TĂ©moins fidĂšles de ce qui se produit en sĂ©ance, les rĂ©dacteurs des dĂ©bats sont Ă©galement les seuls tĂ©moins de tout ce qui constitue le « hors champ » et parfois le « hors rĂšglement » de la sĂ©ance. Or, la dimension procĂ©durale de la sĂ©ance, les oblige Ă une vigilance de tous les instants, car telle interruption peut sâavĂ©rer sans suite et telle autre peut jouer un rĂŽle clĂ© dans la dynamique de la sĂ©ance et dĂ©clencher un « incident ». Les « incidents » sont bien entendu de nature et dâampleur variĂ©es : joute oratoire, bruit, insulte, menace physique, irruption du public, rĂ©volution ! ĂvĂšnements historiques, rares, mais qui nous rappelle le caractĂšre dâimprĂ©visibilitĂ© de la vie parlementaire.
(âŠ) Comme lâindique Hippolyte PrĂ©vost, directeur du service en 1848 : pour rendre la qualitĂ© dâun bon orateur, il faut un travail patient et invisible de lâĂ©crit. Personne ne parlant comme il Ă©crit, toute « improvisation » en sĂ©ance oblige Ă un important travail de « rĂ©vision » qui peut ĂȘtre assimilĂ© Ă une « traduction ». H. PrĂ©vost a clairement explicitĂ© la nature « littĂ©raire » de ce travail : resserrer, clarifier, Ă©monder, rĂ©viser, avec « goĂ»t et tact », en dĂ©robant aux lecteurs et Ă lâorateur, lui-mĂȘme, les traces de lâintervention (PrĂ©vost, 1848). Cette activitĂ© de traduction est bien entendu toujours Ă lâĆuvre. Certains rĂ©dacteurs des dĂ©bats considĂšrent quâelle est plus que jamais Ă lâordre du jour en raison de la baisse des qualitĂ©s oratoires des Ă©lus. Ils assument quâil leur appartient de redonner du lustre Ă la fonction parlementaire et de contribuer dans le passage Ă lâĂ©crit Ă une mise en forme autant stylistique quâinstitutionnelle.
(...) Devant le risque que comporte la loi relative au statut gĂ©nĂ©ral des fonctionnaires (1946) qui prĂ©voit lâĂ©galitĂ© dâaccĂšs des hommes et des femmes Ă tous les emplois publics, ils font voter par le bureau de lâAssemblĂ©e en 1951 un numerus clausus qui les prĂ©serve (au prĂ©texte de la difficultĂ© de la charge, incompatible avec la « fragilitĂ© » de la nature fĂ©minine) de toute prĂ©sence indĂ©sirable. LâarrĂȘtĂ© stipule ainsi que le service ne peut comporter plus de 10 % de femmes. La digue tient jusquâĂ ce que la nĂ©cessitĂ© de faire face Ă une surcharge dâactivitĂ© oblige au recours ponctuel Ă des dames secrĂ©taires. La porte Ă©tant ouverte, des demoiselles sây engouffrent. Ainsi en est-il de Mlle A., « dame secrĂ©taire » au Palais-Bourbon depuis 1953, auxiliaire au CRI au milieu des annĂ©es 1960, qui se prĂ©sente (manifestement contre lâavis du directeur du service) au concours de recrutement qui sâouvre en 1968. Elle est classĂ©e cinquiĂšme sur six, alors que le concours pourvoit cinq postes, mais dĂ©classĂ©e au profit du sixiĂšme candidat, au titre que le service ne pourrait supporter « sans grave dommage » le fait dâabsorber deux femmes. Une autre femme, classĂ©e quatriĂšme est en effet recrutĂ©e, devenant la premiĂšre femme stĂ©nographe des dĂ©bats de lâhistoire du service. Mlle A. porte plainte devant le tribunal administratif qui statue dans un premier temps sur la seule question de la recevabilitĂ© de sa candidature. Devant la mobilisation des associations fĂ©minines et fĂ©ministes, le tribunal se voit obliger de statuer au fond sur la lĂ©galitĂ© de lâĂ©viction (et du numerus clausus). Le tribunal tranche en faveur de Mlle A. Elle est dĂ©clarĂ©e admise, mais nâest intĂ©grĂ©e dans les cadres quâen novembre 1973, aprĂšs que le directeur du service ait refusĂ© sa titularisation et que lâadministration ait du faire face Ă une campagne syndicale en sa faveur.
(âŠ) Le rejet du magnĂ©tophone enregistreur est une autre affaire. Lâobjet est tabou jusquâĂ la fin des annĂ©es 1960. Il est interdit de mentionner son nom dans le service. Les plus anciens se souviennent de sâĂȘtre Ă©quipĂ©s en secret de leur hiĂ©rarchie (cachant lâinstrument dans leurs vĂȘtements), soulagĂ©s de pouvoir recourir Ă lâenregistrement en cas de mauvaise « prise », mais effrayĂ©s dâĂȘtre dĂ©masquĂ©s.