• Du caractère inflammable des livres et de la soi-disant lutte contre la barbarie
    https://page42.org/du-caractere-inflammable-des-livres-et-de-la-soi-disant-lutte-contre-la-barb

    Dans la nuit de mercredi à jeudi, une bibliothèque a brûlé. C’était à Nantes. Deux jours plus tôt, un policier abattait à bout portant Aboubakar, un garçon de 22 ans, qui essayait de fuir un contrôle d’identité. Pourtant, à en lire les médias et les réseaux sociaux, ce n’est pas dans ce meurtre que réside la barbarie, mais bel et bien dans la crémation d’un bâtiment municipal qui hébergeait quelques bouquins. Brûler des livres est un sacrilège. Tuer un homme, on peut toujours invoquer la légitime défense ou même la maladresse.

    Et les voix de s’élever pour venir au secours de cette Culture qu’on assassine – rassurez-vous, la bibliothèque sera réouverte dans quelques jours, des bouquins on en trouve toujours. Ça ne fera pas revenir Aboubakar, mais on se félicitera de la résilience de la République. On louera le courage des habitants de vivre en résistants dans des quartiers pourris par la violence ordinaire et le fondamentalisme. Politique du Karcher oblige, on annoncera des moyens policiers supplémentaires. On jurera qu’on viendra à bout de la délinquance. L’IGPN annonce que le recours aux armes à feu chez les policiers a bondi de 54 % entre 2016 et 2017 : on est entre de bonnes mains. Et TF1 fera un reportage sur la réouverture de la bibliothèque, victoire des forces du bien contre celles du mal.

    En France, on s’émeut davantage du sort de quelques livres que des violences policières, qui pourtant gangrènent la République jusqu’à la moelle. 14 morts cette année, et des centaines de blessés – on pense aux manifestants, aux ZADistes, aux grévistes qui en subissent les assauts en première ligne, mais aussi aux habitants de ces « quartiers difficiles » qui eux le vivent aux quotidiens : contrôles à répétition, intimidation, racisme, on ne leur épargne rien. Là-bas, la police ne rassure plus personne depuis longtemps. Et quand un homme en meurt, c’est la colère enfouie dans les ventres qui déclenche l’incendie, bien avant les premiers départs de feu.

    La barbarie que nos livres sont censés combattre est là, devant nos yeux. Nous, auteurs et autrices, avons beau jeu de clamer sur tous les toits que l’empathie est notre première arme, que nous luttons à travers nos mots contre les inégalités et la violence, quand nous ne sommes pas capables de nous intéresser de près à ce qui constitue aujourd’hui la véritable barbarie – celle qu’on inflige aux plus pauvres, aux moins favorisés, aux moins blancs aussi. Pleurer sur ces bibliothèques qu’on brûle n’arrangera rien, au contraire : on ne fera que passer le message à ces gens déjà en colère qu’une poignée de livres vaudra toujours davantage que leur vie. Annoncer aujourd’hui des moyens policiers supplémentaires et la réouverture de la bibliothèque au plus vite – là où des ascenseurs sont en panne depuis des décennies, où les installations municipales sont vétustes et les habitations insalubres, c’est non seulement mettre de l’huile sur le feu, mais se foutre de la gueule du monde.

    Alors si les livres sont vraiment capables de changer le monde, c’est peut-être par là qu’il faut commencer : en tant qu’auteurs et autrices, nous devons nous engager aux côtés de celles et ceux qui ont vraiment besoin de notre empathie : pauvres, migrants, victimes de violences, fonctionnaires et travailleurs précaires, franchement ça ne manque pas.

    Et si rien ne change et que nous continuons à nous regarder le nombril – c’est vrai qu’il est très beau –, alors peut-être l’ignoriez-vous, mais non contents de bien brûler, vos livres feront aussi d’excellents projectiles.

    Neil Jomunsi

    #banlieues #quartier #violences_policière #émeutes #zbeul #littérature #livres #bibliothèques

  • La Smart City policière se répand comme traînée de poudre | La Quadrature du Net
    https://www.laquadrature.net/fr/nice-smart-city-surveillance

    Marseille n’est que l’arbre qui cache la forêt. Car la police prédictive et les centres de surveillance policière dopés aux Big Data pullulent désormais sur le territoire français. Une dérive qu’illustre très bien le cas de Nice : la ville de Christian Estrosi, grand obsédé sécuritaire, a fait appel à Engie Inéo et Thalès, par ailleurs concurrents sur ce marché en plein essor, pour deux projets censés faire advenir la « Safe City™ »

    #smart = #surveillance #urban_matter #industrie_informatique #complexe_militaro

    • Ce glissement sémantique de la tablette tactile à « une table tactile et tactique » ... l’air de rien !
      Au paragraphe suivant ça s’inverse : « une plateforme tactique et tactile » De glissement en glissement, est-ce qu’ils ont pensé chez Engie à sponsorisé une équipe aux prochains Jeux Olympiques d’hiver ? ça me semblerait fort à propos !

