Gaza : « LâEurope et lâOccident sont complices du gĂ©nocide en cours »
« Comment vos pays peuvent-ils se regarder dans le miroir ? » Le directeur du Centre palestinien pour les droits humains exhorte lâEurope Ă cesser de « couvrir » IsraĂ«l face aux massacres Ă Gaza. « Les Occidentaux, dit-il, nâont aucune volontĂ© politique. Et donc ils soutiennent. »
Mathieu Magnaudeix | 22 mars 2024 Ă 13h18 | Mediapart
â»https://www.mediapart.fr/journal/international/220324/gaza-l-europe-et-l-occident-sont-complices-du-genocide-en-cours
RajiRaji Sourani est un avocat palestinien, fondateur en 1995 et directeur exécutif du Centre palestinien pour les droits humains (PCHR), une ONG située à Gaza. Ancien militant politique, il a été incarcéré à plusieurs reprises en Israël dans les années 1970 et 1980 pour son appartenance au Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP).
Il a ensuite dĂ©butĂ© une carriĂšre juridique, qui lui a valu une reconnaissance internationale. RĂ©cipiendaire du prix Nobel alternatif en 2013, dĂ©corĂ© en 2021 de lâordre du mĂ©rite français, il a fait partie de lâĂ©quipe juridique de lâAfrique du Sud qui a introduit en dĂ©but dâannĂ©e une requĂȘte demandant Ă la Cour internationale de justice (CIJ) de qualifier de « gĂ©nocide » la guerre israĂ©lienne Ă Gaza. Le 26 janvier, la Cour a reconnu un « risque plausible » de gĂ©nocide et exigĂ© des mesures conservatoires, ignorĂ©es par IsraĂ«l.
Mediapart : Raji Sourani, vous ĂȘtes en ce moment de passage en Europe. Quel message lancez-vous Ă vos interlocuteurs ?
Raji Sourani : Nous sommes déçus par les Ătats comme la France, lâEurope et lâOccident. La devise de votre pays, câest « libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ© », non ? Alors pourquoi, face au gĂ©nocide en cours, souscrivez-vous Ă la terminologie de lâautodĂ©fense dâIsraĂ«l ?
Il sâagit dâune occupation criminelle qui dure depuis des dĂ©cennies. Le prĂ©sident israĂ©lien nâa pas fait de distinction entre les civils et le Hamas. Le premier ministre Benyamin NĂ©tanhayou a appelĂ© Ă la destruction de Gaza. Le ministre de la dĂ©fense a dit : « Gaza nâaura pas dâeau, dâĂ©lectricitĂ©, de nourriture. » Il y a les destructions et les morts.
Et malgrĂ© tout, les EuropĂ©ens et lâOccident soutiennent. Ils sont complices. Ils donnent les armes, les fonds, une couverture lĂ©gale et politique Ă IsraĂ«l. Quelles sont vos valeurs ? Que signifie la loi pour vous ? Comment vos pays peuvent-ils se regarder dans le miroir face Ă ce gĂ©nocide en cours ? Comment peuvent-ils se dire impuissants ? Comment Joe Biden et son ministre des affaires Ă©trangĂšres peuvent-ils dire : « Câest trĂšs triste de voir mourir des enfants Ă Gaza », alors quâil leur suffit dâune phrase pour tout stopper ?
Je pense que les Occidentaux nâont aucune volontĂ© politique. Et donc ils soutiennent. Ma colĂšre, ma vraie colĂšre, elle est lĂ .
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Raji Sourani, directeur du Centre palestinien pour les droits humains, à Madrid, le 22 janvier 2024. © Photo Daniel Gonzalez / EFE via MaxPPP
La France plaide dĂ©sormais ouvertement pour un cessez-le-feu. Et elle nâest plus la seule dĂ©sormais...
Mais il nây a pas de cessez-le-feu ! Tout se passe selon les souhaits de NĂ©tanyahou, et ses ministres [dâextrĂȘme droite â ndlr] Smotrich et Ben-Gvir : des tueries de masse, la destruction de masse, la famine de masse, le dĂ©placement de masse. Une nouvelle Nakba est en cours. Un million et demi de personnes qui sont Ă Rafah en ce moment mĂȘme, prĂšs de la frontiĂšre avec lâĂgypte, peuvent ĂȘtre expulsĂ©es de Gaza dâune minute Ă lâautre.
Nous sommes tuĂ©s par des armes amĂ©ricaines et europĂ©ennes. Pourquoi continuent-ils de soutenir IsraĂ«l ? Je nâarrive pas Ă comprendre !
