu’on insiste quotidiennement sur la distinction entre « secteurs essentiels » et « secteurs non essentiels » de l’économie capitaliste, ce texte bref de Kurz est salvateur. La fétichisation de la « valeur d’usage » participe d’une naturalisation du capitalisme, et de ses catégories de base (valeur, marchandise, travail et argent). Aujourd’hui, le produit marchand dit « utile » (ou encore : « essentiel ») est toujours plus modelé par la logique abstraite de valorisation, et il se réduit ainsi à une simple fonctionnalité unidimensionnelle, qui devient destructive, toxique, réifiante, et qui ne prend pas en compte la souffrance et les désirs complexes des individus. L’article décisif pour la transformation de la critique de l’économie politique en une critique de la valeur d’usage, a été celui de Kornelia Hafner, « Le fétichisme de la valeur d’usage » dont une traduction sera proposée prochainement dans la revue Jaggernaut.

    #Robert_Kurz #critique_de_la_valeur #wertkritik #valeur #valeur_d'usage #capitalisme

  • The Rise and Fall of Biopolitics: A Response to Bruno Latour |
    Joshua Clover | Critical Inquiry
    https://critinq.wordpress.com/2020/03/29/the-rise-and-fall-of-biopolitics-a-response-to-bruno-latour

    We must take this fact with the utmost seriousness: that Foucault’s new regime of power appears in the late eighteenth century, which is to say, alongside the steam engine and the industrial revolution, which is also to say, alongside the liftoff of anthropogenic climate change. We need to stop fucking around with theory and say, without hesitation, that capitalism, with its industrial body and crown of finance, is sovereign; that carbon emissions are the sovereign breathing; that make work and let buy must be annihilated; that there is no survival while the sovereign lives

    #joshua_clover #latour #écologie #climat #covid_19

    • Ecological despoliation is a consequence not of humans, as the name “Anthropocene” and Latour’s essay suggest, but of industrial production and its handmaidens, and only forces which can bring that to heel allow us to prepare for climate change. Capital, with is inescapable drive to reproduce itself, is not some actor in a network, equivalent to other actors, but an actual cause. The compulsion to produce, and to produce at a lower cost than competitors, in turn compels the burning of cheap and dirty fuels to drive the factories, to move the container ships, even to draw forth from the ground the material components of “green energy” sources. The Gilets Jaunes did not riot because they object to ecological policies but because the economy dictates that they find jobs in places they cannot afford to live, and to which they must therefore commute. As long as the compulsions of production for profit and of laboring to live persist, climate survival will be beyond the reach of any state.

      #capitalocène

  • Coronavirus, un saut de l’ange existentiel et politique
    Par Quentin Hardy
    https://www.terrestres.org/2020/03/31/coronavirus-un-saut-de-lange-existentiel-et-politique

    En 1919, Max Weber a appelé « guerre des Dieux », ce conflit irréductible entre des valeurs et des mondes. En sapant toutes les anciennes autorités et fictions religieuses qui garantissaient une direction et un sens à l’existence individuelle et collective, la modernité nous plonge dans un monde mouvant sans fondement. La vie sociale est structurée par l’incompatibilité radicale entre des points de vue ultimes, situation que Weber décrit métaphoriquement en parlant d’un « combat éternel que les dieux se font entre eux », c’est-à-dire d’un processus de lutte sans fin entre des choix et des positions inconciliables. Ce conflit est sans résolution possible et conduit à « la nécessité de se décider en faveur de l’un ou de l’autre. ». Le sociologue allemand ne décrit pas ici spécifiquement la politique, mais tous les ordres de la vie où « suivant les convictions profondes de chaque être, l’une de ces éthiques prendra le visage du diable, l’autre celle du dieu et chaque individu aura à décider, de son propre point de vue, qui est dieu et qui est diable. » Pour Weber, « tel est le destin de notre civilisation : il nous faut à nouveau prendre plus clairement conscience de ces déchirements que […] l’éthique chrétienne avait réussi à masquer pendant mille ans. » Après d’autres événements récents, le coronavirus ouvre une scène tragique au cœur de la civilisation occidentale : voulons-nous continuer à être gouvernés par les entités métaphysiques évoquées plus haut qui empruntent tantôt à la figure du dieu tantôt à la figure du diable ? Allons-nous poursuivre l’empilement de palettes, les conurbations urbaines suffocantes, la production industrielle de particules fines, le terrassement des terres arables et l’empoisonnement océaniques des deux tiers de la surface restante de cette planète ? Lorsque le confinement sera levé, nombreux sauront se souvenir de la leçon éthique et du tranchant dramatique qu’a pris ce conflit de valeur entre deux façons de concevoir la vie.

    #covid-19 #Weber #crise_sanitaire #crise_écologique

  • https://www.franceculture.fr/societe/anselm-japp-esperons-de-garder-ce-que-cette-crise-a-de-positif

    [...] la gravité de cette crise de la société capitaliste mondiale n’est pas la conséquence directe et proportionnée de l’ampleur de la maladie. Elle est plutôt la conséquence de la fragilité extrême de cette société et un révélateur de son état réel. L’économie capitaliste est folle dans ses bases mêmes – et non seulement dans sa version néolibérale.

    Le capitalisme industriel dévaste le monde depuis plus de deux siècles. Il est miné par des contradictions internes, dont la première est l’usage de technologies qui, en remplaçant les travailleurs, augmentent les profits dans l’immédiat, mais font tarir la source ultime de tout profit : l’exploitation de la force de travail. Depuis cinquante ans, le capitalisme survit essentiellement grâce à l’endettement qui est arrivé à des dimensions astronomiques. La finance ne constitue pas la cause de la crise du capitalisme, elle l’aide au contraire à cacher son manque de rentabilité réelle – mais au prix de la construction d’un château de cartes toujours plus vacillant. On pouvait alors se demander si l’effondrement de ce château adviendrait par des causes « économiques », comme en 2008, ou plutôt écologiques.

    Avec l’épidémie, un facteur de crise inattendu est apparu – l’essentiel n’est pourtant pas le virus, mais la société qui le reçoit.

    NB : concernant le tarissement du travail, il faut préciser que le travail source de (sur)valeur indispensable à la reproduction du capital ne peut être qu’un travail accompli selon le standard de productivité du moment (qui est par ailleurs en constante augmentation sous l’effet de la concurrence entre capitalistes). Tous les travailleurs exploités à bas prix dans les zones de faible productivité sont des opportunités de profit pour certains capitalistes, mais pas une possibilité de reproduction du capital au niveau global. Le capital ne peut se reproduire que s’il produit par ailleurs des consommateurs solvables à hauteur de la masse de capitaux mise en mouvement. Comme l’indique Jappe, ce n’est plus le cas depuis au moins cinquante ans (et ce ne sera plus jamais le cas, compte tenu des niveaux de productivité atteints et des masses de capitaux accumulés).

  • Le confinement amplifie la numérisation du monde
    https://reporterre.net/Le-confinement-amplifie-la-numerisation-du-monde

    Le confinement tend à nous priver de monde, au sens qu’Hannah Arendt donne à cette notion, dans La Condition de l’homme moderne (Calmann Levy, 1958). Un sens à la fois culturel et politique. Elle estimait que la civilisation moderne, tournée vers la production et la consommation de masse, faisait globalement rétrécir notre monde commun, qui existe pour elle par l’action et la délibération politiques.

    Avec l’épidémie et le confinement, nous sommes non seulement privés de monde au sens culturel et politique, mais aussi de monde sensible : les rassemblements sont interdits — mêmes les cérémonies funéraires —, de nombreux marchés sont fermés, et les randonnées en forêt ou en montagne peuvent être sanctionnées. La seule chose qu’on nous laisse, notre seul accès au monde, c’est l’écran d’ordinateur. On s’y engouffre d’autant mieux que les outils numériques ont cette capacité de donner l’illusion qu’ils maintiennent ou recréent le monde autour de nous – l’illusion d’être ensemble, alors que nous sommes isolés.