    • Dans la même veine on peut noter que la "vidéo protection" une fois devenue "intelligente" redevient de la vidéosurveillance : « vidéosurveillance intelligente »
      Ce qui revient a dire que la vidéoprotection c’est con, mais ça va mieux en le disant !

  • La pornographie féministe
    http://www.zones-subversives.com/2018/06/la-pornographie-feministe.html

    Le féminisme pro-sexe s’empare du porno pour remettre en cause les normes et les contraintes sociales. La lutte contre le patriarcat passe par la libération sexuelle.

    Le féminisme pro-sexe reste méconnu et minoritaire. Il s’oppose à la fois à l’hyper-sexualité marchande et au retour à l’ordre moral. La réflexion sur la culture porno anime ce courant intellectuel et artistique. Le porno féministe prend en compte les plaisirs, les désirs et les fantasmes des femmes.

    La pornographie reste pourtant dominée par les hommes. C’est leur regard qui est privilégié. Néanmoins, les femmes s’emparent du porno avec le mouvement de libération sexuelle des années 1968. Les féministes luttent pour l’extension du rôle et du droit des femmes dans la société. Mais elles se divisent au sujet du porno. Pour certaines, cette culture incarne la violence de la domination masculine. Pour d’autres féministes, le porno exprime une forme de libération sexuelle contre l’ordre moral et les valeurs patriarcales.

    L’industrie du porno devient gratuite et en libre accès. Elle devient toujours plus normalisée, avec un marché segmenté. Des réalisatrices féministes développent alors un porno alternatif et de qualité, en marge de cette industrie. Contre la pornographie mainstream, ces films s’attaquent aux normes sexuelles qui dominent l’industrie du X. Le journaliste David Courbet présente ces réflexions dans le livre Féminismes et pornographie.

    #féminisme #pornographie #pornographie_féministe #ordre_moral #David_Courbet

  • Élisée Reclus, vivre entre égaux
    https://www.revue-ballast.fr/elisee-reclus-vivre-entre-egaux

    La vie d’Élisée Reclus ne saurait s’entendre sans le siècle qui fut le sien, celui du grand basculement, de la pile électrique, de la locomotive, de la dynamite et du morse, ce siècle qui vit la France, pays agraire, s’industrialiser et se couvrir de machines ; siècle, donc, de la bourgeoisie triomphante et de l’organisation du mouvement ouvrier. Né un jour de mars 1830 en Gironde, au sein d’une famille ardemment protestante et sous l’égide d’un père pasteur, Reclus grandit sous la monarchie de Juillet, s’emballa pour la révolution ratée de 1848 puis participa à la Commune de Paris. Tour à tour — ou plutôt en même temps — voyageur, géographe, militant anarchiste et communiste, partisan végétarien de la cause animale, critique de la domination coloniale, défenseur de « la liberté de [l]a femme » comme critère définitif de ce qu’est la tyrannie et précurseur écologiste, Reclus est l’homme de ce qu’il nommait la « lutte méthodique et sûre contre l’oppression ». Une boussole, en somme. ☰ Par Roméo Bondon

    #Elysée_Reclus #anarchisme #anarcho-communisme #géographie #Commune_de_Paris #commune

  • Forensic Architecture : art, architecture et crimes de guerre
    http://www.makery.info/2018/07/03/forensic-architecture-art-architecture-et-crimes-de-guerre

    Forensic Architecture interroge les frontières de l’art mais aussi la conception de l’architecture. Dans leurs travaux, la matière première de leurs constructions est l’information. Des données visuelles, comme des vidéos, des photographies ou des images satellites pour observer l’élimination de la végétation, des enregistrements sonores ou plus récemment des données extraites de textes comme des rapports ou autres documents officiels. L’équipe utilise aussi de nombreux témoignages pour recréer les espaces où se sont déroulés les traumatismes, puis les montrent aux personnes qui ont fourni ces témoignages pour en générer de nouveaux. Une méthodologie notamment utilisée pour l’enquête sur les prisons de de Saydnaya, en Syrie.

