la voie du jaguar

informations et correspondance pour l’autonomie individuelle et collective

  • Hommage aux Asturies

    Pierre-Jean Bourgeat

    https://lavoiedujaguar.net/Hommage-aux-Asturies

    Pour saluer la parution aux éditions Smolny du livre d’Ignacio Díaz Asturies 1934. Une révolution sans chefs, en librairie ce 11 juin, “la voie du jaguar” publie la préface de l’ami Pierre-Jean Bourgeat, traducteur de l’ouvrage.

    Août 2012, la dernière grande grève des mineurs espagnols s’éteint doucement. Elle a été ponctuée d’occupation de puits, de routes et voies ferrées coupées, d’affrontements qui virent les mineurs asturiens et léonais repousser les forces de l’ordre à coups de lance-roquettes fabriqués maison et d’une marche sur Madrid qui a laissé de cuisants souvenirs aux policiers de la capitale et a fait pendant des mois la une des médias et réseaux sociaux de la Péninsule. Certains y ont même un peu trop rapidement vu le grand retour de l’autonomie ouvrière sur le devant de la scène.

    Je converse amicalement avec des mineurs de Ciñeras, petit bassin minier du León, situé à quelques kilomètres du col de Pajares qui fut la pointe extrême du front sud en 1934 et à ce moment haut lieu des confrontations avec la Garde civile. L’un d’eux possède un merveilleux sens de la formule : « Ici, la lutte des classes est d’une simplicité crasse voire familiale : le gars qui t’exploite est le descendant direct de celui qui faisait suer ton grand-père » ou « À chaque fois qu’un mec vient me raconter que nous sommes la fine fleur du prolétariat, le fer de lance de la classe ouvrière, je me demande quand ce type va nous arnaquer » (en fait il a employé un mot bien plus cru). Le lendemain, changement de décor : nous voilà au cœur du bassin minier asturien, dans la mythique ville de Mieres. (...)

    #Espagne #Asturies #1934 #histoire_sociale #prolétariat #rébellion #mineurs

  • Le Janus de la science et de l’industrie

    Louis de Colmar

    https://lavoiedujaguar.net/Le-Janus-de-la-science-et-de-l-industrie

    Lorsque Greta Thunberg fustige les puissants de ce monde en les exhortant à « écouter les scientifiques » elle se situe au cœur des contradictions de ce temps. Elle idéalise la science en l’opposant aux basses œuvres de l’industrie, méconnaissant que cette industrie n’est que le bras armé de la science. Historiquement parlant, il est tout à fait impossible de les dissocier : science et industrie obéissent à une même vision du monde, à une même pratique effective du monde. Dans les deux cas, il s’agit d’être capable de reproduire à l’infini, sans pertes ou dégradations, des procédures expertes : la reproductibilité des expériences scientifiques est de même nature que la reproductibilité des mécanismes de fabrication industrielle ; bien plus, le propre de la reproductibilité industrielle est directement tributaire d’approches scientifiques particulières, la reproductibilité industrielle n’est qu’une généralisation et une massification de questionnements scientifiques élaborés à échelle réduite.

    Il est temps de sortir de la fausse opposition entre science-connaissance pure, et applications impures et détournées d’une même conception du monde.

    Le combat contre le réchauffement climatique ne peut qu’être corrélé avec le combat contre l’idéalisation de la science, contre sa mythologisation : le réchauffement climatique a bien pour origine la mise en pratique d’une représentation théorique du monde spécifiquement incarné par la science. L’expérimentation scientifique dans les laboratoires académiques ou privés n’est que le b.a.-ba de sa potentielle industrialisation, qui n’est jamais qu’un changement d’échelle. (...)

    #science #industrie #Greta_Thunberg #rationalité #crise #Guillaume_Carnino #Jérôme_Baschet #capitalisme #monde-robot #nature #idéologie #Marx #Pfizer #Moderna #révolution #économie #Paul_Ricœur

  • Notes anthropologiques (LXII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LXII

    « La violence sacrificielle manipulée par les seigneurs a servi à renforcer les inégalités sociales, en concentrant et en centralisant le pouvoir. Maurice Godelier rappelle justement que, dans la théorisation du don, Mauss ajoute une quatrième obligation, souvent oubliée, aux trois étapes classiques de la réciprocité : donner, recevoir, rendre. Il s’agit de l’obligation de faire des dons aux dieux et aux hommes qui les représentent. Les offrandes et les sacrifices auraient la capacité de “contraindre” les divinités à continuer à dispenser aux humains les biens dont ils sont les maîtres (pluie, nourriture, plantes, richesses diverses). Dans ces rapports, les dieux et les esprits sont toujours supérieurs aux hommes, qui restent perpétuellement les débiteurs. La formation de classes sociales et la divinisation des seigneurs (rois, souverains) qui manipulent ces croyances sont corrélatives de cet “endettement”. C’est la dette de la vie (de l’énergie qui anime les hommes, de leur sang) que les hommes doivent payer régulièrement aux divinités par le truchement de ceux qui les représentent, voire de ceux qui les incarnent. Le sacrifice humain est donc une prédation et il n’est pas étonnant que les félins, les plus grands prédateurs du règne animal, apparaissent constamment dans l’iconographie des peuples américains. »

    Dans un premier temps, Je me propose de commenter ce passage de Carmen Bernand tiré de son livre Histoire des peuples d’Amérique.

    La première remarque concerne le don aux dieux, qui serait selon l’opinion de Maurice Godelier une quatrième obligation, le plus souvent oubliée, dans les étapes concernant le don : le don aux dieux viendrait donc couronner les différents moments qui définissent d’un point de vue théorique la pratique du don : donner, obligation de recevoir, obligation de rendre et, enfin obligation de faire des dons aux dieux. Dans cette affaire, Maurice Godelier et à sa suite Carmen Bernand confondent, volontairement ou non, deux circonstances différentes qui peuvent se présenter en fonction du donneur : il s’agit de rendre à qui donne. (...)

    #anthropologie #Carmen_Bernand #Maurice_Godelier #Marshall_Sahlins #Luc_de_Heusch #don #dette #dieux #assujettissement #aliénation #banques #insoumission #zapatistes

  • À Athènes, le théâtre Embros est réoccupé

    Théâtre libre autogéré Embros

    https://lavoiedujaguar.net/A-Athenes-le-theatre-Embros-est-reoccupe

    Une assemblée bien remplie et enthousiaste d’Embros le dimanche 23 mai a décidé de poursuivre la défense du théâtre libre autogéré. La tentative de la police et de la Société de la propriété publique de fermer Embros le matin du lundi 24 mai a été contrée par les avocats du mouvement, les gens qui luttent, les forces de solidarité unies. Les travaux ont été arrêtés.

