Une fois par mois, on juge des flics à #Bobigny. En juin, un fonctionnaire de police relaxé, un condamné à une amende, un autre à du sursis.
Ce 5 juin, plusieurs visages inquiets patientent sur les bancs de la 14e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny, celle qui juge chaque premier jeudi du mois des #fonctionnaires_de_police en poste en #Seine-Saint-Denis. Au menu cette semaine ? Un peu de canard et beaucoup de poulets : après une affaire de presse rapidement évacuée, un trio s’approche de la barre.
Les deux premiers, que l’on comprend tremper dans de menus trafics de stup, auraient tenté de corrompre le troisième, lequel ne se serait pas trop fait prier. Contre rémunération, cet ancien gardien de la paix aurait transmis plusieurs données sensibles extraites en toute illégalité de différents fichiers de police. Aujourd’hui chauffeur de bus, le trentenaire a été placé sous contrôle judiciaire. Il a d’ailleurs déjà effectué une peine de six mois de prison pour des faits similaires, dont une partie derrière les barreaux. Sauf qu’il y a un problème, annonce d’emblée son avocate : le parquet lui a transmis une procédure incomplète, amputée de 266 pages. « Ça représente ça », annonce la juge qui brandit un classeur orange épais comme deux côtes de bœuf. Pas facile, dès lors, de correctement défendre son client, évalue la robe noire. Le tribunal acquiesce : l’affaire est renvoyée au 4 septembre.
L’adolescent dit avoir été frappé à coups de clés de voiture par un premier policier avant qu’un deuxième, tatouage de serpent sur le bras, ne le gifle
Le dossier suivant concerne un géant. Le quadragénaire qui s’avance à la barre est si charpenté que, lorsqu’il se meut, sa chemise bleue menace d’éclater sous la pression de ses biceps gonflés. Barbe fournie et crâne tout lisse, il affiche plusieurs tatouages au-dessus des oreilles ainsi que sur ses bras. Ce colosse est prévenu pour des faits de septembre 2022, à Stains, accusé par un mineur de 13 ans de l’avoir frappé lors d’une interpellation à son image : très musclée. Ce jour-là, d’après le minot, un équipage de trois policiers se serait stoppé face à lui parce qu’il portait un #cache-cou, que les fonctionnaires décrivent comme une #cagoule, avant de le poursuivre. Arrivé à son niveau, l’ado est balayé puis menotté au sol. Il aurait alors été frappé à coups de clés de voiture par un premier, le chauffeur pense le plaignant, avant que, dans ladite voiture, un deuxième, arborant un tatouage de serpent sur le bras, décrit le garçon, ne lui décolle de grandes gifles. Il est finalement récupéré au commissariat par sa mère, un poil courroucée de constater son visage tout éraflé. Un médecin lui accorde trois jours d’#incapacité_totale_de_travail (ITT), un autre avance que « les #lésions constatées sont compatibles avec les faits dénoncés ». Une plainte est déposée.
Lors de l’enquête, débutée deux ans après la déposition, les trois fonctionnaires disent avoir pas mal oublié ces faits qu’ils nient en bloc. Déjà, ils l’assurent, impossible d’avoir cogné avec des clés de voiture puisque le véhicule en question, « une Passat » disent-il, n’a pas de clés mais une carte pour démarrer. Après vérification, c’est en fait une 308 qui s’actionne avec des clés en métal. Quant à notre costaud, il a bien un tatouage sur le bras. « Oui mais c’est un poisson japonais », oppose-t-il aux enquêteurs qui notent en procédure que, en partie caché par sa manche, ce tatouage laisse apparaître « une silhouette écaillée qui fait penser à un serpent », ce que décrit le plaignant.
Autre souci : il n’y a aucune trace de cette procédure au commissariat, mise à part une petite main courante sur laquelle le golgoth est présenté comme le chauffeur. Dès lors, les limiers pensent que le mineur s’est trompé : un seul agent l’a tapé à la fois avec des clés et ses paluches, et non deux comme il l’a dénoncé dans sa plainte. Et c’est celui qui porte le tatouage de poisson-serpent. Mais face aux magistrats de Bobigny, la solidité, contestable, de leurs conclusions est battue en brèche par ce fonctionnaire aux états de service impeccables. Comment peut-il être au volant et aussi en train de poursuivre sa cible pour la menotter ? Comment peut-il être à la fois le chauffeur qui, par définition, conduit et le policier-passager qui frappe le gamin dans la voiture sur le trajet du commissariat ? Tout cela paraît compliqué, en effet. Estimant qu’il existe « un doute sur l’identification de la personne qui a pu causer les blessures », le tribunal prononce la #relaxe. Tant pis pour le gosse au visage abrasé.
Guillaume F., le prévenu de l’affaire suivante, est poursuivi pour « #outrage_sexiste_et_sexuel » commis dans l’exercice de ses fonctions. Ce flic de 34 ans, un beau gosse en chemise rose, n’en mène pas large. Il y a de quoi : il a reconnu avoir, en février 2024 au commissariat de Saint-Denis, brandi un godemiché devant la cellule d’un homme interpellé, le menaçant que ce sextoy « pouvait lui tomber sur la tête s’il recommençait », cite la magistrate assesseure en lisant le dossier d’enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Guillaume F. baisse le menton, tout penaud.
