Djihadistes français ou le rejet de la culture médiatique postcoloniale :
Déconstruction d’un phénomène minoritaire surmédiatisé
Par une absence d’application de solutions politiques internationales radicales en
matière de justice internationale en Syrie, le conflit syrien a malheureusement attiré des
jeunes français soit d’héritage musulman, soit convertis, de tranches d’âges, d’origines,
et de catégories socioprofessionnelles diverses, qui ont par « mécanismes » endossé
volontairement le rôle de « défenseurs » des opprimés abandonnés par les grandes puissances
mondiales. C’est dans une vision biaisée de « héros » que ces djihadistes français accourent
pour sauver ceux-là même qui subissent depuis plus de trois ans les exactions du régime
syrien soutenu par des milices internationales avec lesquelles ces « nouveaux héros » de la
toile terroriste désiraient rivaliser. Les djihadistes français ont ainsi rejoint facilement le
groupe djihadiste armée le plus radical, classé « terroriste », l’Etat Islamique d’Iraq et du
Levant nouvellement renommé Etat Islamique, dénommé Da’ech en Syrie et dans la presse
francophone, et ce sans avoir réellement réfléchi aux conséquences de leur engagement.
Les djihadistes français sont de facto majoritairement représentés dans la presse francophone
bien qu’ils ne représentent qu’une minorité de la population musulmane en France. Les
raisons de cette surmédiatisation viennent en partie des exactions commises par leur groupe
radical sur des minorités ethnico religieuses : les chrétiens, les yazidis, les kurdes mais
aussi par les enlèvements de journalistes étrangers et des décapitations appliquées comme
sentences. Ces djihadistes ont choisi d’exprimer leur colère sous couvert de l’Islam qu’ils
maîtrisent peu en général. Ils sont « chaperonnés » par des discours religieux de leur chef
Al Baghdâdi autoproclamé « Calife » qui font office de lois. Ces lois que l’on désignerait
de réceptacle de colères et d’amertumes certes inspirées de la substance du texte coranique
détourné par opportunisme sont l’aboutissement de tout un mélange d’expériences, de
frustrations, de mal être et de projections. Paradoxalement cette attention médiatique se fait
rare lorsque les exactions sont portées sur des membres de la majorité religieuse en Syrie.
Ainsi les djihadistes concentrent l’attention des agences de presse francophone.
Pourquoi ces jeunes français musulmans minoritaires ont – ils quitté leur pays,
sacrifiant leur confort matériel, pour se fondre dans une extrême violence qu’ils n’avaient
peut-être pas expérimentée auparavant dans leur environnement en France ? L’empathie,
l’identification à un groupe religieux étranger en détresse, l’indignation réelle n’expliquent
pas tout.
Quelles sont les raisons qui les ont conduits à rejoindre
spécifiquement un mouvement d’une extrême violence plus dangereux qu’Al Qaeda, à travers
une réflexion sur leur comportement sociologique en France et leur degré de conscientisation
politique. Tout d’abord en tant qu’acteurs citoyens et ensuite en tant qu’audience passive.
Deux cas de figures sont liés dans les faits. La récupération
d’un mouvement contestataire « La Marche pour l’Egalite et les Droits » devenue par
stratégie politique « La Marche des Beurs » et la création d’une culture de dépendance via un
programme télévisuelle Le Jamel Comedy Club où les stéréotypes battent leur plein, ont
endigué toute forme de conscientisation politique dans les banlieues et au-delà après les
émeutes en 2005. « La Marche pour l’Egalite et les Droits » fut un premier échec de
conscientisation politique et l’échec d’un manque de visibilité d’une minorité religieuse dans
l’industrie médiatique française. Etrangement Jamel Debbouze sera en 2013 le personnage
principal du film sur « La Marche des Beurs ». L’absence de projets culturels en banlieues
autres que le divertissement médiatisé favorisera par conséquent la création d’une culture de
dépendance pour catalyser un mouvement social contestataire. En effet, afin d’apaiser ce
mouvement contestataire légitime assez violent dans sa forme l’industrie médiatique
française a essayé de rendre visible une minorité ethnique en jouant sur les egos, les
paillettes, la reconnaissance via le « star system » jusqu’à engendrer un climat malsain de
contradiction. En outre « La Marche des Beurs » et les émeutes en banlieues ont en
commun des revendications d’ordre politique et sociale. Cependant l’apparition d’une
revendication à caractère religieux du mouvement ouvrier de l’immigration révèlera par la
suite d’autres revendications sociétales à caractère religieux dans un espace laïc qui empêchent
toute forme d’épanouissement privé d’ordre religieux et qui se posera en contradiction avec
la représentation médiatique du jeune « Beur » laïc, moitié athée, moitié musulman et des
fantasmes créés autour. Laïcs et religieux, « beurs » ou « musulmans », tous deux stigmatisés
sont pourtant concernés par les mêmes revendications. Idem pour les émeutes en banlieues :
là où le vide laisse s’installer une culture médiatique post coloniale sera la période qui suit les
émeutes en banlieues. Ce problème ne sera pas dans le champ médiatique résolu par
l’intégration de programme télévisuel de divertissement censé correspondre aux attentes
d’une jeunesse contestataire. Bien au contraire il résidera une absence de conscientisation
majeure politique en France malgré des foyers d’organisation tels que le MIB englouti par
les Indigènes de la République paradoxalement trop médiatisés depuis les émeutes de
banlieues cependant lent à s’engager dans la scène politique, et un militantisme associatif
actif, complètement ignoré, puis écrasé par un militantisme opportuniste.
Afin de déconstruire ce phénomène minoritaire de djihadistes pour en extraire
les causes réelles de leur passage à l’action à l’étranger, il serait pertinent de penser puis d’analyser
l’hypothèse d’un rejet d’une culture médiatique post coloniale instaurée à la suite des
émeutes des quartiers en France et de mettre en rapport les insatisfactions d’une minorité de
citoyens français avec cet ersatz médiatique préfabriqué à la hâte censé catalyser une certaine
tranche de la population issue d’une culture populaire ou pas . On pourrait ainsi réfléchir
sur les effets et les conséquences d’une mauvaise représentation médiatique de leur groupe
ethnico religieux. Aussi, les djihadistes français représentent un phénomène contestataire
apolitique minoritaire qui révèle une histoire citoyenne à travers son désengagement total des
luttes et du militantisme puisqu’ils s’expatrient brutalement vers un autre environnement. Il
serait également intéressant d’explorer les raisons de ce désengagement afin de comprendre
sa transfiguration dans un champ de violence, en un état de guerre où tout avenir est incertain.
Ainsi, l’approche de cette réflexion empirique s’inscrit dans des démarches de déconstruction
d’un phénomène sociologique violent, minoritaire, représenté médiatiquement dans la
presse francophone et dans une méthode d’analyse de la critique du discours de la presse
francophone. Il serait pertinent de montrer enfin en quoi le paradoxe qui s’impose, à savoir
une représentation accrue dans la presse francophone d’élite en tant que djihadistes et une
invisibilité médiatique de leur groupe sociologique en tant qu’individu français, est-il la clef
de compréhension d’un rejet d’une culture médiatique identifié qui mènerait à une forme de
violence.
Lilia Marsali