    #Numérisation_du_monde #Confinement #Covid-19 #Amiech

  • Coronavirus : à Reims, un bus transportant des patients sommé de faire demi-tour

    Parti du Grand-Est pour emmener huit malades du Covid-19 vers Tours, ce transfert n’a pas été jugé prioritaire par le ministère. Une consigne jugée incompréhensible par les médecins et les élus locaux.

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/04/coronavirus-a-reims-un-bus-transportant-des-patients-somme-de-faire-demi-tou

    #paywall

    Qui a ordonné ce demi-tour ? Contactée par Le Monde, l’Agence régionale de santé du Grand-Est admet un « couac », dommageable tant pour les patients que pour l’image donnée de désorganisation. Dans un communiqué, elle a expliqué mercredi 1er avril que les patients transportés n’étaient pas prioritaires. « Ce sont les services de réanimation qui sont les plus en tension en ce moment, donc on privilégie les transferts de malades en réanimation », a précisé Christophe Lannelongue, directeur de l’agence.

    Surtout, « les échanges interrégionaux sont préalablement soumis à l’autorisation du centre de crise sanitaire du ministère de la santé, ce qui n’était pas le cas ». « C’est le PC de crise à Paris, auprès du directeur général de la santé M. Salomon, qui pilote les transferts entre différentes régions (…). Ce transfert a été suspendu car il nécessitait d’être mieux coordonné », explique également la directrice du CHU de Tours, Marie-Noëlle Gérain-Breuzard.

    Manque de visibilité

    Le maire de Reims, Arnaud Robinet, pharmacologue de formation et président du conseil de surveillance du CHRU de Reims, dénonce « un couac administratif et non médical » : « Le transfert devait avoir lieu avec l’accord de l’ARS des deux régions, mais la directrice de l’hôpital de Reims a reçu un message du cabinet du ministre. » Un geste qu’il ne comprend pas : « Je trouve inconscient de faire revenir ce bus », fustige-t-il, regrettant le « manque de visibilité » sur la question des transferts de patients.

    Pour le maire de Reims, qui préside également la Fédération hospitalière de France (FHF) dans la région, si « les établissements de l’Est ont su anticiper et tripler le nombre de lits de réanimation », ce n’est « pas le cas partout ». « J’espère qu’on n’a pas cherché à privilégier la région Ile-de-France », s’interroge l’élu, pour qui il faudra, après la crise, tirer le bilan et « donner plus de responsabilités aux collectivités ».

    Contactée, la direction générale de la santé assume avoir « annulé, et pour de très bonnes raisons (…) de sécurité sanitaire » ce transfert. Une opération menée, selon elle, « de façon unilatérale, sans concertation », par le CHU de Reims. « Des patients étaient déjà prévus pour être transférés sur le site identifié par le CHU de Reims, qui ne pouvait pas en accueillir en avance de phase sans compromettre les transferts prioritaires à venir », justifie-t-elle. Et d’assurer que la stratégie de transferts de patients, « essentielle pour pouvoir assurer la prise en charge » de tous, « se déroule bien », mais nécessite « une organisation fine, qui associe une régulation régionale, et un pilotage national ».

    Je pense que la raison de cette consigne est d’éviter une avalanche de commentaires acerbes sur les « bus Macron »...

  • « Le XXIe siècle a commencé en 2020, avec l’entrée en scène du Covid-19 », Jérôme Baschet
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/02/jerome-baschet-le-xxie-siecle-a-commence-en-2020-avec-l-entree-en-scene-du-c

    La pandémie est un fait total révélant que le système-monde se trouve désormais dans une situation de crise structurelle permanente, analyse l’historien Jérôme Baschet, dans une tribune au « Monde ».

    Tribune. Les historiens considèrent volontiers que le XXe siècle débute en 1914. Sans doute expliquera-t-on demain que le XXIe siècle a commencé en 2020, avec l’entrée en scène du Covid-19. L’éventail des scénarios à venir est, certes, encore très ouvert ; mais l’enchaînement des événements déclenchés par la propagation du virus offre, comme en accéléré, un avant-goût des catastrophes qui ne manqueront pas de s’intensifier dans un monde convulsionné par les effets d’un réchauffement climatique en route vers 3 °C ou 4 °C de hausse moyenne. Se profile sous nos yeux un entrelacement de plus en plus étroit des facteurs de crise qu’un élément aléatoire, à la fois imprévu et largement annoncé, suffit à activer.

    Effondrement et désorganisation du vivant, dérèglement climatique, décomposition sociale accélérée, discrédit des gouvernants et des systèmes politiques, expansion démesurée du crédit et fragilités financières, incapacité à maintenir un niveau de croissance suffisant : ces dynamiques se renforcent les unes les autres, créant une extrême vulnérabilité découlant du fait que le système-monde se trouve désormais dans une situation de crise structurelle permanente. Dès lors, toute stabilité apparente n’est que le masque d’une instabilité croissante.

    L’envoyé du vivant

    Le Covid-19 est une « maladie de l’anthropocène », ainsi que l’a relevé Philippe Sansonetti, microbiologiste et professeur au Collège de France. L’actuelle pandémie est un fait total, où la réalité biologique du virus est devenue indissociable des conditions sociétales et systémiques de son existence et de sa diffusion.

    Invoquer l’anthropocène – période géologique où l’espèce humaine modifie la biosphère à l’échelle globale – invite à prendre en compte une temporalité à triple détente : d’abord, les années récentes où, sous la pression des évidences sensibles, nous prenons conscience de cette époque nouvelle ; ensuite, les décennies de l’après-1945, avec l’essor de la société de consommation et la grande accélération de tous les marqueurs de l’activité productive (et destructive) de l’humanité ; enfin, le tournant des XVIIIe et XIXe siècles, lorsque la courbe des émissions de gaz à effet de serre décolle, en même temps que le cycle des énergies fossiles et de l’industrialisation.

    Le virus est l’envoyé du vivant, venu nous présenter la facture de la tourmente que nous avons nous-mêmes déclenchée. Anthropocène oblige, la responsabilité humaine est engagée. Mais de qui exactement ? Les trois temporalités mentionnées permettent d’être plus précis. A l’horizon le plus immédiat, s’impose la sidérante affaire de l’évaporation des stocks de masques depuis 2009 et l’indolence qui ne les reconstitue pas à l’approche de l’épidémie. Encore n’est-ce là qu’un aspect de l’accablante impréparation européenne.

    Cette incapacité à anticiper témoigne d’une autre maladie du temps : le présentisme, par quoi tout ce qui déborde l’immédiat s’évanouit. Le mode de gestion néolibéral de l’hôpital, froidement comptable, a fait le reste. Manquant de moyens, en sous-effectif et déjà épuisés en temps normal, les personnels soignants ont crié leur désespoir sans être entendus. Mais le caractère irresponsable des politiques menées est désormais avéré aux yeux de tous.

    « Capitalocène »

    Pour Philippe Juvin, chef des urgences de l’Hôpital Pompidou, à Paris, « des insouciants et des incapables » nous ont conduits à nous retrouver « tout nus » devant l’épidémie. Et si Emmanuel Macron a voulu s’ériger en chef de guerre, il ne devrait pas négliger le fait que cette rhétorique pourrait, un jour, se retourner métaphoriquement en accusation pour trahison.

