• Qu’est ce que ça fait d’être un problème ?
    http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/210115/qu-est-ce-que-ca-fait-d-etre-un-probleme

    La conjoncture historique ressemble à celle de l’après 11-Septembre, où les journalistes de bureau et philosophes de plateaux donnaient des « leçons de terrain » aux politistes, sociologues et journalistes qui menaient depuis des années des enquêtes sur les groupuscules violents à référence islamique. Ce qui est en jeu, c’est la possibilité même de produire un discours rationnel, fondé empiriquement, à l’heure où les islamophobes de tout poil profitent de la fenêtre d’opportunité pour imposer le retour de l’idée de « choc des civilisations ».

    Après la mise à l’index des présumés musulmans, ce sont les journalistes et militants ayant supposément dénoncé l’islamophobie de Charlie Hebdo qui sont cloués au pilori. Ceux-ci seraient « responsables » des tueries et devraient rendre des comptes, comme si les tueurs s’étaient inspirés de leurs articles et communiqués pour mener leur opération. C’est leur attribuer une surface médiatique qu’ils n’ont pas, tant l’accès à l’arène publique est sélective et témoigne d’une asymétrie persistante dans les régimes de prise de parole. C’est méconnaître les véritables influences idéologiques du commando, à chercher dans les écrits des cheikhs de la nébuleuse d’Al Qaïda. Le raisonnement sous-jacent à cette accusation relève du sophisme : défendre la ligne éditoriale du journal et attaquer ceux qui ont pu la critiquer, c’est prendre acte du fait que la tuerie pourrait éventuellement être justifiée par la nature de cette ligne éditoriale. Il semble que l’émotion l’emporte sur la raison et il y a un risque de censurer toute parole universitaire, journalistique et militante qui dénonce l’islamophobie, phénomène social qui existe réellement.

  • Charlie à tout prix ?, par Frédéric Lordon
    http://blog.mondediplo.net/2015-01-13-Charlie-a-tout-prix

    Lorsque le pouvoir de transfiguration de la mort, ce rituel social qui commande l’éloge des disparus, se joint à la puissance d’une émotion commune à l’échelle de la société tout entière, il est à craindre que ce soit la clarté des idées qui passe un mauvais moment. Il faut sans doute en prendre son parti, car il y a un temps social pour chaque chose, et chaque chose a son heure sociale sous le ciel : un temps pour se recueillir, un temps pour tout dire à nouveau.

    Illustration fournie par le NASDAQ : https://twitter.com/NASDAQ/status/553247771726450688

    • Alors « union nationale » ? « Peuple en marche » ? « France debout » ? Il s’agirait peut-être d’y regarder à deux fois, et notamment pour savoir si cette manière de clamer la résolution du problème par la levée en masse n’est pas une manière spécialement insidieuse de reconduire le problème, ou d’en faire la dénégation. A l’image des dominants, toujours portés à prendre leur particularité pour de l’universel, et à croire que leur être au monde social épuise tout ce qu’il y a à dire sur le monde social, il se pourrait que les cortèges d’hier aient surtout vu la bourgeoisie éduquée contempler ses propres puissances et s’abandonner au ravissement d’elle-même. Il n’est pas certain cependant que ceci fasse un « pays », ou même un « peuple », comme nous pourrions avoir bientôt l’occasion de nous en ressouvenir.

    • Il y aurait enfin matière à questionner la réalité de l’« union nationale » qu’on célèbre en tous sens. Tout porte à croire que le cortège parisien, si immense qu’il ait été, s’est montré d’une remarquable homogénéité sociologique : blanc, urbain, éduqué.

