• Pourquoi le sultan de Brunei qui veut lapider les homosexuels a la médaille d’or de la ville de Toulouse (et la légion d’honneur)
    https://www.ladepeche.fr/2019/04/11/pourquoi-le-sultan-du-brunei-qui-veut-lapider-les-homosexuels-a-la-medaill

    Entre la famille Bolkiah et Airbus, c’est une histoire d’amour. En 2006, le frère d’Hassanal, le prince Jefri, offrait un Airbus à sa fille pour ses 18 ans et ne cachait pas sa collection de 17 avions parmi lesquels un Boeing 747 aménagé pour transporter ses chevaux de polo et un hélicoptère. Le monarque de 63 ans est lui-même aussi fou des Airbus qu’il qualifie « d’excellents avions ». Il en possède quatre : un A 310 et trois A340. C’est d’ailleurs probablement parce que le sultanat est un client d’Airbus que lui avait été remis la médaille de la ville, à l’issue d’une commande passée chez le constructeur aéronautique.

    La légion d’honneur
    Par ailleurs, Hassanal Bolkiah est également grand-croix de la Légion d’honneur. Une distinction qui désigne la dignité la plus élevée de l’ordre de la légion d’honneur. L’article du code de la Légion d’honneur fixe le nombre maximal de grands-croix à 75. Il y en avait 71 à la fin de l’année 2015. Interrogés par Ouest-France, les services du Quay d’Orsay et de la Chancellerie de la Légion d’honneur n’ont pas souhaité communiqué sur le sujet. Le sultan aurait reçu cette grande-croix le 12 février 1996 des mains de Jacques Chirac, lors d’une réception en son honneur, la même année donc que la médaille de la ville de Toulouse. Jacques Chirac ne cachait pas son empressement de faire de lui « un partenaire majeur » à l’époque où la France renforçait ses liens avec l’Asie, dont le Brunei, pour diversifier son économie.

    #france_de_merde

  • Révélations sur des « patriotes » qui projetaient des attentats islamophobes

    En France, 350 militants de l’ultradroite possèdent légalement, comme le terroriste de Christchurch, des armes à feu. Tenant des propos similaires à ceux de Brenton Tarrant, certains membres du site Réseau libre ont cherché à perpétrer des attentats visant la communauté musulmane. Emportés par leur haine, ces nostalgiques de l’OAS exprimaient aussi leur mépris à l’encontre… des victimes du 13-Novembre ou du colonel Beltrame.

    Au lendemain du deuxième anniversaire du massacre du 13-Novembre, Merlin (un pseudo) « persiste et signe » : « Je m’engage à buter tout ce qui peut être musulman, hommes, femmes, enfants. Et ce sans pitié et sans remords. » Au cours de l’été 2018, Glock 17 bat le rappel des troupes : « Nettoyez vos canons, graissez vos culasses, et tirez dans le tas ! »
    Mais, le 30 septembre 2018, Anonyme se languit toujours : « Vivement la première salve patriotique ! J’ai la détente qui me démange, je commence à avoir une crampe à l’index… » À l’approche du troisième anniversaire du 13-Novembre, Povbête regrette : « Si j’étais calé, j’irais bien faire sauter une petite mosquée, histoire de me remonter le moral et de faire comprendre à ces saloperies de muzz [abréviation de musulmans] qu’on ne veut pas d’eux. »
    Entre deux imprécations haineuses, ils s’échangent des conseils techniques, dissertent sur la meilleure façon de commettre ce qu’ils ne nomment jamais comme un attentat, préférant parler d’« insurrection anti-islamique brutale et spontanée ». Glock 17 préconise des « tirs à l’affût et [de] reprendre le cours des choses de la vie sans JAMAIS revendiquer et se vanter ». Zardoz propose de « buter l’ambassadeur du Qatar pour l’exemple » tandis que Bjorn milite pour des actions visant à « monter les communautés muzz les unes contre les autres en alternant les cibles. Jamais au même endroit avec, si possible, des modes opératoires différents. Le but est de distiller la peur chez les muzz. Et bon safari à tous ! »
    Ces échanges ont lieu sur le site reseaulibre.org, sabordé en novembre dernier et sur lequel Mediapart enquête depuis près d’un an. Au fil des discussions entre les quelque 800 membres actifs du site s’esquisse le tableau d’une communauté de suprémacistes blancs, obsédés par la peur de l’autre, n’attendant qu’une étincelle pour passer à l’acte et perpétrer leurs propres attentats islamophobes.
    Les thèses véhiculées par ce site sont celles qui ont inspiré le terroriste australien de Christchurch, qui a tué, le 15 mars, cinquante personnes dans deux mosquées, en Nouvelle-Zélande : la théorie du « grand remplacement » élaborée par l’essayiste d’extrême droite Renaud Camus, l’échec d’un Front national jugé trop modéré, l’attentat islamophobe prôné pour défendre la race blanche.
    Dans son manifeste, intitulé lui aussi « Le grand remplacement » et posté sur les réseaux sociaux une heure avant les attentats, Brenton Tarrant, le terroriste de Christchurch, justifiait sa volonté de s’en prendre à des musulmans et évoquait la France et son « invasion par les non-Blancs ». Le manifeste donne pour point de bascule de son auteur le fait que Marine Le Pen ne soit pas parvenue à s’opposer à Emmanuel Macron, le candidat du « mondialisme » lors de la dernière élection présidentielle.
    Selon nos informations, les services de renseignement estiment à 350 le nombre de membres de l’ultradroite qui, comme l’Australien Tarrant, possèdent légalement une ou plusieurs armes à feu. Parmi eux, 147 font l’objet d’une fiche sûreté de l’État, la fameuse fiche S. La DGSI s’inquiète de l’émergence au sein de la mouvance traditionnelle d’extrême droite radicale de groupuscules qualifiés de « populo-patriotes » réunissant des « guerriers de claviers », le plus souvent jusque-là inconnus des services et n’excluant plus de recourir à l’action violente. Comme l’expriment au quotidien les membres de Réseau libre.

    D’abord sous l’intitulé d’ EuroCalifat , puis de Réseau libre, l’autoproclamé « réseau des Patriotes » a vu le jour en réaction à la vague migratoire de l’été 2015. « L’invasion musulmane en Europe a débuté il y a quelques semaines », écrivent ses administrateurs le 10 septembre de cette année-là. Des administrateurs qui, d’emblée, annoncent la couleur : « Le combat ne sera pas virtuel, il sera dans la rue de vos villes et campagnes, dans vos maisons. Préparez-vous-y ! »
    Le serveur étant hébergé en Russie, aucune donnée de connexion ne peut être communiquée aux autorités françaises. Du moins « sans un ordre judiciaire d’un tribunal russe », comme s’en gargarisent les administrateurs. Pour achever le dispositif de sécurité, les membres ne peuvent communiquer entre eux que s’ils ont installé sur leurs ordinateurs un logiciel de cryptage des messages. L’anonymat de chacun ainsi préservé, la parole se lâche.
    L’islamophobie et le racisme s’y expriment sans filtre. On y parle de « crouilles », de « singes », de « bougnoules »… On s’assume membre de « la fachosphère ». Comme le terroriste australien de Christchurch, on idolâtre le Norvégien Anders Breivik qui a tué 77 personnes le 22 juillet 2011, d’abord en faisant exploser une bombe à Oslo puis en ouvrant le feu sur la petite île d’Utoya, où se tenait un camp de la jeunesse travailliste.
    « Tant qu’à aller en taule, il vaut mieux y aller pour une action à la Anders Breivik », assume Beretta. Un administrateur de Réseau libre prophétise à propos de la France : « Attention, un Breivik qui n’a plus rien à perdre pourrait surgir… » Ce qui provoque l’assentiment de Francky la Tabasse : « Oui, il était en avance sur son temps, il y en aura d’autres ! »
    Les concerts du rappeur Médine prévus au Bataclan à l’automne 2018 leur font voir rouge, comme l’a relevé à l’époque Le Journal du dimanche. « La Saint-Barthélemy [référence au massacre des protestants en 1572 – ndlr] se fêtera en 2018 les 19 et 20 octobre », pouvait-on lire sur la page d’accueil du site. « Il y a, c’est évident, des opérations prévues par divers groupes de patriotes, pour les concerts orduriers des 19 et 20 octobre au Bataclan. […] Pour info, nous pensons qu’aucune action “légale” ne pourra empêcher ces concerts. Réseau libre travaille donc sur un autre type d’action, sans s’inquiéter des probables dommages collatéraux, partant du principe que tous les spectateurs sont des ordures… », écrit l’un des administrateurs le 8 septembre.
    Un membre se porte volontaire « pour abattre cette ordure de Médine », un autre plaide pour une série d’assassinats de musulmans dans diverses villes de l’Hexagone, des tracts de revendication épinglés sur les cadavres au moyen « de brochette à barbecue agrémentée d’une saucisse pur porc »… L’annulation par Médine de ses concerts coupe l’herbe sous le pied des plus velléitaires. Même si Réseau libre conseille « très, très fortement » au rappeur de renoncer à se produire en public et ce quelle que soit la salle de concert : « Considérant que ses spectateurs sont tous des envahisseurs de notre pays, il n’y aura pas de dommages collatéraux, seulement des ennemis éliminés. »

    Les « Bisounours » du 13-Novembre et la « supercherie » Beltrame

    C’est une constante chez les membres du site, tout le monde est mis dans un même sac : les musulmans, les terroristes et même leurs victimes. Ainsi les survivants et les familles des défunts des massacres du 13-Novembre sont catalogués « Bisounours », « victimes de leur lâcheté et de leur soumission ». Les associations qui les représentent « nagent dans la bien-pensance ». « Un bon nombre des refroidis des attentats parisiens étaient certainement des vivre-ensemblistes de première », estime Gary.
    Le 28 avril 2017, le compte Twitter EuroCalifat, vestige du site qui avait précédé Réseau libre, lance le hashtag #JeSuisNiNi : « Face aux attentats musulmans en Europe, Ni fleurs Ni bougies ! Que les ‘‘victimes’’ assument leurs choix politiques ! »
    Même le gendarme Arnaud Beltrame, qui donna sa vie en échange de celle d’une otage lors de l’attentat de Trèbes, ne trouve pas grâce à leurs yeux. Son héroïsme ne serait que « supercherie ». Une femme ne supporte pas qu’« un ex du GIGN se fasse si lamentablement doublé » par « une merde de musulman » parvenant à l’égorger.
    Le sacrifice de Beltrame ne serait, selon elle, que le suicide « d’un loser, d’un perdant ! ». Un autre s’indigne qu’un lieutenant-colonel en activité se soit proposé en otage à la place d’un civil. « Cela ne se fait pas en temps de guerre, il y a une échelle de valeur. […] Un officier est plus utile au combat qu’un civil, DONC il doit passer en priorité ! »

    Le billet de Réseau Libre visant Pierre Serne avait été posté sur Twitter le 27 janvier 2018.
    Plusieurs personnalités politiques, journalistes ou militants, sont aussi vilipendées sur le site. C’est le cas du conseiller régional d’Île-de-France (EELV) Pierre Serne, ciblé parce qu’homosexuel et défendant les droits des sans-papiers. En janvier 2018, l’élu, qui venait d’obtenir gain de cause devant le tribunal administratif de Paris après son recours contre la décision de Valérie Pécresse de supprimer l’aide au transport pour les bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (AME), a été violemment attaqué dans un billet homophobe et xénophobe intitulé « Z’êtes clando ? 75 % de réduction ! ».

    Le texte, assorti d’une photo montrant son visage tuméfié « après une saine correction », lors d’une manifestation pour les droits LGBT à Moscou en 2006, le qualifiait de « vermine de souche » et de « petite fiotte gay ». Réseau libre se réjouissait de cette « raclée prise alors qu’il prétendait forcer les autorités russes à autoriser une ‘‘marche des tarlouzes’’ à Moscou », et spéculait sur des violences plus importantes qui pourraient « prochainement lui tomber dessus en francarabia ».
    Les représentants politiques de l’extrême droite ne sont pas beaucoup mieux considérés. Ainsi Marine Le Pen se retrouve dans le « Racailloscope » qui réunit les personnages publics supposés complaisants vis-à-vis de l’islam, mais aussi de l’étranger. La patronne du Rassemblement national, représentée en boubou, se voit reprocher son « renoncement à toutes les valeurs nationalistes et patriotiques du FN à son origine ». Le terroriste de Christchurch décrira lui aussi dans son manifeste Marine Le Pen comme une incapable.

    Deux personnages retranchés derrière des anonymats relatifs ont le droit à d’autres égards. Il faut dire qu’ils sont des contributeurs réguliers de Réseau libre.
    À chaque question qu’on lui pose, il commence ses réponses par un « Réfléchissez ! » péremptoire, des « Vous êtes naïf » et « Soyons sérieux » moqueurs ou, au mieux, un « Il ne vous a pas échappé » complice. Sur Réseau libre, les interviews de Monsieur X oscillent entre connivence et mégalomanie. « Il serait dommage de priver vos lecteurs de mes lumières », « C’est toujours intéressant avec Monsieur X », fanfaronne-t-il. L’homme est présenté par le site comme « un officier français des Services », un « contact dans les services antiterroristes ». À ce titre, il est interrogé après chaque attentat et n’hésite pas à évoquer « une guerre de civilisation ».
    Concernant le sort à réserver aux djihadistes, il résume, dans un entretien en mars 2016, les deux options à ses yeux : « La première, on fait tout pour récupérer les individus vivants en espérant qu’ils parlent et pour les traduire devant un tribunal. La seconde, on identifie la menace et on procède à son élimination au moment opportun. Je vous laisse deviner quelle est mon option préférée… »
    En juin de cette même année, il annonce « un attentat imminent », d’après « des informations crédibles, recoupées » avec des services étrangers. Il s’agirait d’une attaque d’envergure contre une petite ville entière qui serait ciblée par plusieurs dizaines de terroristes armés. Un seul moyen de se protéger, selon lui : constituer « des milices citoyennes, puissamment armées » qui patrouillent dans les villes. Et, bien sûr, un arsenal pour se défendre. « Dites-vous bien qu’avoir une arme non autorisée peut vous conduire en prison, mais ne pas en avoir peut vous conduire au cimetière », conclut ce jour-là Monsieur X.
    D’autres fois, il dénonce « des agents dormants à l’intérieur de nos systèmes de sécurité », il y aurait des « des barbus, fussent-ils sans barbe » parmi les policiers chargés d’assurer la protection du président de la République, des barbus au sein des aéroports. Il voit l’œuvre d’une « cinquième colonne musulmane » un peu partout et espère « un ordre clair pour nettoyer » les banlieues. Des propos bien peu républicains pour un supposé fonctionnaire.
    Tant et si bien qu’un membre interroge les administrateurs : « Serait-il possible que vous vous fassiez balader par un mytho ? »
    Réseau libre et certains membres prennent la défense de Monsieur X : tout ce qu’il a dit se serait vérifié par la suite. C’est plus compliqué que cela. Ses propos dénotent quelques connaissances en matière de terrorisme, mais ses bouffées paranoïaques dévoient ses analyses.
    Mediapart n’a pas pu identifier qui se cachait derrière Monsieur X. En revanche, les services de renseignement s’inquiètent depuis plus d’un an de connivences entre certains membres des forces de l’ordre et l’ultradroite. D’après nos informations, un commissaire occupant un poste central dans la lutte antiterroriste s’est vu récemment reprocher par sa hiérarchie directe les propos complotistes qu’il tenait lors de réunions stratégiques.
    De son côté, Monsieur X semble trahir, au moins à une occasion, le secret d’enquêtes en cours. Dans un entretien publié sur le site le 23 septembre 2018 et intitulé « Exclusif : les vraies raisons de l’annulation du concert au Bataclan », il affirme que le rappeur Médine aurait été contraint d’annuler ses concerts à cause d’un projet d’attentat détecté par un informateur de la DGSI (et par Mediapart, lire notre Boîte noire).
    Monsieur X assure que l’indicateur était l’administrateur d’un forum de jeu sur lequel les membres du complot échangeaient. « Si les intéressés lisent ça (et ils le liront sans doute) ils vont cesser de communiquer sur ce forum, assure Monsieur X. Franchement, ces activistes ont eu une excellente idée, ils semblent d’un excellent niveau opérationnel et méritent en quelque sorte de ne pas être identifiés ! Vous savez, je ne suis pas le seul dans les Services à être de votre côté… Ou du leur… »
    Dans la foulée de cet entretien, Réseau libre explique avoir décidé de diffuser cet entretien « pour que les gars sachent qu’ils ont été balancés et qu’ils agissent en conséquence ».Un ancien de l’OAS « avec pas mal d’années de tôle derrière lui, mais qui ne regrette rien »
    La paranoïa, déjà galopante dans les rangs des habitués du site, est à son paroxysme depuis l’été 2018 et la vague d’interpellations ayant visé des membres du groupe Action des forces opérationnelles (AFO) qui préparait des attaques contre des musulmans. L’un d’eux s’était constitué dans son domicile un laboratoire de fabrication d’explosifs. Plusieurs armes à feu avaient également été découvertes en perquisition. Les services de renseignement suspectent que plusieurs caches d’armes auraient été disséminées dans les onze régions où cette cellule clandestine est présente.
    Sur Réseau libre, le coup de filet fait réagir. Anonyme et Beretta évoquent « les copains d’AFO », « des copains résistants qui se mouillent pour nous et ce pays de merde », des copains qui n’avaient encore rien fait mais « en avaient peut-être l’intention »… Le 14 août, Vidocq, qui se revendique comme un membre du groupe ayant échappé aux interpellations, cherche à rassurer tout le monde : « Quelques groupes, comme nous l’AFO, s’organisent en prévision du grand chaos. Notre devoir est de défendre la MÈRE PATRIE de tous envahisseurs […]. Depuis cette affaire, nous engrangeons beaucoup d’adhésions. »

    AFO engrange également la caution du criminologue Xavier Raufer qui, quelques jours après le coup de filet, donne une interview au site complotiste Boulevard Voltaire. Celui qui aime à se définir comme « un expert » considère qu’on a là une affaire montée de toutes pièces par un renseignement intérieur obsédé par de « fantomatiques terroristes d’extrême droite ».
    En appui de sa démonstration, l’âge des interpellés : « On ne passe pas au terrorisme au moment de la ménopause ou au moment de la retraite. » Et leur volubilité sur les réseaux sociaux. « Quand des gens ont des projets terroristes, ils évitent de tout raconter sur un site internet ou sur un blog. On sent donc un peu la conspiration des branquignols avec des gens qui peut-être parlaient beaucoup, s’échauffaient les uns les autres », juge-t-il. Des propos étonnants car, au moment où Xavier Raufer s’exprime, personne n’a évoqué de communications des membres d’AFO sur « un site internet »…
    De son vrai nom Christian de Bongain, Xavier Raufer, après avoir milité au sein du mouvement d’extrême droite Occident, s’est fait connaître par ses nombreux ouvrages, certains coécrits avec Alain Bauer, consacrés à la criminalité et au terrorisme. Après avoir eu son rond de serviette dans les médias, il a peu à peu disparu des écrans et accorde désormais l’essentiel de ses entretiens à sa propre chaîne YouTube, à Atlantico, ou à des publications d’extrême droite (Boulevard Voltaire, Éléments, Breizh Info, TV-Libertés).
    Toutes ses productions sont en revanche reprises sur Réseau libre où il est, outre Monsieur X, l’expert le plus cité et la seule personnalité, hormis le collectif depuis interdit Les Brigandes, à voir ses prises de parole publiques reproduites. On y retrouve notamment la vidéo de son intervention aux Estivales de Marine Le Pen en septembre 2016, où il analyse « l’invisible désastre sécuritaire » de la France et affirme que « chacun sait que la plupart du temps, j’espère ne pas avoir un procès en disant cela, ce sont rarement des Berrichons qui cambriolent ».
    Si le fond choque, la forme reste toujours policée, le criminologue continue d’enseigner au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), à des fonctionnaires qui passent « une licence professionnelle d’analyste criminel opérationnel, mention renseignement ».