    Cette incapacité à anticiper témoigne d’une autre maladie du temps : le présentisme, par quoi tout ce qui déborde l’immédiat s’évanouit
    Remonter à la seconde moitié du XXe siècle permet de repérer plusieurs causalités de la multiplication des zoonoses, ces maladies liées au passage d’un agent infectieux de l’animal à l’humain. L’essor de l’élevage industriel, avec son ignominie concentrationnaire, a aussi de déplorables conséquences sanitaires (grippe porcine, grippe H5N1, etc.). Quant à l’urbanisation démesurée, elle réduit les habitats des animaux et les pousse davantage au contact des humains (VIH, Ebola).
    Ces deux facteurs n’ont peut-être pas joué dans le cas du SARS-CoV-2. En revanche, la vente d’animaux sauvages sur le marché de Wuhan n’aurait pas eu de telles conséquences si cette ville n’était devenue l’une des capitales mondiales de l’industrie automobile. La globalisation des flux économiques est bel et bien à l’œuvre, d’autant que l’expansion insensée du trafic aérien a été le vecteur d’une fulgurante diffusion planétaire du virus.

    Enfin, il faut aussi se reporter deux siècles en arrière, pour donner à l’anthropocène son véritable nom : « capitalocène ». Car il n’est pas le fait de l’espèce humaine en général, mais d’un système historique bien spécifique. Celui-ci, le capitalisme, a pour caractéristique majeure que l’essentiel de la production y répond, avant tout autre chose, à l’exigence de valorisation de l’argent investi. Même si les configurations en sont variables, le monde s’organise alors en fonction des impérieuses nécessités de l’économie.

    Compulsion productiviste mortifère

    Il en résulte une rupture civilisationnelle, dès lors que l’intérêt privé et l’individualisme concurrentiel deviennent les valeurs suprêmes, tandis que l’obsession de la pure quantité et la tyrannie de l’urgence conduisent au vide dans l’être. Il en résulte surtout une compulsion productiviste mortifère qui est l’origine même de la surexploitation des ressources naturelles, de la désorganisation accélérée du vivant et du dérèglement climatique.

    Au sortir de l’urgence sanitaire, rien ne sera plus comme avant, a-t-il été dit. Mais que changer ? L’examen de conscience s’en tiendra-t-il à une temporalité de courte vue ou considérera-t-on le cycle complet du « capitalocène » ? La véritable guerre qui va se jouer n’a pas le coronavirus pour ennemi, mais verra s’affronter deux options opposées : d’un côté, la perpétuation du fanatisme de la marchandise et d’un productivisme compulsif menant à l’approfondissement de la dévastation en cours ; de l’autre, l’invention, qui déjà tâtonne en mille lieux, de nouvelles manières d’exister rompant avec l’impératif catégorique de l’économie et privilégiant une vie bonne pour toutes et tous.

    Préférant l’intensité joyeuse du qualitatif aux fausses promesses d’une impossible illimitation, celle-ci conjoindrait le souci attentif des milieux habités et des interactions du vivant, la construction du commun, l’entraide et la solidarité, la capacité collective d’auto-organisation.

    Le coronavirus est venu tirer le signal d’alarme et mettre à l’arrêt le train fou d’une civilisation fonçant vers la destruction massive de la vie. Le laisserons-nous repartir ? Ce serait l’assurance de nouveaux cataclysmes aux côtés desquels ce que nous vivons actuellement paraîtra a posteriori bien pâle.

    Jérôme Baschet a été enseignant-chercheur à l’EHESS (Paris). Il est l’auteur, entre autres, de « Défaire la tyrannie du présent. Temporalités émergentes et futurs inédits » (La Découverte, 2018) et « Une juste colère. Interrompre la destruction du monde » (Divergences, 2019).
    Jérôme Baschet(Historien)

  • Michel Tibon-Cornillot, penseur du « déferlement des techniques », est mort du Covid-19

    https://reporterre.net/Michel-Tibon-Cornillot-penseur-du-deferlement-des-techniques-est-decede-

    Il a notamment développé le concept de « déferlement des techniques », ou, comme il précisait de « déferlement des systèmes techniques contemporains » : selon lui, les systèmes techniques ont acquis une puissance et une efficacité telles « qu’ils ne sont plus régulables et qu’ils se mettent à frapper les écosystèmes ou les systèmes sociaux avec une telle force qu’ils les font exploser ».

  • Rapiécer le monde. Les éditions La Lenteur contre le déferlement numérique | Terrestres
    https://www.terrestres.org/2019/12/20/rapiecer-le-monde-les-editions-la-lenteur-contre-le-deferlement-numeriqu

    L’objectif de leurs écrits est de construire une critique anticapitaliste de la technologie qui ne soit pas réactionnaire. Une critique en acte qui associerait la parole et l’action, l’analyse critique et la construction de nouveaux mondes. Si, à partir du XIXe siècle, le progrès technique s’est inventé comme la condition de possibilité de l’émancipation sociale et de la liberté, peu à peu s’est imposé un divorce croissant entre ce progrès technique et le progrès humain. La thèse des textes publiés à la Lenteur est que le numérique actuel accélère ce divorce ancien, que les technologies dites numériques facilitent de plus en plus le démontage des droits sociaux, des solidarités tout en restreignant sans cesse la liberté. Loin de rompre avec les logiques de destruction et de contrôle des techniques modernes, les technologies numériques apparaissent de plus en plus comme le franchissement d’un nouveau seuil. Ce constat semble de plus en plus partagé, comme le montre les mobilisations massives autour des compteurs communiquants Linky et les doutes autour de la cybersurveillance et l’impact écologique et énergétique croissant des infrastructures et objets numériques. La thèse selon laquelle le numérique est un enjeu politique central, qui implique de lutter contre les entreprises et l’État qui rendent cette dépendance au numérique généralisée, s’étend.

    #technocritique #critique_techno #La_Lenteur #François_Jarrige #livre

    • Comment envisager d’instaurer un monde vivable et écologiquement moins destructeur si partout explosent les consommations énergétiques, des infrastructures matérielles destructrices, et des promesses abstraites et creuses sur les futurs technologiques heureux. Mais aussi, que signifie concrètement s’opposer à l’informatisation du monde et de nos vies alors que le consumérisme high tech ne cesse d’être vantée, promue et encouragée partout, y compris dans les milieux militants qui invitent à liker, tweeter et partager sur Facebook leurs actions pour les rendre visibles.

      […]

      L’informatique offre de multiples avantages et facilités apparentes – c’est comme ça qu’il s’impose – tout en multipliant les nouvelles complexités, les nouvelles dépendances et les nouvelles fragilités. Les deux vont ensembles et sont indissociables, c’est toute l’ambivalence de ce qu’on nomme le « progrès technique ». Ce débat travaille de nombreux groupes militants qui consacrent un temps croissant à s’agiter sur le net, et une revue en ligne comme Terrestres elle-même n’est pas exempt de ce défaut en faisant le choix de circuler en ligne, via des réseaux sociaux, tout en invitant à redevenir terrestre. Il ne s’agit pas de culpabiliser ni de renvoyer aux usages individuels, car la plupart des gens n’ont pas choisi ni ne sont enthousiastes face à la numérisation en cours. Il s’agit d’abord de penser ces questions d’un point de vue collectif et global, et de s’opposer aux discours officiels et médiatiques dominants, conditions préalables à la possibilité de formes de vies et d’expérimentations différentes.

      […]

      Contre le philosophe et économiste Frédéric Lordon, la critique se fait plus ravageuse puisqu’il est présenté comme un habile rhéteur, aux positions visibles dans la gauche radicale contemporaine, mais qui refuse obstinément de penser la question technique comme une question politique, ni d’affronter totalement le monde réel tel qu’il est.

  • Un road trip philosophique à la découverte de l’écoféminisme
    https://reporterre.net/Un-road-trip-philosophique-a-la-decouverte-de-l-ecofeminisme

    Dans « Être #écoféministe — Théories et pratiques », Jeanne Burgart Goutal restitue la richesse et la diversité des théories développées par cette mouvance née il y a plus de quarante ans en alternant reportage et analyse.