    Nous commençons aujourd’hui lundi 24 mai et tous les jours à partir de 17 heures une Semaine d’art et liberté devant le bâtiment et des travaux collectifs pour réparer les dégâts causés par l’expulsion.

    Le samedi 29 mai, nous appelons à une journée d’action nationale des artistes, des assemblées de quartier et des centres sociaux dans tous les coins du pays pour défendre non seulement Embros mais tous les espaces libérés. Le pouvoir de l’auto-organisation peut arrêter la destruction de nos quartiers et de la nature menacée par la marée de l’exploitation et l’insolence de l’obscénité.

    Le programme hebdomadaire des événements commence maintenant ! Il sera enrichi quotidiennement de nouvelles entrées. Nous invitons les groupes artistiques à présenter leurs idées et leurs travaux pendant la journée à l’extérieur du bâtiment. (...)

    #Grèce #Athènes #expulsion #réoccupation #Théâtre_Embros

  • Des chants de la Commune ont résonné dans l’infâme Sacré-Cœur

    La Chorale des Pétroleuses

    https://lavoiedujaguar.net/Des-chants-de-la-Commune-ont-resonne-dans-l-infame-Sacre-Coeur

    https://paris-luttes.info/des-chants-de-la-commune-ont-15065

    Que vivent la Commune et la Coustique ! Ou Le Temps des cerises à l’heure des prunes... La Chorale des Pétroleuses vous salue bien !

    Oui, en ce 22 mai 2021, Les Canuts, La Danse des bombes et La Semaine sanglante ont retenti sous les voûtes du Sacré-Cœur, cette ignoble meringue, construite « là où la Commune a commencé », comme le disait lors de la pose de la première pierre Hubert de Fleury, l’un des initiateurs du funeste projet. Ainsi, dominant Paris pour des siècles et des siècles, l’horrible bâtisse, véritable doigt d’honneur des vainqueurs aux vaincus, rappellerait ce qu’il en coûte à celles et ceux qui voudraient se gouverner eux-mêmes et lutter pour un monde meilleur. À l’heure où le gouvernement fait de la laïcité un fondamentalisme quasi religieux destiné à mieux stigmatiser des populations entières, qui pourrait s’offusquer que des chants révolutionnaires résonnent dans un bâtiment appartenant à l’État ?

    Quatorze heures ayant sonné, les choristes, notoirement habillé·e·s voire masqué·e·s, chantent qu’ils·elles « n’iront plus nus » ; où l’on reconnaît les accents musicaux quasi religieux de la chanson Les Canuts, appropriée donc pour une douce entrée en matière. Cependant, au bout d’une minute de clameur, la sécurité s’énerve déjà — « S’il vous plaît arrêtez de chanter ! » : il ne saurait être question de rompre la ferveur et le recueillement des prières par un tel faste sonore, lequel nous transporte. S’invitent alors la barbarie des lions, des voix faisant littéralement exploser la voûte... c’est La Danse des bombes écrite par Louise Michel. La sécurité s’énerve encore et arrache quelques livrets de paroles... Mais l’heure est venue de faire résonner La Semaine sanglante, trop bien connue pour qu’il soit besoin d’y jeter ne serait-ce qu’un œil. (...)

    #Commune #Paris #chorale #pétroleuses #Louise_Michel #Aristide_Bruant #Jean-Baptiste_Clément #Sacré-Cœur

  • Contre la répression des mauvais gouvernements
    Soutien à l’école normale rurale Mactumactzá dans l’État du Chiapas
    et aux peuples tepehuano et wixárika dans l’État de Jalisco

    CNI, EZLN

    https://lavoiedujaguar.net/Contre-la-repression-des-mauvais-gouvernements-Soutien-a-l-ecole-nor

    En tant que peuples originaires que nous sommes, organisés au sein du Congrès national indigène - Conseil indigène de gouvernement et de l’EZLN, nous déclarons ce qui suit :

    Premièrement. Nous répudions les actions répressives du mauvais gouvernement contre nos frères et sœurs de l’école normale rurale Mactumactzá. Une nouvelle fois, on cherche à faire taire par la violence les justes revendications des étudiants des écoles normales. Le 18 mai, le mauvais gouvernement a arrêté 91 d’entre eux, dont 74 étudiantes. Celles-ci ont dénoncé le fait que les forces de police répressives les ont traitées comme un butin de guerre et les ont harcelées sexuellement, les ont déshabillées et les ont tripotées. Les étudiant·e·s sont accusé·e·s de vouloir que les examens qu’on allait leur faire passer s’effectuent en présentiel et non en ligne. C’est là où les autorités éducatives et gouvernementales du Chiapas montrent, une fois de plus, qu’elles n’ont aucune idée de la géographie et de la situation politique et sociale dans cet État. Cette action des mauvais gouvernements résume leur plan pour l’éducation du Mexique rural : répression, mensonges et simulation. À nos sœurs et frères de l’école normale rurale Mactumactzá, nous affirmons notre solidarité totale et sans réserve, et nous appelons toutes et tous nos compañer@s de la Sexta nationale et internationale à se solidariser avec la lutte des élèves de Mactumactzá. Nous exigeons la libération inconditionnelle de tou·te·s les emprisonné·e·s.

    Deuxièmement. En tant que Congrès national indigène - Conseil indigène de gouvernement et EZLN, nous saluons la Campagne nationale et internationale pour la justice et le territoire d’Azquetltán, dans la commune de Villa Guerrero, dans l’État de Jalisco. Là-bas les sœurs et les frères de la communauté indigène autonome wixárika et tepehuana résistent pour la vie. (...)

    #Mexique #Chiapas #Jalisco #peuples_originaires #EZLN #répression #école_normale_rurale

  • Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ?

    Ernest London

    https://lavoiedujaguar.net/Et-si-je-suis-desespere-que-voulez-vous-que-j-y-fasse

    Dans cet entretien réalisé en 1977 par Mathias Greffrath, Günther Anders revient sur sa vie, ses influences et les principaux thèmes qui parcourent son œuvre.