Face à lui se tient un petit monsieur assisté d’un traducteur en langue arabe. En 2024, ce dernier, surpris dans un tramway en train de se frotter à une femme, est interpellé. Il doit bientôt comparaitre pour ces faits d’agression sexuelle. Dans sa plainte à l’IGPN, il « a dénoncé des faits de violences bien plus conséquent, mais la seule chose qui est reproché à Guillaume F. est d’avoir exhibé ce godemiché », précise la magistrate. Pour cause, le frotteur est ressorti de sa garde à vue avec une côte cassée et quinze jours d’ITT au compteur. Entre autres violences, il dit que Guillaume F. et ses collègues lui auraient « touché le derrière » avec leur matraque pendant qu’ils l’auditionnaient. Et quand le policier est venu dans sa cellule, le plaignant jure qu’il ne se serait pas contenté d’agiter le godemiché sous ses yeux mais lui aurait aussi tapoté la tête avec. Aucun de ces faits n’a été retenu dans la prévention, au grand dam de son avocate qui dénonce « une certaine forme d’omerta ». Celle-ci pense plutôt que Guillaume F. est venu se dénoncer à l’IGPN pour éviter que tout le service ne trinque. Et s’il fallait se cantonner au seul geste effectué avec le godemiché, son client a été traumatisé, ayant « cru à un viol » à la vue de l’objet. Le prévenu, lui, réfute toute violence ou menace à caractère sexuel.
« J’étais de permanence ce jour-là. J’avais trouvé ce jouet, j’en rigolais avec les collègues, raconte-t-il à la barre. Je suis allé dire [au plaignant] qu’il allait être déféré. Je lui ai montré le sextoy et je lui ai dit qu’il ne pouvait pas faire ce genre d’infraction, en lui disant que ça pouvait lui tomber sur la tête.
“Lui tomber sur la tête”, ça veut dire quoi ?, interroge la juge. Un sextoy ça ne sert pas à tomber sur la tête, monsieur…
C’était de mauvais goût, c’était une blague », articule le policier gêné, qui a reçu un blâme pour cette glissante histoire de godemiché.
En poste depuis trois ans, Guillaume F. a reçu onze lettres de félicitations de la part d’une hiérarchie qui n’a rien à reprocher à ce fonctionnaire « motivé » et « respectueux ». Mise à part, en début de carrière, « une certaine immaturité »… La procureure Fanny Bussac requiert 1 500 euros d’amende. Le tribunal double la mise : cela sera 3 000, entièrement assortis d’un sursis.
Pour la troisième affaire, un bonhomme hirsute, engoncé dans une parka usée, s’avance à la barre. Cheveux bouclés poivre et sel et barbe en pagaille, ce quadragénaire sur le tard a longtemps été en poste au service des fourrières à Saint-Denis et Épinay-sur-Seine. Aujourd’hui, Grégory A. est poursuivi pour avoir refusé de donner son code de téléphone lors de sa garde à vue. Et aussi parce qu’il a effectué des levées d’immobilisation, a priori frauduleuses, concernant plusieurs dizaines de voitures. Tout commence lorsque le groupe interministériel de recherche des Hauts-de-Seine s’étonne que le contrat d’assurance d’une Mercedes qu’ils ont saisie a changé à l’occasion de la vente de cette voiture, pourtant immobilisée. Il s’avère que celle-ci n’est plus à la fourrière et a été, en toute illégalité, remise en circulation. Une enquête a été ouverte et les bœufs-carottes découvrent alors que plus d’une cinquantaine de véhicules sont concernés, dont certains jusqu’en Savoie. Toutes ces levées d’immobilisation ont été ordonnées à partir d’un seul compte : celui de Grégory A.
Pourquoi Grégory A. a-t-il remis illégalement en circulation des voitures immobilisées à la fourrière ? Incompréhensible
« Comment expliquez-vous avoir pu procéder à des levées d’immobilisation dans d’autres départements ? », lui demande la présidente du tribunal, Dominique Pittilloni. Et là, tout devient hyper flou. Pour ne rien vous cacher, Les Jours n’ont rien compris à cette affaire tant Grégory A. s’embrouille dans ses explications, s’agace de ce qu’on lui reproche, promet ne jamais savoir pour quelle raison il lève des immobilisations, ni quand, ni comment.
Ce qu’on a compris en revanche, c’est que cet ours déteste la police dont il ne veut plus entendre parler. « Ça m’a détruit en partie ce métier. Mon vrai métier, c’est électricien. Depuis 2008, ça ne va pas », indique celui à qui l’institution aurait refusé la démission il y a quelques années. Et qui, depuis, collectionne les sanctions administratives et les mois de suspension. Alcoolique, dépressif et grand absentéiste, on ne saisit pas bien, non plus, comment il a pu poursuivre ses fonctions si longtemps. En arrêt de travail longue maladie, Grégory A. est aujourd’hui désarmé. Mais à l’audience, personne ne semble vraiment en mesure de lui trouver un mobile : ses comptes n’affichent aucun virement suspect, il ne mène pas grand train, et l’enquête n’a rien éclairé sur ce point crucial.
La procureure Bussac réclame dix-huit mois de prison avec sursis ainsi qu’une interdiction définitive d’exercer. Il sera finalement relaxé pour les levées d’immobilisation. « Ce sont peut-être des fautes professionnelles, mais cela ne nous concerne pas », tranche le tribunal, qui prononce toutefois une peine de quatre mois de prison avec sursis en raison de son refus de donner son code de téléphone lors de sa garde à vue. « Vous avez tout bien compris ? », lui demande Dominique Pittilloni. Grégory A. hausse les épaules, comme pour dire « pas trop sûr ». Sur les bancs de la 14e chambre correctionnelle de Bobigny, Les Jours affichaient probablement le même air.