    « L’idée est que la plupart des conflits se déroulent généralement dans un environnement construit, urbain, fait de routes, d’infrastructures, de réseaux de communication. Nous reconstruisons cet espace auquel nous n’avons généralement pas accès. » Le cadre théorique dépasse la pratique habituelle de l’architecture, mais Forensic Architecture utilise des techniques bien connues de la profession. La modélisation 3D entre autres, mais aussi le « paramétricisme », une technique de design et de construction qui s’appuie sur les données pour générer des formes. C’est ainsi que l’équipe a analysé les nuages causés par les bombardements de Rafah dans la bande de Gaza en août 2014 pour déterminer la puissance des bombes. « Une fois toutes ces informations collectées dans un modèle architectural, celui-ci devient une interface pour lire les informations mais aussi pour organiser les relations entre les objets, les gens et l’environnement qui les entoure », explique Laxness. Les artistes-architectes peuvent ainsi tester leurs hypothèses et scénarios afin de parvenir à une conclusion.

    Les contre-enquêtes de Forensic Architecture sont une forme de réponse à la surveillance exercée par l’Etat et ont souvent recours à la sousveillance – en l’occurrence l’enregistrement des événements par les personnes impliquées. Mais « toujours d’un point de vue d’infériorité », précise Sefan Laxness. « En tant qu’agence ou citoyen, nous n’aurons jamais accès à la même quantité d’informations qu’un Etat. »

    #art #architecture #contrôle_social #surveillance #conflits #guerre #Forensic-Architecture

  • La tragédie des communs était un mythe
    https://lejournal.cnrs.fr/billets/la-tragedie-des-communs-etait-un-mythe

    La propriété commune d’une ressource conduit nécessairement à la ruine de celle-ci, concluait en 1968 un biologiste dans la revue Science. Son article, « La tragédie des communs », a façonné les raisonnements économiques et politiques de ces dernières décennies. L’historien Fabien Locher nous expose les enjeux de ce débat et en souligne les limites dans le cadre d’une pensée de l’environnement.

    #communs #propriété_privée #économie #néolibéralisme

  • « Le moment néofasciste du néolibéralisme »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/29/le-moment-neofasciste-du-neoliberalisme_5323080_3232.html

    Les « délinquants solidaires » persécutés

    Comment penser ensemble la montée des extrêmes droites et la dérive autoritaire du néolibéralisme ?

    D’un côté, il y a le suprémacisme blanc avec Donald Trump, et en Europe, la xénophobie politique d’un Viktor Orbán ou d’un Matteo Salvini.

    De l’autre, il y a des coups d’Etat démocratiques : il n’est pas besoin d’envoyer l’armée contre la Grèce (« des banques, pas des tanks »), pas plus qu’au Brésil (des votes au lieu des bottes) – même si, comme en France, les champions du néolibéralisme ne reculent pas devant les violences policières pour réprimer les mouvements sociaux. D’un côté comme de l’autre, les libertés publiques reculent.

    Et les deux n’ont rien d’incompatible : l’Europe s’accommode de l’extrême droite au pouvoir, et l’Union sous-traite la gestion des migrants à la Turquie ou à la Libye. Avec l’arrivée de la Lega (la « Ligue ») au pouvoir, Emmanuel Macron peut bien dénoncer la « lèpre qui monte » ; mais à la frontière franco-italienne comme en Méditerranée, les milices de Génération identitaire agissent illégalement sans être inquiétées par les autorités. En revanche, la justice française persécute les « délinquants solidaires », tel Cédric Herrou ; et déjà en 2017, l’Italie dirigée par le Parti démocrate poursuivait en justice les ONG qui sauvent les migrants en mer.

    Mieux vaut donc parler d’un « moment néofasciste ». On retrouve aujourd’hui des traits du fascisme historique : racisme et xénophobie, brouillage des frontières entre droite et gauche, leader charismatique et célébration de la nation, haine des élites et exaltation du peuple, etc. Après l’élection de Trump, le philosophe américain Cornel West dénonçait la responsabilité des politiques économiques des Clinton et d’Obama : « aux Etats-Unis, l’ère néolibérale vient de s’achever dans une explosion néofasciste. » Depuis, cependant, il est clair que la seconde n’a pas détruit la première…
    Une forme politique nouvelle