    Günther Anders raconte qu’il a quitté l’Allemagne en 1933 comme des centaines de milliers de réfugiés juifs, tous pour des raisons politiques, même si la plupart ne s’étaient jamais intéressés à la politique, car soudain la politique s’intéressait à eux. L’un des principes du national-socialisme, pour faire disparaître toute trace de conscience de classe, était d’offrir aux millions de victimes du « système », prolétaires au chômage et petits-bourgeois prolétarisés, un groupe par rapport auquel ils pouvaient (ou devaient) se sentir supérieur et sur lequel ils pouvaient (ou devaient) défouler leur haine. « Dans mon livre Die molussische Katacombe [La Catacombe de Molussie], le principe de la dictature s’énonce ainsi : “si tu veux un esclave fidèle, offre lui un sous-esclave !” » L’antisémitisme était « le moyen de gagner le combat contre la conscience de classe et la lutte des classes ».

    Il avoue avoir été fasciné par Heidegger, dont il considère que le principal mérite restera d’avoir opéré une percée en direction de la métaphysique et de l’ontologie. Il réfute cependant que celui-ci ait pu représenter une sorte d’« anticapitaliste » puisque son « monde de l’outil » est celui d’un artisan de village. Ses analyses sont prémarxistes donc précapitalistes. Anders rapporte une discussion qu’il a eue avec lui en 1926 ou 1927, et qui prit un tour plutôt violent : il lui reprocha d’avoir laissé de côté chez l’homme sa dimension de nomade, de voyageur, de cosmopolite, pour n’avoir représenté l’existence humaine que comme végétale, celle d’un être enraciné à un endroit qu’il ne quitterait jamais, le prévenant qu’une telle « anthropologie de l’enracinement » pouvait avoir des conséquences politiques du plus mauvais augure. (...)

    #Günther_Anders #entretien #biographie #philosophie #influences #Allemagne #Hitler #Heidegger #Husserl #Hannah_Arendt #Californie #Vietnam #recension

  • Silent Blocks
    Sur la pandémie actuelle
    d’après le point de vue d’Ivan Illich

    Ernest London

    https://lavoiedujaguar.net/Silent-Blocks

    Les photographies de Myr Muratet montrent un Paris rendu soudain silencieux par le confinement total de la population au printemps 2020, que seul vient troubler le bruit des bottes d’un dispositif policier chargé de le faire respecter. Le journaliste scientifique canadien David Cayley, nourri à la pensée d’Ivan Illich, s’interroge sur la gestion de la pandémie par les États occidentaux, cherchant à comprendre comment les mesures préventives, fondement de nos sociétés, peuvent être à l’origine des états de crise.

    Photographies des rues désertées d’une ville confinée où l’on aperçoit ceux qui sont d’ordinaire invisibles, les parias, plus que jamais bien nommés « sans-abri », ainsi que des patrouilles qui veillent à maintenir un ordre que plus grand-chose ne vient contrarier. Rue de Rivoli, quartier de la Défense et place de l’Étoile figés, plus que jamais minéralisés, sans autre signe de vie ou de mouvement qu’un cycliste qui prend le temps de respirer, une mauvaise herbe qui profite de la disparition de la circulation pour surgir. Chantier à l’arrêt, fenêtres de bureaux abandonnés, enterrement sans cortège, piétons qui ne croisent même plus leurs regards, comme de peur d’être contaminés par ce seul contact. Myr Muratet donne à voir des points de vue pour le moins inhabituels.

    C’est aussi ce que propose David Cayley avec cet article rédigé début avril 2020, constatant que ses hypothèses à propos de la gestion de la pandémie sont très éloignées de toutes celles qu’il lit et entend. (...)

    #recension #photographies #Paris #Myr_Muratet #David_Cayley #Ivan_Illich #pandémie #médecine #interrogation #iatrogénèse #biomédecine #santé #corps #contrôle #obéissance

  • Dauphins !

    SCI Galeano

    https://lavoiedujaguar.net/Dauphins

    Mai 2021.

    Ce fut un moment dramatique. Acculée entre des bouts de cordages et le bastingage, la petite bestiole menaçait l’équipage de sa lance tout en observant du coin de l’œil la mer déchaînée où elle était à l’affût d’un kraken, de l’espèce « kraken escarabujos » — spécialisé dans la consommation de scarabées. Alors, l’intrépide passager clandestin, n’écoutant que son courage, leva ses multiples bras au ciel et sa voix rugit, couvrant le bruit des vagues cognant contre la coque de La Montagne :

    Ich bin der Stahlkäfer, der Größte, der Beste ! Beachtung ! Hör auf meine Worte ! (Je suis le scarabée d’acier, le plus grand, le meilleur. Attention ! Écoutez mes paroles !)

    L’équipage s’arrêta net. Pas parce qu’un insecte schizophrène les avait défiés avec un cure-dent et un couvercle en plastique. Ni parce qu’il leur parlait en allemand. C’était parce qu’entendre leur langue maternelle, après des années à n’entendre que l’espagnol tropical de la côte, les avait transportés dans leur patrie comme par un étrange enchantement.

    Gabriela dira plus tard que l’allemand de la petite bestiole était plus proche de celui d’un migrant iranien que du Faust de Goethe. Le capitaine défendit le passager clandestin, affirmant que son allemand était parfaitement compréhensible. Et, comme là où commande capitaine, Gabriela ne gouverne pas, Ete et Carl ont approuvé, et Edwin, même s’il n’avait compris que le mot « cumbia », était d’accord. Donc ce que je vous raconte, c’est la version de la bestiole traduite de l’allemand (...)

    #zapatistes #traversée #voilier #Durito #passager_clandestin #sorcière

  • L’assemblée ouverte de la colline de Strefi
    Éparpillement et déploiement d’une mobilisation athénienne naissante (III)

    Luz Belirsiz

    https://lavoiedujaguar.net/L-assemblee-ouverte-de-la-colline-de-Strefi-Eparpillement-et-deploie

    Ce texte fait suite à « Naissance d’une mobilisation athénienne. L’assemblée ouverte de la colline de Strefi » et à « L’assemblée ouverte de la colline de Strefi. Récit d’une mobilisation athénienne naissante ».