    Sur Réseau libre, un certain XR emploie un ton beaucoup moins feutré. Au lendemain des attentats du 13-Novembre, XR délivre une analyse acidulée : « La rafalade des melons, n’importe qui aurait pu la faire ! » ; s’impatiente : « Les banlieues qui ont fêté les attentats seront-elles nettoyées ? » ; stipendie « les gouvernements successifs […] qui ont acheté une paix sociale illusoire dans les cités en finançant les racailles ». Un dernier thème, exprimé publiquement en des termes moins crus, par Xavier Raufer qui aime insister sur « ces politiques de la ville, qui financent les émeutiers ». À l’occasion de la première commémoration du 13-Novembre, XR se lamente contre « les zélites de la francarabia » ; lors de l’éclatement de l’affaire Benalla, il se gausse de « toutes ces putes de la ripoublique ».

    « XR », le pseudo peut évoquer bien sûr les initiales de Xavier Raufer. Le criminologue l’utilise en tout cas officiellement comme nom de son mail personnel et de sa chaîne YouTube « XR Vidéos ». Les membres de Réseau libre ne s’y trompent pas. Ainsi, lorsque Patriote commente la vidéo de Xavier Raufer aux Estivales de Marine Le Pen, il le nomme « XR ». Alors qui se cache derrière le XR, contributeur privilégié de Réseau libre, qui s’exprime de manière grivoise et haineuse ? Le criminologue lui-même, ou un animateur du site cherchant à faire croire qu’il a le soutien du criminologue et offrant une copie bien plus vulgaire que l’original ?
    Contacté, Xavier Raufer conteste formellement connaître jusqu’à l’existence de Réseau libre : « Je n’ai jamais entendu parler de ces gens-là, je ne sais pas qui c’est. Je n’ai jamais correspondu avec eux. » De lui-même, il décrit en tout cas la sociologie des membres de Réseau libre, parlant d’une « mouvance de conspirateurs du midi de la France qui se la jouent en préparant des trucs qui n’auront jamais lieu », d’« anciens conspirateurs Algérie française » qui, « après avoir bu trois litres de Cahors », vont « mettre une tête de cochon devant une mosquée ».
    Pour lui, il s’agirait d’inoffensifs « mythomanes, cinglés, alcooliques ». Être la référence de ce site ne l’inquiète pas : « C’est un hommage que le vice rend à la vertu, balaie-t-il. Les gens me citent parce qu’ils ont envie de me citer, et je ne suis en aucun cas responsable ».
    Questionné sur son interview sur Boulevard Voltaire dans laquelle il évoque des membres d’AFO qui s’échaufferaient sur un site internet – ce qui n’a jamais été mentionné jusqu’ici dans les médias, ni dans la procédure –, Xavier Raufer s’énerve. « Je suis criminologue depuis trente ans, ça se passe toujours de la même façon, et en gros ça ne pouvait s’être passé que comme ça. Vous savez, quand un médecin a vu cent bronchites, à la 101e il est capable d’expliquer comment ça se passe ! »

    Lorsque Monsieur X et XR prennent la parole sur Réseau libre, ils s’adressent à un public âgé de « papys font la résistance », « plus proche de sucer les pissenlits par la racine que de téter le biberon », résume un de ces principaux contributeurs. Corneliu est « un vieux soldat », Vidocq « un vétéran des troupes de marine ». « J’ai 64 ans, je suis malade, célibataire et sans enfants, sans famille », se décrit Patriote. À 65 ans, Merlin, autoproclamé « soldat du Christ, comme soldat pour ma Patrie », considère que « bordel ! Puisque vous êtes plus prêt de la mort, comme je le suis, que de la naissance, qu’est-ce que ça peut foutre de crever les armes à la main ? »
    Contacté, cet ex-contributeur très actif précise avoir quitté le site à cause de certains désaccords de fond, mais ne renie rien. Pour ce sexagénaire retraité, il s’agissait « de redonner espoir à tous les vrais patriotes », « de réveiller les moutons sur ce qu’il advenait de notre nation » et de « renier tout ce qui caractérise la gauche caviar, les gauchos en général et les collabos sous toutes leurs formes ». Il affirme qu’« aucun d’entre [eux] » ne serait passé « de la parole aux actes ».
    Souvent pointe une nostalgie pour la France d’avant. Ulysse raconte « les sirènes d’usine d’autrefois » qui le réveillaient tous les matins à l’aube, regrette « l’école sous Pétain » où « on ne faisait pas tant d’histoires », la discipline était sévère et les maîtresses en blouse grise. ARNT, « un ancien de l’OAS, avec pas mal d’années de tôle derrière lui, mais qui ne regrette rien », invite les membres voulant s’inspirer du passé à aller au préalable sur Google « à la rubrique ‘‘victimes de l’OAS’’, en termes d’efficacité meurtrière, c’est autre chose que le SAC ! ». Le Touriste, ayant « un peu connu le côté obscure (sic) de la vie », rappelle ce qui lui semble l’essentiel de la clandestinité : « Si vous êtes en retard à un rendez-vous vous n’avez que trois excuses : la police, l’hôpital ou la mort ! »

    Une figure d’ultradroite ressurgit en Russie

    Réseau libre compte pas moins de 1 500 abonnés à sa newsletter et 2 600 commentateurs uniques. Parmi eux, 800 sont des membres actifs (dont 390 sont présents sur Twitter). Le premier billet du site explique que ses « rédacteurs » sont « de diverses origines » que « certains ont milité et/ou militent dans des organisations diverses, en général très discrètes », que certains « ont déjà à leur actif une importante expérience de l’information en ligne » sur des sites d’ultradroite et « participent bien souvent à d’autres blogs et sites sous divers pseudonymes ».
    Sur Réseau libre se côtoient des membres des réseaux Rémora (fondés par un ancien inspecteur des Renseignements généraux, les ex-RG, et appelant la société civile à se substituer aux soldats, aux policiers et aux gendarmes en cas d’attaque des « islamo-terroristes »), l’administrateur d’un cercle de tir belge, un président de club de karaté francilien, un chef d’atelier mécanicien poids lourds, un dirigeant d’une société de sécurité incendie du sud de la France, un sexagénaire belge conseiller en alimentation bio et témoin de Jéhovah, un abbé dont le site a fermé pour « incitation au terrorisme », ou encore des contributeurs d’un blog de réinformation russe ou de sites de la « fachosphère » français tels que Riposte laïque (un site islamophobe dont l’animatrice a écrit, au sujet du terroriste de Christchurch, que « quoi qu’il ait fait, Brenton Tarrant est des nôtres »).

    Les adresses mail des membres de Réseau libre renvoient en France, Belgique, Suisse, Allemagne, Canada, Russie. Mais s’agissant de l’administration et l’animation du site, tout converge vers un Français réfugié au pays de Vladimir Poutine : Joël Michel Sambuis, 59 ans. Contacté par Mediapart, il n’a pas donné suite.

    Grillé en France à cause d’une série de condamnations (« détention d’armes » en marge d’un groupe paramilitaire effectuant des virées armées, « escroquerie », « faux et usage de faux »), ce diplômé en mathématiques de l’université de Grenoble s’était exilé en 1998 à Moscou grâce à un passeport contrefait. Avec sa femme russe, cet admirateur du régime poutinien menait grand train dans la capitale.
    Un vétéran des services de renseignement français se souvient de ce personnage perçu comme un « mythomane » : « Il se présentait comme un ancien des services de renseignement, mais aussi comme un ancien du service d’ordre du RPR, puis du Front national. En avançant, on s’est rendu compte qu’il n’était peut-être pas si mythomane... Notre hypothèse, c’était qu’il avait été récupéré par les services russes. »
    Sur Réseau libre, Joël Sambuis jongle avec divers pseudonymes, mais signe ses textes majeurs du nom SOS-R, en référence à SOS-Racaille, ancêtre de ce « réseau des patriotes ». Tout a commencé à la fin des années 1990 : Sambuis investit les forums en ligne Usenet avec des commentaires racistes sous le pseudonyme de Caméléon. L’année suivante, il lance un site du même nom, spécialisé dans la revente de faux papiers, comptes bancaires, internet ou téléphoniques anonymes, qui propose aux internautes le kit du parfait anonyme. En 2001, la plateforme Liberty-web est créée, qui hébergera une trentaine de sites islamophobes : SOS-Racaille, Libertyvox, Euro-Reconquista, Canal-Résistance, etc.
    Site phare de cette nébuleuse, SOS-Racaille voit converger islamophobes et néonazis. On y discute des moyens d’amener la France à la guerre civile, on attaque violemment des internautes jugés « trotsko-UMPistes », qui sont la cible de rumeurs et d’usurpations d’identité.
    En 2001, le site annonce le lancement d’un groupe d’action, les Comités Canal Résistance (CCR), présenté comme une « organisation clandestine » créée « au cœur du dispositif d’État », comptant des « fonctionnaires de police ou de justice », et voulant « retrouver la racaille et la châtier ». Menés par un certain « Colonel X », les CCR annoncent une dizaine d’attaques et prédisent un « 9 septembre de la vermine pro-musulmane de France ». Leur seule action revendiquée sera l’attaque à la peinture, en janvier 2003, d’une quinzaine de mosquées dans l’Hexagone.
    Face à l’inaction des policiers et à l’inaboutissement des plaintes pour cyberharcèlement du fait de l’anonymat des auteurs, une dizaine de victimes du réseau SOS-Racaille, passionnées d’informatique, décident d’enquêter elles-mêmes, regroupées dans un groupe baptisé V8.
    Ce petit cercle remonte une filière russe et identifie Joël Sambuis, puis transmet ses trouvailles aux autorités. Les policiers ne prêtent pas attention au travail de ces « cyberenquêteurs ». Jusqu’à ce que la galaxie SOS-Racaille, où fleurissaient des appels à « abattre Ben Shirak », n’inspire le militant d’extrême droite Maxime Brunerie dans sa tentative d’assassinat de Jacques Chirac, le 14 juillet 2002. Toute la nébuleuse Liberty-web disparaît subitement, puis Joël Sambuis est arrêté à Moscou par les polices française et russe, sans être extradé.
    S’appuyant sur des « messages » apparus dans les investigations menées à l’époque par la section antiterroriste de la brigade criminelle, qu’il dirigeait, Amaury de Hauteclocque avait affirmé aux auteurs du livre La Fachosphère, que Maxime Brunerie « avait pris ses instructions de la part de (...) Joël Sambuis ». Mais faute d’identification formelle, Sambuis sera libéré six mois plus tard et bénéficiera d’un non-lieu. S’estimant « à l’abri » à Moscou, il reconnaîtra être « le dirigeant de la plateforme de Liberty-web » et le « webmaster de SOS-Racaille ».

    Quinze ans plus tard, l’histoire se répète. Le 26 avril 2018, le conseiller régional Pierre Serne dépose une plainte avec constitution de partie civile des chefs d’« injure publique en raison de l’orientation sexuelle » et de « provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination à raison de l’orientation sexuelle ». L’enquête, ouverte en août 2018, est close un mois et demi plus tard, les investigations menées n’ayant pas permis d’identifier l’auteur et le directeur de publication de Réseau libre…

    Fin 2018, l’élu, s’appuyant sur « plusieurs indices graves et concordants », dépose une requête pour demander à la juge d’ordonner une série d’actes permettant, selon lui, de confirmer l’identité de l’auteur et animateur du site. Joint, Pierre Serne souhaite que la justice agisse contre « ce genre d’injures et de menaces, qui préfigurent parfois aussi des passages à l’acte » : « Les auteurs de ce site anonyme et caché, pourtant assez aisés à identifier, sévissent depuis des années en toute impunité, s’en sortent sans souci. […] Il est temps qu’ils soient eux aussi pourchassés, condamnés, affichés, mis hors d’état de nuire. Y compris quand ils sont bien camouflés et vivent officiellement des vies bien rangées de bons pères de famille, notables locaux ou cadres respectés »
    Est-ce dû à la plainte du conseiller régional, au démantèlement d’AFO ou à la conjonction des deux ? Toujours est-il que les administrateurs de Réseau libre prennent au sérieux la pression qui pèse sur eux.
    Dans un billet stupéfiant d’audace publié le 30 septembre 2018, ils menacent à leur tour… les « collabos de la DGSI ». Ils préviennent que « si nous nous sentons un peu trop étouffés par leur surveillance », « si Réseau libre devait être mis hors ligne ou ses admins inquiétés », les identités de certains agents « actifs » de la DGSI « dont nos contacts en haut lieu nous ont communiqué photos, adresses et numéros de téléphone » seront diffusées « automatiquement sur plusieurs réseaux sociaux, sites de réinformation, médias français et étrangers ! ».
    Mais, moins d’un mois plus tard, Réseau libre, dans un article intitulé « Clap de fin : le rideau tombe », annonce « fermer définitivement ses portes ». « La raison ? Non point les procédures judiciaires avérées ou non, les menaces diverses et variées. Non, tout simplement un constat réaliste qu’il n’y a en francarabia et probablement dans la plupart des pays occidentaux plus rien à sauver », se justifie l’administrateur en remerciant au passage « l’inestimable XR et Monsieur X ».

    Avant de renvoyer vers le site de Léon (un ancien contributeur très virulent) – qui affiche pour profession de foi « Vous vous préparez à un affrontement sans pitié dans vos villages et vos villes pour libérer notre pays ? Vous êtes Léon ! » –, Réseau libre offre à ses membres « un cadeau d’adieu » : les adresses mail d’un « ami de la Grande Serbie » qui permet « de s’équiper » et fournit une prestation « honnête, discrète et fiable ».
    Douze jours plus tard, Anonyme dépose l’un des derniers commentaires laissés sur Réseau libre. Il est très heureux. Il vient de recevoir sa commande. « Une arme de poing et une d’épaule, je n’en dis pas plus. Merci encore à Réseau libre d’avoir permis ceci ! »

    Matthieu Suc & Marine Turchi

    https://www.mediapart.fr/journal/france/010419/revelations-sur-des-patriotes-qui-projetaient-des-attentats-islamophobes

  • http://www.viveleroy.fr/local/cache-vignettes/L205xH200/arton55-0e478.jpg?1550861269

    "A la fin des années ’70, il y eut une victoire majeure dans le champ des idées. Elle n’a pas été saluée à sa juste valeur. Elle concerne le racisme et son invention. Et c’est à la Nouvelle Droite (et tout particulièrement au GRECE) qu’on la doit.

    Une Nouvelle Droite allée à l’Ecole de Lévi-Strauss. Une victoire lourde de sens et de conséquence. Mais en quoi consistait-elle ? En une « transmutation » et en un art consommé du détournement et de l’inversion. Alain de Benoist et ses amis avaient réalisé un coup de maître en substituant habilement le racisme biologique et inégalitaire (grevé par l’aventure génocidaire nazie) par un racisme culturel et se voulant non-hiérarchique (appelé aussi racisme différentialiste ou racisme sans race).

    Pour saisir la manœuvre, il faut savoir que, depuis Lévi-Strauss, on distingue deux formes de racisme : l’un se fonde sur un « déni d’identité » et l’autre sur un « déni d’humanité ». Le premier se présente comme un universalisme, tandis que le second se manifeste comme un communautarisme absolu. A ces deux racismes leur répond deux anti-racismes, le premier prenait la forme d’une « altérophilie » (le droit à la différence) et le second d’ une « altérophobie » (l’humanité est une et indivisible). (1)

    L’intelligence de la Nouvelle Droite fut de s’accaparer et de retourner deux notions clé : le « droit à la différence » et le « relativisme culturel » qui étaient des réponses à la première forme de racisme, celui par « déni d’identité », pour permettre l’expression du second. Ces deux notions, malgré leur ambiguïté, étaient à l’origine des conquêtes remportées de haute lutte sur le discours de la « mission civilisatrice » du temps béni des colonies. Et cette trouvaille avait de l’avenir. Puisqu’elle devint la doxa d’aujourd’hui.