    Faut-il plutôt suivre la politologue américaine Wendy Brown qui privilégie la lecture néolibérale ? Pour cette politiste, avec Trump la combinaison paradoxale de l’« étatisme » et de la « dérégulation », soit d’un « autoritarisme libertarien », est une forme politique nouvelle, « effet collatéral de la rationalité néolibérale » ; on ne saurait donc la réduire aux figures anciennes du fascisme ou du populisme. Sa critique rejoint celle de Robert Paxton : pour l’historien de Vichy, « l’étiquette “fasciste” occulte le libertarisme économique et social de Trump. »

    Non pas que le néolibéralisme soit condamné au fascisme. Certes, il n’est pas voué à la démocratie, comme on l’entendait après la chute du mur de Berlin. Toutefois, Tony Blair et José Luis Zapatero, qui y ont converti la sociale-démocratie en Europe, loin de surfer sur la vague xénophobe, revendiquaient l’ouverture aux migrants économiques. Quant à la chancelière allemande, « Kaiser Merkel » n’est-elle pas devenue, quelques mois après la « crise grecque », lors de la « crise de l’asile » de 2015, « Mutti Angela » ? Mais ces deux moments appartiennent au passé.

    Aujourd’hui, refuser de nommer le néofascisme autorise à ne rien faire. Il ne faut pas se bercer de l’illusion que le populisme, qui en est le symptôme, pourrait en être le remède. Et les euphémismes empêchent la mobilisation d’un antifascisme qui, loin d’être la caution démocratique des politiques économiques actuelles, désigne la responsabilité du néolibéralisme dans la montée du néofascisme. Bref, chanter Bella Ciao n’a rien d’anachronique – contre Matteo Salvini ou son prédécesseur, Marco Minniti, ou contre son homologue, Gérard Collomb, même s’il en a « un peu marre de passer pour le facho de service. »

    #Néofascisme #Pentafascisme #Politique_Europe

  • La photographie ne s’est jamais si bien portée, les photographes jamais si mal
    http://www.liberation.fr/debats/2018/07/01/la-photographie-ne-s-est-jamais-si-bien-portee-les-photographes-jamais-si

    Le monde de la photographie écrit une lettre ouverte à la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, et au Président, Emmanuel Macron. Il alerte sur les conditions de plus en plus difficiles d’exercice du métier et demande des mesures concrètes.

    Face à la situation critique de la création photographique française, les photographes - indépendants, membres d’agences ou de collectifs - se réunissent pour alerter le gouvernement, et notamment Françoise Nyssen, ministre de la Culture, du risque de disparition de leur métier. Un début de dialogue semble s’être amorcé mais la liste des points critiques est encore longue et il y a urgence.

    La photographie en marge de la politique culturelle de l’Etat
    Le manque de soutien à la création photographique française est flagrant, alors que la majorité des arts en bénéficient : le CNC pour l’audiovisuel, les subventions pour le théâtre, les quotas pour la musique, le statut des intermittents, etc. A l’heure où l’image est un enjeu majeur de l’avenir, ce vide est incompréhensible. En occultant ses besoins, la production photographique s’assèche et les sources d’information et de contenus se réduisent. Nous demandons un soutien concret par le biais d’aides à la création et à la production pour les photographes.

    Une généralisation de la gratuité
    La photographie est trop souvent liée à la notion de gratuité. De plus en plus de lieux ou d’événements ne prévoient aucun droit d’auteur pour les photographes. Pourtant fournisseur de la matière première - et alors que tous les autres postes sont rémunérés (du menuisier qui construit les cimaises au directeur du lieu ou du festival) -, le photographe est trop souvent le seul à ne pas l’être. Cet état de fait est d’autant plus inacceptable que nombre de ces événements reçoivent des subventions publiques. Nous vous demandons de faire respecter le droit de présentation - donc que les obligations de rémunération des photographes soient effectives - et que les subventions soient conditionnées par l’application de celles-ci. Nous demandons également qu’un pourcentage non négligeable des subventions pour les événements photographiques soit obligatoirement alloué aux droits d’auteurs des photographes y participant.

    Une presse hors la loi
    Le non-respect des délais légaux de paiement reste d’actualité. Plusieurs grands groupes de presse continuent de prolonger ces délais bien au-delà de ce que la loi leur impose. Plusieurs agences et collectifs de photographes ont dû déposer le bilan cette année, de nombreux autres sont au bord de l’asphyxie. Nous demandons à l’Etat de conditionner ses subventions aux groupes de presse au respect des délais légaux de paiement. Nous demandons également d’interdire à ces groupes de contraindre les photographes ou de conditionner leurs commandes à une rediffusion de leurs images par ces mêmes groupes de presse.