    13 mars. Ce samedi, nous sommes un poil plus nombreux que le précédent (disons soixante-dix contre cinquante la dernière fois, toujours très loin néanmoins des glorieuses assemblées du début qui ont pu réunir trois cents à quatre cents personnes). Avec les événements de Nea Smyrni durant la semaine et la perspective de manifestations de rue coordonnées dans différents quartiers, certains piliers de l’assemblée, parmi les plus jeunes, que j’avais vus pour la dernière fois à l’« action » du 28 février, sont de retour. Un peu chiffonnés sans doute par le souvenir de l’envasement de l’assemblée précédente, on désigne cette fois un syndonistis (« coordinateur », en l’occurrence une syndonistria, car c’est Eleni qui s’y colle) et on entreprend de faire un ordre du jour.

    Y entrent pêle-mêle : demain ; l’organisation d’une manifestation devant le siège de Prodea (l’entreprise immobilière à laquelle la mairie a confié la réalisation d’études préliminaires pour le réaménagement de Strefi) ; la pétition (dont les partisans ont emporté le morceau samedi dernier) ; le problème de la baisse de la participation à l’assemblée ; le bâtiment dit « Byzantino » (cantina abandonnée que quelques-uns ont pris l’initiative d’ouvrir durant la fête du 28 février en vue de l’occuper, mais tout le monde ne le sait pas encore) ; une présence policière nouvelle observée sur la colline depuis la montée des tensions à Nea Smyrni ; la suggestion acceptée en principe par l’assemblée de la semaine dernière d’un appel à venir fêter le Kathari Deftera (le « lundi propre ») sur Strefi…

    #Grèce #Athènes #Exarcheia #colline #assemblée #mobilisation #récit

  • Contre le faux pardon et pour les autonomies

    CNI

    https://lavoiedujaguar.net/Contre-le-faux-pardon-et-pour-les-autonomies

    Aujourd’hui, quand Andrés Manuel López Obrador demande pardon au peuple maya, nous nous demandons : qu’est-ce qui vient avec ce « pardon » ? D’un côté, il parle de demander pardon, mais de l’autre il fait comme Porfirio Díaz à l’époque. Avec le pardon, il amène de grandes entreprises, sources de pillage, d’accumulation pour quelques-uns et de misère pour les peuples. Les militaires : agents de la violence et des disparitions les plus cruelles de notre histoire récente. Le développement : le progrès vu depuis l’Occident ; la richesse pour quelques-uns ; un mode d’exploitation et de pillage qui privilégie la mort et se perpétue depuis plus de cinq siècles, depuis la conquête de ce qu’ils ont appelé les Amériques, qui est imposé et détruit d’autres formes de vie, comme les nôtres, les peuples indigènes, les peuples mayas que nous sommes. Le mal nommé Train maya, et de nombreux autres grands projets, comme les industries immobilières et touristiques, les parcs éoliens et photovoltaïques, les semences transgéniques et les exploitations agricoles en sont les représentants.

    À quoi sert-il de demander pardon aux peuples mayas quand celui qui demande pardon représente, comme Porfirio Díaz, l’alliance déclarée avec les grandes entreprises et les militaires, la poursuite de la dévastation des forêts qui nous entourent et nous donnent la vie ; la pollution des eaux que nous ne pouvons plus consommer ; la spoliation du territoire que nous avons habité pendant des siècles et qu’ils veulent nous arracher ; et la terrible exploitation de notre peuple maya par le biais dudit « développement » qui nous rend esclave et nous tue. (...)

    #Mexique #peuples_mayas #Yucatán #López_Obrador #Porfirio_Díaz #développement #dévastation

  • Notes anthropologiques (LXI)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LXI

    Signe des temps, les historiens s’intéressent désormais à l’activité des échanges qu’ils tentent de saisir sous le concept, légèrement éculé, d’économie, obéissant en cela à l’idéologie ambiante. Ils ouvrent ainsi tout un pan de notre histoire qui était jusqu’à maintenant mal connu : l’activité des échanges aux époques reculées. Afin d’appréhender les différentes formes prises par les échanges et d’en marquer l’évolution, ils se réfèrent volontiers à Karl Polanyi qui, dans ses livres comme La Grande Transformation ou La Subsistance de l’homme, a distingué trois formes d’échange, les échanges fondés sur la réciprocité, ceux qui reposent sur la répartition-distribution et enfin les échanges marchands liés à la politique. Dans son dernier livre intitulé Histoire des peuples d’Amérique, Carmen Bernand évoque, elle aussi, Polanyi avant de faire une synthèse heureuse de nos connaissances concernant l’échange, en convoquant des anthropologues comme Marcel Mauss ou Maurice Godelier :

    « Les principes qui fondent ce qu’on appelle des “économies primitives”, à savoir la réciprocité, la redistribution et la circulation des biens, obéissent à des règles particulières. Certains aspects nous sont connus parce que nous disposons de documents écrits et d’une bonne ethnographie de terrain qui nous aide à saisir la dimension symbolique des choses. La réciprocité se fonde sur une obligation (morale, religieuse, statutaire) alors que, dans l’économie de marché, le paiement selon des règles fixées déchargerait l’acquéreur de toute obligation (Polanyi, 1965, p. 243-270). Les descriptions regorgent d’exemples de cette “obligation” faite au partenaire de recevoir et de rendre. Toute rupture de cette règle entraîne une succession d’infortunes. D’une façon générale, les choses ne sont pas inertes ; une fois “données”, elles gardent quelque chose du donateur. Précisons encore qu’il y a des objets qui ne sont jamais donnés parce qu’ils sont “incomparables” » (p. 68).

    Dans les notes anthropologiques, je me suis intéressé, de mon côté, aux échanges et aux différents modes pris par cette activité, j’ai tenté, pour ma part, de faire ressortir le lien qui unit le pouvoir à l’activité marchande (et, inversement, l’activité marchande au pouvoir). (...)

    #anthropologie #histoire #échanges #argent #aliénation #État #Karl_Polanyi #Carmen_Bernand #Pierre_Clastres #Jean-Paul_Demoule

  • Révoltes en Colombie
    « Ils nous ont tellement pris
    qu’ils nous ont même enlevé notre peur »

    Nadège Mazars

    https://lavoiedujaguar.net/Revoltes-en-Colombie-Ils-nous-ont-tellement-pris-qu-ils-nous-ont-mem

    https://www.bastamag.net/Revoltes-en-Colombie-Ils-nous-ont-tellement-pris-qu-ils-nous-ont-meme-enle

    En Colombie, le retrait de la réforme fiscale à l’origine des manifestations n’apaise en rien un peuple révolté par les exactions des forces de l’ordre, qui ont tué au moins 37 personnes.