    Le génie de la démarche, à l’évidente ironie, résidait dans le fait qu’elle singeait au plus près l’antiracisme (traditionnel) qui se voulait une réponse au racisme biologique. Et par un jeu de renversement et de symétrie, elle y installait la confusion et l’inversion.
    L’ironie pouvait se poursuivre, puisque la réplique qu’on trouva à ce nouveau racisme différentialiste n’était autre que l’universalisme, dans sa version nationale républicaine. C’est-à-dire l’autre forme de racisme, celui qui se définissait par le déni d’identité."

    http://bougnoulosophe.blogspot.com/2011/10/les-fossoyeurs-de-lantiracisme.html#links

  • « Dans les pays sous-développés, nous avons vu qu’il n’existait pas de véritable bourgeoisie mais une sorte de petite caste aux dents longues, avide et vorace, dominée par l’esprit gagne-petit et qui s’accommode des dividendes que lui assure l’ancienne puissance coloniale. Cette bourgeoisie à la petite semaine se révèle incapable de grandes idées, d’inventivité. Elle se souvient de ce qu’elle a lu dans les manuels occidentaux et imperceptiblement elle se transforme non plus en réplique de l’Europe mais en sa caricature.

    La lutte contre la bourgeoisie des pays sous-développés est loin d’être une position théorique. Il ne s’agit pas de déchiffrer la condamnation portée contre elle par le jugement de l’histoire. Il ne faut pas combattre la bourgeoisie nationale dans les pays sous-développés parce qu’elle risque de freiner le développement global et harmonieux de la nation. Il faut s’opposer résolument à elle parce qu’à la lettre elle ne sert à rien. Cette bourgeoisie, médiocre dans ses gains, dans ses réalisations, dans sa pensée, tente de masquer cette médiocrité par des constructions de prestige à l’échelon individuel, par les chromes des voitures américaines, les vacances sur la Riviera, les week-ends dans les boîtes de nuit néonisées.

    Cette bourgeoisie qui se détourne de plus en plus du peuple global n’arrive même pas à arracher à l’Occident des concessions spectaculaires : investissements intéressants pour l’économie du pays, mise en place de certaines industries. Par contre les usines de montage se multiplient, consacrant ainsi le type néocolonialiste dans lequel se débat l’économie nationale. Il ne faut donc pas dire que la bourgeoisie nationale retarde l’évolution du pays, qu’elle lui fait perdre du temps ou qu’elle risque de conduire la nation dans des chemins sans issue. En fait la phase bourgeoise dans l’histoire des pays sous-développés est une phase inutile. Quand cette caste se sera anéantie, dévorée par ses propres contradictions, on s’apercevra qu’il ne s’est rien passé depuis l’indépendance, qu’il faut tout reprendre, qu’il faut repartir de zéro. »

    [Frantz #Fanon, "Les Damnés de la Terre"]

    • #néolibéralisme #libéralisme

      Walter Lippmann (1889 - 1974)

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_Lippmann

      Barbara Stiegler:

      Le cap et la pédagogie – à propos du néolibéralisme et de la démocratie

      https://aoc.media/analyse/2019/01/24/cap-pedagogie-a-propos-neoliberalisme-de-democratie

      (demande de s’enregistrer)

      [...]

      Le cap, d’abord. Non pas laisser faire, comme dans le libéralisme classique, mais imposer à la société la direction qu’elle doit suivre. Cette direction, c’est celle de son adaptation progressive à la division mondialisée du travail. Et sa destination finale, c’est celle d’un grand marché mondial régi par des règles loyales et non faussées, dans lequel devront désormais prévaloir, non plus des rapports brutaux de prédation où les plus gros continueraient de dévorer les plus petits (la fameuse « loi de la jungle »), mais les règles d’arbitrage d’une compétition fair play où, comme dans le sport, tous doivent avoir les chances égales de faire valoir leurs capacités et de révéler leurs talents. Ce que les nouveaux libéraux comprennent, dans le sillage de la crise de 1929 et à la suite de la décennie noire qui lui succède, c’est que le marché ne se régule pas tout seul. C’est qu’il n’y aucune main invisible qui harmonise spontanément la lutte des intérêts, et qu’il faut donc impérativement en appeler à la main des États, architectes et arbitres de ce nouveau marché à construire. Dans son analyse « à chaud » des premiers néolibéralismes de gouvernement à la fin des années 1970 au Collège de France (Naissance de la biopolitique), Michel Foucault l’avait déjà très bien compris.

      On pourra objecter, et on aura raison que, une fois parvenus au pouvoir, les néolibéraux n’hésitent pas à favoriser la concentration des richesses. Mais cette hybridation permanente avec l’ultra-libéralisme, qui laisse faire la formation des monopoles au nom d’un hypothétique « ruissellement » des fortunes sur tout le reste de la société, n’est pas la dimension la plus originale ni la plus intéressante de sa doctrine. Elle relève plutôt du compromis ou de la concession prétendument réaliste avec les forces en place. Ce qu’il y a de véritablement nouveau dans le néo-libéralisme, ce qui constitue le cœur de son utopie, c’est que le cap qu’il entend imposer à toutes les sociétés, est celui d’une compétition juste, qui inclut et qui doit inclure tous les individus. L’idée, c’est que tous sans exception, y compris les plus modestes et les plus vulnérables – malades, chômeurs, handicapés, démunis –, soient remis en selle pour participer à la course. Le cap, c’est que tous puissent, avec un maximum d’égalité des chances, participer à la grande compétition pour l’accès aux ressources et aux biens, désormais théorisés par les économistes comme des « ressources rares ». Alors se dégagera une hiérarchie juste entre les gagnants et les perdants, résultat toujours provisoire qu’il s’agira à chaque fois de rejouer, une fois encore comme dans le sport, afin qu’aucune rente de situation ne s’installe et que la compétition soit indéfiniment relancée.

      [...]

  • « Whiteness studies » : il était une fois les Blancs…

    L’historienne américaine Nell Irvin Painter publie une ambitieuse « Histoire des Blancs », qui montre que l’humanité s’est bien longtemps passée du concept de « races ». Née en Europe au XVIIIe siècle, l’idée de la supériorité des « Caucasiens » jouera un rôle central dans la construction de l’identité américaine.

    « Whiteness studies » : il était une fois les Blancs raconte que l’idée d’écrire une Histoire des Blancs lui est venue en lisant le New York Times, chez elle, à Princeton. Une photo montrait Grozny, la capitale tchétchène, rasée par les Russes. « Une question m’est alors venue : pourquoi appelle-t-on les Blancs américains les "Caucasiens" ? Ça n’a aucun sens. Autour de moi personne n’avait de réponse. Tous me disaient s’être déjà posé la question sans jamais oser demander… Un non-dit. » On est en 2000 et Nell Irvin Painter, historienne afroaméricaine jusqu’alors spécialisée dans l’histoire des Etats-Unis, se lance dans une longue recherche qui s’achèvera dix ans plus tard avec la parution, outre-Atlantique, de son livre The History of White People . Il vient d’être traduit et paraît ces jours-ci en France, aux éditions Max Milo.

    « La plus belle race d’hommes, la géorgienne »

    Sa quête la mène d’abord à Göttingen, en Allemagne, sur les traces du médecin Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840), l’inventeur de la notion de « race caucasienne ». Ses caractéristiques : « La couleur blanche, les joues rosées, les cheveux bruns ou blonds, la tête presque sphérique », écrit le savant dans De l’unité du genre humain et de ses variétés . L’homme classe dans cette catégorie « tous les Européens, à l’exception des Lapons et des Finnois », et l’étend aux habitants du Gange et de l’Afrique du Nord. « J’ai donné à cette variété le nom du mont Caucase, parce que c’est dans son voisinage que se trouve la plus belle race d’hommes, la géorgienne », conclut Blumenbach.

    Nell Irvin Painter poursuit ensuite le fil de ses recherches en France, dans les salons de Mme de Stael qui publie en 1810 un livre à succès, De l’Allemagne . L’ouvrage popularise en France la manie qu’ont les savants allemands (ils ne seront bientôt plus les seuls) à classer les Européens entre différentes « races ». Mme de Stael en voit trois : la latine, la germanique et la slave. L’enquête de Painter la porte encore vers l’Angleterre de l’écrivain Thomas Carlyle, dont la théorie de la « race saxonne » traversera l’Atlantique et exerça une grande influence sur le poète et philosophe américain Emerson (1803-1882). Celui-ci, père de la philosophie américaine, abolitionniste convaincu, est aussi l’un de ceux qui a lié pour longtemps la figure de « l’Américain idéal » à celui de l’Anglais, parangon de beauté et de virilité. Son idéologie « anglo-saxoniste » marquera, selon Nell Irvin Painter, la conception de la « blanchité » américaine jusqu’au XXe siècle.

    Car pour le reste, l’histoire que retrace Nell Irvin Painter dans son livre est bien celle des Blancs d’Amérique. « Painter montre la construction endémique, aux Etats-Unis, de la question raciale, analyse l’historienne Sylvie Laurent, qui a coordonné le livre De quelle couleur sont les Blancs ? (La Découverte, 2013). Dès la fondation des Etats-Unis, les Américains se sont construits comme une nation blanche. Sa généalogie de la "race blanche" est un travail passionnant, même s’il n’est pas transposable à la situation française. »

    En France, parler de « Blancs » (plus encore qu’évoquer les « Noirs ») reste très polémique. Notamment parce que parler de « race » (une notion construite de toutes pièces et qui n’a rien de biologique), comme de couleur de peau, pourrait finir par leur donner une réalité qu’elles n’ont pas. Sans doute aussi parce qu’il est difficile pour un groupe majoritaire, les personnes perçues comme blanches, d’accepter qu’elles bénéficient de privilèges sans même s’en rendre compte… Les récents passages de Nell Irvin Painter à la radio ou à la télévision ont suscité des mails outrés d’auditeurs. « C’est touchant, ironise l’historienne américaine, lors d’un passage à Paris. Mais cette crispation face à ces questions passera. » Déjà, des chercheurs, comme Maxime Cervulle à l’université Paris-VIII, revendique la notion émergente de « blanchité » : « Alors que le terme "blancheur" renvoie à une simple propriété chromatique, parler de blanchité, c’est parler de la façon dont le fait de se dire ou d’être perçu comme blanc a été investi d’un rapport de pouvoir : l’idéologie raciste qui continue d’associer la blancheur de la peau à la pureté, la neutralité ou l’universalité. »

    « La question raciale, indissociable de la question sociale »

    Aux Etats-Unis, les whiteness studies se sont développées dès les années 80 et 90. Des départements d’université ou des maisons d’édition y sont consacrés. « Les années Reagan ont accouché de ce nouveau champ d’études, explique l’historien Pap Ndiaye, spécialiste des Etats-Unis et auteur de la Condition noire (Calmann-Lévy, 2008). Reagan s’est fait le porte-parole des Blancs "abandonnés" par le Parti démocrate… Un discours qu’on retrouve aujourd’hui avec Trump. Des historiens ont voulu étudier ce backlash conservateur. » L’historien David Roediger est l’un des premiers à travailler sur l’invention de la « race » blanche. En 1991, il publie The Wages of Whiteness . « Il a montré que la blanchité n’était pas un universel fixe et sans histoire. Et qu’on pouvait donc faire l’histoire des Blancs », note Pap Ndiaye. Roediger, marqué par le marxisme, relit la culture ouvrière au prisme de la « race ». « La question raciale est indissociable de la question sociale, confirme Pap Ndiaye. Les immigrés italiens aux Etats-unis ont été animalisés et victimes d’un racisme incroyable. Ils ne se sont "blanchis" qu’au fil de leur ascension sociale. Quand on est tout en bas de l’échelle, on n’est jamais totalement blanc. Les hiérarchies de races sont aussi des hiérarchies de classes. » Au fil des années, les whiteness studies ont diversifié leur approche s’ouvrant largement à la dimension du genre, et dépassant les frontières américaines pour tenter d’écrire une histoire transnationale des « races ».

    Pourtant, selon l’américaniste Sylvie Laurent, « les recherches sont sans doute aujourd’hui plus stimulantes parmi les working class studies ou les gender studies, que dans les départements de whiteness studies des universités ». « Au fond, dit-elle aussi, les chercheurs des whiteness studies se sont toujours appuyés sur les grands penseurs noirs, ceux qui ont été exclus du groupe des Blancs : le sociologue et militant pour les droits civiques W.E.B. DuBois (1868-1963) ou James Baldwin, qui a été un grand théoricien du "pourquoi les Blancs se pensent blancs". Aujourd’hui encore, ce n’est pas un hasard si cette vaste Histoire des Blancs est écrite par une femme noire, Nell Irvin Painter. »

    « Embrasser une histoire beaucoup plus large »

    Née en 1942, celle-ci a été parmi les premières femmes noires a devenir professeure d’histoire dans les facs américaines - elle a enseigné à Princeton. Elle a consacré un livre à la migration de Noirs vers le Kansas après la guerre de Sécession et a écrit une biographie reconnue de la féministe et abolitionniste Sojourner Truth. « Cette Histoire des Blancs je l’ai écrite en tant qu’historienne, pas en tant qu’afroaméricaine. Je suis noire, c’est un fait, mais "it’s not my job" », prévient-elle. Painter n’est pas issue des départements de whiteness studies et revendique un regard différent de celui de la plupart de ses collègues. « A travers leurs recherches, ils ont retracé leur généalogie : leurs grands-pères étaient juifs d’Europe de l’Est ou italiens… Ils commencent donc leur histoire des Blancs à la fin du XIXe siècle, le moment où leurs aïeux ont débarqué du bateau. Je voulais au contraire embrasser une histoire beaucoup plus large. »

    A tel point que Nell Irvin Painter fait démarrer son livre… dans l’Antiquité. Manière de démontrer à quel point le concept de « race » est récent. « Contrairement à ce que croient des gens très éduqués encore aujourd’hui, les Anciens ne pensaient pas en terme de race », insiste Nell Irvin Painter. Les Grecs distinguaient les hommes en fonction de leur lieu d’origine ou du climat de leur région. Les Romains pensaient en terme de degrés de civilisation. Les Blancs ne sont donc pas les illustres et exclusifs descendants des démocrates grecs. « C’est le XIXe siècle qui a "racialisé" l’Antiquité, précise l’historienne. Des historiens de l’art, comme Johann Joachim Winckelmann notamment, s’en sont servis pour glorifier les Européens blancs, cette fois dans une perspective esthétique : "Nous n’avons pas seulement le génie de gouverner les autres, nous avons également toujours été les plus beaux." Un tableau exposé au Boston Museum représente ainsi des Grecs beaux et blonds, dont même les montures sont blondes ! »

    L’humanité a donc passé le plus clair de son temps à se passer des « races ». « Celles-ci sont nées au XVIIIe siècle dans les travaux de savants qui cataloguaient le monde entier : les plantes, les oiseaux, les rochers, les abeilles… et bientôt les êtres humains, dit encore l’historienne Nell Irvin Painter. Leur visée n’était pas raciste, mais chauviniste plutôt. Ethnocentriste. »

    Il est une autre idée - fausse - qui a pour longtemps suggéré une différence d’essence entre les Blancs et les Noirs, « creusant définitivement un abîme entre eux », écrit Painter. Etre noir, ce serait avoir été esclave ; être blanc, serait donc ne jamais l’avoir été. Or des Blancs, rappelle-t-elle, furent longtemps esclaves ou serfs : les Vikings ont massivement déplacé les peuples européens, et au XIe siècle, au moins un dixième de la population britannique a été réduit en esclavage. « P artout où il y a des gens pauvres, il y a de l’esclavage. Si nous le relions aujourd’hui aux Noirs, c’est parce que la traite africaine a coïncidé avec le moment où ont émergé les théories racialistes. Avant, il n’y avait pas le "langage racial" pour "légitimer" ce phénomène. C’est important de le dire : cela montre que l’esclavage n’est pas un problème racial, c’est un problème de droits humains. »

    « Discours embrouillés et changeants »

    Dernière idée que cette Histoire des Blancs met en charpie : il n’y a jamais eu une « race » blanche bien définie. Construction sociale et imaginaire comme toutes les races, la « blanchité » n’a jamais été stable, mais au contraire le fruit de « discours embrouillés et changeants », explique Nell Irvin Painter. Au XIXe siècle, les Saxons étaient censés être des Blancs supérieurs aux Celtes (ce qui expliquera en partie le racisme des Américains descendants des Anglais envers les Irlandais). « L’histoire des Blancs américains n’a pas de sens si on ne parle pas des vagues successives d’immigration aux Etats-Unis. » Progressivement, les Irlandais, les Italiens, les Juifs d’Europe de l’Est, les Grecs… intégreront et construiront l’identité américaine. C’est ce que Painter appelle les « élargissements » successifs de la figure de « l’Américain ». L’ère Obama, en est la dernière étape. « Qu’on ait la peau noire ou brune, pourvu qu’on soit riche, puissant ou beau, on a désormais accès aux atouts et privilèges de la blanchité », conclut Nell Irvin Painter.

    L’élection de Trump a représenté un point de bascule pour l’identité blanche, estime encore l’historienne : « Avant Trump, les Blancs se considéraient comme des individus. Les "races", les "communautés", c’était les autres : les Noirs, les Mexicains… Mais pendant sa campagne, le slogan "Make America great again" a été clairement entendu comme "Make America white again". Et les Blancs, même ceux qui n’étaient pas des suprémacistes, se sont découverts blancs. »

    Au fil de ses recherches, Painter a trouvé, bien sûr, l’origine du mot « caucasien ». Dans son cabinet d’anthropologue, Johann Friedrich Blumenbach, le savant de Göttingen, conservait des crânes. Il estimait que le plus « parfait » d’entre eux était celui d’une jeune fille géorgienne, une « caucasienne », qui fut violée et mourut d’une maladie vénérienne. Le terme « caucasien », qui devait devenir au fil des siècles le mot de ralliement de « Blancs » qui, dans le monde entier, se sentiront supérieurs, venait en fait d’une petite esclave sexuelle.