    Chutes des tarifs
    Profitant d’une situation économique critique, de nombreux commanditaires réduisent d’année en année le taux de rémunération des commandes passées aux photographes, ainsi que les tarifs de publication des photographies issues de leurs archives. Les photographies sont donc actuellement achetées en dessous d’un coût de production très lourd pour les photographes. Le tarif minimum de la pige journalière mis en place par décret il y a un an est irréaliste et indécent ! Nous demandons la mise en place d’une régulation des tarifs basée sur les coûts réels de production des photographies.

    Concurrence déloyale
    L’Etat français soutient financièrement l’Agence France-Presse, lui permettant de réduire ses tarifs et de proposer aux médias des forfaits d’utilisation que les structures indépendantes ne peuvent pratiquer. Cet état de fait contribue grandement à la précarité des photographes et à l’extinction des agences et collectifs indépendants. Nous demandons que cette concurrence déloyale et illégale cesse.

    En conclusion, les photographes sont les parents pauvres de la discipline artistique la moins considérée par les institutions françaises. Et cela, malgré la richesse de leur production et bien que la photographie soit née en France, que les événements photographiques les plus emblématiques s’y déroulent, que l’image et la photographie soient l’un des enjeux majeurs des années à venir et que ce secteur génère une réelle économie. Nous, photographes français, vous sollicitons pour qu’elle puisse continuer à vivre, à se développer et à enrichir le pays où elle est née.

    Cette lettre a été signée par de très nombreux photographes –  tels Raymond Depardon, Bernard Plossu, Françoise Huguier, Jane Evelyn Atwood…  – indépendants ou appartenant à diverses agences, collectifs ou organismes. Parmis eux, le collectif Argos, l’agence DocPix, l’association Divergence-Images, Graphix-Images, Myop, Noor, PAJ (Photographes, auteurs, journalistes), Pasco & Co, le collectif Périscope, le Pictorium, Pink, Plainpicture, l’Union des photographes professionnels, le ­collectif Riva Press, la maison de photographes Signatures, la Société des auteurs des arts visuels et l’image fixe, le Syndicat national des agences photographiques d’illustration générale, le collectif Tendance floue, VU, etc.

    https://www.change.org/p/payetaphoto

    #photographie #photographes #presse #médias #uberisation #précarité #payetaphoto

  • Les voies politiques du blues

    Blues des canuts

    https://lavoiedujaguar.net/Les-voies-politiques-du-blues

    On entend et on lit souvent que le blues n’a rien de politique. Pourtant, comment une musique populaire par essence, des chants d’ouvriers et de paysans, d’exclu·e·s, de marginaux, pourrait-elle ne pas refléter la réalité sociale de celles et ceux qui la chantent, qui l’écoutent et qui la dansent ? Les thèmes de la vie courante qui tissent la trame du blues, le travail des hommes comme celui des femmes, leurs conditions de vie, de logement, leurs relations réciproques, leur rapport aux jeux, à l’alcool, aux drogues, à la prostitution, à la nourriture même… bref tout le système des références sociales et culturelles dont est porteur le blues reflète fidèlement l’organisation de la société dans laquelle sont immergé·e·s leurs auteur·e·s et il ne devient dès lors plus si facile d’être aussi catégorique…

    Il faut dire que dès ses débuts, le blues a été bridé dans son expression politique. Il ne faut pas oublier que les lynchages étaient encore fréquents au moment de son apparition dans le sud des États-Unis (le Tuskegee Institute avance 3 800 victimes entre 1889 et 1940) et que le simple fait de regarder une Blanche dans les yeux pouvait attirer les pires ennuis. (...)

    #États-Unis #blues #politique #ségrégation #droits_civiques #Big_Bill_Broonzy #W.C._Handy #JB_Lenoir #Champion_Jack_Dupree #Laurent_Jeanpierre

  • « Make Amazon pay » : entretien avec Anton Kramer sur les luttes et la logistique à Leipzig.
    http://www.platenqmil.com/blog/2017/12/19/make-amazon-pay---entretien-avec-anton-kramer-sur-les-luttes-et-la-logis