  • Contre l’alternumérisme (recension)
    http://blog.ecologie-politique.eu/post/Contre-l-alternumerisme

    Large mais toujours juste, car chaque cible est précisément définie et sa contribution à une « autre informatisation possible » fait l’objet d’une critique sérieuse et bien documentée. Des utopistes d’Internet aux inquiet·es des écrans, ces tendances ont ceci en commun qu’elles ne refusent ni les outils numériques, ni leur omniprésence dans la vie sociale, mais souhaitent en encadrer l’usage.

    Avec renvoi vers :
    https://seenthis.net/messages/825721
    http://www.internetactu.net/2020/02/13/de-lalternumerisme-dautres-numeriques-sont-ils-possibles

    On ne mettra pas des centrales nucléaires en autogestion, de même qu’on n’impliquera pas les citoyens de manière « participative » dans l’exploitation d’une mine au Congo, ou qu’on ne produira pas de manière « écologique » des claviers en plastique, des puces en silicium, des écrans de verre, des milliers et milliers de kilomètres de câbles sous-marins.

    #critique_techno #internet #numérique #informatisation #logiciel_libre #framasoft

  • L’invention du #capitalisme : comment des paysans autosuffisants ont été changés en esclaves salariés pour l’industrie (par Yasha Levine) – Le Partage
    https://www.partage-le.com/2018/10/linvention-du-capitalisme-comment-des-paysans-autosuffisants-ont-ete-cha

    La doctrine économique de notre culture stipule que le capitalisme est synonyme de liberté individuelle et de sociétés libres, n’est-ce pas  ? Eh bien, si vous vous êtes déjà dit que cette logique était une belle connerie, je vous recommande la lecture d’un livre intitulé The Invention of Capitalism (L’invention du capitalisme, non traduit), écrit par un historien de l’économie du nom de Michael Perelman, contraint de s’exiler à Chico State, une université perdue dans la Californie rurale, pour son manque de sympathie envers l’économie de marché. Perelman a utilisé son temps d’exil d’une des meilleures manières possibles, explorant et fouillant les travaux et la correspondance d’Adam Smith et de ses contemporains afin d’écrire une histoire de la création du capitalisme allant au-delà du conte de fées superficiel qu’est La Richesse des nations  ; il nous propose ainsi de lire les premiers capitalistes, économistes, philosophes, prêtres et politiciens dans leurs propres mots. Et ce n’est pas beau à voir.

  • Des révolutions du capitalisme

    Louis

    https://lavoiedujaguar.net/Des-revolutions-du-capitalisme

    « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. […] Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. » Karl Marx, Manifeste du parti communiste , 1848

    S’il est devenu un lieu commun de constater que le capitalisme n’existe pas sans révolutionner en permanence les rapports de production, il est une conséquence qui est malgré tout restée dans l’ombre : la révolution parallèle de la représentation sociale, la transformation parallèle de l’intelligence et de la pratique du fait social, la métamorphose parallèle de la conscience historique de l’aventure humaine dans sa globalité.

    Cette citation du Manifeste de 1848, quand bien même elle met l’accent sur une dynamique continue de transformation du capitalisme n’est pourtant généralement comprise que comme conséquence de la mise en œuvre d’une unique logique historique, celle de l’accroissement des performances, des richesses matérielles (et des inégalités sociales), pour culminer dans le processus de la marchandisation généralisée du monde, mais pourtant sans transformation qualitative, dialectique, fondamentale, de sa rationalité. Cette dynamique est décrite comme un approfondissement d’une structure essentiellement invariante du capitalisme : les révolutions internes qu’il met en œuvre sont comprises sous l’angle d’une continuité du capitalisme, que ce soit sous un aspect structurel ou sous une approche conceptuelle. (...)

    #capitalisme #Marx #révolutions #continuité #histoire #économie #sensibilité #guerre #schizophrénie #mutation

  • Lire une littérature pédophile : le cas des études littéraires sur Gabriel Matzneff | Malaises dans la lecture
    https://malaises.hypotheses.org/1238

    Automne 2010, j’assiste avec petite vingtaine de lycéen·nes à un festival organisé autour de deux prix littéraires dans une ville de province. L’invitation étant liée à la participation à un concours scolaire et non à notre initiative personnelle, nous découvrons tou·te·s avec probablement un certain émerveillement un monde de lectures de poésie, de débats littéraires et d’échanges avec des écrivain·es en chair et en os. Le dernier jour, la clôture de notre séjour sous la forme d’un échange avec le président de l’association qui finance l’initiative donne lieu à un épisode inattendu. À une participante qui demande s’il est possible de garder contact avec certain·es des écrivain·es présent·es et de correspondre, cet homme fait une réponse positive et factuelle avant de marquer un temps d’arrêt. Il raconte alors que quelques années auparavant, un écrivain avec qui une lycéenne – invitée dans les mêmes conditions que nous – avait correspondu, a entretenu avec celle-ci une relation qui a eu d’importantes répercussions psychiatriques, pour elle et pour la compagne de l’auteur. Celui-ci, conclut le président de l’association, est désormais exclu du jury. Ce récit, qui tranche avec l’atmosphère générale du festival où trônent naturellement les écrivain·es, ne figure pas dans le compte-rendu que je fais de ce séjour pour mon lycée mais est pourtant présent dans ma mémoire avec une grande netteté. La littérature, c’est aussi ça.

    2019, à la veille de Noël, la presse annonce la publication du livre Le Consentement de Vanessa Springora.

    • À la suite de cet article, c’est surtout un extrait de l’émission Apostrophes en 1990 qui fait le tour des réseaux sociaux, ainsi que diverses citations des œuvres de l’auteur, parmi les plus crus ou explicites (généralement sans avertissement ni analyse), déclenchant une série de réactions diverses – reléguant parfois au second plan la prise de parole de Vanessa Springora et la nécessaire prise de conscience de la prévalence de la pédocriminalité dans la société au profit dans certains cas d’un certain populisme opposant le bon sens commun à une “intelligentsia” pro-pédophile, d’un conservatisme profitant de l’occasion pour déplorer la libération sexuelle2 ou d’une critique de la médiocrité d’une littérature narcissique et autocentrée3.

  • Snowden, Constant et le sens de la liberté à l’heure du désastre | Terrestres
    https://www.terrestres.org/2019/12/20/snowden-constant-et-le-sens-de-la-liberte-a-lheure-du-desastre

    Aurélien Berlan

    Les géants du numériques ont aboli la « vie privée », face visible de la liberté des Modernes. C’est au contraire à l’autre versant de cette conception de la liberté qu’il faudrait renoncer : être délivrés des nécessités de la vie, rendue possible par l’instauration de dispositifs lointains et aliénants. Il s’agit alors de reconquérir la liberté de subvenir à nos vies.

    A propos d’Edward Snowden, Mémoires vives, Seuil, Paris, 2019.

    Les appels à décréter « l’état d’urgence écologique » qui foisonnent aujourd’hui à l’adresse des Etats sont le dernier avatar d’une idée qui hante une partie du mouvement écologiste depuis longtemps. Compte tenu des liens historiques entre la dynamique des sociétés industrielles et la conception occidentale moderne de la liberté, enrayer l’aggravation des nuisances et la multiplication des catastrophes que ces sociétés provoquent supposerait d’engager une politique étatique volontariste, voire dirigiste, supposant de restreindre les libertés, que ce soit sous la forme d’un renouveau républicain ou d’une dictature verte1. Entre la nature et la liberté, il faudrait choisir – et vu le degré de dégradation environnementale déjà atteint, manifeste dans la brutalité de l’effondrement en cours du vivant, on n’aurait en réalité pas le choix.