    Sur la place Bolivar, dans le centre de la capitale colombienne, un groupe de manifestants chante à tue-tête « Duque Ciao », en référence au président Ivan Duque, sur l’air de la célèbre chanson révolutionnaire italienne Bella Ciao. C’est le huitième jour de mobilisation en Colombie. Les marches se sont déroulées dans toutes les grandes villes du pays. Pourtant, le projet de réforme fiscale, qui prévoyait entre autres une hausse de la TVA sur des produits de première nécessité, a été suspendu dimanche dernier par le président Ivan Duque. Alors que se passe-t-il ? Une répression toujours plus grande qui a déjà fait des dizaines de morts et des centaines de blessés. Et un pays au bord de l’explosion depuis plusieurs mois.

    Les situations de mobilisations sont multiples, se déroulant en plusieurs points des villes, avec également des blocages sur les routes. Étudiants, syndicalistes, transporteurs, mouvements autochtones, paysans et afro-descendants se sont unis aux quatre coins du pays. Quand une marche arrive dans le centre de Bogotá, une autre, à son extrême nord, cherche à atteindre la maison du président Duque, située dans les beaux quartiers. Les manifestants sont plutôt jeunes. Aux fenêtres, au passage des cortèges, de moins jeunes se montrent pour entamer des cacerolazos (concert de casseroles) et encourager les marcheurs. Cali, troisième ville du pays, est l’épicentre du mouvement. C’est aussi l’endroit où la répression s’est abattue le plus violemment, notamment la nuit, dans les quartiers populaires, quand la police débute ses rondes. (...)

    #Colombie #révoltes #répression_meurtrière #témoignage #Alvaro_Uribe #Ivan_Duque #Claudia_López #pandémie #inégalités_aggravées

    • Depuis le 28 avril dernier, un mouvement social de grande ampleur a pris forme en Colombie contre une réforme fiscale visant les classes populaires et moyennes, et faisant émerger des revendications contre la politique libérale et austéritaire du président Iván Duque, élu en 2018, dans un contexte sanitaire qui pèse sur des structures économiques et sociales inégalitaires. Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste de l’Amérique latine, livre pour QG son analyse de la situation au sujet d’une Colombie où la violence est profondément ancrée, avec un rôle prépondérant de l’armée, de la police et des groupes paramilitaires contre les mouvements sociaux, les syndicats et les partis de gauche. Interview par Jonathan Baudoin

      https://qg.media/2021/05/10/colombie-la-pandemie-est-venue-exacerber-des-inegalites-deja-intolerables-par-

  • Sur la mer

    SCI Galeano

    https://lavoiedujaguar.net/Sur-la-mer

    Mai 2021

    Pensant à ses passagers, comme il se doit, le capitaine Ludwig a recommandé de partir dans l’après-midi du 2. La houle prévue pour le 3 allait faire souffrir sans nécessité les marin·e·s novices. C’est pourquoi le capitaine a proposé d’avancer le départ à 16 heures le deuxième jour du cinquième mois.

    Le sous-commandant insurgé Moisés l’a écouté attentivement et a été d’accord. Ainsi, par ces temps où on a coutume d’utiliser le mot « historique » pour tout et n’importe quoi, c’est la première fois que le zapatisme effectue quelque chose de programmé plus tôt que prévu (en général, on traîne et on commence en retard). Ergo : c’est quelque chose d’historique dans le zapatisme.

    L’Escadron 421 est donc parti le 2 mai 2021 à 16 h 11’30’’. Voici deux rapports différents sur la même étape de la navigation.

    Rapport de l’Escadron 421 au Haut Commandement zapatiste :
    Itinéraire du navire La Montagne. Les heures indiquées correspondent à l’horaire officiel de Mexico (UTC -5).

    2 mai 2021. À 16 h 11’30’’, La Montagne a commencé son voyage à une vitesse d’environ 4 nœuds (1 nœud = 1,852 km/h). À 16 h 21’30’’, elle a mis le cap au sud-sud-est et à 17 h 23’04’’, La Montagne a commencé à virer légèrement à l’est. À 17 h 24’13’’ on a commencé à manœuvrer pour déployer toute sa voilure. (...)

    #Mexique #Cuba #navigation #voilier #zapatistes

  • Vivre et en finir avec le mépris de la vie

    Raoul Vaneigem

    https://lavoiedujaguar.net/Vivre-et-en-finir-avec-le-mepris-de-la-vie

    Retour parodique au passé

    Le crime contre l’humanité est l’acte fondateur d’un système économique qui exploite l’homme et la nature. Le cours millénaire et sanglant de notre histoire le confirme. Après avoir atteint des sommets avec le nazisme et le stalinisme, la barbarie a recouvré ses falbalas démocratiques. De nos jours, elle stagne et, refluant comme un ressac dans une passe sans issue, elle se répète sous une forme parodique.

    C’est ce ressassement caricatural que les gestionnaires du présent s’emploient à mettre en scène. On les voit nous convier benoîtement au spectacle d’un délabrement universel où s’entremêlent goulag sanitaire, chasse à l’étranger, mise à mort des vieux et des inutiles, destruction des espèces, étouffement des consciences, temps militarisé du couvre-feu, fabrique de l’ignorance, exhortation au sacrifice, au puritanisme, à la délation, à la culpabilisation.

    L’incompétence des scénaristes attitrés ne diminue en rien l’attrait des foules pour la malédiction contemplative du désastre. Au contraire ! Des millions de créatures rentrent docilement à la niche où elles se recroquevillent jusqu’à devenir l’ombre d’elles-mêmes.

    Les gestionnaires du profit sont arrivés à ce résultat auquel seule une réification absolue aurait pu prétendre : ils ont fait de nous des êtres apeurés par la mort au point de renoncer à la vie. (...)