    Emblème du rêve capitaliste d’un monde sans crispations ni frictions, Amazon est l’une des plus grandes firmes existantes. Cet entretien avec Anton Kramer, militant d’une alliance de solidarité avec les travailleurs.se.s en lutte au sein de l’entreprise, revient sur le parcours de mobilisation construit depuis plusieurs années à Leipzig, dans le nord-est de l’Allemagne. Il éclaire notamment le rôle politique de la logistique dans les transformations de la production, de l’échange et de la consommation de marchandises, et indique selon quelles modalités penser aujourd’hui une opposition aux processus transnationaux parties prenantes de la domination. L’exposition des formes d’action et types d’organisation mis en place souligne l’importance pour des militant.e.s de s’implanter sur un tel lieu de travail et d’y établir des liens durables avec les travailleurs.se.s et les syndicalistes

    #Amazon #travail_précaire #ubérisation #auto-organisation

  • Courage, fuyons : à propos de l’accord sur la Grèce du 21 juin 2018 | Dimitris Alexakis
    https://oulaviesauvage.blog/2018/06/25/courage-fuyons-a-propos-du-communique-sur-la-grece-du-22-juin-2018

    « Quatre mots, quatre mensonges » notait, à propos de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, le philosophe Cornélius Castoriadis, co-fondateur du groupe « Socialisme ou Barbarie », dans la ligne de la critique du stalinisme initiée par Boris Souvarine. On pourrait en dire autant des termes qui balisent la communication de crise des institutions européennes. Produits par les équipes de travail de l’Eurogroupe ou de la Commission, ces éléments de langage sont repris tels quels par les éditoriaux des plus grands médias français [1] et appuient une forme de propagande par le mot. Source : Ou la vie (...)

  • Emigration clandestine, une forme de résistance
    https://nawaat.org/portail/2017/10/19/emigration-clandestine-une-forme-de-resistance

    La semaine dernière (ndlr : octobre 2017), j’ai parlé de cette affaire qui nous a tous révoltée : la mort et la disparition de plusieurs dizaines de jeunes qui avaient tenté de quitter le pays à bord d’une frêle embarcation. Ils seraient peut-être aujourd’hui heureux d’être ailleurs, triomphants mais inquiets, certes confrontés à de nouvelles incertitudes mais bien aises d’avoir réussi leur évasion si leur petit rafiot délabré n’avait étrangement été percuté par un navire militaire chargé de la surveillance des frontières maritimes.

    « Un oiseau fut abattu d’un coup de fusil. Il venait de franchir la frontière »
    Gonçalo M.Tavares, « Monsieur Brecht »

    Le drame a suscité de nombreux commentaires qui m’incitent à en dire encore un mot. Il est courant quand on évoque l’émigration clandestine de rappeler les conditions sociales, politiques, culturelles qui disposent tant de jeunes tunisiens à affronter une fois, deux fois, dix fois, l’aventure périlleuse de la « 7ar9a ». Le mot qui revient le plus souvent pour expliquer leur motivation est le « désespoir ». Je ne discuterai pas de la pertinence de ce type d’analyses, tout à fait opportunes pour pointer du doigt la responsabilité de nos gouvernants et sans doute pour une part justifiées. Elles tiennent plus cependant du genre de décryptages auxquels s’adonne (parfois utilement) la sociologie, voire la psychologie, que de l’analyse politique proprement dite, c’est-à-dire de l’analyse qui est au cœur du combat. Mais ce que je leur reprocherai surtout, c’est qu’en se concentrant sur les raisons qui s’imposent aux volontaires pour la « 7ar9a », en faisant de leur vouloir la simple expression du désespoir, on les ampute de leur dignité. Ces jeunes, prêts à traverser la Méditerranée sur de vieux Zodiacs de croisière complètement pourris, seraient finalement des êtres passifs, victimes du pouvoir, victimes des « passeurs », victimes de leur propre désespoir.

    J’affirme pour ma part qu’ils sont aussi des résistants. Leur fuite hors du pays est un acte de résistance. Oui, elle est aussi cela. Une fuite individuelle, un acte de résistance collective qui mobilise souvent aussi leurs proches, leurs réseaux de connaissance et des gens pour qui la solidarité n’est pas un vain mot. Fuir dans son sens habituel, c’est refuser l’affrontement. La fuite a généralement une connotation péjorative ; elle est souvent assimilée à un acte de lâcheté, d’évitement du danger. Fuir n’est pas considéré comme une action vers l’avant mais seulement vers l’arrière. Rien de volontaire, de positif, d’offensif, de digne, ne serait contenu dans la fuite et ne pourrait en sortir. C’est ce qu’on pense d’ordinaire. Et l’on a tort.