    Sur les terrains de lutte ayant une dimension écologiste, là où des gens se mettent en danger pour empêcher tel ou tel projet désastreux de se réaliser, qu’il s’agisse d’un méga-transformateur électrique pour exporter de l’énergie prétendument verte (comme en Aveyron où l’Amassada vient d’être expulsée manu militari), d’une mine de lignite (à Hambach en Allemagne où l’intervention de la police a provoqué un mort) ou d’une poubelle nucléaire (à Bure où les militants font l’objet d’une répression judiciaire acharnée), c’est un autre son de cloche que l’on entend en général. Les militant-es ne se battent pas pour que les prérogatives de l’Etat soient encore renforcées après deux décennies de lois « antiterroristes » (utilisées contre la contestation écologiste lors de la COP 21) et cinquante ans de politiques « sécuritaires », mais pour reconquérir une liberté que le capitalisme industriel, avec la complicité des Etats, nous a selon eux ravie.

    Dans les deux cas, il ne s’agit bien sûr pas de la même liberté – notion dont on sait à quel point elle est polysémique. Dans le premier discours, c’est la conception (néo)libérale de la liberté qui est en ligne de mire, c’est-à-dire la liberté d’échanger et de faire des affaires sans entraves (« laisser faire, laisser passer »), sur les deux plans individuel (« je fais ce que je veux ») et entrepreneurial (« dérégulation des marchés ») – et l’on retombe dans les vieilles ornières du débat opposant les libéraux aux interventionnistes, qu’ils se disent socialistes, républicains ou écologistes. Dans le second discours, c’est une autre idée de la liberté qui est en jeu, que les militant-es désignent en général par la notion d’autonomie en un sens qui ne se réduit pas au fait de « se donner ses propres lois » (l’autonomie politique, au sens étymologique), mais implique aussi de pourvoir à ses propres besoins – c’est de cela dont il est question quand on parle d’autonomie matérielle en général, et en particulier d’autonomie énergétique, alimentaire, médicinale, etc.❞

    • Excellent article !

      Car le désir d’autonomie qui anime une partie du mouvement écologiste, et bien au-delà, invite à lire l’histoire autrement, à penser que si une conception de la liberté a triomphé, c’est l’aspiration à la délivrance – vieux rêve dont le transhumanisme incarne aujourd’hui la radicalisation high-tech : en promettant le dépassement de la mort et en faisant miroiter la colonisation de Mars aux riches qui s’inquiètent tout de même de leurs chances de survie sur la Terre dévastée, cette idéologie réactualise le fantasme d’être délivré des aspects négatifs de la condition terrestre. Or, ce fantasme s’est historiquement imposé contre les aspirations à l’autonomie des classes populaires qui, pendant des siècles, ne se sont pas battues pour être déchargées des nécessités de la vie, mais pour avoir libre accès aux moyens de subsistance, en premier lieu la terre, permettant de prendre en charge ces nécessités.

      […]

      En réalité, les révélations de Snowden n’en étaient que pour celles et ceux qui ne s’étaient jamais interrogés sur les tenants et aboutissants de l’informatisation de leurs activités, ou qui ne le voulaient pas. Pour les autres, elles ne faisaient qu’administrer les preuves irréfutables de ce qu’ils avaient déjà dénoncé, dans l’indifférence générale. Le rappeler, ce n’est pas amoindrir le mérite de Snowden, mais mettre en évidence sa véritable contribution au débat, absolument décisive : avoir permis de démasquer les béni-oui-oui de la High-tech, qui taxent toute critique de « conspirationniste » ou de « technophobe ». Grâce à Snowden, on sait désormais que les discours rassurants sur la révolution numérique sont le fait, au mieux de grands naïfs se voilant la face, au pire de marchands de sable cyniques que l’informatisation du monde renforce et enrichit.

      […]

      Si la sacralisation de la vie privée avait gardé de sa force, on aurait pu s’attendre – c’est ce qu’espérait Snowden – à ce que ses révélations provoquent une levée de boucliers de ce type. Il n’en fut rien. En France, la plupart des gens qui se disaient choqués n’envisageaient pas pour autant de modifier leurs pratiques de communication, comme s’il n’y avait rien d’essentiel à défendre ici, et donc aucune raison de se mobiliser ou de changer ses habitudes électroniques. Ce que l’affaire Snowden a révélé fut pour lui une cruelle désillusion : la liberté pour laquelle il avait pris tant de risques ne faisait plus vibrer grand monde11. Est-ce à dire que la liberté ne nous importe plus ? Ce n’est pas ce que suggère le matraquage idéologique persistant à vendre n’importe quelle réforme et n’importe quelle innovation dans l’emballage de la « liberté ». En réalité, l’indifférence suscitée par Snowden tient au fait que nous nous sentons toujours aussi « libres » qu’avant, comme si la violation de la vie privée n’affectait plus notre liberté. Mais alors, n’est-ce pas le mot liberté qui aurait changé de sens ? Si la véritable révélation de Snowden concerne la dissolution de la liberté des Modernes dans les réseaux de fibre optique, alors nous serions, comme Constant en son temps, à un tournant dans l’histoire du mot liberté, qu’il nous faudrait interroger à nouveau. Où en est-on dans l’histoire du sens de la liberté ?

      […]

      Nous pouvons dès lors reformuler le problème posé par Snowden. Si nous nous sentons toujours libres aujourd’hui, ce n’est peut-être pas que le sens de la liberté aurait fondamentalement changé, mais plus simplement que l’inviolabilité de la sphère privée n’était pas la seule chose qui faisait la valeur de la liberté aux yeux des Modernes, ou la chose principale qui faisait qu’ils se sentaient libres. Mais alors, quelle qualité constituait le cœur de la liberté bourgeoise ?

      […]

      Ce que signe l’affaire Snowden n’est donc pas tant la fin de la liberté des Modernes que celle de l’interprétation libérale qui la définissait par l’inviolabilité de la vie privée. En réalité, ce critère constitutionnel, effectivement bafoué aujourd’hui, masque le fait que les Modernes aspirent d’abord à autre chose, à la délivrance à l’égard des nécessités politiques et matérielles de la vie sur terre. C’est justement ce que suggère l’indifférence suscitée par les révélations de Snowden. C’est aussi ce que confirme une lecture attentive de Constant. Et c’est également ce qu’une histoire de la liberté moderne montrerait. Car face à la conception libérale de la liberté comme délivrance à l’égard des soucis matériels et politiques, le socialisme a souvent, dans ses tendances marxistes dominantes, surenchérit sur ce désir de délivrance en rêvant de surmonter le « règne de la nécessité » par le productivisme industriel et de dépasser la conflictualité sociale dans « l’administration des choses25 ».

      #Aurélien_Berlan #philosophie #liberté #libéralisme #démocratie #politique #capitalisme #anti-industriel #subsistance #autonomie #Edward_Snowden #Benjamin_Constant #vie_privée #privacy #Modernité #transhumanisme @antonin1

    • C’est un très beau texte, et bien écrit. Berlan reprend l’alternative de Constant sur les deux libertés, montre que la liberté individuelle ne peut exister sans liberté politique, collective, et qu’on nous vend la première, censée compenser la perte de la seconde, dans un contexte où celle-ci ne peut pas s’exercer. Et il étend la notion classique de liberté politique en liberté d’assurer et de contrôler ses conditions de vie matérielle, sa subsistance. Au final, c’est comme ça que je l’entends, nous avons accepté le « ou bien oui bien » de cette fausse alternative en prenant la seconde, dénuée de son sens et protégée par de bien maigres garde-fous et déclarations d’intention, parce qu’elle nous libère des nécessités de la vie en nous fourguant des biens et services bien « pratiques » (bagnole, télécom, bouffe produite par des spécialistes, objets à deux balles mais en nombre, la #poubelle_industrielle avec ses nuisances écologiques qu’on feindra de déplorer).

      Ce faisant, on comprendra pourquoi nous nous sentons toujours aussi « libres », en dépit des révélations de Snowden : parce que le système étatico-industriel, si liberticide soit-il, nous délivre toujours plus des limites et des contraintes liées à la vie humaine sur terre.