    Sonya Faure

    https://www.liberation.fr/debats/2019/02/24/whiteness-studies-il-etait-une-fois-les-blancs_1711379

  • Antisionisme, antisémitisme et idéologie coloniale
    Israël/Palestine > Alain Gresh > 19 février 2019
    https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/antisionisme-antisemitisme-et-ideologie-coloniale,2921
    https://orientxxi.info/local/cache-vignettes/L800xH399/71048fd02be9bc52e2cab9f0b6037e-751db.jpg?1550575281

    Dans le débat qui agite la France autour de l’antisémitisme, deux dimensions sont souvent absentes : le fait que, durant la première moitié du XXe siècle, la grande majorité des juifs était hostile au sionisme (étaient-ils aussi antisémites ?) ; que la caractéristique principale de ce mouvement était de s’inscrire dans une logique coloniale de conquête et de peuplement. Extraits du livre d’Alain Gresh, Israël-Palestine, vérités sur un conflit (Fayard, 2017).

  • Depuis la crise des « gilets jaunes », la vie à huis clos d’Emmanuel Macron

    Insultes, huées, menaces… Quand il sort, désormais, cela tourne mal. Depuis le début de la mobilisation des « gilets jaunes », pour le président qui aimait tant les promenades, elles sont devenues rares (et discrètes). Comme les visites.

    De l’aéroport de Loudes, en Haute-Loire, jusqu’au Puy-en-Velay, il y a 10 km, un quart d’heure en voiture. Ce 4 décembre, pour rejoindre la préfecture incendiée trois jours plus tôt par les « gilets jaunes », Emmanuel Macron n’a heureusement pas besoin de passer par le rond-point de Lachamp, sur la commune de Saint-Pierre-Eynac. C’est là, sur la RN88, que des manifestants avaient cousu un pantin de taille humaine, posé sur un échafaud plus vrai que nature. Sur le billot était écrit : « Te guillotiner c’est notre projet. »

    Le président de la République file vers la préfecture. En route, il discute avec les passagers en gilet jaune d’une voiture croisée par hasard. Aucune image, aucune vidéo. Le 3 décembre, il n’a aussi passé qu’une tête dans le bureau de l’un de ses collaborateurs qui recevait un « gilet » venu de Chalon-sur-Saône à pied. Ces gens seront parmi les rares protestataires qu’Emmanuel Macron a rencontrés durant cette crise ouverte le 17 novembre, où sa capacité à réformer et sa popularité se sont abîmées, mais où il a aussi perdu une part de sa liberté.

    Sans prévenir les élus, il est venu au Puy apporter son soutien au préfet. Celui-ci montre les armoires en cendres, les vitres brisées, les bureaux noircis par la suie. Il conte au chef de l’Etat ce samedi où le « portail a été pété », les pneus entassés et enflammés, et cette bataille inégale entre les « trente » de la préfecture et les deux cents manifestants empêchant les pompiers d’accéder au bâtiment. Bilan : trente-huit blessés… « Ils criaient : “Vous allez tous griller comme des poulets ! », termine le préfet. « Vous les connaissez ? », interroge Emmanuel Macron, incrédule.

    Dès que l’avion présidentiel s’est posé à Loudes, la nouvelle de sa visite s’est ébruitée. Un message posté sur Facebook a réveillé quelques « gilets jaunes ». Une vingtaine d’hommes et de femmes attendent le chef de l’État à la sortie de la préfecture. « Ouuuuuh ! Démission ! », « Enculé ! », « Président des riches ! » Pas encore de quoi trop s’émouvoir. C’est sur la route de la caserne de gendarmerie que tout va basculer…

    « On vous hait ! »

    M. Macron commence par traverser Le Puy vitre ouverte, pour dire bonjour. Des insultes lui répondent, il doit vite la remonter. Un homme se jette ensuite devant la voiture. En sortant de la caserne, cinquante manifestants l’injurient encore : « On vous hait ! »

    L’échange promis à la presse locale est annulé. Les services de sécurité exfiltrent le président par une sortie annexe. De la séquence ne reste que l’image d’un démarrage en trombe sous les huées. Quelques jours plus tard, le chef de l’État racontera au président du MoDem François Bayrou que, de la voiture, il a entendu une femme lancer : « Salope, j’espère que tu vas crever sur la route ! »

    Emmanuel Macron aime pourtant les promenades. Dès son arrivée au ministère de l’économie, en 2014, il avait fait de ces échappées sa griffe. Elles étaient à la fois le thermomètre de sa popularité et un moyen d’asseoir sa notoriété. « Il est où, Emmanuel ? », s’agaçait François Hollande à chaque déplacement avec lui. « Emmanuel » traînait derrière. Selfies, autographes, bisous, il se régalait. Mais, depuis que les « gilets jaunes » le traquent sur Facebook, ces déambulations sont impensables. Il voyage incognito, ou alors sans caméras.

    Jeudi 20 décembre, c’est avec l’AFP et France-info, ces médias de « l’ancien monde », qu’il est allé à Soissons, dans l’Aisne, visiter sans prévenir un centre pour enfants victimes de maltraitance. Officiellement, personne n’a été exclu du voyage, mais il fallait éviter les caméras, en cas d’incident. « S’il ne prévient pas avant de partir, c’est qu’il sait déjà qu’il risque de s’en prendre plein la figure », confirme un conseiller. Sa photographe officielle, Soazig de la Moissonnière, envoie seule quelques clichés où le président, décontracté au milieu de son équipe, rit à la table d’un restaurant Courtepaille, à Mareuil-lès-Meaux (Seine-et-Marne).

    Gibets, cibles et cercueils

    Deux jours avant les injures du Puy-en-Velay, sa petite promenade à pied au milieu des vitrines fracassées de l’avenue Kléber, à Paris, avait déjà mal tourné. Il revenait alors d’Argentine, où il avait participé au G20. Sur les portables de ses collaborateurs, il a découvert de Buenos Aires les images des violences du 1er décembre et il se rend à l’Arc de triomphe saccagé avant de partir à la rencontre des commerçants. Mais des « gilets jaunes » débarquent. Copieusement sifflé, il doit s’éclipser sous la protection des policiers.

    Avant le 11-Novembre, « il était déjà revenu de son périple dans l’est de la France très conscient qu’une colère grondait », assure Philippe Grangeon, l’un de ses conseillers. Mais c’était au temps où l’Élysée pouvait encore accuser les médias de grossir le trait. « Je parle aux gens, ça se passe bien, mais les journalistes écrivent à l’avance un scénario où je me ferais sans cesse alpaguer, comme si j’étais un personnage de télé-réalité ! », se plaint Emmanuel Macron devant les ministres Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Jean-Michel Blanquer et François de Rugy qu’il reçoit à l’Élysée au retour de sa fameuse « itinérance mémorielle » dans onze départements. Ce n’est qu’à la deuxième journée de mobilisation des « gilets jaunes », le 24 novembre, qu’il évoque des « scènes de guerre ». Une semaine plus tard, l’Arc de triomphe est pris d’assaut.

    « Je connais cette violence et cette vulgarité, ce sont les mêmes qui étaient déposées dans la boîte aux lettres de mes parents, lorsque j’ai rencontré Emmanuel », assure Brigitte Macron à ses conseillers désolés. Sauf qu’à l’époque les insultes n’étaient pas si menaçantes. Désormais, les manifestants crachent sur les vitrines et prennent à partie les employés de la chocolaterie familiale d’Amiens. « J’ai l’impression d’être un bouc émissaire, un défouloir » : le 4 décembre, Jean-Alexandre Trogneux, propriétaire du commerce, se fend d’une mise au point : la boutique n’appartient pas au président, son oncle par alliance. Un internaute de la Somme, terre des plus farouches ennemis du président – le député François Ruffin et l’écrivain Edouard Louis –, est placé en garde à vue.

    Dans les « manifs », l’effigie du président est lardée de coups de couteau, ligotée par des chaînes, ensanglantée. Gibets, cibles, cercueils trônent devant les cahutes de bord de route. Sur les sites des manifestants, on parle de lui « jeter des pierres » et même de « le pendre ». Quant aux comptes Facebook d’Eric Drouet et de Priscillia Ludosky, deux des initiateurs du mouvement, ils relaient un faux « mandat d’arrêt » contre Emmanuel Macron, coupable de « haute trahison. »

    Déplacements officiels annulés

    Il n’y a pas que les coups de menton ou de gueule sur les réseaux sociaux. Dans la nuit du 14 au 15 décembre, le député (La République en marche, LRM) de l’Eure Bruno Questel voit débouler devant chez lui « un groupe d’hommes, mais aussi de femmes, largement alcoolisés ». Des visages déjà croisés dix fois dans cette circonscription où il a été élu maire en 2002, conseiller général et enfin parlementaire.

    « Ils voulaient s’installer chez moi », raconte le député au téléphone à Emmanuel Macron et à son premier ministre, Edouard Philippe, après que la police a retrouvé six douilles de cartouches tirées devant sa maison. Même le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, pratiquement inconnu du grand public, a vu ses enfants menacés.

    A Paris, les époux Macron aimaient improviser un dîner à La Rotonde, cette brasserie de Montparnasse où les patrons leur arrangent toujours une table au fond du restaurant. Ils étaient même allés voir Le Grand Bain, le « feel good movie » de Gilles Lellouche, dans une « vraie » salle de cinéma. Trop dangereux aujourd’hui. Depuis le 1er décembre, Brigitte Macron n’a pas franchi les limites du périphérique, se contentant, sans aucune publicité, d’une visite à l’hôpital des Invalides, d’une autre à Necker, d’une troisième à l’Institut de la mémoire de la Pitié-Salpêtrière.

    Adieu les longs week-ends à la Lanterne, aux confins du parc du château de Versailles, où Brigitte Macron a l’habitude d’acheter son pain dans les boulangeries avoisinantes : depuis la mi-novembre, les séjours sont brefs et rares. Hormis sa visite surprise à Soissons, le président lui-même est peu sorti de l’Élysée. Le ministère de l’intérieur craint des bousculades, une agression, voire bien pire. Ses agendas ont été vidés, des déplacements officiels annulés : sa visite en Serbie, les 5 et 6 décembre, puis son séjour à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), le 18 décembre, afin de préparer le G7 de 2019 en compagnie de 150 ambassadeurs. L’agenda officiel est loin d’être rempli. « Il est en réunion interne », répond son service de communication.

    Aucun de ceux qui l’entourent n’a souvenir d’un tel rejet sur le terrain. Seul Bruno Le Maire, lorsqu’il était le ministre de l’agriculture de Nicolas Sarkozy, a connu les quolibets et les tas de fumier déversés sur son passage. Pour les jeunes conseillers de l’Élysée, l’expérience est inédite. « On ne va pas finir le quinquennat dans un abri antiatomique », expliquait au Monde le chargé de la communication de l’Élysée, Sylvain Fort, en prenant ses fonctions après l’« affaire » Benalla. « Débunkériser », disait-on alors au Palais. Devant l’association de la presse présidentielle, à la Maison des polytechniciens, le 17 décembre, il détaille cette fois la menace que fait peser sur le président une « défiance transformée en sécession ».

    « Il ne sort plus sans se maquiller »

    Devant les députés LRM, ou en conseil des ministres, Emmanuel Macron ne laisse échapper aucune fébrilité. Occupé à ne pas imposer ses certitudes, il laisse les autres parler. Mais ceux qui le croisent notent sa fatigue. « Il ne sort plus sans se maquiller tellement il est marqué. Il se maquille même les mains », assure un député LRM qui a l’oreille du chef de l’État. Lors de son allocution enregistrée à l’Élysée, le 10 décembre, plus de 23 millions de téléspectateurs découvrent un président mal rasé et amaigri.

    L’Élysée est devenu un huis clos où les corps étrangers sont de plus en plus rares. Le président (Les Républicains) du Sénat, Gérard Larcher, ou l’ancien chef de l’État Nicolas Sarkozy ont été reçus les 4 et 7 décembre. Le jeudi, John Chambers, l’ex-patron du groupe informatique Cisco devenu ambassadeur de la French Tech à l’international, a aussi franchi le perron du Palais avec une quarantaine de « capital-risqueurs » et d’investisseurs venus découvrir de prometteuses jeunes pousses françaises. Mais le chef de l’État a surtout consulté son premier cercle.

    Depuis que les présidents communiquent par messagerie privée, les « visiteurs du soir » sont rares, ou plus exactement leurs visites sont désormais virtuelles. Emmanuel Macron possède deux téléphones et passe de l’un à l’autre. Naguère, les conseillers ou les gardes guettaient l’heure à laquelle il quittait son bureau et éteignait les lumières. Aujourd’hui, ceux qui communiquent avec lui par Telegram notent l’heure à laquelle il cesse ses consultations : 2 heures, 3 heures du matin…

    Il échange évidemment avec son secrétaire général et son premier ministre, qui ont longtemps plaidé que des concessions aux « gilets jaunes » obéreraient la capacité de réforme du gouvernement. Mais ces dernières semaines, Philippe Grangeon, François Bayrou et Richard Ferrand (président de l’Assemblée nationale), les « sociaux », comme on les appelle, ont joué les premiers rôles dans l’entourage du chef de l’État. Avec Jean-Paul Delevoye (haut-commissaire à la réforme des retraites), ces trois-là ont participé à la vidéoconférence qu’Emmanuel Macron a organisée le 8 décembre à l’Élysée afin de réfléchir à la sortie de crise. C’est avec eux, ces représentants du vieux monde, qu’il s’est convaincu de lâcher plus de 10 milliards d’euros pour « sauver le capital des réformes ».

    Pas de trêve pour son anniversaire

    Insulté sur les réseaux sociaux, le président n’ignore pas la tentation et les références révolutionnaires d’une partie des émeutiers. « Le référendum d’initiative citoyenne n’est pas conçu par ses initiateurs – qui ne sont pas des gentils “gilets jaunes”, mais des complotistes de la pire espèce – comme un outil démocratique mais comme un outil de sédition », a encore confié Sylvain Fort, lundi 17 décembre.

    Quand une partie de l’extrême gauche s’est mise à espérer tout haut que la police rejoigne le mouvement de contestation, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a été prié d’éteindre au plus vite la sourde fronde au sein des forces de l’ordre. Une prime de 300 euros a été attribuée à 110 000 policiers et gendarmes, ainsi qu’une hausse de salaire de 150 euros.

    Même au sein de l’armée, il a fallu menacer de sanctions une dizaine de généraux, un amiral et un colonel de la 2e section, c’est-à-dire retraités mais encore mobilisables, après qu’ils ont signé une lettre ouverte sur un site d’extrême droite.

    « Vous ne pouvez pas décider seul d’effacer nos repères civilisationnels et nous priver de notre patrie charnelle, disait le texte, en s’insurgeant de la signature par la France du pacte de Marrakech (Maroc) sur les migrations. Vous êtes comptable devant les Français de vos actions. Votre élection ne constitue pas un blanc-seing. » Des airs de putsch ? En tout cas un affront pour le président, qui est aussi le chef des armées, et déteste qu’elles le contestent.

    Vendredi 21 décembre, c’était son anniversaire. Quarante et un ans. Encore une jeunesse. Évidemment, Facebook a repéré l’événement et appelé à « pourrir la fête ». Pas de trêve, au contraire. « A bas sa majesté Macron ! », « Dégage Macron Ier ! », continuent de crier les « gilets jaunes » sur les ronds-points rasés puis reconstruits. Rond-point de la Jaunaie, à Redon, en Ille-et-Vilaine, une nouvelle guillotine vient d’être installée : « On veut juste qu’il comprenne qu’il faut qu’il s’en aille », explique une manifestante.

    Voilà le jeune président rattrapé par le fameux « dégagisme » qui l’a aidé à se hisser à la tête du pouvoir, mais aussi par ses analyses historiques et ses critiques sur la « normalisation » progressive des présidents de la Ve République. En juillet 2015, dans l’hebdomadaire Le 1, il assurait que le grand « absent » de « la politique française » était « la figure du roi », dont « fondamentalement le peuple français n’a [vait] pas voulu la mort ». A l’époque, il pensait encore qu’il manquait un roi à la France.

    Raphaëlle Bacqué, Ariane Chemin, Virginie Maling . Publié dans #LeMonde.
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/22/emmanuel-macron-a-huis-clos-en-son-palais_5401266_823448.html

  • La coupable indulgence du Collège de France vis-à-vis d’Israël -
    AURDIP

    http://www.aurdip.org/la-coupable-indulgence-du-college-3025.html

    Le Collège de France compte tenir le 7 juin une journée d’études en collaboration avec l’université de Tel Aviv. Cette journée doit se conclure par la signature d’un accord de coopération et s’insérer dans le cadre de la saison croisée France-Israël. Mettre ainsi à l’honneur un Etat qui enferme dans un ghetto une population de 2 millions d’habitants et tire sur la foule lorsque celle-ci tente de rompre son joug est inadmissible.

    Contacté, l’initiateur de cette journée nous a répondu qu’elle était prévue de longue date et ne mettra nullement à l’honneur un État, mais relèvera des échanges scientifiques ordinaires que le Collège de France entretient avec des établissements de recherche et d’enseignement dans le monde entier. Autrement dit, « business as usual ». Ainsi donc plus de 120 tués et plus de 13000 blessés par l’armée israélienne ne suffisent pas au Collège de France pour réévaluer l’opportunité de tenir cette journée, de signer cet accord de coopération et de participer à cette saison croisée France-Israël indigne. L’assassinat de civils, d’enfants, de journalistes et de personnels médicaux par des tirs de snipers ne justifie-t-il pas aux yeux du Collège de France la moindre réaction ?

    La signature d’un accord de coopération avec l’université de Tel Aviv est d’autant plus scandaleuse qu’est affilié à cette dernière l’Institut pour les études nationales de sécurité (INSS, Institute for National Security Studies), où a été forgée par le général Gadi Eizenkot la doctrine Dahiya de la force disproportionnée. Ainsi que l’explique Gabi Siboni, un analyste de l’INSS : « L’armée israélienne réagira immédiatement, de manière décisive et avec une force disproportionnée aux actions ennemies et aux menaces qu’il pose. Une telle réponse a pour but d’infliger des dommages et une punition à un point qui nécessitera des processus longs et coûteux de reconstruction. » Cette doctrine a été appliquée dans le passé par Israël lors de bombardements du Liban et de Gaza.

