• La ville et le pays ont ici besoin d’un peintre et d’un poète. Comme ces bois de châtaigniers, ces bords de la Vienne et de la Briance sont supérieurs aux bords trop vantés de la Loire ! George Sand inventé le Berri. Quel conteur, quel historien prendra possession du Limousin ? Pays qu’il faut faire aimer, population laborieuse et robuste qu’il faut électriser, instruire, et qui, avec sa résolution, est capable de choses superbes.
    L’industrie à Limoges, l’agriculture aux champs limousins, quelle partie de la France a une population ouvrière plus énergique et plus vaillante et des paysans plus travailleurs ?

    Jules Claretie, « À Limoges en Limousin », Souvenirs de vacances, 1886.

    #geoculturelim #claretie #limoges

  • Si vous voulez avoir une idée de Tulle, imaginez-vous un vallon resserré, fermé par deux chaînes de hautes montagnes, au fond duquel roule, entre deux quais, presque aussi élevés que ceux de Paris, la petite rivière de la Corrèze dans laquelle vient se jeter, au milieu même de la ville, un autre petit ruisseau appelé la Solanne. Ces deux filets d’eau, aujourd’hui si mesquins, prennent leur source dans les hautes montagnes du pays, et malgré leur allure modeste et timide, il suffit d’une bonne pluie d’une heure, pour voir tout d’un coup, et avec la célérité de la pensée, leurs eaux grossies et bondissantes se précipiter dans ce lit de torrent, et s’élever aussitôt au sommet des ponts jetés bien au-dessus. Sur chaque rive serpente la ville, si toutefois elle mérite ce nom. En effet, sur le premier plan, c’est une rangée de maisons assises au bord de la rivière, et lui faisant compagnie pendant l’étendue d’une demi-lieue environ ; sur le deuxième plan, et étagée sur la première, une autre ligne de maisons bâties au niveau des premiers toits, et formant autant que la conformation des lieux et la présence de hautes roches de granit le permettent, un cordon supérieur de la même étendue ; et puis, au dernier plan, et en dernier étage, quelques habitations, plantées çà et là comme des nids d’oiseaux, entremêlées de noirs rochers, de jardins ravinés, de petites sources descendant en cascades murmurantes, de vieilles murailles, de vieilles tours couvertes de lierre et qui attestent d’anciennes fortifications. Enfin, pour constructions dominantes et à la base de ces gradins de maisons vieilles et noires, couvertes de tuiles rondes et percées de fenêtres disposées sans ordre, remarquez à gauche, à mi-côte, le corps blanc et nouvellement recrépit de la prison, dominant par sa taille et son importance les autres habitations ; en face et à droite, le Palais de Justice, de construction nouvelle et régulière, et au milieu de l’ensemble, la nef et le clocher de la cathédrale, dont l’aiguille, avec ses cent vingt-cinq pieds d’élévation, semble un joujou d’enfant planté là entre ces deux hautes montagnes, qui resserrent comme dans un V toute la ville de Tulle.

    N’allez pas croire cependant que cette cité soit bien triste et d’un aspect assez morose, je vous assure que sa nature et sa position ne manquent pas d’originalité et d’un certain charme pittoresque.

    « Tulle et le Glandier », in La Sylphide, 14 août 1841. Ce texte évoque l’affaire judiciaire de Marie Lafarge, soupçonnée d’avoir empoisonné son époux.

    #tulle #géoculturelim

  • Quelquefois, nous partions toutes trois [avec ma sœur et ma cousine] à travers les châtaigneraies chercher des champignons. Nous négligions les fades champignons des prés, les filleuls, la barbe-de-capucin, les girolles gaufrées ; nous évitions avec soin les bolets de Satan à la queue rouge, et les faux cèpes que nous reconnaissions à leur couleur terne, à la raideur de leur ligne. Nous méprisions les cèpes d’âge mûr, dont la chair commençait à s’amollir et à proliférer en barbe verdâtre.
    Nous ne ramassions que les jeunes cèpes à la queue galbée, et dont la tête était coiffée d’un beau velours tête-de-nègre ou violacé. Fouillant dans la mousse, écartant les fougères, nous frappions du pied les “vesses-de-loup”, qui en éclatant lâchaient une immonde poussière.

    Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, 1958 (éd. 1979), p. 108.

    #simone_de_beauvoir #corrèze #géoculturelim

  • La nature me découvrait, visibles, tangibles, quantité de manières
    d’exister dont je ne m’étais jamais approchée. J’admirais l’isolement superbe du chêne qui dominait le parc paysagé ; je m’attristais sur la solitude en commun des brins d’herbe. J’appris les matins ingénus, et la mélancolie crépusculaire, les triomphes et les déclins, les renouveaux, les agonies. Quelque chose en moi, un jour, s’accorderait avec le parfum des chèvrefeuilles. Chaque soir j’allais m’asseoir parmi les mêmes bruyères, et je regardais les ondulations bleutées des Monédières ; chaque soir le soleil se couchait derrière la même colline : mais les rouges, les roses, les carmins, les pourpres, les violets ne se répétaient jamais. Dans les prairies immuables bourdonnait de l’aube à la nuit une vie toujours neuve.

    Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, 1958 (éd. 1979), p. 174.

    #simone_de_beauvoir #corrèze #géoculturelim

  • Le premier de mes bonheurs, c’était, au petit matin, de surprendre
    le réveil des prairies ; un livre à la main, je quittais la maison endormie, je poussais la barrière ; impossible de m’asseoir dans l’herbe embuée de gelée blanche ; [...] le mince glacis qui fendait la terre fondait doucement ; le hêtre pourpre, les cèdres bleus, les peupliers argentés brillaient d’un éclat aussi neuf qu’au premier matin du paradis [...]

    [...] j’aimais ces instants, où, faussement occupée par une tâche facile, je m’abandonnais aux rumeurs de l’été : le frémissement des guêpes, le caquetage des pintades, l’appel angoissé des paons, le murmure des feuillages ; [...]

    [...]

    Ensuite, je partais d’ordinaire me promener avec ma sœur ;
    nous griffant les jambes aux ajoncs, les bras aux ronces, nous explorions à des kilomètres à la ronde les châtaigneraies, les champs, les landes. Nous faisions de grandes découvertes : des étangs, une cascade, au milieu d’une bruyère, des blocs de granit gris que nous escaladions pour apercevoir au loin la ligne bleue des Monédières. En chemin, nous goûtions aux noisettes et aux mûres des haies, aux arbouses, aux cornouilles, aux baies acides de l’épine-vinette ; nous essayions les pommes de tous les pommiers ; mais nous nous gardions de sucer le lait des euphorbes, et de toucher à ces beaux épis couleur de minium qui portaient altièrement le nom énigmatique de “sceau de Salomon”. Étourdies par l’odeur du regain fraîchement coupé, par l’odeur des chèvrefeuilles, par l’odeur des blés noirs en fleur, nous nous couchions sur la mousse ou sur l’herbe et nous lisions.

    Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, 1958 (éd. 1979), pp.109-111.

    #simone_de_beauvoir #corrèze #géoculturelim

  • A Uzerche, je vis des arbres de la liberté devant toutes les portes.
    Vous croyez que Uzerche est une ville, c’est une forêt. Je ne serais pas très rassuré s’il fallait la traverser à minuit. La diligence y passe heureusement à midi. Le beau sexe et celui qui ne l’est pas, m’ont paru très médiocrement attrayants. Des canards barbottent (sic) dans de petites mares, au milieu des rues encombrées de fumier. Un monsieur, très démocrate, je suppose, a fait dans sa maison, une niche à un arbre de la liberté, qui en cette qualité se trouve emprisonné dans la muraille, laquelle est peinte en rouge. Ce monsieur a bien du goût. A la bonne heure ! voilà un vrai patriote qui doit faire le bonheur de ses concitoyens, et qui voit les questions d’un peu haut. Braves Uzerchois, ou Uzerchiens, allez !

    Frédéric Le Blanc d’Hackluya, « De Toulouse à Paris », poème en prose publié en 1849 dans le quotidien Le Corsaire. Le Blanc d’Hackluya, de son vrai nom Frédéric Le Blanc du Vernet, est un écrivain et critique d’art toulousain du milieu du XIXe siècle.

    #uzerche #corrèze #géoculturelim

  • Descendant des montagnes
    La Vienne gagne
    Les verts coteaux
    Elle gazouille fine
    Frêle et mutine
    Comme un roseau
    Notre belle rivière
    Coule joyeuse et fière
    À travers ses bois et ses prés charmants
    Elle reflète son humble firmament
    Son onde cristalline
    Nous berce et nous câline
    Elle est adorée de tous les pêcheurs
    Au port du Naveix elle fait notre bonheur

    1905 la Rouge
    La ville bouge
    Jusqu’aux bas fonds
    Le siège d’une usine
    Fait que domine
    La voix des Ponts
    Allez Ponticaud chante
    Et que ta voix puissante
    Porte ton cri jusqu’à l’exploiteur
    Qui profit’ de la sueur de ton labeur
    En révolutionnaire
    Toute la ville est fière
    Pour développer son émancipation
    Au premier rang seront les gars des Ponts

    Mais parfois chose triste
    Des arrivistes
    Quittent les Ponts
    Et l’orgueil qui les grise
    Fait qu’ils méprisent
    Les vieux bas-fonds
    Qu’un Ponticaud déserte
    Ce n’est pas une perte
    Il peut aller dans ses beaux quartiers
    En nous laissant dans notre vétusté
    La Vienne a ses fidèles
    Qui meurent auprès d’elle
    Notre souvenir va à Louis Goujaud
    Qui fut sincère et brave Ponticaud

    « La Vienne », d’après Simone Cacaly, fille de Léon Jeammot qui tenait avec sa femme le bistrot La Crotte de Poule, sur les bords de Vienne.