      Mais depuis, il est devenu clair que la liberté effective ne dépend pas seulement des droits fondamentaux et de l’agencement des institutions, mais aussi de conditions sociales et matérielles. Si l’on dépend d’une instance supérieure pour assurer ses besoins, on se retrouve « à sa merci » et donc potentiellement en situation d’impuissance et d’oppression

      Et si la quête de délivrance à l’égard des nécessités de la vie sur terre, le désir d’un allègement de nos conditions de vie jusqu’à l’apesanteur, jusqu’à l’idée de quitter la terre pour mener une vie extra-terrestre, a fait le lit du capitalisme industriel et du saccage de la planète, il faut rompre avec cet imaginaire et revaloriser l’autonomie comme une manière de revenir sur terre, de revenir à une vision terrestre de la liberté, compatible avec la préservation de nos conditions de vie sur notre planète fragile. En tout cas, c’est une perspective plus enthousiasmante que celle d’un état d’urgence écologique qui conduirait à une restriction draconienne du peu de libertés qui nous reste.

      Merci @rastapopoulos pour l’appel !

  • Matthieu Amiech : « Le numérique devient le cœur de la catastrophe écologique »
    https://reporterre.net/Matthieu-Amiech-le-Numerique-devient-le-coeur-de-la-catastrophe-ecologiq

    On perturbait également le milieu universitaire et le mouvement de scientifiques Sauvons la recherche. On leur demandait s’il était décent d’avoir un mot d’ordre de sauvetage de la recherche scientifique au vu de sa contribution à l’ordre social existant, au vu des sommes déjà dépensées dans les nanotechnologies, le nucléaire, les OGM… On avait par exemple bloqué la fête de la science à Orsay, en faisant sortir le directeur du campus. On s’était déguisés en Indiens, avec des plumes et des arcs, et on avait attaqué le petit train de la science en leur demandant de quitter la terre de nos ancêtres. On s’amusait en faisant des choses sérieuses.

    […]

    N’y aurait-il pas eu du sens de mener cette réflexion et ces luttes au sein du système ?

    Si, mais j’étais attiré par la possibilité de me consacrer à des tâches plus matérielles ; et touché par le fait que nous n’arrivions pas à susciter une remise en cause des chercheurs et des universitaires, dans les années 2000. À ce moment-là, notre réflexion sur l’impasse de la société industrielle et capitaliste n’intéressait pas grand-monde. Certains d’entre nous sont quand même restés enseignants, et ils font des choses très bien. Le contexte à l’université a un peu changé. À partir de 2010, il y a eu les travaux menés par François Jarrige, Jean-Baptiste Fressoz, Christophe Bonneuil ; plus récemment, l’émergence de l’Atelier d’Écologie politique à Toulouse. Les lignes bougent, même si c’est encore largement insuffisant.

    […]

    Nous suivons un fil rouge : le divorce entre le progrès technique et le progrès humain. Le progrès technique a pendant longtemps semblé en tant que tel porteur de justice sociale et de liberté. Nous pensons que c’était déjà en bonne partie une illusion aux XIXe siècle, mais, au fil du XXe, on observe carrément un divorce : les outils de la technologie ont facilité le démontage des droits sociaux, des solidarités et considérablement restreint la liberté. Les livres de La Lenteur documentent, de manière assez variée je crois, ce divorce.

    #Matthieu_Amiech #critique_techno #informatisation #numérisation #écologie #science

  • « Les ravages des écrans » : un traité de savoir-vivre pour les générations futures
    https://usbeketrica.com/article/ravages-ecrans-traite-savoir-vivre-generations-futures


    https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/les-ravages-des-ecrans

    « L’idée de vouloir former les enfants aux nouvelles technologies dès la maternelle est à peu près aussi intelligente que celle qui consisterait à les habituer, dans les mêmes murs, à l’alcool »

    #addiction

    • Après l’écho considérable de son livre Digital Demenz outre-Rhin, le psychiatre et neurologue allemand #Manfred_Spitzer revient avec une #critique globale des écrans et de la relation pathologique que nous entretenons avec eux. À l’heure où son compère français Michel Desmurget expose la « fabrique du crétin digital » en cours, soulignant les dangers des #écrans pour les enfants, Manfred Spitzer élargit le spectre en présentant la « cyberdépendance » comme une « maladie de civilisation ».

      https://www.revue-projet.com/comptes-rendus/2019-12-marry-les-ravages-des-ecrans/10440

      Il la dissèque à travers ses impacts, protéiformes. Le « cyberstress » est distingué de la « cyberangoisse » ou de la « cyberchondrie » (qui renvoie au fait que l’hypocondrie va croissant à mesure que l’on se renseigne en ligne sur nos symptômes). Au gré des chapitres, tous les maux sanitaires et cognitifs liés à l’usage excessif des écrans sont évoqués, avec force études à l’appui : surpoids, baisse du sommeil, de la mémoire, de la vue, du quotient intellectuel… Les conséquences psycho-sociales et sociétales sont, elles aussi, mises en exergue : la baisse des résultats scolaires, l’impact des contenus violents et pornographiques, la hausse des dépressions, la perte de l’empathie et même le risque que présente la collecte des données personnelles pour nos vies privées.

      Dans sa révolte, Manfred Spitzer n’hésite pas à incriminer les responsables politiques qui ignorent ces « ravages » (pourtant évidents) et encouragent « l’école numérique », dont toutes les études sérieuses montrent l’inanité. Il dénonce aussi le discours des lobbies de l’industrie numérique qui poussent au « tout digital » et produisent des études visant à semer le doute quant aux conséquences d’une telle orientation. Ainsi, outre la prise de conscience et l’effort de sensibilisation auxquels ce livre espère contribuer, l’auteur appelle à oser les interdictions là où cela s’impose, par exemple dans le cadre scolaire. La véritable solution, selon lui, réside dans l’expérience que chacun fera des bienfaits de la « déconnexion ». L’accumulation de chiffres et d’études dans des champs très divers laisse parfois le lecteur étourdi ; mais peut-être est-ce la gravité du diagnostic qui génère ce malaise… Manfred Spitzer va jusqu’à juger « l’implosion culturelle » en cours aussi dramatique que le réchauffement climatique. Il appelle ainsi les États européens à réagir tant qu’il en est encore temps.

      Yves Marry 3 décembre 2019
      #cyberchondrie #livre

  • Was ist SchloR? • Schöner leben...
    https://schlor.org/schlor/was-ist-schlor-2

    Das Projekt SchloR hat zum Ziel, in Wien langfristig abgesicherte und leistbare Räume für selbstverwaltetes und gemeinschaftliches Arbeiten und Wohnen zu schaffen. Unser Selbstverständnis beruht neben der Selbstverwaltung auf Inklusion, Solidarität, sowie der Idee des Nutzungseigentums (statt Privateigentum) und der Kapitalneutralisierung. Selbstverwaltet bedeutet, dass wir uns selbst organisieren und unsere Räume gemeinsam gestalten.
    Um unser Projekt zu realisieren, planen wir gemeinsam mit dem Dachverband habiTAT den Kauf einer Immobilie in Wien Simmering. Durch das Rechtsmodell des habiTAT wird die Immobilie vergesellschaftet und dauerhaft dem Immobilienmarkt entzogen. Außerdem fallen Personen, die Profite aus dem Grundrecht auf Wohnen schlagen, weg.
    Solidarität zeigt sich z.B. dadurch, dass jeder Person – fernab von sozialen Status & Eigenkapital – eine gleichberechtigte Teilhabe, (Mitbestimmungs-)möglichkeiten & Rechte gegeben werden. Somit sollen soziale Ungleichheiten ausbalanciert werden ohne dabei Hierarchien einzuziehen.