  • Je suis hyper fier que sorte enfin cet article sur lequel j’ai travaillé depuis près de 5 ans :

    Soixante-dix ans de chansons pour la Palestine
    Emmanuel Dror, Contretemps, le 31 mai 2018
    http://www.contretemps.eu/chansons-palestine

    Je serais curieux d’avoir l’avis, les commentaires et les critiques des éminent.e.s spécialistes de la question sur seenthis...

    J’ai réuni ici 181 chansons (dont 167 qui sont dans la playlist youtube qui accompagne cet article), de plus d’une trentaine de pays, avec leur contexte historique, politique et culturel.
    https://www.youtube.com/watch?v=g2T5fvq7S5c&list=PLkeA_mTMOkTsshUhOlBgZqPYx4UrLNCvh&index=2

    La Palestine vaincra, et comme dit Saleh Bakri, la musique sera l’âme de la révolution !

    #Palestine #Musique #Musique_et_politique #shameless_autopromo

  • L’antiquité était-elle blanche de peau ?

    " Pour avoir défendu, en 2017, un dessin animé de la BBC qui dépeignait un officier de la légion romaine, habitant l’île ­britannique, sous les traits d’un homme noir, l’historienne Mary Beard, professeure à Cambridge, a été l’objet d’une ­campagne infamante sur les réseaux ­sociaux. Dernièrement, la diffusion d’une série (BBC One/Netflix), « Troie. La chute d’une cité », a suscité de nombreuses critiques : Achille est joué par David Gyasi, un acteur britannique de peau noire. Que vous inspire la vivacité de ces réactions ?

    On ne touche pas à l’Antiquité gréco-romaine ! Depuis la ­Renaissance, au moins, elle est la surface de projection des fantasmes, des désirs et des peurs contemporains. Comme elle ne peut guère se défendre et que, au-delà des spécialistes et des étudiants, la connaissance que le grand public en a se résume à quelques images de péplum, elle est très plastique : conjointement matrice de la démocratie (Athènes), forge des empires (Rome), utopie militaro-homo-érotique (Sparte), etc., elle est un palimpseste qui illustre bien que toute histoire est contemporaine. En l’espèce, elle est le conservatoire supposé d’une identité européenne blanche, bien plus prestigieuse qu’un Moyen Age, qui a ses mérites Charles Martel, les croisades , mais qui apparaît comme irréductiblement mal dégrossi. Il est bien plus valorisant de se réclamer d’un Périclès nimbé de lumière que d’un hobereau sale et velu.

    Comment intervient ici le mythe de la pureté des origines ? Dans vos travaux, vous rappelez que, pour les nazis, la Grèce et Rome ont dû leur chute à un « empoisonnement de leur sang », comme l’écrivait Hitler. Est-ce la même peur de « souiller » l’origine qui se rejoue ?

    A la fin des années 1970, la nouvelle droite française crée une sorte de think tank baptisé GRECE. Ce Groupe de recherche et d’étude sur la civilisation européenne recycle alors sans ­­bar­guigner tous les travaux des spécialistes nazis de la race « nordique » pour réaffirmer que l’Europe ne peut être sauvée, dans un ­contexte de turbulences et de migrations internationales les boat people, à l’époque , que si elle demeure fidèle à son identité originelle supposée. La thèse, assez banale, est ­essentialiste et continuiste : il y a une essence culturelle et ­biologique de l’Europe, et les plumitifs du GRECE en sont les ­rejetons en ligne directe.

    Pour des esprits anxieux en quête d’identité et de repères, la Grèce et Rome sont une bénédiction : les mathématiques, la ­philosophie, le droit, les légions et toute une palette d’amé­nités érotiques ont été inventés par des Blancs européens qui ont su, dit-on, ériger des murs comme Hadrien et porter le fer en Asie et en Afrique. Ce catéchisme à l’usage des identi­taires est consternant.

    Outre les résistances idéologiques, d’autres explications ne peuvent-elles pas être données à ces réticences, ­notamment le fait que nous nous représentons la Grèce ­antique (ses ­temples, ses statues, ses tuniques, ses ­habitants...) comme d’une blancheur uniforme ?

    Le « mythe de la Grèce blanche » a été très travaillé par l’historien Philippe Jockey, qui montre bien que, s’il ne nous reste de la Grèce que le squelette blanchi de ses ruines, l’architectonique et la sculpture grecques étaient chatoyantes, riches de couleurs, comme les cathédrales médiévales. Lieu fantasmé d’une pureté originelle supposée, l’Antiquité était un carrefour d’échanges et de mélanges : les Germains ont commencé à écrire en runes en imitant l’alphabet grec, et la pax romana a permis des circulations et des mobilités à large échelle. Les Zemmour de l’époque dénoncent déjà le « grand remplacement » des Romains des origines par les Levantins, les Arabes et les Juifs : Juvénal s’émeut, dans une formule célèbre, que l’Oronte s’écoule dans le Tibre.

    Les nazis ne s’y étaient pas trompés : dans leur recherche obsessionnelle du moment incontestable de pureté immaculée, ils ne cessent de reculer le terme chronologique. Aux yeux de leurs ­historiens, le Ve siècle avant notre ère est déjà, en Grèce, un ­moment de perdition biologique et culturelle. On voit bien, à cet exemple, combien le fantasme identitaire se détruit lui-même : le raisonnement récursif, la quête de la pureté, est une vis d’Archimède qui enferme les esprits dans des représentations fantasmatiques et dans des cercles vicieux. Au lieu de perdre son temps à ces âneries, on peut tout aussi bien lire ces livres qui nous peignent une Antiquité à hauteur d’hommes qui furent et vécurent : ceux de Paul Veyne, de Corinne Bonnet, de Giusto Traina..."

    [ Johann Chapoutot , Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Sorbonne. Spécialiste du nazisme, il est notamment l’auteur du livre Le National-socialisme et l’Antiquité (PUF, 2008).]

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/11/l-antiquite-etait-elle-blanche-de-peau_5297319_3232.html

  • Dans la bande de Gaza, la marche du désespoir des Palestiniens
    LE MONDE | 31.03.2018 à 06h44 • Mis à jour le 31.03.2018 à 10h46 | Par Piotr Smolar (bande de Gaza, envoyé spécial)
    http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/03/31/a-la-frontiere-de-la-bande-de-gaza-une-grande-marche-du-retour-pacifique-mai

    (...) « On est debout, on existe »

    Cette journée marque un succès amer pour les partisans d’une résistance populaire pacifique, qui ont constaté depuis longtemps l’échec de la lutte armée. D’autant que la supériorité technologique de l’armée israélienne ne cesse de s’accroître. La manifestation de vendredi place cette armée sur la défensive, obligée de justifier des tirs à balles réelles sur des manifestants ne présentant aucun danger immédiat pour les soldats.

    Toutes les factions, Hamas en tête, avaient appelé les Gazaouis à participer. Elles ont fourni un appui logistique, affrété des bus. Des appels ont été diffusés dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans les mosquées. Mais contrairement aux propos calibrés des autorités israéliennes, personne n’a forcé les Gazaouis à sortir pour réclamer le droit au retour des Palestiniens sur les terres qu’ils ont perdues en 1948, au moment de la création d’Israël.

    Gaza compte 1,3 million de réfugiés sur une population de près de 2 millions. « Je n’appartiens pas à une faction, mais à mon peuple, résume Rawhi Al-Haj Ali, 48 ans, vendeur de matériaux de construction. C’est mon sang et mon cœur qui m’ont poussé à venir. »

    Non loin de lui, dans la zone de rassemblement de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza, Ghalib Koulab ne dit pas autre chose, sous le regard de son fils. « On veut envoyer un message à l’occupant, résume cet homme de 50 ans. On est debout, on existe. » L’ancien village de ses parents est situé quelques kilomètres derrière la clôture. (...)

    Les soldats israéliens près de la frontière avec la bande de Gaza lors de la « grande marche du retour » palestinienne, le 30 mars. AMIR COHEN / REUTERS

  • Voici comment #Maxime_Rodinson concluait son fameux article "Israel, fait colonial ?" (1968)

    « Prendre conscience du caractère colonial de l’État d’Israël, c’est commencer à s’expliquer pourquoi la pression des faits contribue tant à pousser Israël dans le camp des puissances occidentales et pourquoi une autre orientation demanderait des éléments progressistes d’Israël des efforts héroïques. C’est surtout comprendre les réactions arabes et celles des peuples du tiers monde qui sont dans la même situation. Ceux qui cataloguent tous les mouvements et tous les régimes arabes automatiquement comme fascistes du seul fait qu’ils s’opposent à Israël répandent une conception erronée et profondément néfaste du problème. De même, tous ceux qui s’en tiennent à la légende de la haine gratuite des Arabes envers les Juifs ou à la thèse du mythe machiavélique élaboré consciemment s’égarent et égarent les autres. S’il y a, en effet, haine qui souvent dépasse la mesure, si les gouvernants et les idéologues construisent des mythes mobilisateurs autour du fait palestinien, c’est sur la base d’une donnée objective donc les dirigeants sionistes sont responsables, la colonisation d’une terre étrangère. Juger moralement condamnable la révolte des Arabes contre une situation coloniale est permis à un partisan de la non-violence. La moindre cohérence de pensée interdit une telle condamnation morale à un anticolonialiste qui admet ailleurs la lutte armée. Il peut au maximum trouver cette révolte inopportune pour le moment.

    Il en résulte que faire fond sur un régime social nouveau en pays arabe pour accepter Israël est une illusion dangereuse. Disons-le sans ambages, quitte à peiner ou à indigner les conformistes de gauche qui croient que la révolution sociale résout tous les problèmes. Il n’y a pas de « solution révolutionnaire » au problème israélo-arabe. C’est aux Arabes en tant que peuple que la création d’Israël a été un affront. Aucun régime ne peut l’accepter de son plein gré. Les circonstances politiques internationales ou internes peuvent peut-être un jour forcer à reconnaître Israël. Mais ce ne peut être en vertu d’une idéologie qui admettrait le bien-fondé de la colonisation israélienne. Au contraire, ce sont les régimes les plus socialisants qui se sont montrés les plus revendicatifs. Croire le contraire, c’est manifester une profonde ignorance des conditions locales ou être profondément égaré par la passion idéologique. Les émeutes de Jordanie à la suite du raid de représailles israélien dans la région d’Hébron, événements qui se déroulent au moment où j’achève cet article, montrent bien les dangers de l’interprétation habituelle de l’hostilité arabe à Israël. Comment ceux qui l’expliquent comme une création artificielle de gouvernements et de mouvements « fascistes » peuvent-ils expliquer la profondeur de l’indignation palestinienne révélée par ces mouvements ? Comment ne s’aperçoivent-ils pas que leur interprétation rejoint celle par laquelle tous les États colonialistes ont justifié leur répression des mouvements de libération indigènes ? Et le gouvernement Levi Eshkol lui-même a visiblement exclu de ses calculs l’éventualité d’un tel mouvement. Victime des propres mythes sionistes, il a été amené par eux à fausser les données du problème qui se posaient à lui. Phénomène classique, mais dangereux.

    Il est possible que la guerre soit la seule issue a la situation créée par le sionisme. Je laisse à d’autres le soin de s’en réjouir. Mais s’il y a quelque chance de voir un jour une solution pacifique, on n’y arrivera pas en disant aux Arabes qu’ils ont le devoir d’applaudir leurs conquérants parce que ceux-ci sont européens ou en voie d’européanisation, parce qu’ils sont « développés », parce qu’ils sont révolutionnaires ou socialistes (virtuellement !), encore moins parce qu’ils sont tout simplement juifs ! Le maximum qu’on peut demander d’eux est qu’ils se résignent à une situation désagréable et qu’en se résignant ils tirent parti de leur résignation. Obtenir d’un vaincu qu’il se résigne à sa défaite n’est pas facile et on ne facilite pas cette démarche en claironnant combien on a eu raison de le rosser. Il est plus judicieux en général de lui offrir des compensations. Et ceux qui n’ont pas souffert de la bagarre peuvent (et même doivent, je crois) prêcher le pardon des injures. Ils ont peu de titres à l’exiger. »

  • Palestinian Girl Praised as Hero After Confronting Soldiers - The #New_York_Times
    https://www.nytimes.com/aponline/2017/12/20/world/middleeast/ap-ml-israel-palestinians-soldiers-kicked.html

    Le soit-disant #journalisme soit-disant « objectif » non seulement ne trouve rien à redire à un appel au #viol de mineure, mais le qualifie de #représailles.

    Ben Caspit, a journalist for the Maariv daily, [...] called for retaliation against the Tamimi family.

    “In the case of the girls, we should exact a price at some other opportunity, in the dark, without witnesses and cameras,” he wrote.

    Et après ça crie au scandale quand #Russia_Times fait de l’audience.

    #Israel #Associated_press #Etats-Unis #sans_vergogne

  • Le rôle positif de la colonisation

    « Ce récit [de Bartolomé de Las Casas] est unique et mérite qu’on le cite longuement : « D’innombrables témoignages [...] prouvent le tempérament pacifique et doux des indigènes. [...] Pourtant, notre activité n’a consisté qu’à les exaspérer, les piller, les tuer, les mutiler et les détruire. Peu surprenant, dès lors, qu’ils essaient de tuer l’un des nôtres de temps à autre. [...] L’amiral [Colomb], il est vrai, était à ce sujet aussi aveugle que ses successeurs et si anxieux de satisfaire le roi qu’il commit des crimes irréparables contre les Indiens. »
    Las Casas nous raconte comment les Espagnols « devenaient chaque jour plus vaniteux » et, après quelques temps, refusaient même de marcher sur la moindre distance. Lorsqu’ils « étaient pressés, ils se déplaçaient à dos d’Indien » ou bien ils se faisaient transporter dans des hamacs par des Indiens qui devaient courir en se relayant. « Dans ce cas, ils se faisaient aussi accompagner d’Indiens portant de grandes feuilles de palmier pour les protéger du soleil et pour les éventer. »
    La maîtrise totale engendrant la plus totale cruauté, les Espagnols « ne se gênaient pas pour passer des dizaines ou des vingtaines d’Indiens par le fil de l’épée ou pour tester le tranchant de leurs lames sur eux. » Las Casas raconte aussi comment « deux de ces soi-disant chrétiens, ayant rencontré deux jeunes Indiens avec des perroquets, s’emparèrent des perroquets et par pur caprice décapitèrent les deux garçons. »
    Les tentatives de réaction de la part des Indiens échouèrent toutes. Enfin, continue Las Casas, « ils suaient sang et eau dans les mines ou autres travaux forcés, dans un silence désespéré, n’ayant nulle âme au monde vers qui se tourner pour obtenir de l’aide ». Il décrit également ce travail dans les mines : « Les montagnes sont fouillées, de la base au sommet et du sommet à la base, un millier de fois. Ils piochent, cassent les rochers, déplacent les pierres et transportent les gravats sur leur dos pour les laver dans les rivières. Ceux qui lavent l’or demeurent dans l’eau en permanence et leur dos perpétuellement courbé achève de les briser. En outre, lorsque l’eau envahit les galeries, la tâche la plus harassante de toutes consister à écoper et à la rejeter à l’extérieur. »
    Après six ou huit mois de travail dans les mines (laps de temps requis pour que chaque équipe puisse extraire suffisamment d’or pour le faire fondre), un tiers des hommes étaient morts.
    Pendant que les hommes étaient envoyés au loin dans les mines, les femmes restaient à travailler le sol, confrontées à l’épouvantable tâche de piocher la terre pour préparer de nouveaux terrains destinés à la culture du manioc.
    « Les maris et les femmes ne se retrouvaient que tous les huit ou dix mois et étaient alors si harassés et déprimés [...] qu’ils cessèrent de procréer. Quant aux nouveaux-nés, ils mouraient très rapidement car leurs mères, affamées et accablées de travail, n’avaient plus de lait pour les nourrir. C’est ainsi que lorsque j’étais à Cuba sept mille enfants moururent en trois mois seulement. Certaines mères, au désespoir, noyaient même leurs bébés. [...] En bref, les maris mouraient dans les mines, les femmes mouraient au travail et les enfants mouraient faute de lait maternel. [...] Rapidement, cette terre qui avait été si belle, si prometteuse et si fertile [...] se trouva dépeuplée. [...] J’ai vu de mes yeux tous ces actes si contraire à la nature humaine et j’en tremble au moment que j’écris. ». »

    [ Howard #Zinn , "Une histoire populaire des Etats-Unis. De 1492 à nos jours."]

    #LasCasas

  • Ces "responsables" qui nous déclarent irresponsables

    Nous en avons assez des tergiversations et des atermoiements de tous ces "responsables" élus par nous qui nous déclarent "irresponsables" lorsque nous leur rappelons les promesses qu’ils nous ont faites. Nous en avons assez du racisme d’Etat qu’ils autorisent. Aujourd’hui même, un de mes amis, français d’origine algérienne, me racontait l’histoire de sa fille, venue pour se réinscrire à la fac, à qui une employée de l’Université demandait, le plus naturellement du monde, de présenter ses papiers, son passeport, au seul vu de son nom à consonance arabe.

    Pour en finir une fois pour toutes avec ces brimades et ces humiliations, impensables il y a quelques années, il faut marquer une rupture claire avec une législation hypocrite qui n’est qu’une immense concession à la xénophobie du Front national. Abroger les lois Pasqua et Debré évidemment, mais surtotu en finir avec tous les propos hypocrites de tous lesp oliticiens qui, à un moment où l’on revient sur les compromissions de la bureaucratie française dans l’extermination des juifs, donnent pratiquement licence à tous ceux qui, dans la bureaucratie, sont en mesure d’exprimer leurs pulsions les plus bêtement xénophobes comme l’employée d’université que j’évoquais à l’instant.

    Il ne sert à rien de s’engager dans de grandes discussions juridiques sur les mérites comparés de telle ou telle loi. Il s’agit d’abolir purement et simplement une loi qui, par sn existence même, légitime les pratiques discriminatoires des fonctionnaires, petits ou grands, en contribuant à jeter une suspicion globale sur les étrangers – et pas n’importe lesquels évidemment. Qu’est-ce qu’un citoyen qui doit faire la preuve, à chaque instant, de sa citoyenneté ? ( Nombre de parents français d’origine algérienne se demandent quel prénom donner à leurs enfants pour leur éviter plus tard les tracasseries.