    #Raoul_Vaneigem #vivre #humanité #barbarie #goulag_sanitaire #sacrifice #profit #mentalité_carcérale #réclusion #renversement #envoûtement #autodéfense_sanitaire #autonomie #intelligence_sensible #conscience #renaissance #éveil #individu #danser

    • « L’imagination et l’exagération, qui n’est qu’une des ressources de l’imagination, cherchent à rattraper le décalage entre la mégamachine telle qu’elle est déjà là aujourd’hui et le “focus imaginarius” vers lequel elle tend, à savoir le remplacement de l’homme, un remplacement qui équivaudrait pour ce dernier à la “fin des temps” [Zeitende]. »

      « Sa méthode : l’exagération. À ses yeux, c’est une qualité. Cette exagération se révèle indispensable, selon lui, pour faire voir ce qui n’existe éventuellement qu’à l’état d’ébauche ou de trace, ou bien ce qui est dénié, négligé, voilé. Ou pour faire entendre ce qui semble d’abord inaudible. »

      Ces commentaires sur Günther Anders pourraient s’appliquer à Vaneigem.

  • Du bloc-notes du Chat-Chien
    L’abordage

    SCI Galeano

    https://lavoiedujaguar.net/Du-bloc-notes-du-Chat-Chien-L-Abordage

    La Montagne a été abordée le 30 avril 2021, à une heure donnée. Le navire était ancré à environ cinquante brasses du port, « loin de l’agitation / et de la fausse société ». Autour de lui voletaient les mouettes rieuses, cormorans, frégates superbes, ibis rouges et même un candide colibri, perdu, cherchait à faire son nid dans le bastingage de proue. Contre la coque, sous la ligne de flottaison, des dauphins à nez de bouteille tambourinaient une cumbia, un requin-baleine marquait le rythme avec ses nageoires et la raie manta déployait ses ailes noires comme des hanches volantes.

    Le groupe de boucaniers était mené par le sous-commandant insurgé Moisés qui, avec une troupe formée d’une insurgée tercia, d’un insurgé chauffeurologue et mécanicien, d’un membre des bases de soutien chauffeurologue, de cinq terci@s, d’une commandante et de deux commandants, était venu dire au revoir à la délégation maritime, l’Escadron 421, et vérifier sur place que l’embarcation disposait du nécessaire pour l’épopée nautique. Une équipe de soutien de la Commission Sexta était présente pour rédiger les nécrologies des morts au combat.

    Il n’y eut aucune résistance de la part de l’équipage. De fait, le capitaine avait ordonné qu’on hisse, en guise de misaine, une grande banderole avec l’image qui identifie la délégation maritime zapatiste, agrégeant ainsi La Montagne, équipage inclus, à la lutte pour la vie. Sur le gréement nu, le symbole du délire zapatiste brillait et scintillait avec impétuosité. (...)

    #Mexique #zapatistes #traversée #équipage

  • Du bloc-notes du Chat-Chien
    Hier : la théorie et la pratique

    SCI Galeano

    https://lavoiedujaguar.net/Du-bloc-notes-du-Chat-Chien-Hier-la-theorie-et-la-pratique

    Une assemblée dans un village d’une des montagnes du Sud-Est du Mexique. Ça doit être en juillet-août d’une année récente, avec la pandémie de coronavirus qui est en train de s’emparer de la planète. Ce n’est pas n’importe quelle réunion. Non seulement à cause de la folie qui convoque les participants, mais aussi à cause de la distance évidente entre les chaises et parce que les couleurs des masques s’occultent derrière la buée des visières transparentes.

    La direction politique et organisationnelle de l’EZLN est là. Certains chefs militaires sont également présents, mais restent silencieux, sauf si on leur demande de parler sur un point précis.

    Ils sont beaucoup plus nombreux que ce qu’on pourrait croire. Il y a là au moins six langues originaires, toutes apparentées au maya, et ils utilisent l’espagnol, « la castilla », comme pont pour se faire comprendre les uns des autres.

    Plusieurs des présents sont des « vétérans », ils ont participé au soulèvement qui a commencé le 1er janvier 1994 et, les armes à la main, ils sont descendus dans les villes, avec des milliers de compañeras et compañeros : un, une, parmi tant d’autres. Il y a aussi « les nouveaux », des hommes et des femmes qui ont été incorporés à la direction zapatiste après de longs apprentissages. La majorité des « nouveaux » sont des « nouvelles », des femmes de tous les âges, parlant différentes langues. (...)

    #Mexique #Chiapas #zapatistes #EZLN #assemblée #théorie #pratique #connaissances

  • Notes anthropologiques (LX)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LX

    La civilisation de l’argent

    Au lieu d’attendre la fin de la civilisation de l’argent et la Rédemption de notre malheur promise par la religion, nous pouvons toujours appréhender la réalité sous ses deux figures inconciliables, la pensée comme aliénation de la pensée ou la pensée non aliénée, et choisir l’une ou l’autre option. C’est ce qu’ont pu faire à un moment critique de la civilisation chrétienne, les millénaristes et plus précisément les sœurs et les frères du Libre-Esprit. L’erreur, à mon sens, fut de voir dans cet acharnement à défendre un mode de vie l’accomplissement de la religion chrétienne, ce qu’annonce par exemple Joachim de Flore avec sa théorie des trois âges : la civilisation de la séparation trouvant son aboutissement avec l’avènement du troisième âge, l’âge du Saint-Esprit. Il serait possible de voir dans ce que l’on nomme les mouvements millénaristes la résistance d’une manière de vivre encore attachée à une éthique face à l’offensive du monde de l’argent bouleversant en profondeur les comportements. Nous devons envisager le fait que ces deux modes d’expression de la pensée, l’argent et le don, ne sont pas conciliables et que l’un est la critique de l’autre. Le conflit se trouve au commencement, quand un peuple a pris un ascendant sur un autre et que la société fut amenée à prendre en compte cette opposition entre dominants et dominés.

    Contre l’idéologie dominante, je dirai que cette opposition entre riches (en pensée) et pauvres (en pensée) n’est pas résolue dans le monde de l’argent ou, plutôt, elle n’est résolue qu’en apparence, par l’attachement (obligé) des pauvres à l’argent. (...)

    #civilisation #argent #don #Libre-Esprit #pensée #aliénation #société #individu #communauté

  • « L’invasion zapatiste » commence !

    Jérôme Baschet

    https://lavoiedujaguar.net/L-invasion-zapatiste-commence

    Cela avait été annoncé il y a six mois ; maintenant, nous y sommes.
    Le voyage zapatiste vers l’Europe a commencé.
    La « conquête inversée » a bel et bien débuté.