    Verein zur Förderung kollektiven Wohnens und kreativer Lebensvisionen (ZVR 236108850)
    Rappachgasse 26
    A-1110 Wien

    Anfragen: contact at schlor punkt org

    #Autriche #Vienne #logement

  • Panthère Première » L’horizon sans les hommes

    Et si la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes passait non pas par une redistribution des ressources, mais par une remise en question directe des fondements socio-culturels de la masculinité et de la féminité ?

    par #Mélusine

    "Je ne crois pas en l’égalité entre les hommes et les femmes. Dans le discours autorisé, la revendication d’égalité tient aujourd’hui lieu d’abrégé consensuel des luttes féministes, devenue à la fois l’objectif institutionnel des politiques publiques et le slogan résumant — et limitant — les exigences émancipatrices des femmes. Elle a cela de confortable qu’elle paraît seulement exiger la réalisation effective d’un principe politique et philosophique dont la légitimité est depuis longtemps reconnue, inscrite aux frontons des codes et des bâtiments. Toute la radicalité potentielle d’une telle exigence, jamais nulle part réalisée, s’éteint pourtant dans ce vocable figé. Que voudraient donc les femmes ? L’égalité avec les hommes : rien de trop, rien de plus qu’avoir ce qu’ils ont, rien de plus que faire ce qu’ils font. Cette revendication n’est pas seulement timide, elle n’a aucun sens : elle contient une impossibilité logique qui se révèle lorsqu’on se demande sérieusement ce que recouvre chacune des deux catégories qu’on prétend faire s’équivaloir, celle des hommes et celle des femmes. En effet, toute l’énergie performative du monde ne permettrait pas d’inscrire un signe égal entre des valeurs intrinsèquement dissemblables. L’égalité hommes-femmes est une contradiction, un oxymore qui n’a aucun espoir de réalisation : parce qu’il ne peut exister ce qu’on appelle aujourd’hui « des hommes », et qu’ils soient les égaux de celles qu’on appelle « des femmes »."

    https://pantherepremiere.org/texte/lhorizon-sans-les-hommes

    #féminisme #inégalités #masculinité #genre

    • Marc, effaré : alors à travail égal salaire égal on devrait s’en foutre ? Allez racontez çà à la caissière du supermarché à temps partiel qui se tape 4 heures de RER tous les jours pour venir vous servir à Paname et élever toute seule ses deux gosses au fond du 93 !

    • À propos de la notion de privilège, au moment où elle sert de support à des actes de contrition publique aux USA suite au meurtre de George Floyd par la police.

      Partager ou abolir, il faut choisir

      Cet horizon trompeur nous amène à croire que c’est par le partage qu’on pourra parvenir à cette égalité fantasmée. Partage de leurs privilèges et partage de nos fardeaux, grande redistribution générale entre hommes et femmes où, chacun·e faisant et recevant autant que l’autre, tou·tes pourraient vivre enfin en bonne intelligence. Cette idée paraît sensée lorsqu’on énumère les choses en quantité limitée qu’ils possèdent en surnombre parce qu’à nos dépens : salaires et patrimoine3, opportunités d’emploi et postes à responsabilité4, exposition médiatique et mandats publics5, mais également temps de loisir et liberté d’esprit6.

      S’il est possible de vouloir partager avec eux ces avantages, il est moins évident d’imaginer partager nos servitudes. L’exemple du travail domestique est éclairant. Christine Delphy, théoricienne de l’exploitation économique des femmes, définit le travail domestique comme un travail réalisé pour autrui (et surtout, pour son conjoint) de manière gratuite : peut-on dès lors souhaiter son partage ? Souhaiter mieux partager le joug pour amoindrir son poids ? Delphy propose une solution plus radicale : elle refuse de considérer les tâches ménagères comme le lot commun du couple qu’il s’agirait de partager plus ou moins équitablement entre les partenaires. Elle propose au contraire de rétablir l’autonomie de ces dernier·es afin que, chacun·e prenant en charge ses besoins, aucun·e ne travaille plus pour l’autre. Dès lors, le partage dans le couple n’a de sens que pour l’entretien nécessaire des éventuels enfantset des personnes dépendantes : il ne concerne jamais le couple cohabitant sans personne à charge. Du travail domestique (pour, ou plutôt à la place d’autrui), elle dit : « ce n’est pas son partage que l’on doit viser, mais son abolition7 », et de ces mots on pourrait plus largement s’inspirer : non pas tenter de répartir les poids et les gains inhérents au système patriarcal, mais s’attaquer à la balance.

      Or, que l’on parle de genre, de classe ou de race, on envisage aujourd’hui principalement le rapport de domination comme une répartition inégale de biens, de capitaux, de statuts, de dispositions — des ressources donc, que chacun·e posséderait à parts inégales et qu’il serait possible de distribuer autrement. À ces ressources, nous avons donné un nom, devenu commun dans le langage militant, celui de « privilèges ». Il permet de désigner l’ensemble des bénéfices dont les membres du groupe dominant sont susceptibles de profiter : gagner plus d’argent, ne pas se faire agresser, avoir confiance en soi, être considéré·e comme un·e individu·e, obtenir du respect ou un emploi, jouir de droits fondamentaux, etc. — autrement dit, « un paquet invisible d’avantages immérités8 », dont l’expérience est quotidienne et bien souvent inconsciente. C’est un terme utile, en ce qu’il étend le champ du dicible, incluant des bénéfices de toute nature et traquant la domination jusque dans les espaces les plus intimes. Il a, par ailleurs, une force évocatoire certaine : les privilèges sont toujours injustes, et c’est bien pour ça qu’on les abolit. Enfin, cette notion permet une approche parallèle du fonctionnement des systèmes de domination : il y a des privilèges masculins, des privilèges blancs, des privilèges hétérosexuels, etc., détenus par des groupes dominants, aux dépens de groupes dominés.

       

      Être et avoir

      Pourtant, la notion de privilèges porte les mêmes obstacles que celle d’égalité hommes-femmes : toutes deux reposent sur l’idée qu’il y aurait des ressources (matérielles, symboliques, affectives, etc.) qui pourraient être mieux réparties. Autrement dit, qu’il pourrait exister, hors du rapport de domination dans lequel ils sont pris, un groupe « hommes » et un groupe « femmes » (des « blanc·hes » et des « racisé·es », des « bourgeois·es » et des « prolétaires », etc.), qui auraient pu — et pourraient donc — vivre en égaux, mais qu’un processus socio-historique contingent et malheureux aurait rendus inégaux. Parler de privilèges implique de penser le sujet — dominant ou dominé — comme précédant l’exercice de la domination, de supposer l’existence d’un être masculin préexistant à la minoration des femmes9 : qu’il y ait donc eu des hommes et, indépendamment, qu’ils aient eu des privilèges. Peut-être la naturalisation des différences entre les sexes est-elle si résistante qu’elle empêche de saisir immédiatement la difficulté. Elle apparaît plus claire, transposée au système raciste : l’idée que les privilèges seraient simplement détenus, et non incarnés, laisse entendre que le groupe blanc et les groupes racisés auraient une existence autonome, qu’ils ne seraient pas seulement le produit de processus d’altérisation et de racisation, mais leur préexisteraient et pourraient continuer à exister indépendamment d’eux, indépendamment du racisme. Que le sujet dominé ne serait finalement pas le produit d’un processus de domination (de classe, de race, de genre), mais qu’il aurait une essence particulière, en dehors de l’histoire de sa minoration et de son exploitation.