    Et le fonctionnaire qui harcelait la fille de mon ami s’étonnait qu’elle s’appelle Mélanie…)Je dis qu’une loi est raciste qui autorise un fonctionnaire quelconque à mettre en question la citoyenneté d’un citoyen au seul vu de son visage ou de son nom de famille, comme c’est le cas, mille fois par jour, aujourd’hui. Il est regrettable qu’il n’y ait pas, dans le gouvernement hautement policé qui nous a été offert par M. Jospin, un seul porteur de l’un ou l’autre de ces stigmates désignés à l’arbitraire irréprochable des fonctionnaires de l’Etat français, un visage noir ou un nom à consonance arabe, pour rappeler à M. Chevènement la distinction entre le droit et les mœurs, et qu’il y a des dispositions du droit qui autorisent les pires mœurs.

    Je livre tout ceci à la réflexion de ceux qui, silencieux ou indifférents aujourd’hui, viendront, dans trente ans, exprimer leur « repentance », en un temps où les jeunes Français d’origine algérienne seront prénommés Kelkal.

    [Pierre #Bourdieu, "Contre-feux"]

    #racismedétat

  • « Islamo-gauchisme » : Un mot pour interdire le débat

    Dans son savoureux manuel L’Art d’avoir toujours raison, le philosophe Arthur Schopenhauer conseille, au « stratagème n° 32 », d’utiliser « le principe de l’association dégradante » : « Lorsque l’on est confronté à une assertion de l’adversaire, écrit-il, [il suffit de la placer] dans une catégorie péjorative […]. [Dire] par exemple que c’est du manichéisme, ou de l’arianisme, du pélagianisme, de l’idéalisme, du spinosisme, du panthéisme… »

    Schopenhauer aurait vécu à notre époque, il aurait ajouté « islamo-gauchisme » à sa drôle de liste en « isme ». À peine proféré, le qualificatif a pour effet de stopper net tout dialogue. Interrogez-vous sur la loi sur le voile, avancez l’idée que l’« islamisation rampante » de la France n’est peut-être qu’un fantasme, proposez une lecture sociale de l’embrigadement jihadiste… Instantanément, un procès en « islamo-gauchisme » vous sera intenté.

    Récemment, Politis, mais aussi Mediapart et même Jean-Luc Mélenchon ont encore fait les frais de cette insulte polie. En réalité, comme nous le rappelons dans ce dossier, cette guerre entre les pseudo-« islamo-gauchistes » et les soi-disant « réalistes » ne date pas d’hier. La voilà violemment réactivée par un air du temps poisseux, où des réactionnaires de droite comme de gauche trouvent dans le terrorisme islamiste la toile de fond idéale pour remuer les peurs et exister médiatiquement. D’urgence, il faut donc que les mauvais polémistes d’aujourd’hui se remettent à réfléchir en se fondant sur des données claires et incontestables. Ayons l’outrecuidance de vouloir les y aider avec ce dossier.

    https://www.politis.fr/articles/2017/11/islamo-gauchisme-un-mot-pour-interdire-le-debat-37941

  • La répartition raciale de la culpabilité

    "Il y a de cela une dizaine d’années, nous fûmes étonné de constater
    que les Nord-Africains détestaient les hommes de couleur. Il nous
    était vraiment impossible d’entrer en contact avec les indigènes. Nous avons laissé l’Afrique à destination de la France, sans avoir compris la raison de cette animosité. Cependant, quelques faits nous avaient amené à réfléchir.

    Le Français n’aime pas le Juif qui n’aime pas l’Arabe, qui n’aime pas le nègre... À l’Arabe, on dit : « Si vous êtes pauvres, c’est parce que le Juif vous a roulés, vous a tout pris » ; au Juif, on dit : « Vous n’êtes pas sur le même pied que les Arabes parce qu’en fait vous êtes blancs et que vous, avez Bergson et Einstein » ; au nègre, on dit : « Vous êtes les meilleurs soldats de l’Empire français, les Arabes se croient supérieurs à vous, mais ils se trompent. »

    D’ailleurs, ce n’est pas vrai, on ne dit rien au nègre, on n’a, rien à lui dire, le tirailleur sénégalais est un tirailleur, le bon-tirailleur-à-son-capitaine, le brave qui ne-connaît-que-la-consigne.

    -- Toi pas passer.
    -- Pourquoi ?
    -- Moi y en a pas savoir. Toi pas passer.

    Le Blanc, incapable de faire face à toutes les revendications, se
    décharge des responsabilités. Moi j’appelle ce processus : la répartition raciale de la culpabilité. "

    [Frantz #Fanon, "Peau noire, masques blancs"]

    #Libye
    #racisme

  • « Le marché a démocratisé le droit de cuissage »

    « Oui, partons du « je », car on ne peut qu’être bouleversé de voir, par la grâce des médias nouveaux, déferler et converger soudain des millions de voix de femmes de tous milieux, continents, âges, disant #moiaussi, partons donc du « je » et disons oui certes #moiaussi j’ai été tripotée par divers profs, psys et patrons au long des années, sifflée et insultée dans la jungle de toutes les métropoles où j’ai vécu, me rappellerai toute ma vie ce jour d’été où, lestée de mes deux enfants et de plusieurs sacs de courses, je gravissais les marches du métro Sully-Morland à Paris quand un jeune homme, glissant une main sous ma robe, m’a palpé tranquillement le sexe avant de me dépasser et de s’éclipser – donc, d’abord, dénonciation de l’insupportable, oui, c’est positif, nécessaire.

    Si, ensuite, surmontant notre blessure personnelle, on s’élève un peu, on peut contempler notre pauvre espèce cheminant à travers les âges, inventant, imposant et rafistolant d’innombrables solutions au problème que pose le fait que la bandaison de papa ça ne se commande pas. A la vue d’une partenaire sexuelle potentielle, les jeunes mâles de notre espèce comme de toutes les espèces mammifères ont une érection involontaire. Mais voici le hic : étant une espèce fabulatrice programmée pour tout interpréter, nous percevons chaque événement comme l’effet d’une volonté. Un garçon qui bande en voyant une jolie fille estime que c’est la faute de celle-ci ; qu’« elle l’a bien cherché » en se donnant cette apparence-là. De son côté, la fille – qui, elle, n’a jamais fait l’expérience d’une érection – pense que si le garçon donne libre cours à son désir, il en est à cent pour cent responsable, donc blâmable. Le malentendu serait comique s’il ne causait tant de souffrances.

    L’érection est le principal problème de l’humanité depuis la nuit des temps. Toutes les religions ont su qu’il était indispensable de la gérer. Chez les monothéistes, la plupart des commandements ne concernent au fond que les garçons : attention, les avertissent-ils, ne suivez pas votre queue. Les sociétés laïques, soucieuses de liberté, d’égalité et de fraternité, ont négligé de réfléchir là-dessus. Tout en se félicitant des progrès des sciences, elles ont préféré ne pas tenir compte de leurs résultats.

    En France aujourd’hui, à force d’ignorer l’animalité (tout en accablant le porc innocent de nos… travers à nous) et de réfléchir exclusivement en termes de pouvoir, de domination, de construction et de mythe, ceux qui analysent le harcèlement sexuel finissent par le rendre incompréhensible. Obnubilé par notre étoile polaire le libre arbitre, certains de pouvoir tout choisir et décider de façon individuelle, on oublie que la sexualité est liée à la survie. Imagine-t-on analyser les pratiques humaines en matière de nourriture sans tenir compte du fait qu’on a besoin de manger pour rester en vie ?

    Repenser l’éducation des enfants

    Le harcèlement soulève en somme le dilemme central de l’humanité : concilier l’état animal et l’aspiration aux droits et aux libertés individuels. Beaucoup l’ont dit : il est essentiel de repenser l’éducation des enfants – dès tout-petits, oui, dès avant la cour de récré – mais surtout à l’approche de la puberté. Et on peut déplorer le fait qu’après avoir inspiré à toutes les sociétés traditionnelles des rites de passage de la plus grande importance, l’âge nubile soit passé sous silence par nos sociétés laïques. C’est que, soucieux de promouvoir l’égalité entre les sexes, nous rechignons à reconnaître ce qui les distingue. Or, que cela nous arrange ou non, à la puberté affleurent des différences palpables ; le problème est là. Si on préfère se pincer le nez et regarder ailleurs, on le laisse entier.
    Dans un troisième temps, on peut s’interroger sur les raisons de ce qui semble être une vraie épidémie de harcèlement sexuel sévissant en ce moment (surtout ?) dans nos sociétés avancées civilisées libertaires. J’avoue avoir été déroutée par la candeur – ou la dissociation ? – d’une jeune femme qui a trouvé normal de s’asseoir sur un canapé avec un producteur de cinéma riche et puissant pour lui montrer des photos de ses seins nus. Mais, même si le harcèlement sexuel sous une forme ou une autre est sans doute universel, il se peut que ce soit justement cette dissociation qui nous caractérise.

    En effet, tout en parlant liberté, nous avons instauré le double bind comme norme souriante. D’une main, on encourage les femmes à être sujets ; de l’autre, on les pousse de mille manières à se transformer en objets (et elles obtempèrent, hélas, dans les deux sens). D’un côté, on incite les hommes à bander en affichant partout de sublimes jeunes femmes super sexy en petite tenue ; de l’autre, on leur intime l’ordre de ne pas donner suite à leur émoi.

    Notre société est « allumeuse »

    Oui, notre société est « allumeuse » à un point sans précédent dans l’Histoire… et le plus drôle, c’est qu’on ne s’en aperçoit même pas ! Les industries du cinéma, de la publicité, des jeux vidéo, des armes à feu, de la beauté, de la pornographie, du régime, etc., manipulent nos désirs et besoins innés (celui des filles d’être belles et celui des garçons d’être forts) et les transforment en addictions. Elles renforcent et reconduisent des clichés qui nous touchent aux tripes pour la bonne raison qu’ils viennent du fond des âges, du fond de la jungle, et que deux petits siècles de « concepts » généreux ne suffisent pas pour défaire des dizaines de millénaires d’évolution.
    Elles déclarent aux habitants de toutes les villes du monde : « Regardez, hein ? Ça fait envie, n’est-ce pas ? Pourquoi ce ne se serait pas pour vous aussi ? » Et ça marche, excitant un désir diffus : indéfiniment frustré, donc renouvelable : Ah ! on peut être un mec comme ça ! Une fille comme ça ! Il suffit de… Et quand les hommes ont un geste déplacé (que n’auraient pas eu leur père ou leur grand-père, « inhibés » par les commandements religieux et le regard des proches), on leur tombe dessus : « Mais enfin ! de quel droit… ? »

    « Il n’est probablement pas très utile de repenser l’éducation sans repenser en même temps la société de consommation »

    En clair, en ôtant les freins posés au désir masculin par les structures religieuses « surannées » pour les remplacer par le laisser-faire économique, on n’a pas fait grand-chose d’autre que de démocratiser le droit de cuissage.

    Ainsi, même si nous aimons nous pavaner devant le reste du monde en nous vantant de notre liberté et en leur reprochant leurs mœurs répressives, nous ne sommes pas libres : ni les filles ni les garçons ; il faut le savoir. La seule chose libre là-dedans, c’est le marché. Il n’est probablement pas très utile de repenser l’éducation sans repenser en même temps la société de consommation, sans critiquer l’instrumentalisation du corps (masculin ou féminin) dans le but de vendre des produits, sans mettre des limites sévères à la tendance qu’ont les mâles alpha à s’arroger éhontément, non seulement les fesses des femelles, mais les ressources de la planète. »

    Nancy Huston

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/29/nancy-huston-le-marche-a-democratise-le-droit-de-cuissage_5207415_3232.html

  • Mme Badinter, allez porter une robe à fleurs à l’Assemblée !

    Burkinis, cafés non-mixtes, voile à l’Université, harcèlement de rue... d’inlassables polémiques ne cessent de faire courir la même petite musique : le problème de la condition des femmes en France, ce serait l’islam ou les étrangers. Autant de tentatives de dédouaner nos hommes autochtones ou sévissant dans les beaux quartiers.
    Pendant la Primaire de la droite où il ne fut pas besoin d’un quelconque voile pour souligner la quasi-invisibilité des femmes, ces messieurs ont vanté leurs valeurs laïques et féministes. Pourtant, rien sur l’ingérence politique de mouvements conservateurs comme la Manif Pour Tous et le très fillonniste Sens commun. Rien sur celle du Pape gendarmé contre la théorie du genre à l’école. Rien sur la participation de Jean-Frédéric Poisson à leur compétition, candidat ouvertement opposé au droit à l’avortement. Évidemment rien sur la publicité sexiste qui ne cesse de nous réduire à l’état d’objets sexuels, comme Yves-Saint Laurent, ou qui promeut la culture du viol comme Bagelstein.
    Pendant ce temps, les candidats aux législatives LR outrés contre le harcèlement de rue dans le nord de Paris ne comptent que 39% de femmes. Leur groupe a systématiquement voté contre tous les projets de délibération sur le genre et l’espace public au Conseil de Paris. Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, a diminué de plus de la moitié son soutien financier aux actions pour l’égalité femmes-hommes !
    À gauche, Manuel Valls a tenté d’attaquer son concurrent aux primaires Benoit Hamon sur le terrain des droits des femmes et de la laïcité. Lui qui s’était pourtant fait remonter les bretelles par le Conseil d’État désapprouvant les arrêtés hors-la-loi anti-burkini. Là aussi, quelle surprise de voir tous ces maires devenir de fervents défenseurs des droits des femmes alors que nous ne les avons jamais vu s’opposer à tous ceux qui tirent profit à millions sur le dos des violences faites aux femmes, publicitaires, marques de luxe, alors que l’affichage dans l’espace public est dans leurs prérogatives. Nous le réaffirmons, contraindre les femmes à se dévêtir comme à se rhabiller n’est qu’une humiliation et une violence sexiste de plus.
    Ainsi, dans notre pays où 120 femmes ont été tuées par leurs compagnons en 2016, où seules 14% des 220 000 femmes battues ont osé porter plainte, où une femme sur cinq subit un harcèlement sexuel au travail, où 230 sont violées chaque jour, où 100% sont harcelées dans l’espace public, le patriarcat serait le fait des étrangers ? Est-on entrain de créer implicitement un sexisme acceptable labellisé Made in France ?
    Féministes, nous nous insurgeons contre l’instrumentalisation de notre combat par une classe dominante au service de ses intérêts xénophobes et oligarchiques. En pointant du doigt le sexisme des autres, des étrangers, des classes sociales dominées, ils veulent dissimuler celui des puissants, garantir leur impunité par diversion voire alimenter leurs campagnes électorales.
    On vous le confirme : les femmes sont en insécurité partout, dans la rue, au foyer, au travail, en politique et jusque dans l’hémicycle du Palais Bourbon comme le dénonce le collectif des assistantes parlementaires "Chair collaboratrice". Pourquoi ? Parce que dans tous ces lieux, il y a des hommes, de toutes les couleurs, de toutes les classes sociales, élevés en société patriarcale avec des valeurs misogynes. Et quand on essaye d’en inculquer d’autres via des programmes scolaires contre le sexisme, les mêmes féministes de la dernière heure hurlent à la théorie du genre !
    Oui, le harcèlement sexiste sévit et jouit d’une quasi-totale impunité dans tous les environnements à forte concentration masculine, les places au soleil, des terrasses de cafés, les manifestations en passant près des cortèges syndicaux très masculins, les partis qui sont souvent des zones d’omerta, les festivals, les RDV d’hommes puissants en cols blancs au Carlton où ils ont fait subir des "boucheries" à des personnes prostituées, dans le milieu journalistique comme le dénonce le collectif "Prenons la Une" etc.
    Bref, de la mèche rousse de Donald Trump aux boucles brunes de Maxime Hamou, la misogynie est la tare la plus partagée entre les hommes ! Les violences sexistes n’ont ni pays ni frontières, n’ont d’autre lieu de naissance que le Patriarcat. Elles sont le résultat de tout un écosystème qui suppose l’existence d’inégalités sociales et de rapports de domination qui n’épargnent en rien les structures de pouvoir, au contraire, car plus on les pénètre, plus on se rapproche du système des « dominants », plus les violences contre les femmes sont manifestes... mais dissimulées. Avez-vous déjà regardé les vidéos des actions du collectif "la Barbe" dans les lieux de pouvoir ? Les interjections sexistes qu’elles reçoivent en pluie n’ont rien à envier à celles qui peuvent aussi arriver en longeant des terrasses de café.
    Loin de nous l’idée d’euphémiser quoique ce soit, où que ce soit, dans le Nord de Paris comme dans la baignoire hollywoodienne de Roman Polanski ou dans une chambre d’hôtel à New-York. En effet, mieux vaut éviter de porter des robes, des jupes ou des décolletés dans tous les endroits très masculinisés, paramètre qui a tendance à accentuer un rituel de construction de l’identité virile par la violence, la domination et l’humiliation des femmes.
    Ni la surenchère policière, ni les happenings de campagne racistes, ni la persécution des pauvres, ni la militarisation des quartiers, ni les contrôles au faciès, ni la chasse aux sans papiers, ne tireront d’affaire les femmes face aux violences masculines. Seules l’éducation, nos luttes, notre autodéfense et notre audace à briser la loi du silence nous permettront de défendre notre intégrité physique et morale. Grâce à l’insolence des féministes si souvent taxées de pisse-froid, le traitement de l’affaire Baupin en 2016 n’a pas été le même que celui de l’affaire DSK en 2011. Ses victimes n’ont pas été moquées comme l’avait été Tristane Banon. Maxime Hamou a écopé d’un bad buzz. Michel Sapin a dû s’excuser et s’expliquer. On avance grâce à notre intransigeance, et les années à venir nous donnent déjà raison.
    Qu’il plaise à la 67ème fortune de France, la grande bourgeoisie Badintériste, "féministe" qui signe des contrats juteux avec l’Arabie Saoudite, de nous faire croire qu’elle a peur de mettre des jupes lorsqu’elle va à la supérette à 22h porte de la Chapelle - on la croit -, on ne peut que l’inviter à faire cette brillante intervention à l’Assemblée en portant la robe à fleurs bleues de Cécile Duflot !