Depuis des mois, nous assistons Ă un gĂ©nocide. Ce ne sont pas des allĂ©gations : câest la Cour internationale de justice, la plus importante du monde, qui a parlĂ© de « gĂ©nocide plausible ». Et vos pays ne font rien ! Nous sommes tuĂ©s par des armes amĂ©ricaines et europĂ©ennes. Pourquoi continuent-ils de soutenir IsraĂ«l ? Je nâarrive pas Ă comprendre ! Les seuls Ătats en Europe qui ne se comportent pas ainsi sont lâEspagne, la Belgique, le Luxembourg, la SlovĂ©nie.
Que demandez-vous aux pays européens ?
Le respect de la loi. Agissez envers la Palestine comme vous agissez pour lâUkraine ! ArrĂȘtez les tueries, arrĂȘtez la famine, arrĂȘtez les dĂ©placements de population ! De nombreuses ONG internationales, mais aussi israĂ©liennes, ont documentĂ© la violation des droits des lâhomme par IsraĂ«l. Pourquoi les relations commerciales continuent-elles comme si de rien nâĂ©tait, alors que le traitĂ© entre lâUnion europĂ©enne et IsraĂ«l mentionne le nĂ©cessaire respect des droits de lâhomme ?
Pourquoi IsraĂ«l est-il Ă lâEurovision ? Pourquoi IsraĂ«l est-il prĂ©sent aux Jeux olympiques ? Pourquoi les IsraĂ©liens peuvent-ils venir sans visa en Europe alors que les EuropĂ©ens, mĂȘme des ministres, doivent demander aux autoritĂ©s israĂ©liennes sâils veulent visiter Gaza, et la plupart du temps nây sont pas autorisĂ©s ? Que quelquâun me dise pourquoi ils sont rĂ©compensĂ©s parce quâils commettent un gĂ©nocide !
Les Ătats-Unis prĂ©sentent ce vendredi une rĂ©solution au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies pour un « cessez-le-feu » et la libĂ©ration des otages. La France annonce elle aussi une rĂ©solution sur un « cessez-le-feu immĂ©diat ». Quâen pensez-vous ?
Ce sont des menteurs. Comment leur faire confiance, Ă moins dâĂȘtre stupide, naĂŻf ou les deux ? Ils fournissent les avions, les bombes. Des soldats occidentaux nous combattent. Des Français, des Italiens, des AmĂ©ricains. Ce nâest pas un secret, la population de Gaza le voit. IsraĂ«l procĂšde Ă une occupation militaire et criminelle depuis des dĂ©cennies. Câest lâoccupation la plus longue et la plus documentĂ©e au monde. LâAfrique du Sud mais aussi le BrĂ©sil donnent Ă lâEurope une leçon de morale et de droits humains.
Vous ĂȘtes gazaouiâŠ
Je suis un fier rĂ©sident de Gaza. Je dis « rĂ©sident » et pas « ressortissant », parce que nous nâavons pas la nationalitĂ©, et ce sont les IsraĂ©liens qui dĂ©cident de notre rĂ©sidence.
Au début de la guerre, votre propre maison a été bombardée.
Jâai subi deux bombardements. Je monte les dossiers des crimes de guerre israĂ©liens devant les tribunaux : je fais donc partie de ceux qui sont ciblĂ©s. Jâai Ă©tĂ© bombardĂ© une premiĂšre fois le 18 octobre, la nuit, chez moi, jâĂ©tais avec ma femme et mon fils. Ăa a durĂ© prĂšs de deux heures : un tapis de bombes dans le quartier, jusquâĂ deux cent mĂštres de nous. Une bombe a mĂȘme touchĂ© la maison. Jâai dĂ©mĂ©nagĂ© dans une autre maison Ă Gaza City.
Le 23 octobre, Ă nouveau, la mosquĂ©e et le poste de police Ă cĂŽtĂ© de mon domicile ont Ă©tĂ© ciblĂ©s, bombardĂ©s par sept Ă©normes bombes. Nous avons survĂ©cu. Chaque minute, chaque heure, nous avons eu peur que le bĂątiment tombe sur notre tĂȘte. Il faut vous imaginer : ce sont des bombes gigantesques, qui vont jusquâĂ 20 mĂštres dans le sol. Vous avez lâimpression quâelles vous atteignent directement.