    Lorsque, le 5 octobre 2020, les zapatistes ont publié leur communiqué « Une montagne en haute mer », la surprise fut considérable, à l’annonce d’une tournée de l’EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional) sur les cinq continents, en commençant par l’Europe. Il faut dire que, si les zapatistes n’ont pas été avares d’initiatives tant au Chiapas qu’à l’échelle du Mexique (avec par exemple la Marche de la couleur de la terre, il y a tout juste vingt ans), c’est presque la première fois (à une petite exception près en 1997) qu’ils sortent des frontières de leur pays.

    Puis, le 1er janvier dernier, ils ont écrit et cosigné avec des centaines de personnes, collectifs et organisations une « Déclaration pour la vie » exposant les raisons de ce voyage : contribuer à l’effort pour que les luttes contre le capitalisme — qui sont indissociablement des luttes pour la vie — se rencontrent dans la pleine conscience de leurs différences et loin de toute volonté d’homogénéisation ou d’hégémonie.

    Au cours de ces six derniers mois, un ample processus d’organisation s’est mis en place à l’échelle européenne, mais aussi dans chaque pays ou « géographie », selon la terminologie zapatiste. Une coordination francophone a ainsi vu le jour, puis, en son sein, huit coordinations régionales fédérant collectifs et initiatives locales. Dans le même temps, l’EZLN a confirmé que se préparait une ample délégation composée de plus d’une centaine de ses membres, aux trois quarts des femmes, et qu’elle serait en outre accompagnée par des membres du Congrès national indien (...)

    #Mexique #zapatistes #Jérôme_Baschet #Europe #Gilets_jaunes #ZAD #planète_blessée

  • La route d’Ixchel

    SCI Galeano

    https://lavoiedujaguar.net/La-route-d-Ixchel

    Avril 2021.
    La Montagne va partir.

    D’une des maisons d’Ixchel, la mère de l’amour et de la fertilité, la grand-mère des plantes et des animaux, la mère jeune et la mère vieille, la rage en laquelle se transforme la douleur de la terre lorsqu’elle est blessée et souillée, partira la Montagne.

    Une des légendes mayas raconte qu’Ixchel s’est étendue sur le monde sous la forme d’un arc-en-ciel. Elle l’a fait pour donner à la planète une leçon de pluralité et d’inclusion, et pour lui rappeler que la couleur de la terre n’est pas une, mais multiple, et que toutes, sans cesser d’être ce qu’elles sont, illuminent ensemble la merveille de la vie. Et elle, Ixchel, la femme arc-en-ciel, embrasse toutes les couleurs et en fait une part d’elle-même.

    Dans les montagnes du Sud-Est mexicain, dans la langue racine maya des plus anciens des anciens, on raconte une des histoires d’Ixchel, mère-lune, mère-amour, mère-rage, mère-vie. Le Vieil Antonio parle ainsi :

    « De l’est sont venus la mort et l’esclavage. C’est ainsi que c’est arrivé, et tant pis. On ne peut rien changer à ce qui est passé. Mais Ixchel a dit :

    “Que demain à l’est voguent la vie et la liberté dans la parole de mes os et mes sangs, de mes enfants. Qu’une couleur ne commande pas. Qu’aucune ne commande pour que personne n’obéisse et que chacun soit ce qu’il est avec joie. Parce que la tristesse et la douleur viennent de ceux qui veulent des miroirs et non des vitres pour où regarder tous les mondes que je suis. Avec rage, il faudra briser sept mille miroirs jusqu’à ce que la douleur s’apaise. (...)

    #Mexique #Chiapas #zapatistes #voyage

  • « Et pendant ce temps, dans la selva Lacandone... »
    (Terci@s Compas)

    https://lavoiedujaguar.net/Et-pendant-ce-temps-dans-la-selva-Lacandone-Terci-s-Compas

    Aperçus des adieux aux délégations zapatistes dans quelques communautés indiennes zapatistes sur les rives des rivières Jataté, Tzaconejá et Colorado, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, au Chiapas, Mexique, Amérique latine, planète Terre. (...)

    #Mexique #Chiapas #zapatistes #délégation

  • Le rôle des femmes pendant la Commune
    Entretien avec Michèle Audin

    https://lavoiedujaguar.net/Le-role-des-femmes-pendant-la-Commune-Entretien-avec-Michele-Audin

    Michèle Audin, mathématicienne et écrivaine, a écrit plusieurs ouvrages sur la Commune de Paris et anime le blog macommunedeparis. Elle répond ici à quelques questions de la revue Courant alternatif.

    Il ne faut pas limiter le rôle des femmes aux barricades et à la guerre. Beaucoup d’entre elles se sont exprimées publiquement, notamment à l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés et dans plusieurs clubs, certainement elles ont parlé de leurs conditions de vie, de leurs désirs, et exprimé des revendications. J’en reparlerai… Il y a un biais dans ce que nous savons. Ce qui a été dit dans les clubs a peu (ou pas) été conservé, en particulier ce que les femmes ont dit. En effet, nous avons quelques écrits ou témoignages de femmes qui ont participé à la guerre et, surtout, nous avons les dossiers de conseils de guerre qui, forcément, concernent, pour beaucoup d’entre eux, des femmes arrêtées pendant la « semaine sanglante », donc des actrices de la guerre.

    Je vais dire quelques mots, d’elles et de la façon dont leur histoire est arrivée jusqu’à nous. Si ça ne vous ennuie pas, je vais omettre les moins inconnues, comme André Léo, Paule Minck et même Nathalie Le Mel, pour parler de quatre femmes peu connues (de trois d’entre elles, nous avons des textes).

    Victorine Brocher est maintenant moins inconnue, mais c’est assez récent, son livre était un peu oublié jusqu’à ce qu’un éditeur désireux de le faire connaître l’ait repris il y a quelques années. Elle l’avait d’ailleurs signé Victorine B... (et Brocher n’est que le nom de son deuxième mari). C’était une piqueuse de bottines, issue d’une famille de révolutionnaires de 1848. Assez motivée politiquement, elle a été membre de l’Association internationale des travailleurs et a participé au mouvement coopératif à la fin de l’Empire. Pendant le siège de Paris, puis pendant la Commune, elle s’est engagée comme cantinière. Pendant la Commune, son bataillon est celui des « Turcos de la Commune », qui est assez actif dans la guerre, notamment au fort d’Issy, qui défend Paris, dans la direction d’où arrivent les versaillais. Pendant la « semaine sanglante », elle réussit à se cacher, mais une autre femme est exécutée qui est « reconnue » comme elle, elle est donc réputée morte, c’est pourquoi elle intitule son livre Souvenirs d’une morte vivante. (...)