    Dans ma précédente chronique, j’ai employé un terme qui ne nous est pas très familier en Tunisie. J’ai parlé de marronnage. J’ai dit que ce type d’émigration irrégulière s’apparente au marronnage. Qu’est-ce donc que le marronnage ? Le marronnage est un terme utilisé en Amérique et dans les anciennes colonies européennes esclavagistes pour désigner la fuite des esclaves africains pour un avenir dont la liberté n’était qu’une mince hypothèse. Au risque d’une mort affreuse ou d’être capturés et de subir d’abominables supplices, nombreux, très nombreux mêmes, ont été les esclaves qui ont tenté malgré tout d’échapper, par la fuite, à la servitude, à la cruauté des maîtres et à la déshumanisation (avant d’être employé pour désigner les esclaves en fuite, le mot marronnage faisait d’ailleurs référence aux animaux domestiques retournés à l’état sauvage !). Révoltes, insurrections et marronnages ont usé, éreinté, érodé le système esclavagiste de type américain pour finir par l’anéantir. Voilà à très grands traits ce qu’a été le marronnage : une fuite de résistance.

    Le marronnage de nos jeunes compatriotes est également un acte de dissidence par rapport à la politique des classes qui les oppriment et les rejettent. Leur résolution opiniâtre à partir coûte que coûte, à brûler les frontières, toutes les frontières, à transgresser les lois, les nôtres et celles de l’Union européenne, leur ténacité face aux risques de tomber entre les mains de la police, de mourir peut-être, sont l’expression manifeste d’un choix de résistance contre le destin qui leur est imposé par les classes dominantes qu’on pourrait appeler aussi les classes méprisantes tant elles n’ont que mépris pour le peuple. Ces jeunes gens combattent la vie mortifère à laquelle on les a condamnés. Ils refusent de se laisser faire. Ils ne sont pas désespérés, ils maudissent l’espoir et le désespoir, ils agissent au-delà de l’espoir et du désespoir.

    Je ne dis pas que l’émigration clandestine est un modèle de résistance. Je dis que, tout comme le marronnage, avec ses contradictions et ses ambivalences, elle en est une forme. A mon avis, les mouvements de lutte et de solidarité sociale devraient l’aborder, intellectuellement et pratiquement, de ce point de vue et non de manière compassionnelle ou comme s’il s’agissait d’une pathologie du corps « national ».

    Pas plus que je ne saurais encourager ces jeunes qui veulent quitter le pays à prendre le risque de la « 7ar9a », je ne voudrais les en dissuader. Personne n’a le droit de leur dire ce qu’ils ont à faire. Si j’étais un parti politique fidèle à la révolution, une association de solidarité ou même une organisation humanitaire, je respecterais leur volonté de départ. Je ne me contenterais pas de condamner la politique sociale du gouvernement et les accords sécuritaires avec l’Union raciste européenne. Je ne me contenterais pas de dénoncer le cynisme criminel des « passeurs » sans offrir à ceux qui veulent partir d’autres moyens, plus sûrs, de traverser la Méditerranée. J’agirais évidemment pour protéger leur fuite.

    Nous aimons beaucoup, souvent à tort et à travers, parler de valeurs ou de principes universels. Eh bien, pour le coup, voici un vrai principe universel : lorsqu’un prisonnier enfermé par injustice creuse un tunnel pour s’évader, la solidarité consiste à lui fournir une pelle et une pioche.

    Article paru 19 octobre 2017 sur le blog Nawaat, signé Sadri Khiari.
    Nawaat est une plateforme collective indépendante fondée en avril 2004 et bloquée en Tunisie jusqu’au 13 janvier 2011.

    https://nawaat.org/portail/2017/10/19/emigration-clandestine-une-forme-de-resistance
    https://renverse.co/Emigration-clandestine-une-forme-de-resistance-1589

    #Europe_forteresse #migrants #marronnage #libre_circulation #évasion

  • Contre « l’obsession sécuritaire », la fronde des chercheurs en sciences humaines
    https://www.mediapart.fr/journal/france/200618/contre-l-obsession-securitaire-la-fronde-des-chercheurs-en-sciences-humain

    Depuis les attentats de 2015, les chercheurs sont confrontés à des pressions de plus en plus fortes visant à les mettre à contribution dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Au CNRS, la signature d’un partenariat avec le renseignement militaire a déclenché la colère des universitaires. Une pétition a été adressée à la direction.

    Pressions, menaces sur le financement de leurs recherches, convocations par les services de renseignement, saisies de leurs données, voire de leurs (...)