    – Fatima-Ezzahra Benomar - Porte-parole des effronté-e-s
    – Héloïse Raslebol - Cofondatrice du collectif Stop harcèlement de rue
    – Hanane Karimi - Ancienne porte-parole des Femmes dans la Mosquée
    – Sonia Nour - Afroféministe
    – Lorraine Questiaux - Secrétaire Générale du Mouvement du Nid
    – Charlotte Soulary- Cofondatrice du collectif Chair collaboratrice

    http://www.humanite.fr/texte-collectif-madame-badinter-allez-porter-une-robe-fleurs-lassemblee-637

  • Plongée dans la tête des kamikazes

    Après chaque attentat commandité ou inspiré par l’Etat islamique (EI), l’organisation publie un message de revendication exposant ses éléments de langage. Elle y martèle l’idée que ses opérations extérieures constituent une réponse aux bombardements de la " coalition internationale " en Syrie et en Irak, qui fragilisent son assise territoriale et la subsistance même du -" califat " autoproclamé.

    Cette lecture, parfaitement encadrée par ses organes de propagande, constitue l’argument central de l’EI pour légitimer les attentats de Paris, Bruxelles, Manchester ou Londres, et susciter de nouvelles vocations. Mais comment les candidats au martyre intègrent-ils ce mot d’ordre ? Comment justifient-ils auprès de leurs proches le mas-sacre de civils ? Quels sont les ressorts qui les convainquent, in fine, de sacrifier leur vie à cette cause ?

    Le Monde a analysé la façon dont les terroristes de Paris et de Bruxelles avaient justifié leurs missions en confrontant des lettres laissées à leurs proches, les déclarations des rares membres de cette cellule à avoir été interpellés et des éléments de propagande. Entre considérations géopolitiques, impératifs religieux et rêveries mystiques, leurs propos forment un tissu complexe décrivant le processus de fabrication d’un kamikaze.

    Un argumentaire ambigu, dans lequel le " djihad défensif " glisse insensiblement vers sa version offensive, la protection des musulmans désinhibant le désir d’une victoire finale de l’islam contre la " mécréance ". Sur cette base idéologique martelée par la propagande de l’EI se greffent des causes plus intimes : un sentiment de culpabilité qui, transcendé par la promesse d’un au-delà purificateur, achève de les convaincre de consentir au sacrifice ultime.

    Parmi les documents retrouvés par les enquêteurs figurent trois lettres manuscrites adressées par Salah Abdeslam à sa mère, à sa sœur et à sa petite amie. Les policiers ont également exhumé d’un ordinateur des fichiers enregistrés par les frères Ibrahim et Khalid El Bakraoui, qui se sont fait respectivement exploser à l’aéroport de Zaventem et dans le métro de Bruxelles, le 22 mars 2016. Là encore, les kamikazes s’adressent à des femmes : mère, sœur et compagne.

    Le " djihad défensif " : la défense des opprimés

    Le document le plus élaboré de cette correspondance est un enregistrement sonore de trente-trois minutes, réalisé par Ibrahim El Bakraoui, intitulé" Pour ma mère ". Dans ce message posthume, l’aîné de la fratrie anticipe les condamnations de responsables religieux et présente le djihad comme une réponse à l’oppression dont seraient victimes les musulmans.

    " Donc voilà, maman, tu vas entendre tout et n’importe quoi de la part des gens, donc je voudrais clarifier une ou deux situations (…). Il y a des personnes qui ont des barbes de deux mètres, qui connaissent Ie Coran par cœur, voilà, qui pratiquent, euh, l’islam on va dire ça comme ça. Mais ils mentent sur Allah et son Messager (…). Ils vont nous traiter de monstres, euh, de non-musulmans. Malgré qu’on n’a pas de science, malgré qu’on connaît pas le Coran par cœur, On a un cœur qui vit et (…) lorsqu’on voit les musulmans qui sont persécutés depuis des décennies (…) et que ces gens-là n’ont jamais déclaré le djihad dans le sentier d’Allah, mais qu’ils se permettent de critiquer les gens qui combattent, (…) notre rendez-vous avec eux le jour de la résurrection et devant Allah, exalté soit-il, on verra les arguments qu’ils vont avancer. "

    L’engagement djihadiste d’Ibrahim El Bakraoui, tel qu’il l’exprime, trouve son origine dans un sentiment de révolte et d’humiliation. A en croire les déclarations aux enquêteurs d’un de ses complices, Mohamed Abrini, cette colère sourde préexistait à la création de l’EI. " Ce genre de détermination, je l’avais déjà avant quand je voyais le massacre en Palestine ", explique le seul membre du commando à ne pas avoir déclenché sa bombe à l’aéroport de Bruxelles.

    Ce sentiment d’impuissance face aux souffrances des musulmans a atteint son acmé avec le déclenchement de la guerre civile syrienne. Il trouvera concomitamment une issue avec la proclamation du " califat ", le 29 juin 2014, perçu comme une promesse de réparation des humiliations passées.

    Dans son message à sa mère, Ibrahim El Bakraoui présente ainsi l’EI comme un espoir de revanche historique : " Maintenant, nous, gloire à Dieu, depuis des centaines d’années, on a perdu l’Andalousie, on a perdu la Palestine, on a perdu, euh, tous les pays musulmans en fait, l’Afghanistan, l’lrak, la Syrie, le Maroc, il est gouverné par un tyran, la Tunisie, l’Algérie tous les pays, gloire à Dieu, il y a un Etat islamique qui a été créé. "

    Cette fierté retrouvée de l’oumma (la communauté des musulmans), près d’un siècle après l’abolition du dernier califat ottoman, en 1924, Khalid El Bakraoui tente de l’expliquer à son épouse dans une lettre d’adieu manuscrite : " Sache Nawal qu’il y a toujours eu des Etat islamique. Le dernier a été detruit début des annes 1920, mais ensuite les gens ont abandonner le djihad et Allah depuis n’a cesser de nous humilier (…) Mais aujourd’hui nous avons un Etat islamique qui a remporter beaucoup de victoir. "

    Les promesses du nouveau " califat " seront rapidement contrariées, deux mois seulement après sa création, par la formation d’une coalition internationale visant à endiguer sa propagation. Les membres de cette offensive militaire deviennent aussitôt une cible privilégiée de l’EI. A compter de cette date, l’organisation multiplie les appels à frapper les pays occidentaux, au premier rang desquels la France.

    Cette lecture des attentats comme une réponse aux bombardements est développée devant les enquêteurs par Osama Krayem, qui affirme avoir renoncé à la dernière minute à déclencher sa bombe dans le métro de Bruxelles : " Tant qu’il y aura des coalitions et des bombardements contre l’Etat islamique, il y aura des attentats. Il y aura une riposte de la part de l’Etat islamique. Ils ne vont pas offrir des fleurs ou du chocolat ", explique-t-il.

    " Le “djihadisme”, comme vous l’appelez, moi j’appelle cela l’islam ", insiste-t-il, avant de présenter le meurtre d’innocents comme une réponse aux victimes civiles de la coalition : " C’est triste parfois de dire qu’on peut faire la même chose à une population parce que leur gouvernement fait la même chose avec notre population. Les civils en Syrie, ce ne sont pas des combattants. C’est là que l’Etat - islamique - dit : “Œil pour œil et dent pour dent”. "

    Si le nombre de civils tués par la coalition en Irak et en Syrie est impossible à établir de façon précise, il a été estimé par l’ONG indépendante Airwars dans une fourchette comprise entre 3 530 et 5 637 victimes depuis le début de l’intervention, en août 2014. Cette réalité est abondamment exploitée par les cercles djihadistes sur les réseaux sociaux – photos de corps déchiquetés à l’appui – pour justifier la campagne d’attentats visant l’Occident.

    Le djihad " offensif " : la soumission des mécréants

    Cette approche " militaire " du djihad défensif permet aux sympathisants de l’EI de tuer sans remords : ils ne se vivent pas comme des terroristes, mais comme des soldats. A les lire plus en détail, cependant, le mobile affiché de leur combat dérive insensiblement vers une issue plus radicale : la soumission des mécréants.

    C’est là que se glissent toute l’ambiguïté et la perversité de l’idéologie de l’EI. L’argument humanitaire sert à toucher au " cœur " les nouvelles recrues ; la propagande fait ensuite son œuvre pour les transformer en armes de destruction. Dans les lettres laissées par les kamikazes, le sentiment d’une fierté retrouvée des musulmans glisse systématiquement vers un désir de conquête.

    " Donc nous les musulmans, l’islam, c’est une religion de paix, comme ils ne font que le répéter, explique Ibrahim El Bakraoui à sa mère. Mais les musulmans, c’est pas des serpillières. Les musulmans, quand tu leur donnes une claque, ils te donnent pas l’autre joue, au contraire, ils répondent agressivement ", poursuit-il, avant de conclure sur cet avertissement : " Tant que la loi d’Allah elle n’est pas respectée, les musulmans, ils doivent se lancer de toute part et combattre pour l’islam. "

    Il développe ensuite le sentiment profond qui sous-tend son engagement : " Ces gens-là,on doit avoir une haine envers eux parce que ce sont des mécréants. Ils veulent pas croire en Allah (…). Premièrement, on doit les détester, et deuxièmement, on doit leur faire la guerre (…). En fait, une fois qu’on aura le dessus sur eux, là on leur propose les trois conditions : soit ils acceptent l’islam, soit ils payent la jizya - taxe imposée aux gens du Livre - , c’est-à-dire qu’ils s’humilient de leurs propres mains, comme Allah, exalté soit-il, a dit dans le Coran, soit ils nous combattent. "

    L’extension du " djihad défensif " – initialement cantonné à la défense des terres musulmanes – à des attaques visant des pays non musulmans n’a pas toujours été de soi. Cette dérive a longtemps suscité un vif débat au sein de la mouvance djihadiste. Elle a été popularisée par Al-Qaida à la fin des années 1990, avant d’être adoptée et amplifiée par l’EI.

    " La défense des pays musulmans occupés a toujours fait consensus dans la mouvance djihadiste, explique Kévin Jackson, chercheur au Centre d’analyse du terrorisme. Les attentats hors du champ de bataille sont en revanche plus difficiles à justifier d’un point de vue théologique et stratégique, et moins mobilisateurs en termes de recrutement. Les groupes djihadistes ont donc construit toute leur propagande autour du djihad défensif, y compris lorsqu’il s’agit de justifier des attentats dans des pays en paix. "

    Cette exportation du " djihad défensif " vers l’Occident sert aujourd’hui d’alibi à un " djihad offensif " qui ne dit pas son nom, l’objectif affiché de protection de l’islam devant, à terme, mener à sa propagation. Ce glissement a été formalisé par l’EI dans un article intitulé " Pourquoi nous vous haïssons, pourquoi nous vous combattons ", publié par l’organe de propagande Dabiq, en juillet 2016.

    L’article développe son titre en six points. Les trois premiers ont trait à la nature de l’Occident : " Nous vous haïssons, d’abord et avant tout parce que vous êtes des mécréants " ; " Nous vous haïssons parce que vous vivez dans des sociétés libérales et sécularisées qui autorisent ce qu’Allah a interdit " ; " Pour ce qui concerne la frange athée, nous vous haïssons et vous faisons la guerre parce que vous ne croyez pas en l’existence de notre Seigneur ". Les trois points suivants font référence aux actions prêtées à l’Occident : les " crimes contre l’islam ", les " crimes contre les musulmans " et " l’invasion " des terres musulmanes.

    La liste se conclut sur cette clarification : " Ce qu’il est important de comprendre ici, c’est que même si certains assurent que votre politique extérieure est à l’origine de notre haine, cette cause est secondaire, raison pour laquelle nous ne l’exposons qu’en fin de liste. En réalité, même si vous cessez de nous bombarder, de nous emprisonner, de nous torturer, de nous diffamer, de prendre nos terres, nous continuerons à vous détester parce que la cause principale de cette haine ne cessera pas tant que vous n’aurez pas embrassé l’islam. "

    Le ressort psychologique : impuissance et culpabilité

    Ainsi la propagande de l’EI fait-elle insensiblement dériver ses soldats d’un combat humanitaire vers sa finalité totalitaire : l’annihilation de toute altérité. La seule paix envisagée est la Pax islamica. Ce basculement ne séduit cependant qu’une minorité de candidats, mettant en lumière les ressorts psychologiques propres au processus de radicalisation. Une dimension intime évidemment rejetée par les intéressés.

    " Quel était l’état d’esprit des El Bakraoui ?, demande à Osama Krayem la juge belge chargée de l’enquête sur les attentats de Bruxelles.

    – Ce sont des gens ordinaires. D’ailleurs lbrahim me disait que sans cette coalition, ces musulmans qui se font opprimer là-bas, il aurait eu une vie ordinaire avec des enfants. Je crois qu’à un certain moment il a changé de comportement. (…) Khalid El Bakraoui, sa femme, était enceinte. (…) Le terrorisme n’est pas une personnalité, en fait. Vous pouvez lire l’histoire des musulmans, à aucun moment ce sont les musulmans qui ont pris l’initiative d’attaquer ou de faire du mal. "

    Osama Krayem affirme que le terrorisme n’est pas " une personnalité ". Mais qu’est-ce qui a finalement convaincu Ibrahim El Bakraoui de renoncer à sa " vie ordinaire " et son frère Khalid d’abandonner sa femme enceinte pour se faire exploser ? Comme nombre de candidats au djihad, les frères El Bakraoui étaient des délinquants, très éloignés de la religion, avant leur conversion à l’islam radical.

    " Beaucoup de délinquants se sentent en réalité coupables, explique le psychanalyste Fethi Benslama, auteur d’Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman (2016, Seuil). Or, les religions monothéistes jouent sur la culpabilité. En arabe, religion se dit din, qui signifie “dette”. Leur entrée dans le djihad peut atténuer ce sentiment en leur offrant une cause. Il s’opère ensuite ce qu’on pourrait appeler un renversement moral de culpabilité : l’hostilité intérieure se transforme en hostilité extérieure et autorise l’agression d’autrui dans un sentiment de toute-puissance. "

    A travers ses publications, l’EI ne cesse de jouer sur ce ressort à l’intention des musulmans vivant en Occident, leur reprochant de préférer le confort de leur vie matérielle au combat sur le sentier d’Allah. Une culpabilisation qui porte parfois ses fruits : " Maintenant, nous, comment on peut rester chez nous à la maison, manger et boire alors que les musulmans n’ont pas trouvé un morceau de pain, explique Ibrahim El Bakraoui à sa mère. Comment est-ce qu’on peut rester chez nous à la maison en train de dormir, faire comme si de rien n’était ? "

    Devant les enquêteurs, Mohamed Abrini a analysé, avec une distance étonnante, l’évolution de ses amis de quartier qui se sont fait exploser à Paris et à Bruxelles. Il explique comment une réalité perçue – l’injustice faite aux musulmans – s’articule avec des causes plus intimes dans l’engagement djihadiste.

    " Concernant leur changement d’attitude, je pense qu’une chose se passe chez beaucoup de jeunes avec tout ce qui se passe dans le monde. Ces gens-là n’ont jamais prié de leur vie, ils n’ont jamais été à la mosquée et ils ont perdu tout un temps à faire des péchés (…). Quand ilsrentrent dans la religion, pour moi ces gens-là veulent se rattraper. Ils veulent être plus musulmans que les vrais musulmans. Il y en a, ça leur travaille la conscience. Ils voient tous les péchés commis. Et ils savent que le martyre efface tous les péchés à partir de la première goutte de sang qui tombe sur le sol. "

    La voie du martyre : une place au paradis

    Parmi les membres de la cellule des attentats de Paris et Bruxelles, seuls trois candidats au martyre ont renoncé ou ont échoué à se faire exploser : Salah Abdeslam à Paris, Mohamed Abrini à l’aéroport de Zaventem et Osama Krayem dans le métro bruxellois. A en croire ce dernier, c’est leur plus faible religiosité qui serait susceptible d’expliquer ces échecs :

    " Salah Abdeslam et Abrini, ils ne sont pas au même niveau que les frères El Bakraoui, explique-t-il à la juge.

    – Que voulez-vous dire par “pas le même niveau” ?, demande la magistrate.

    – Je parle de la foi. C’est la foi qui pousse les gens à résister. Les gens qui atteignent un certain niveau dans la foi sont prêts à rentrer dans l’ennemi sans peur, et je crois que les frères El Bakraoui y étaient. Salah et Abrini je ne crois pas. Les frères El Bakraoui avaient atteint un certain degré dans la foi et étaient prêts à mourir. "

    Dans son message à sa mère, Ibrahim El Bakraoui évoque, avec force détails, l’histoire d’un compagnon du Prophète tué lors d’une bataille contre les " mécréants ". Ce récit mystique vise à lui faire comprendre que le martyr est " le bien-aimé d’Allah " et gagnera sa place au paradis : " Y a encore plein d’autres compagnons, on pourrait rester des heures à parler d’eux, mais pour que t’as un exemple, Hamza Abou Taleb, on l’appelle le lion d’Allah, Jafar Ibn Abou Taleb, on l’appelle l’homme aux deux ailes. Allah, exalté soit-il, va le doter de deux ailes au paradis car il a perdu ses deux bras dans une bataille et ainsi de suite, on en a plein, je te jure, on a en plein. "

    Si Salah Abdeslam ne s’est pas fait exploser à Paris, les trois lettres découvertes dans une planque du quartier bruxellois de -Forest, le 15 mars 2016, attestent de son intention de mourir en martyr. Nettement moins élaborés que ceux des frères El Bakraoui, ses courriers sont empreints d’un mysticisme rudimentaire. A sa sœur, il -explique que " cette vie d’ici-bas est un test " visant à départager le croyant, promis au paradis, de l’incroyant, voué à l’enfer : " Comment pourrai-je échanger cette vie d’ici-bas contre l’au-delà ? Le paradis est meilleur ", conclut-il.