    #vienne #limoges #géoculturelim

  • La voiture
    Je l’assure
    Vous a un p’tit air charmant
    Les parois sont décorées
    Et les banquettes rembourrées
    On s’faufile
    On s’empile
    Dans ce long compartiment
    Où l’on vous loge souvent
    D’voyageurs plus d’un d’mi-cent.

    C’est embêtant qu’la fâcheuse panne
    Vienne trop sou-sou vienne trop souvent
    Et que l’wattman(e)
    Soit obligé d’s’arrêter
    Et qué’qu’fois d’aller remiser
    Mais l’Limousin est une bonne pâte
    Aussi ja-ja aussi jamais il ne s’épate
    La Compagnie va son p’tit train
    M’sieur André dit qu’c’est très bien.

    « Les tramways », sur l’air de la Tonkinoise , in « Limoges en vitesse, revue en un tableau et quart », joué au Théâtre municipal de Limoges en 1907.

    #tramway #limoges #géoculturelim

  • L’apaisement ne me gagne qu’arrivé en Creuse. Quitter Paris ressemble toujours à une fuite, à un exode. Que le séjour ait été fastueux ou terne, c’est toujours en termes de repli militaire que se pose la question du retour. Dès la Loire franchie, je guette les faibles ondulations océanes de la plaine, cette houle de grand large qui m’indique que je suis encore loin de la côte, loin de la Creuse. Les silos se dressent comme des usines. Parfois, un front de feu — les brûlis sur les chaumes — me poursuit jusqu’au-delà de Châteauroux.

    Il se dit que certains piroguiers du Pacifique se guident sur l’océan à la couleur changeante de l’eau. De retour de voyage, je surveille la lourdeur du vert des feuillages quand, vers Argenton, ils évoquent les verdures d’Aubusson. J’observe les landes quand elles prennent les couleurs de Guillaumin. J’espère la lumière mélancolique qui tombe sur un sol granitique si peu enclin à l’onctuosité des formes.
    La Souterraine annonce les vallonnements que j’aime. Les maisons basses de l’Indre paraissent se relever, se simplifier, structurant leurs murs, appareillant leurs façades, même les plus modestes. Il demeure toujours une raideur dans les routes, une vastitude des champs qui me rappellent l’Île-de-France et son grand large. Mais, progressivement, la route sinue, hésite, les prés se rétrécissent comme dans un univers d’enfant, les arbres eux-mêmes me semblent plus petits, plus suppliants. Les églises se drapent d’austérité et de granit. Les étangs se multiplient comme des ciels à nos pieds. J’approche du centre. Les prés sont sertis de murets de pierres sèches savamment disposées. Des chaos granitiques percent les châtaigneraies qui recouvrent des puys ronds comme des seins. Je suis enfin au pays de l’enfance, je suis en Creuse. Je suis dans la Profondeur d’où l’on vient et où l’on retournera, ce coeur comme un repli de peau, qui ferait songer à un jardin s’il n’était traversé de rêves violents tombant comme la foudre du plateau magique de Millevaches.

    Jean-Guy Soumy, « Lorsque que je rentre de voyage... », in Le Limousin. Terre sensible et rebelle, Paris, Autrement, 1995, p. 27.

    #jean-guy_soumy #creuse #la_souterraine #géoculturelim

  • En suivant le chemin jusqu’au viaduc, on croise la voie ferrée en franchissant une montée caillouteuse ; du ballast s’écoule par ce raidillon et roule sous les pieds. De l’autre côté de la voie, le chemin descend vers un autre petit bois, mais celui-là clair, ensoleillé, bienfaisant, renaissant ; un bois pour danser, doux aux pas, tendre. On y voit en été des gens installés sur des nappes, des enfants, des fillettes chassant le papillon, des pêcheurs, des baigneurs. Il y règne une atmosphère de sérénité, une lenteur paisible qui fait douter de la réalité, là aussi, du temps et du lieu. Au-delà, un vaste pré calme longe la Vézère. On y voit des vaches rouges, immobiles, qui ajoutent encore à la sérénité du lieu. A un kilomètre en amont en suivant la vallée à mi-pente, une casquette de pierre coiffe d’énormes piliers de rocs plantés dans l’humus, c’est le dolmen. Terre d’histoires et de fantômes, le sacré est partout. Partout les fantômes et les traces. Sur la terre noire, charbonneuse, humide, la trompette-de-la-mort, corolle bleu-gris, fleur vénéneuse, truffe des bois, pousse en abondance.
    Sous le dolmen, un jour de fouilles sauvages, nous avons mis à jour une canette de bière, un journal torcheur, un paquet de Gauloises. L’Homo avait remporté son propre squelette.

    Henri Cueco, « Journal d’un peintre », in Le Limousin. Terre sensible et rebelle, Paris, Autrement, 1995, p. 27.

    #henri_cueco #uzerche #géoculturelim