      Impossible de savoir effectivement, mais pour qui observait les trains en provenance du nord de Paris, il semblerait que ce soit tout de même le cas. Du coup, en écho, lire aussi ce texte, qui glose à partir du dessin d’Uderzo :

      Dès lors le « Je suis un Charlie » signifie bien « Je suis un Français », un « blanc » plutôt. Oui : « je suis un blanc », ce qui n’a rien de honteux en soi naturellement, mais quand c’est un blanc cognant joyeusement sur un porteur de babouches, assimilé implicitement à un envahisseur (par analogie avec les habituelles sandales romaines que viennent ici remplacer les babouches), alors « Je suis un Charlie » signifie : « je suis blanc et j’emmerde les bougnoules ».

      http://lmsi.net/De-quoi-Charlie-est-il-le-nom

    • En lisant l’ami Lordon...
      http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=18421

      J’ai bien lu : « avec une publicité aussi ostentatoire que possible ». Gloups. Si je comprends bien Lordon, Libé aurait été pardonné d’accueillir les rescapés de Charlie, mais surtout sans que personne le sache. Rien de plus facile. Il suffisait à Joffrin de prendre un air dégagé, et de répondre à la presse mondiale qui campe devant le siège du journal que non non, il n’a entendu parler de rien. Charlie comment ? Pas chez nous. Voyez en face.

    • On lit :

      Les médias d’abord, dont on pouvait être sûr que, dans un réflexe opportuniste somme toute très semblable à celui des pouvoirs politiques dont ils partagent le discrédit, ils ne manqueraient pas pareille occasion de s’envelopper dans la « liberté de la presse », cet asile de leur turpitude.

      A l’image par exemple de Libération, qui organise avec une publicité aussi ostentatoire que possible l’hébergement de Charlie Hebdo. Libération, ce rafiot, vendu à tous les pouvoirs temporels, auto-institué dernière demeure de la liberté d’expression ! — peut-être en tous les sens du terme d’ailleurs.

      Tout porte à croire que le cortège parisien, si immense qu’il ait été, s’est montré d’une remarquable homogénéité sociologique : blanc, urbain, éduqué.

      il se pourrait que les cortèges d’hier aient surtout vu la bourgeoisie éduquée contempler ses propres puissances et s’abandonner au ravissement d’elle-même.

      Et on pense que ça aide et que c’est très constructif comme « réflexions ».

      On a déjà perdu quelques repères et quelques référents depuis la semaine dernière, on remercira Lordon de nous démolir encore un peu plus. Et si c’est pour nous arroser de ce regard arrogant, la prochaine fois, il pourra aussi faire plus court.

      #désillusion

    • Tout à fait d’accord avec Lordon sur le point de l’homogénéité des ’marcheurs’ (largement convaincus à la cause) et finalement très triste que l’on ne voit aucune démonstration ou revirement pour aider une jeunesse française perdue et sans espoirs, malgré de nombreuses voix qui s’élèvent pour dénoncer l’urgence (mais qui existe depuis bien des années) de la situation, venant de ceux qui la fréquentent, souvent des institutrices...

  • « La peur d’une communauté qui n’existe pas ». Olivier Roy | Camp - Volant
    http://campvolant.com/2015/01/09/la-peur-dune-communaute-qui-nexiste-pas-par-olivier-roy

    Et pourtant, on ne cesse de parler de cette fameuse communauté musulmane, à droite comme à gauche, soit pour dénoncer son refus de vraiment s’intégrer, soit pour en faire une victime de l’islamophobie. Les deux discours opposés sont fondés en fait sur le même fantasme d’une communauté musulmane imaginaire. Il n’y a pas de communauté musulmane, mais une population musulmane. Admettre ce simple constat serait déjà un bon antidote contre l’hystérie présente et à venir.

    • Inversement, si l’on peut dire, les faits montrent que les musulmans français sont bien plus intégrés qu’on ne le dit. Chaque attentat « islamiste » fait désormais au moins une victime musulmane parmi les forces de l’ordre : Imad Ibn Ziaten, militaire français tué par Mohamed Merah à Toulouse en 2012, ou le brigadier Ahmed Merabet, tué lorsqu’il a tenté d’arrêter le commando des tueurs de Charlie Hebdo. Au lieu d’être cités en exemple, ils sont pris en contre-exemple : le « vrai » musulman est le terroriste, les autres sont des exceptions. Mais, statistiquement, c’est faux : en France, il y a plus de musulmans dans l’armée, la police et la gendarmerie que dans les réseaux Al-Qaida, sans parler de l’administration, des hôpitaux, du barreau ou de l’enseignement.