    La lettre adressée à sa mère, longue de deux pages, comporte dix-sept mentions du mot " Allah "ou " Dieu " : " Si tu crois au destin tu comprendras qu’Allah m’a guidée et choisie parmi ses serviteurs, écrit-il. Dieu a acheté des croyants, leur personne et leurs biens, en échange du paradis (…) Allah dit aussi : “Et ne dites pas de ceux qui sont morts dans le sentier d’Allah qu’ils sont morts, au contraire ils sont vivants mais vous en êtes -inconscients.” J’ai moi aussi pris ce chemin car il est celui de la Vérité. Qui s’en écarte aura pour refuge l’enfer. "

    La peur de l’enfer apparaît ici comme un levier décisif du passage à l’acte : c’est en payant de sa vie que le martyr s’acquitte de sa " dette " (" Dieu a acheté des croyants ") et accède à l’au-delà. Par son sacrifice, l’ancien pécheur devient l’élu. Loin de se réduire à un nihilisme, le djihadisme est une aspiration inquiète : le kamikaze ne désire pas tant le néant qu’une autre vie, augmentée, soulagée de l’angoisse du châtiment. En traversant une mort qui n’est qu’apparente, il accède à la " vérité ".

    Soren Seelow

    http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2017/06/07/dans-la-tete-des-kamikazes_5139774_3224.html?h=11

  • 50 ans aujourd’hui depuis la guerre des 6 jours et l’occupation par Israël de Jérusalem-Est, la Cisjordanie, Gaza, le Golan et le Sinaï. Retour sur la propagande israélienne autour de cette guerre et quelques vérités historiques (à partir de l’analyse de Norman Finkelstein) :

    Idées reçues
    1. Gamal Abdel Nasser, leader égyptien, dangereux démagogue, très populaire dans le monde arabe voulait détruire Israël alors qu’Israël ne rêvait que de vivre en paix avec ses voisins.
    2. En mai 1967, Nasser avance son premier pion ordonnant aux forces de maintien de la paix de l’ONU dans le Sinaï de se retirer.
    3. Ensuite Nasser continue en fermant le détroit de Tiran et Sanafir bloquant l’accès au port israélien d’Eilat et étouffant.
    4. Pendant ce temps-là, Nasser complote avec les autres pays arabes, la Syrie et la Jordanie pour envahir Israël
    5. L’existence d’Israel était en danger donc pour survivre, Israël a dû lancer une attaque « préventive » le 5 juin.
    6. Heureusement, en dépit des prédictions, Israël gagna la guerre en 6 jours seulement.
    7. Pour se protéger, Israël a dû occuper le Sinaï, le Golan et la Cisjordanie. L’occupation n’était qu’accidentelle, une nécessité.

    Éléments historiques
    1. Nasser et les autres pays arabes n’avaient pas l’intention d’envahir Israël en juin 1967.
    2. L’existence d’Israël n’a jamais été en danger. Les leaders israéliens et américains savaient qu’en cas de conflit, Israël gagnerait aisément, même contre une coalition des Etats arabes.
    3. Israël voulait attaquer pour deux raisons : I. terminer sa mission ratée en 1956, lors de l’invasion tripartite de l’Egypte par la France, le Royaume-Uni et Israël : neutraliser Nasser, porter un coup fatal aux Arabes et surtout au nationalisme arabe. II- conquérir les terres convoitées mais qu’ils n’avaient pas pu saisir en 1948 : Jérusalem Est, la Cisjordanie, Gaza et le Golan.
    4. Israël avait un doute : après la condamnation de l’invasion tripartite en 1956, quelle serait cette fois-ci la réaction des Etats-Unis en cas d’attaque par Israël ?
    – Les diplomates israéliens sont allés à Washington DC pour tâter le terrain.
    – Les États-Unis ont convenu avec Israël que Nasser n’avait pas l’intention d’attaquer.
    – Les États-Unis ont convenu qu’Israël pourrait facilement vaincre l’Egypte sur le champ de bataille, soit seul, soit avec toute combinaison d’autres pays arabes.
    – Et les États-Unis ont tacitement donné à Israël la permission de commencer la guerre, ou au moins indiqué qu’il n’y aurait pas de répétition de la condamnation de 56.
    5. Israël provoquait régulièrement ces voisins arabes : en novembre 1966 par exemple, Israël lace la plus grande offensive depuis l’invasion de 56 contre le village de Samu en Cisjordanie, tuant 18 soldats jordaniens et détruisant 125 maisons. Israël a engagé des combats à la frontière syrienne en avril 1967, déclenchant une bataille aérienne dans laquelle 6 avions syriens ont été abattus, dont un sur Damas.
    6. Nasser a bien demandé à l’ONU de retirer ses troupes en réponse à ces provocations et au mécontentement grandissant dans le monde arabe accusant Nasser de laisser-faire. Israël aurait pu demander à l’ONU de stationner ses troupes de son côté de la frontière. Israël n’a rien fait de tel.
    7. Nasser a bien fermé le détroit de Tiran et il avait le droit et la souveraineté pour le faire même s’il offrit de porter le différend devant la Cour internationale de Justice. Israël refusa.
    8. Israël n’aurait pas été étouffé du jour au lendemain. 95% de ses importations s’effectuaient dans d’autres ports et Israël disposait d’une réserve de pétrole de plusieurs mois.
    9. Une guerre préventive n’aurait pas duré 6 jours mais plutôt 6 minutes : Une fois la force aérienne égyptienne encore stationnée au sol, éliminée par les avions israéliens dans un blitzkrieg surprise, la guerre était terminée. Si la guerre a duré plus longtemps, c’est parce qu’Israël voulait conquérir le Sinaï, la Cisjordanie et le Golan syrien.
    Israël a lancé une guerre non provoquée. Dans cette guerre, au moins 18 000 personnes furent tuées dans les combats dont 10 à 15 000 Égyptiens, 6 000 Jordaniens et 1000 à 2 500 Syriens pour 1000 Israéliens. Israël porta bel et bien un coup fatal à Nasser qui meurt trois ans plus tard, aux Arabes et au nationalisme arabe. Mais la guerre fut aussi l’occasion pour Israël de poursuivre le nettoyage ethnique de la Palestine. Au cours de la guerre, ce sont entre 250 000 et 420 000 nouveaux déplacés et réfugiés palestiniens qui furent évacués de force de leur domicile par l’armée israélienne qui les poussa à monter dans des bus, les envoya en Jordanie et les empêcha de revenir une fois la guerre terminée. Pour un récit détaillé de ces entreprises de nettoyage ethnique, voir « Cisjordanie-Gaza 1967, un nettoyage ethnique occulté » par Munir Nuseibah (http://orientxxi.info/magazine/cisjordanie-gaza-1967-un-nettoyage-ethnique-occulte,1886)
    Et ce nettoyage ethnique dure toujours grâce à l’occupation et à la colonisation.

    Céline Lebrun

    https://www.facebook.com/celine.l.mccutcheon?hc_ref=NEWSFEED&fref=nf

  • Verbiage sacerdotal [RIP Colette Guillaumin !]

    "Est-ce que la théorie est une place forte ? Ou est-ce qu’elle est une chasse gardée ? Ou bien plutôt qu’est-ce que la théorie ? Les minoritaires - et on entendra ici par minoritaires non ceux qui seraient forcement en nombre moindre mais bien ceux qui dans une société sont en état de moindre pouvoir, que ce pouvoir soit économique, juridique, politique ... les minoritaires donc, dans quelque société que ce soit, sont dans une position singulière en ce qui concerne les productions intellectuelles : le plus souvent ils haïssent la théorie, la connaissant pour ce qu’elle est, le verbiage sacerdotal de ceux qui qui les dominent, ce qui sort de la tête et de la bouche de ceux qui disposent de la force (outils, armes concrètes, police, armée) et de la nourriture (salaires, terres, biens ...). Dans la relation majoritaire/minoritaire la force, les biens et la liberté individuelle qui en découlent étant des caractéristiques du dominant, l’expression institutionnalisée de sa conscience et de sa vue de la situation est la seule a être publiée, diffusée, et glosée. Cela alors se nomme « théorie ». De plein droit. Qu’ils aient nom Malthus ou Hegel, Comte ou Gobineau, ou qu’ils aient été, bien avant eux, les théologiens, ils produisent ce qui pour les minoritaires est un cauchemar, eux qui ne savent d’ailleurs même pas le plus souvent les détails académiques de l’affaire, se contentant de connaître, en pratique et quotidiennement, par la contrainte, par le mépris subi, par la faim, que le place ils n’en ont que soumise toujours, mortelle parfois. Place du silence, de l’infériorité, de la menace diffuse. Menace à certains moments effroyablement précise, dans le coups, le meurtre. Et toujours à chaque instant le travail à fournir, la présence à ne pas faillir, l’attention à ne pas relâcher. Alors ne peuvent parler que l’amertume et la fureur ; la pensée qui s’élabore, la, jamais n’est appelée théorie. Langage d’invective, de sarcasme, de passion refrénée. D’ironie et de noir blasphème, ou bien de désespoir blessé." [Colette #Guillaumin, « Femmes et théories de la société : remarques sur les effets théoriques de la colère des opprimées » (1981), in Sexe, Race et Pratique du pouvoir]

    #théorie
    #dominés
    #minoritaires

  • Interview Coupat/Burnel

    Quel jugement portez-vous sur la campagne présidentielle ?

    Quelle campagne ? Il n’y a pas eu de campagne. Il n’y a eu qu’un feuilleton, assez haletant à vrai dire, rempli de rebondissements, de scandales, de tension dramatique, de suspense. Beaucoup de bruit, un peu de fureur, mais rien qui soit à même de percer le mur de la perplexité générale. Non qu’il manque, autour de chaque candidat, de partisans diversement fanatisés tournant en rond dans leur bulle virtuelle. Mais ce fanatisme même ne fait qu’ajouter au sentiment d’irréalité politique. Un graffiti, laissé aux abords de la place de la Nation par la manifestation du 1er Mai 2016, disait : « Il n’y aura pas de présidentielle ». Il suffit de se projeter au lendemain du second tour pour s’aviser de ce que ce tag contenait de prophétique : quel qu’il soit, le nouveau président sera tout aussi fantoche que l’actuel, sa légitimité à gouverner sera tout aussi introuvable, il sera tout aussi minoritaire et impotent. Cela ne tient pas seulement à l’extrême usure de la politique, au fait qu’il est devenu impossible de croire honnêtement à ce qui s’y fait et à ce qui s’y dit, mais au fait que les moyens de la politique sont dérisoires au regard de la profondeur de la catastrophe en cours. Que peut la politique et son univers proclamatoire quand s’effondrent concomitamment les écosystèmes et les subjectivités, la société salariale et l’ordre géopolitique mondial, le sens de la vie et celui des mots ? Rien. Elle ne fait qu’ajouter au désastre. Il n’y a pas de « solution » au désastre que nous traversons. Penser en termes de problèmes et de solutions fait précisément partie de ce désastre : ce n’est qu’une manière de nous préserver de toute remise en question sérieuse. Or ce que l’état du monde met en cause, ce n’est pas seulement un système politique ou une organisation sociale, mais une civilisation, c’est-à-dire nous-mêmes, nos façons de vivre, d’être, de se lier et de penser. Les bateleurs qui montent sur des estrades pour vanter les « solutions » qu’ils se font fort de mettre en œuvre une fois élus, ne parlent qu’à notre besoin d’illusion. À notre besoin de croire qu’il existerait une sorte de changement décisif qui nous épargnerait, qui nous épargnerait notamment d’avoir à combattre. Toutes les « révolutions » qu’ils promettent ne sont là que pour nous permettre de ne rien changer à ce que nous sommes, de ne prendre aucun risque, ni physique ni existentiel. Ils ne sont candidats qu’à l’approfondissement de la catastrophe. De ce point de vue, il semble que chez certains le besoin d’illusion soit impossible à rassasier.

    Vous dites cela, mais jamais dans une élection il n’y a eu autant de candidats jurant de « renverser la table » ? Et comment pouvez-vous tenir pour rien l’enthousiasme soulevé ces dernières semaines par la candidature de Jean-Luc Mélenchon ?

    Jean-Luc Mélenchon n’est rien, ayant tout été, y compris lambertiste. Il n’est que la surface de projection d’une certaine impuissance de gauche face au cours du monde. Le phénomène Mélenchon relève d’un accès de crédulité désespéré. Nous avons les expériences de Syriza en Grèce ou d’Ada Colau à la mairie de Barcelone pour savoir que la « gauche radicale », une fois installée au pouvoir, ne peut rien. Il n’y a pas de révolution qui puisse être impulsée depuis le sommet de l’État. Moins encore dans cette époque, où les États sont submergés, que dans aucune autre avant nous. Tous les espoirs placés en Mélenchon ont vocation à être déçus. Les gouvernements de « gauche radicale », qui prétendent s’appuyer sur des « mouvements populaires », finissent plutôt par en venir à bout, non à coup de répression, mais de dépression. La virulence même des mélenchonistes atteste suffisamment de leur besoin de se convaincre de ce qu’ils savent être un mensonge. On ne cherche tant à convertir que de ce à quoi l’on n’est pas sûr de croire. Et en effet, nul n’a jamais renversé un système en en respectant les procédures. Au reste, les élections n’ont jamais eu pour fonction de permettre à chacun de s’exprimer politiquement, mais de renouveler l’adhésion de la population à l’appareil de gouvernement, de la faire consentir à sa propre dépossession. Elles ne sont plus désormais qu’un gigantesque mécanisme de procrastination. Elles nous évitent d’avoir à penser les moyens et les formes d’une révolution depuis ce que nous sommes, depuis là où nous sommes, depuis là où nous avons prise sur le monde. S’ajoute à cela, comme à chaque présidentielle dans ce pays, une sorte de résurgence maladive du mythe national, d’autisme collectif qui se figure une France qui n’a jamais existé. Le plan national est devenu celui de l’impuissance et de la névrose. Notre puissance d’agir se situe en deçà et au-delà de cet échelon débordé de toute part.

    Mais alors, que proposez-vous ? De laisser Marine Le Pen accéder au pouvoir ?

    Il est patent que Marine Le Pen a une fonction précise au sein du système politique français : forcer par la menace qu’elle représente la participation à des procédures auxquelles plus personne ne croit, faire voter les uns et les autres « en se bouchant le nez », droitiser jusqu’à l’absurde les termes du débat public et figurer au sein même du système politique une fausse sortie de celui-ci - alors même qu’elle en forme la clef de voûte. Évidemment que la question n’est pas de sortir de l’euro, mais de sortie de l’économie, qui fait de nous des rats. Évidemment que le problème n’est pas l’envahissement par les « étrangers », mais de vivre dans une société où nous sommes étrangers les uns aux autres et à nous-mêmes. Évidemment que la question n’est pas de restaurer le plein emploi, mais d’en finir avec la nécessité de faire tout, et surtout n’importe quoi, pour « gagner sa vie ». Évidemment qu’il ne s’agit pas de « faire de la politique autrement », mais de faire autre chose que de la politique - tant il est devenu évident que la politique n’est, à tous les niveaux, que le règne de la feinte et de la manigance. Aucune révolution ne peut être plus folle que le temps que nous vivons – le temps de Trump et de Bachar, celui d’Uber et de l’État Islamique, de la chasse aux Pokémons et de l’extinction des abeilles. Se rendre ingouvernable n’est plus une lubie d’anarchiste, c’est devenu une nécessité vitale dans la mesure où ceux qui nous gouvernent tiennent, de toute évidence, la barre d’un navire qui va au gouffre. Les observateurs les plus mesurés admettent que la politique se décompose, qualifient cette campagne d’« insaisissable » pour ne pas dire « inexistante ». Nous n’avons aucune raison de subir un rituel devenu si évidemment nocif. Nous sommes lassés de comprendre pourquoi tout va mal.

    Vous pensez donc qu’il n’y a rien à attendre de ces élections ?

    Si, bien sûr : leur débordement. Il y a un an, il a suffi de quelques youtubeurs et d’une poignée de lycéens pour lancer un intense conflit de plusieurs mois au motif de la loi Travail. Ce qui s’est alors traduit par des affrontements de rue réguliers n’était que l’extrême discrédit de l’appareil politique, et par contrecoup le refus de se laisser gouverner. Croyez-vous qu’au lendemain d’élections qui prennent cette fois dès le premier tour la forme du chantage à la démocratie, le dégoût de la politique sera moindre qu’alors ? Croyez-vous que chacun va sagement continuer de constater devant son écran la démence du spectacle de la politique ? Qu’il ne viendra à personne l’idée d’investir la rue de nos corps plutôt que les candidats de nos espoirs ? Croyez-vous que ces élections aient quelque chance d’apaiser l’inquiétude des âmes ? Il faut être naïf pour penser que la génération qui s’est formée politiquement dans le conflit du printemps dernier, et n’a pas cessé depuis lors de se former encore, va avaler cette supercherie parce qu’on leur propose désormais du bio à la cantine et une assemblée constituante. Depuis plusieurs mois, il ne s’est pas passé deux semaines sans que des affrontements n’éclatent aux quatre coins du pays, pour Théo, contre la police ou tel ou tel meeting du FN. Évidemment, cela reste minoritaire et les élections, en tant que non-événement, vont bien avoir lieu. La question est donc la suivante : comment faire pour que le vide intersidéral qui éclatera au lendemain des élections quel que soit le vainqueur ne soit pas le seul fait des « jeunes », immédiatement réduits par un déploiement policier démesuré ? Pour cela, il nous faut d’urgence réarmer nos perceptions et notre imagination politiques. Parvenir à déchiffrer cette époque et à déceler les possibles qu’elle contient, les chemins praticables. Et tenir qu’il n’y a pas eu de présidentielle, que tout ce cirque a assez duré, que ce monde doit être mis à l’arrêt au plus vite partout où nous sommes, sans attendre l’abîme. Cesser d’attendre, donc. Reprendre confiance en nous-mêmes. On pourra alors dire, comme Benjamin Fondane : « Le monde est fini. Le voyage commence. »

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/20/mathieu-burnel-et-julien-coupat-se-rendre-ingouvernable-est-une-necessite-vi