    #Michèle_Audin #Commune #femmes #Victorine_Brocher #Alix_Payen #Nathalie_Le_Mel #Association_internationale #féministes #égalité #Eugène_Varlin #Louise_Michel

  • Escadron 421
    (La délégation maritime zapatiste)

    SCI Galeano

    https://lavoiedujaguar.net/Escadron-421-La-delegation-maritime-zapatiste

    Avril 2021.

    Calendrier ? Un petit matin du quatrième mois. Géographie ? Les montagnes du Sud-Est mexicain. Un silence soudain s’impose aux grillons, aux aboiements épars des chiens au loin, à l’écho d’une musique de marimba. Ici, dans les entrailles des montagnes, un murmure plutôt qu’un ronflement. Si nous n’étions pas là où nous sommes, on pourrait penser que c’est la rumeur du grand large. Pas les vagues se brisant contre le rivage, la plage ou la falaise découpée par le caprice d’une entaille. Non, quelque chose d’autre. Et puis… un long gémissement et un tremblement intempestif, bref.

    La montagne se dresse. Elle retrousse un peu ses jupons, pudiquement. Non sans difficulté, elle arrache ses pieds de la terre. Elle fait le premier pas avec une grimace de douleur. Maintenant, elle a la plante des pieds qui saigne, cette petite montagne, loin des cartes, des destinations touristiques et des catastrophes. Mais ici tout est complicité, alors une pluie hors saison lui lave les pieds et, avec la boue, soigne ses blessures.

    « Prends soin de toi, ma fille », dit la Ceiba mère. « Courage », dit comme pour lui-même le huapác. L’oiseau tapacamino la guide. « Vers l’est, amie, vers l’est », dit-il tout en sautant d’un côté à l’autre.

    Habillée d’arbres, d’oiseaux et de pierres, la montagne chemine. Et sur son passage, des hommes, des femmes, des personnes qui ne sont ni l’un ni l’autre, des petites filles et des petits garçons endormis s’accrochent aux bords de son jupon. (...)

    #Mexique #Chiapas #EZLN #voyage #zapatistes #délégation_maritime #Europe #Moby_Dick

  • L’assemblée ouverte de la colline de Strefi
    Récit d’une mobilisation athénienne naissante (II)

    Luz Belirsiz

    https://lavoiedujaguar.net/L-assemblee-ouverte-de-la-colline-de-Strefi-Recit-d-une-mobilisation

    Ce texte fait suite à « Naissance d’une mobilisation athénienne.
    L’assemblée ouverte de la colline de Strefi ».

    Ce dimanche 28 février à midi, en arrivant en haut des escaliers qui, au bout de notre rue, débouchent sur le flanc nord de Strefi, où nous rejoignons l’un des six points de rendez-vous répartis autour de la colline, légère surprise : non seulement le ciel est gris, mais un vent du nord, d’un froid piquant, souffle violemment. J’aurais dû mieux fixer ma pancarte de carton sur son manche de bambou : tournoyant comme une robuste rose des vents, elle distribue d’agressives claques ! Et puis fichtre ! Brrrrr… on aurait dû mettre une petite laine, ça caille. D’autant plus qu’au vu du peu de monde présent au point de rendez-vous le plus proche de chez nous, sur le grand toit-terrasse du terrain couvert où s’entraîne Asteras, rue Pulcherias, on va probablement devoir poireauter un bout de temps avant que ne se concrétise, si on y parvient, l’encerclement symbolique de la colline, première « action » sur le Lofos Strefi.

    (Pour rappel, au début du mois, la première action de mobilisation à l’appel de l’assemblée naissante avait rassemblé quelque trois cents personnes devant la mairie d’Athènes un mercredi à l’heure du conseil municipal. Bien qu’entre-temps nous eûmes appris qu’il se déroulait en ligne. Il fallait néanmoins manifester notre mécontentement : la mairie venait de voter une résolution confiant à l’entreprise immobilière Prodea — véreuse, mais en l’occurrence c’est accessoire — la réalisation d’études préliminaires — estimées par Prodea à un million d’euros, mais gracieusement offertes à la municipalité — en vue du réaménagement de la colline.) (...)

    #Grèce #Athènes #Exarcheia #récit #assemblée #mobilisation #colline #Dimitris_Koufodinas #violences_policières #émeutes

  • Notes anthropologiques (LIX)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LIX

    La civilisation de l’argent opposée à la civilisation du don

    À la fin des notes anthropologiques précédentes, j’en étais arrivé en conclusion à la reconnaissance de deux modes de vie sociale, un mode reposant sur le don, l’autre reposant sur l’argent. Ces deux modes de vie en société sont, tous les deux, l’expression de la pensée, l’un est la réalisation de la pensée en tant que pensée non aliénée, l’autre, la réalisation de la pensée comme aliénation de la pensée. Je me montrais moins optimiste que Hegel ou que Marx en me disant que la non-aliénation de la pensée ne pouvait pas se présenter comme un aboutissement de l’aliénation. Nous retrouvons cette idée d’une fin glorieuse de l’aliénation dans la non-aliénation, comme un fleuve débouchant dans la mer, au centre des religions monothéistes, juive, chrétienne et musulmane, toutefois ces religions ont l’intelligence de présenter cette fin glorieuse de l’aliénation dans le giron de la pensée subjective comme un au-delà dont elles garderaient la nostalgie. Les mouvements millénaristes ont pris au mot ces religions de l’au-delà en cherchant à réaliser sur terre le paradis qu’elles ne pouvaient promettre que dans l’au-delà d’une nostalgie.

    La plus abjecte « nostalgie » dérobe la « nostalgie du paradis » a écrit Mircea Eliade en avant-propos de son livre Images et symboles, dans lequel l’auteur se livre à la fois à une critique du positivisme et de la psychanalyse selon Freud pour retrouver derrière l’homme d’aujourd’hui l’importance occulte des mythes dont celui du paradis (...)

    #civilisation #argent #don #religions #monothéisme #millénarisme #aliénation #Mircea_Eliade #Hegel #Marx #idéologie #zapatistes #Jean_de_Léry