Des centaines, des milliers de ces bombes ont Ă©tĂ© utilisĂ©es Ă Gaza. Jâai tentĂ© de partir au sud, Ă Khan YounĂšs, mais je nâai pas pu. La deuxiĂšme fois, un ami mâa enjoint Ă la derniĂšre minute de revenir sur mes pas : dâautres gens avaient essayĂ© de fuir, il y avait des dizaines de corps dans la rue. Jâai fini par rejoindre Khan YounĂšs fin novembre, et jâai pu finalement me rendre en Ăgypte.
Je nâarrive toujours pas Ă rĂ©aliser le nombre de morts.
Que sont devenus vos proches, vos ami·es ?
DĂšs la premiĂšre semaine, jâai arrĂȘtĂ© dâadresser des condolĂ©ances. Je nâarrive toujours pas Ă rĂ©aliser le nombre de morts. Chaque jour, jâentends parler dâamis, de voisins, de collĂšgues morts, partout dans la bande de Gaza.
Jâai connu les six guerres de Gaza, jâai menĂ© des enquĂȘtes sur de nombreux crimes de guerre. Cette fois, dĂšs le premier jour, jâai compris que câĂ©tait diffĂ©rent. Pour la premiĂšre fois, jâai demandĂ© aux 65 collaborateurs de mon organisation de ne pas bouger de chez eux, de ne pas aller enquĂȘter sur place, de seulement documenter ce qui se passe dans leur voisinage.
Onze collaborateurs sont partis au Caire, sept sont en Cisjordanie. Deux ont Ă©tĂ© tuĂ©es. Lâune avec trente-sept membres de sa famille. Une autre avec sept de ses proches.
Quâest-ce qui est diffĂ©rent cette fois ?
DĂšs le premier jour, les hĂŽpitaux, les Ă©coles, les abris, les locaux de lâUNRWA [lâagence onusienne des rĂ©fugiĂ©s palestiniens, cheville ouvriĂšre de lâaide humanitaire Ă Gaza, victime dâune campagne dâIsraĂ«l â ndlr] ont Ă©tĂ© ciblĂ©s. Mais aussi les boulangeries, les installations pour dĂ©saliniser lâeau, les systĂšmes dâassainissement, les usines dâĂ©lectricitĂ©, les routes.
CâĂ©tait trĂšs clair dĂšs le dĂ©but. Il sâagit dâune stratĂ©gie planifiĂ©e et intentionnelle de nettoyer Gaza de ses civils. Câest une Ă©vidence. Jâen ai beaucoup discutĂ© avec mes collĂšgues avocats, quâils soient palestiniens, europĂ©ens, amĂ©ricains ou sud-africains. Au bout de dix jours, tout le monde Ă©tait dâaccord : câest un gĂ©nocide. Les faits sont clairs.
Bombarder deux, trois, voire cinq hĂŽpitaux, Ă la limite, on peut le concevoir. Mais pourquoi attaquer 38 hĂŽpitaux ? Quelle est lâintention ? Pourquoi sâen prendre aux enfants malades, aux docteurs, aux ambulances ? Pourquoi attaquer les mosquĂ©es et les Ă©glises ? Pourquoi sâen prendre aux zones les plus peuplĂ©es ? AnĂ©antir des familles entiĂšres, avec parfois des dizaines de morts, et selon nos estimations encore jusquâĂ 10 000 tuĂ©s encore sous les dĂ©combres ? Forcer les gens Ă quitter le nord tout en les bombardant ? Les affamer et empĂȘcher lâaccĂšs de lâaide humanitaire ? DĂ©truire des supermarchĂ©s ?
Dans ce chaos, comment pouvez-vous documenter les crimes de guerre ?
Le premier mois, cinq ou six dâentre nous ont commencĂ© Ă collecter tout ce quâils pouvaient. Nous ne pouvons pas documenter les destructions contre les 38 hĂŽpitaux. Mais nous pouvons nous concentrer sur ce qui sâest produit Ă lâhĂŽpital Al-Shifa, Ă lâhĂŽpital Al-Qods, Ă lâhĂŽpital indonĂ©sien. Car ce qui sây est passĂ© sâest rĂ©pĂ©tĂ© ailleurs, selon le mĂȘme scĂ©nario.
Donc nous recueillons de nombreux tĂ©moignages, relevons les munitions utilisĂ©es. Nous documentons les stratĂ©gies de famine, le dĂ©placement. Et la torture. Personne ne parle des 4 000 prisonniers arrĂȘtĂ©s Ă Gaza. Ils ont Ă©tĂ© torturĂ©s dans des conditions pires que Guantanamo et Abu Ghraib. Personne ne parle non plus des meurtres extrajudiciaires de lâarmĂ©e israĂ©lienne contre des familles et des jeunes.
