LâĂšre de la standardisation : conversation sur la Plantation, Anna Lowenhaupt Tsing, Donna Haraway
âșhttps://www.terrestres.org/2024/02/23/lere-de-la-monoculture-et-de-la-standardisation-conversation-sur-la-plan
[Donna Haraway] Dâune certaine maniĂšre, la notion de #PlantationocĂšne nous force Ă prĂȘter attention aux cultures qui se sont constituĂ©es autour de la nourriture et de la #plantation en tant que systĂšme de #travail forcĂ© multi-espĂšces. Le systĂšme de la plantation accĂ©lĂšre la temporalitĂ© mĂȘme des gĂ©nĂ©rations. La plantation perturbe en effet les successions de gĂ©nĂ©ration pour tous les acteurs·trices humains·es et non humains·nes. Elle simplifie radicalement leur nombre et met en place des situations favorisant la vaste prolifĂ©ration de certain·es et lâĂ©limination dâautres. Cette façon de rĂ©organiser la vie des espĂšces favorise en retour les Ă©pidĂ©mies. Ce systĂšme dĂ©pend dâun certain type de travail humain forcĂ©, car si jamais la main-dâĆuvre peut sâĂ©chapper, elle sâenfuiera de la plantation.
Le systĂšme de la plantation nĂ©cessite donc soit un gĂ©nocide ou lâexil forcĂ© dâune population, ou encore un certain mode dâenfermement et de remplacement de la force de travail locale par une main dâĆuvre contrainte venant dâailleurs. Cela peut ĂȘtre mis en place par des contrats bilatĂ©raux mais quoiquâil en soit asymĂ©triques, soit par de lâesclavage pur et simple. La plantation dĂ©pend ainsi par dĂ©finition de formes trĂšs intenses de #travail_forcĂ©, sâappuyant aussi sur la sur-exploitation du travail mĂ©canique, la construction de machines pour lâexploitation et lâextraction des ĂȘtres terrestres. Je pense dâailleurs quâil est essentiel dâinclure le travail forcĂ© des #non-humains â plantes, animaux et microbes â dans notre rĂ©flexion.
DĂšs lors, lorsque je rĂ©flĂ©chis Ă la question de savoir ce quâest une plantation, il me semble quâune combinaison de ces Ă©lĂ©ments est presque toujours prĂ©sente sur les cinq derniers siĂšcles : simplification radicale ; remplacement de peuples, de cultures, de microbes et de formes de vie ; travail forcĂ©. Plus encore peut-ĂȘtre que ces Ă©lĂ©ments, la plantation repose en outre sur le bouleversement des temporalitĂ©s qui rendent possible la succession des gĂ©nĂ©rations, la transmission et le passage dâune gĂ©nĂ©ration Ă lâautre pour chaque espĂšce, y compris pour les ĂȘtres humains. JâĂ©vite le mot reproduction Ă cause de son aspect productiviste, mais je veux souligner lâinterruption radicale de la possibilitĂ© de prendre soin des gĂ©nĂ©rations et, comme Anna me lâa appris, la rupture du lien avec le lieu â la capacitĂ© dâaimer et de prendre soin des localitĂ©s est radicalement incompatible avec la plantation. En pensant Ă la plantation, toutes ces dimensions semblent ĂȘtre constamment prĂ©sentes Ă travers diverses configurations.
Anna Tsing : Jâajouterai briĂšvement que le terme plantation mâĂ©voque lâhĂ©ritage dâun ensemble bien particulier dâhistoires convoquant ce qui sâest passĂ© aprĂšs lâinvasion europĂ©enne du Nouveau Monde, notamment la capture dâAfricain·es comme main-dâĆuvre asservie et la simplification des cultures pour forcer les travailleurs·euses asservi·es Ă devenir des travailleurs·euses agricoles. Dans de nombreuses petites exploitations agricoles indĂ©pendantes, des dizaines de cultures agricoles diffĂ©rentes peuvent ĂȘtre pratiquĂ©es et exiger du soin de la part des agriculteurs-trices qui se prĂ©occupent de chacune dâelles. En concevant Ă lâinverse des systĂšmes reposant sur du travail forcĂ© et contraint, lâagriculture en est venue Ă reposer sur des simplifications Ă©cologiques.
#histoire #mise_au_travail #capitalisme #anthropocĂšne #capitalocĂšne #Ă©cologie