• ❝La propagande officielle aboie avec hystérie et fait tout ce qu’elle peut pour convaincre les Russes du bien-fondé de cette guerre, tout en refusant de la désigner ainsi. Le ministre de la censure muselle les quelques médias russes encore indépendants, notamment Meduza, où je travaille, qui osent utiliser le mot “guerre”. Mardi, le gouvernement a privé d’antenne Echo de Moscou et TVRain, les dernières stations de radio et chaîne de télévision indépendantes. Les appels à punir la “cinquième colonne” et les “traîtres”, c’est-à-dire ceux qui soutiennent l’Ukraine, sont de plus en plus forts. La répression politique va s’intensifier, c’est certain.

    #russie #censure #ukraine #kremlin #presse #media

    https://www.courrierinternational.com/article/tribune-moscou-subi-une-ecrasante-defaite-morale-les-russes-l

  • Je vais vous recommander chaudement ce premier numéro de la revue Tèque (@revueteque), non pas parce que j’y ai commis un article, mais parce que Tèque propose enfin la revue sur le numérique que je souhaite lire depuis des années. Elle le fait plutôt humblement. Hormis mon article, les 4 autres qui la composent sont des traductions d’articles que vous avez certainement, comme moi, déjà lu. Sans surprises, ils proviennent pour l’essentiel de revues américaines dont je n’ai cessé de vous parler, comme Real Life, The Baffler ou la Technology Review. Un autre article vient d’un chercheur, artiste et designer, comme ceux que je ne cesse de vous inviter à lire. Tèque va chercher les endroits et les gens qui pensent et font le numérique, qui le questionnent, qui l’inspectent, qui nous aident à le comprendre et à le subvertir. Ces traductions offriront en tout cas, à beaucoup d’entre nous, un vrai confort de compréhension.

    Tèque est une revue de réflexion sur la technologie qui prend le temps d’en décortiquer le fonctionnement, qui plonge dans les questions que posent les pratiques, les interfaces, les programmes, leur domination culturelle et économique. Comme le disent les rédacteurs en chef de ce numéro, Loup Cellard (@CellardLoup) et Guillaume Heuguet (@G_Heuguet), il s’agit de construire “un double horizon pour leur critique : saisir en détail leur fonctionnement et ses conséquences, et les réinscrire dans des histoires plus vastes”, partout là où la technologie désormais se situe.

    Au sommaire du numéro, vous trouverez 5 articles donc.

    Le premier, signé du designer italien Silvio Lorusso (@silvio_lorusso) (j’avais évoqué longuement son excellent Entreprecariat) tente de déconstruire la figure de “l’utilisateur”. Pour Lorusso, l’utilisateur en est de moins en moins un, tant ses possibilités d’actions sont contraintes, réduites. La condition de l’utilisateur est toujours programmée par quelqu’un d’autre. Nous y sommes de moins en moins libres car nous sommes de plus en plus éloignés des outils. Nous sommes passés à une “informatique impersonnelle” qui nous dépossède, qui nous prive de savoir-faire. Nous voici prolétarisés par ces outils qui étaient censés nous rendre du pouvoir. Désormais, nous voici contraints à superviser l’automatisation. Nous ne sommes plus des utilisateurs, mais des ouvriers des systèmes, où les contenus interagissent avec nous sans fin, dans une frustration sans fin.

    Le second, signé Marlowe Granados (@marlowetatiana) revient sur l’esthétique TikTok, “espace de célébration du banal”, pur produit de l’ennui des suburbs américaines et des chambres d’adolescents confinés. Cette lecture de TikTok comme refuge virtuel de la jeunesse, qui ne cherche pas l’originalité mais la conformité, comme pour se mettre toujours à la portée de son public, dans une intimité à portée de téléphone, créé par la génération qui le consomme, offre un regard qui éclaire les spécificités des réseaux sociaux les uns envers les autres.

    Le troisième est un article du puissant Rob Horning (@robhorning), qui nous montre combien il a assimilé Bernard Stiegler pour nous expliquer lui aussi, que le numérique nous prolétarise. Nous sommes dressés par les algorithmes qui nous produisent en tant que public, tout en nous isolant les uns des autres pour mieux nous conditionner. Leur enjeux est d’abord de nous inviter à interagir avec nous-mêmes, d’être nous-mêmes notre propre public. Nous devenons “réceptifs à des systèmes qui désirent à notre place”, qui produisent pour nous de nouveaux désirs, en remplaçant les personnes que l’on désire par des machines à notre service. Nous voilà débarrassés du fardeau à produire notre propre subjectivité ! Nous sommes rendus n’être que les sujets et objets d’un marketing qui boucle sur lui-même, de systèmes qui rendent la communication sociale inutile puisqu’ils s’y substituent sans nous confronter aux frictions du social. Notre identité se dissout dans une consommation sans borne pour produire des émotions et des pulsions hors du monde social. Les systèmes nous produisent à leur image, ils instillent en nous un désir pour une culture standardisée qu’il est facile et rentable de reproduire, et ce d’autant plus qu’elle est déconnectée des complications des relations interpersonnelles. Nous sommes plongés dans l’économie libidinale de Stiegler, où le capitalisme génère ses formes esthétiques pour se reproduire lui-même. Nos identités sont fabriquées par nos consommations, qui sont sans arrêt reproduites pour alimenter la boucle…

    Le quatrième est le mien. J’y réponds à ma longue défense de l’explicabilité des systèmes pour tenter de comprendre pourquoi elle ne progresse nulle part. Des prêts bancaires à Parcoursup, les calculs demeurent bien plus opaques que transparents. A l’heure où ils se répandent partout, leur opacité s’explique en grande partie par leur caractère incontournable. S’ils sont partout les mêmes, partout incontournables, ils n’ont nulle besoin de se rendre transparents aux utilisateurs. La réduction des modes sélectifs à des calculs – qu’ils relèvent d’une pauvreté algorithmique qu’il vaut mieux ne pas expliquer ou de délires calculatoires par nature inexplicables – ne nécessite aucune explication à ceux qui sont calculés. Réduits aux calculs partout, nous produisons une société sans relations, par nature délétère.

    Le dernier article est celui que Karen Hao (@_KarenHao) a consacré aux spécialistes de l’IA de Facebook, pour montrer toute la veulerie de cette entreprise, qui n’a jamais cherché à s’amender de ses défaillances (voire même de ses crimes) algorithmiques. Édifiant !

    Tèque propose à la fois des articles exigeants et d’autres plus accessibles. Ce mélange fait sens. Espérons cependant que le prochain numéro donnera plus d’espace à des contributions originales et francophones. Je suis certain que la revue attend déjà vos propositions !

    Très heureux en tout cas d’avoir contribué à ce numéro. Pour ma part, j’attends déjà le prochain avec impatience !

    La revue Tèque, c’est par là : https://revue-teque.fr