Votre organisation a contribuĂ© Ă la procĂ©dure pour gĂ©nocide de lâAfrique du Sud Ă la Cour internationale. Vous Ă©tiez vous-mĂȘme Ă La Haye lors des auditions. Le 26 janvier, la Cour a exigĂ© des mesures provisoires pour Ă©viter un « gĂ©nocide plausible ». Et depuis ?
IsraĂ«l affirme que tout cela nâexiste pas. Mais ce quâa dit la CIJ, ce nâest pas une discussion dâintellectuels dans un coin que personne ne devrait respecter ! Les mesures provisoires prononcĂ©es signifient que quelque chose de grave se passe et quâil faut le stopper. La Cour nâa pas demandĂ© un cessez-le-feu, mais en rĂ©alitĂ© elle a soulevĂ© le sujet : car comment protĂ©ger les civils, arrĂȘter les massacres, faire entrer les mĂ©dicaments et la nourriture sâil nây a pas de cessez-le-feu ?
La CIJ a signalĂ© Ă la communautĂ© internationale que câĂ©tait Ă elle dâagir. La France et lâAllemagne sâĂ©taient engagĂ©es Ă respecter sa dĂ©cision. Et maintenant ? Les Français et les Allemands prient IsraĂ«l dâautoriser lâaide humanitaire, de coopĂ©rer. Honte Ă eux ! Ils permettent Ă IsraĂ«l dâexĂ©cuter son plan : faire sortir les Palestiniens de Gaza, mener son gĂ©nocide. Câest une autorisation de tuer. Ă lâheure oĂč nous parlons, un million et demi de Gazaouis se retrouvent dans une aire de 40 kilomĂštres carrĂ©s prĂšs de Rafah. Ă tout moment, en bombardant Rafah, NĂ©tanyahou peut dĂ©clencher une nouvelle Nakba.
Vous reprĂ©sentez des victimes palestiniennes devant la Cour pĂ©nale internationale depuis des annĂ©es. Quâattendez-vous dâelle ?
Câest une question importante. En 2015, lâAutoritĂ© palestinienne est devenue membre de la CPI [elle a ainsi saisi la juridiction de la Cour sur les crimes prĂ©sumĂ©s commis « dans les Territoires palestiniens occupĂ©s, JĂ©rusalem-Est inclus, depuis le 13 juin 2014 â ndlr]. LâenquĂȘte a Ă©tĂ© rĂ©ellement ouverte en 2021 par lâancienne procureure gĂ©nĂ©rale, Fatou Bensouda.
Nous Ă©tions soulagĂ©s. Nous nous sommes dit : enfin, IsraĂ«l va payer pour ses crimes de guerre, ses persĂ©cutions et ses crimes contre lâhumanitĂ©. Lâactuel procureur, Karim Khan, a pris la tĂȘte de la CPI en juin 2021. Depuis, il nâa rien fait. Nous avons tous les dossiers. Nous lâavons implorĂ© de nous recevoir. Il nâa jamais acceptĂ©.
AprĂšs le 7 octobre, il sâest dĂ©pĂȘchĂ© de voir les victimes israĂ©liennes sur le thĂ©Ăątre des crimes. Mais il nâest pas venu Ă Gaza. Pour moi, il est lâhomme de lâAllemagne, du Royaume-Uni et de lâEurope. Dans le cas ukrainien, il a commencĂ© une enquĂȘte trĂšs vite. Il a Ă©mis un mandat dâarrĂȘt contre Poutine un an aprĂšs le dĂ©but de la guerre. Pour nous, il nâa rien fait.
Le procureur de la Cour pĂ©nale internationale nous a promis quâil ne nous dĂ©cevrait pas. CâĂ©tait en janvier. Depuis ? Aucune nouvelle.