      Parler des choses qu’on a, et non des choses qu’on est, empêche donc de remettre en question l’existence même des catégories. Pourtant, comment pourrait-on imaginer l’existence d’hommes sans privilèges ? Comment pourrait-il y avoir des hommes sans que n’existent la virilité, la paternité, la valorisation de la puissance et de la force, la violence physique, l’hétérosexualité et le foyer ? Qu’est-ce qui ferait la spécificité des hommes s’ils n’étaient pas censés être plus forts, plus grands, plus intelligents, plus indépendants, plus inventifs, plus égoïstes, moins tendres, moins coquets, moins bons cuisiniers, plus employables, plus responsables, mieux payés, plus aptes au commandement et au combat que les femmes ? En réalité, il ne reste rien de la masculinité, une fois évacué ce qu’elle nous enlève et nous prend, ce dont elle nous exclut et à quoi elle nous force. Par masculinité, j’entends non pas la « nature masculine » — ce que seraient les hommes par nature et de tout temps —, non pas la « virilité » — l’expression dominatrice et violente de ce que devrait être un homme —, mais bien l’ensemble des principes, valeurs, pratiques, représentations, manières d’être, de penser, de bouger et de faire, associées aux hom­mes. Cette masculinité a évidemment des expressions plurielles, elle est toujours médiée par les autres dimensions de la position sociale des individus. Toutes les manières d’être homme ne se valent pas, mais même celles qui font l’objet d’une sanction sociale participent à l’asymétrie du système patriarcal en ce qu’elles tracent la ligne de ce qui devrait être à eux et ne pourrait vraiment être à nous. Ceux qui ne sont pas de « vrais hommes » jouent en quelque sorte le rôle de frontière vivante de leur classe : parce qu’ils sont punis d’adopter des pratiques jugées inadaptées à leur sexe, ils ne sont pas hors des grilles du genre mais participent, à corps défendant, à sa structuration.

      En finir avec la masculinité, ce n’est pas refuser aux femmes de s’approprier des traits jugés masculins, mais au contraire brûler les étiquettes. C’est pourquoi on ne pourrait se contenter d’une simple réforme : les hommes peuvent bien développer leur sensibilité, mais tant que cette disposition sera « féminine », elle n’aura pas de valeur. Elle sera à la fois le signe et la justification d’une minoration des femmes qui en font preuve et sont bien comme on dit qu’elles sont, des femmes qui n’en font pas preuve et à qui il manque quelque chose, des hommes qui en font preuve et qui, se féminisant, avilissent un peu leur classe. Si les comportements de genre alternatifs ou subversifs sont une pratique politique émancipatrice et l’une des voies vers la destruction des groupes de sexe, c’est bien celle-ci qui doit servir d’horizon : la fin du système cohérent du genre qui, en classant des attributs, classe les individus.

      En réaffirmant une approche fondamentalement constructiviste du genre10, on s’oblige donc à réévaluer à la hausse les objectifs de la lutte féministe. Comme il n’est plus question de ressources — qu’il serait possible de distribuer équitablement entre des groupes —, mais bien de l’existence de groupes dont la spécificité même repose sur leur accès inégal aux ressources, c’est aux catégories qu’il faut s’en prendre et au principe qui les produit. De la même manière qu’on ne pourrait songer à former le projet politique d’une « égalité bourgeois·es-prolétaires », de même, racisée, je ne peux pas souhaiter être l’égale des blanc·hes : je veux que soit détruit le principe de distinction qui nous sépare et me minore. Je veux que les catégories raciales perdent tout sens et toute réalité, qu’elles ne disent plus rien des individu·es qu’elles prétendent contenir, définir et enfermer : ni de ce qu’elles sont ou de ce qu’ils devraient être, ni de leurs conditions matérielles d’existence, ni de leurs expériences sociales et intimes. Féministe, que pourrais-je donc souhaiter d’autre qu’un horizon sans hommes ? Car tant qu’il y aura des hommes, il y aura des femmes : des mortes, des exploitées, des humiliées.

       

      L’impossible déconstruction personnelle

      L’autre écueil de la notion de privilège réside dans les pratiques militantes qu’elle encourage. Prendre conscience que l’on appartient à un groupe dominant, c’est-à-dire que l’on aurait des privilèges, est aujourd’hui souvent considéré comme un jalon nécessaire à la démarche militante, en particulier féministe et antiraciste. Le propre de ces privilèges étant qu’ils sont pour la plupart inconscients — avantages ignorés dont jouissent les gens normaux et qu’ils et elles n’imaginent même pas usurper à d’autres —, les mettre en lumière permet en effet de dénaturaliser la position de neutralité propre au groupe dominant, en comprenant que, pour que certain·es soient discriminé·es, il en faut d’autres qui en tirent avantage.

      Mais après ce premier pas, on est souvent tenté d’en faire un second : affliction face à une position imméritée, volonté de rendre des privilèges indus et conviction qu’il est possible, à force d’efforts, de déconstruire son appartenance au groupe dominant11. Or, nous l’avons vu, la domination n’est pas affaire de privilèges dont on pourrait se séparer, mais d’une position de pouvoir qu’on incarne dans son être et jusque dans sa chair. On ne peut cesser d’en être, même avec toute la bonne volonté du monde. Dominant, on est aussi coincé que le sont les dominées : comme on ne peut s’enfuir d’être une femme — c’est-à-dire d’être assignée à un rôle et réduite à des conditions d’existence matérielles spécifiques, desquelles on ne peut que se débattre12 —, on n’abandonne pas ses privilèges d’homme en prétendant demeurer homme. Ces derniers relèvent en effet bien peu de la volonté individuelle, en ce qu’ils déterminent notre position sociale, l’ensemble des interactions quotidiennes, des trajectoires et des capitaux auxquels on peut prétendre et des dispositions qui sont les nôtres. Et il n’existe aucune île sanctuaire dans l’océan patriarcal, ni celle du couple, ni celle du for intérieur, jamais imperméable au monde social et façonnée jusque dans ses replis les plus intimes par l’assignation du genre. Indignation, honte et dégoût ne pourraient rien y faire : la poursuite d’une rédemption morale personnelle est vouée à l’échec. J’oserais même dire qu’elle témoigne d’une préoccupation nombriliste — un nouveau privilège, peut-être, à inscrire à la liste.

       

      Pour une théorie du genre et de son abolition

      Hommes et femmes — et quand je dis « hommes », quand je dis « femmes », je parle de tout ce que charrient ces mots, des robes à rubans jusqu’au chef de famille, de l’instinct maternel à l’odeur du musc — ne sont pas des catégories innées et nécessaires. Mais elles n’ont rien, non plus, de catégories fictives, qu’une simple volonté personnelle suffirait à dissiper. Masculinité et féminité ne sont que des constructions, mais leur réalité sociale est puissante et tenace : « Cela n’existe pas. Cela pourtant produit des morts13 ». Dépasser l’objectif insensé d’une possible égalité entre hommes et femmes, c’est donc prendre au sérieux la réalité matérielle du genre, définitivement et violemment binaire, c’est prendre toute la mesure de l’emprise qu’il exerce sur les individu·es qu’il distingue et hiérarchise. C’est comprendre qu’il n’est pas un principe distributeur de ressources et de privilèges, mais un principe producteur de distinction d’êtres. Et c’est pour cela que le féminisme ne peut se réduire ni à une politique publique d’égalité, ni à une démarche personnelle de déconstruction, puisqu’il s’agit bien de collectivement transformer les modes d’existence.

      On voit mal dès lors comment concevoir la fin du patriarcat sans la disparition des hommes — et donc celle des femmes. L’ambition paraît folle, elle consiste en la destruction systématique de l’ensemble des distinctions sociales qui font le genre. Celles des inégalités matérielles de droit et de ressources, qui font les femmes mineures et dépendantes. Celles des rôles assignés et obligés ; des dispositions de corps, qui enferment les femmes et les font petites ; et d’esprit, qui les font pratiques et conciliantes. Celles du rapport au pouvoir, à la violence, à l’autre et à son intégrité, qui fait les mortes, les battues et les violées, les tueurs, les cogneurs et les violeurs. Celles des images, des mots, des évidences, de toutes les choses qui font les hommes hommes et les femmes autres. Le féminisme ne pourrait se contenter de slogans consensuels ; ce n’est pas dans le consensus qu’on met à bas des civilisations. Car c’est bien après l’éducation, les arts, le marché, le langage, les institutions politiques et sociales, la famille, le droit, l’amour et la vie quotidienne que nous en avons. ✺

      #privilège