Nous avons protestĂ©, il a commencĂ© Ă sentir notre pression. Il nâa demandĂ© Ă nous rencontrer que lorsque nous avons dĂ©posĂ© la requĂȘte devant la Cour internationale de justice. Nous lui avons parlĂ© en visio le 11 janvier, le deuxiĂšme jour des auditions devant la CIJ. Je lui ai adressĂ© toutes mes critiques. Je lui ai dit quâil devrait ĂȘtre la conscience lĂ©gale des victimes, que nous avons tous les dossiers, les preuves, les faits. Je lui ai dit : « Si vous aviez rĂ©agi avant, si vous aviez dans ce cas aussi dĂ©clenchĂ© des procĂ©dures, peut-ĂȘtre auriez-vous envoyĂ© des messages Ă IsraĂ«l et cet affreux gĂ©nocide nâaurait pas eu lieu. »
Il a reconnu que ce qui se passe nâest pas acceptable, nous a demandĂ© de coopĂ©rer avec lui, nous a promis quâil ne nous dĂ©cevrait pas. CâĂ©tait en janvier. Depuis ? Aucune nouvelle, ni rien de tangible. Notre sentiment, câest quâil ne veut pas quâIsraĂ«l rende des comptes. Je ne le respecte pas et je ne lui fais pas confiance.
Depuis des semaines, des discussions ont lieu sur une trĂȘve, la libĂ©ration des otages israĂ©liens et des prisonniers palestiniens, entre IsraĂ«l et le Hamas, sous lâĂ©gide des Ătats-Unis et du Qatar. Pourtant, elles nâaboutissent pas.
Mais IsraĂ«l se moque des otages ! Ils dĂ©tiennent Ă peu prĂšs 3 000 prisonniers arrĂȘtĂ©s en Cisjordanie, et 4 000 prisonniers de Gaza. Ă vrai dire, ceux de Gaza, nous ne connaissons mĂȘme pas leur nombre exact. DĂ©jĂ , parce que personne ne sait qui est mort ou vivant parmi ceux [les membres du Hamas et des autres groupes palestiniens â ndlr] qui Ă©taient en IsraĂ«l au moment du 7 octobre.
Par ailleurs, câest lâarmĂ©e israĂ©lienne qui contrĂŽle tout, au point que lâautoritĂ© israĂ©lienne chargĂ©e des prisons nâa pas dâinformations prĂ©cises. Les prisonniers sont dans des camps militaires. Ce que nous savons, câest quâils sont dâabord interrogĂ©s, puis quâune enquĂȘte est menĂ©e. Les prisonniers nâont pas de nom, seulement un numĂ©ro. Nous avons documentĂ© des centaines de cas de torture. Câest sans prĂ©cĂ©dent. Certains prisonniers ont Ă©tĂ© tuĂ©s.
Ensuite, les prisonniers sont interrogĂ©s par le Shin Bet israĂ©lien [les services du renseignement intĂ©rieur â ndlr] dans un camp militaire prĂšs de JĂ©rusalem. Tout cela se passe hors du droit. Imaginez ce quâils peuvent faire avec eux dans ces conditions. IsraĂ«l a ramenĂ© et enterrĂ© de nombreux corps Ă Gaza. Sur ces cadavres, nous ne savons rien : pourquoi et comment IsraĂ«l les dĂ©tenait, qui ils sont, il nây a aucun moyen de les identifier. Si vous ajoutez leurs cas Ă tous les morts dĂ©jĂ connus, nous avons lĂ un crime de masse quâil va falloir documenter.
Les Palestiniens vivent lâĂ©poque la plus sanglante, la plus destructrice de leur histoire. Nous nâavons pas le droit dâabandonner ni le droit dâĂȘtre de bonnes victimes aux yeux du monde. Nous dĂ©fendons une cause juste. Nous sommes dans le bon sens de lâhistoire. Je reste un optimiste stratĂ©gique et compte documenter les crimes en cours avec les armes du droit.
Pour lâheure, la guerre est en cours. Un jour, elle sâarrĂȘtera. Quelle est la solution politique ?
Je me doutais que les accords dâOslo allaient institutionnaliser lâoccupation. Maintenant ? Nous voulons la fin de cette occupation. Câest tout. Il nây a jamais dâoccupation juste. Nous serons heureux avec les 22 % de la Palestine historique [les Territoires occupĂ©s par IsraĂ«l â ndlr], et la possibilitĂ© de dĂ©cider de notre futur, avec, je lâespĂšre, un paysage politique qui pourrait changer si [le militant palestinien] Marwan Barghouti ou dâautres personnalitĂ©s sont libĂ©rĂ©s de prison.
Notre existence ne peut ĂȘtre niĂ©e. Nous avons toujours Ă©tĂ© lĂ . Et nous serons toujours lĂ . Et nous sommes dâautant plus forts que la sociĂ©tĂ© civile amĂ©ricaine, europĂ©enne et mondiale nous soutient. Ă elles et eux, je veux dire merci : nous sommes fiers de vous, nous savons ce que vous faites, vous ĂȘtes la clĂ© du changement.
Mathieu Magnaudeix