    #sciences #surveillance #anti-terrorisme #militarisation

  • The Greatest Crimes Against Humanity Are Perpetrated by People Just Doing Their Jobs
    https://truthout.org/articles/the-careerists

    The greatest crimes of human history are made possible by the most colorless human beings. They are the careerists. The bureaucrats. The cynics. They do the little chores that make vast, complicated systems of exploitation and death a reality. They collect and read the personal data gathered on tens of millions of us by the security and surveillance state. They keep the accounts of ExxonMobil, BP and Goldman Sachs. They build or pilot aerial drones. They work in corporate advertising and public relations. They issue the forms. They process the papers. They deny food stamps to some and unemployment benefits or medical coverage to others. They enforce the laws and the regulations. And they do not ask questions.

    Good. Evil. These words do not mean anything to them. They are beyond morality. They are there to make corporate systems function. If insurance companies abandon tens of millions of sick to suffer and die, so be it. If banks and sheriff departments toss families out of their homes, so be it. If financial firms rob citizens of their savings, so be it. If the government shuts down schools and libraries, so be it. If the military murders children in Pakistan or Afghanistan, so be it. If commodity speculators drive up the cost of rice and corn and wheat so that they are unaffordable for hundreds of millions of poor across the planet, so be it. If Congress and the courts strip citizens of basic civil liberties, so be it. If the fossil fuel industry turns the earth into a broiler of greenhouse gases that doom us, so be it. They serve the system. The god of profit and exploitation. The most dangerous force in the industrialized world does not come from those who wield radical creeds, whether Islamic radicalism or Christian fundamentalism, but from legions of faceless bureaucrats who claw their way up layered corporate and governmental machines. They serve any system that meets their pathetic quota of needs.

    These systems managers believe nothing. They have no loyalty. They are rootless. They do not think beyond their tiny, insignificant roles. They are blind and deaf. They are, at least regarding the great ideas and patterns of human civilization and history, utterly illiterate. And we churn them out of universities. Lawyers. Technocrats. Business majors. Financial managers. IT specialists. Consultants. Petroleum engineers. “Positive psychologists.” Communications majors. Cadets. Sales representatives. Computer programmers. Men and women who know no history, know no ideas. They live and think in an intellectual vacuum, a world of stultifying minutia. They are T.S. Eliot’s “the hollow men,” “the stuffed men.” “Shape without form, shade without colour,” the poet wrote. “Paralysed force, gesture without motion.”

    It was the careerists who made possible the genocides, from the extermination of Native Americans to the Turkish slaughter of the Armenians to the Nazi Holocaust to Stalin’s liquidations. They were the ones who kept the trains running. They filled out the forms and presided over the property confiscations. They rationed the food while children starved. They manufactured the guns. They ran the prisons. They enforced travel bans, confiscated passports, seized bank accounts and carried out segregation. They enforced the law. They did their jobs.

    Political and military careerists, backed by war profiteers, have led us into useless wars, including World War I, Vietnam, Iraq and Afghanistan. And millions followed them. Duty. Honor. Country. Carnivals of death. They sacrifice us all. In the futile battles of Verdun and the Somme in World War I, 1.8 million on both sides were killed, wounded or never found. In July of 1917 British Field Marshal Douglas Haig, despite the seas of dead, doomed even more in the mud of Passchendaele. By November, when it was clear his promised breakthrough at Passchendaele had failed, he jettisoned the initial goal—as we did in Iraq when it turned out there were no weapons of mass destruction and in Afghanistan when al-Qaida left the country—and opted for a simple war of attrition. Haig “won” if more Germans than allied troops died. Death as score card. Passchendaele took 600,000 more lives on both sides of the line before it ended. It is not a new story. Generals are almost always buffoons. Soldiers followed John the Blind, who had lost his eyesight a decade earlier, to resounding defeat at the Battle of Crécy in 1337 during the Hundred Years War. We discover that leaders are mediocrities only when it is too late.

    #politique #pouvoir #carrièrisme

  • An Intergalactic week. 27 Aug. – 2 Sept.
    https://zadforever.blog/2018/06/15/an-intergalactic-week-27-aug-2-sept

    After the long awaited victory against the airport project, we are trying to lift ourselves out of the brutal spring, a season marked by two phases of evictions in which the government made sure to avenge the affront that the zad had represented for so many years. The massive police operations caused many injuries, the destruction of a part of the living spaces of the zad and a long military presence. But the state was forced to give up going any further and entirely eradicating our presence in this bocage.

    Resistance on the ground, solidarity elsewhere and the negotiation process resulted in a status quo that maintained of dozens of homes, common spaces and activities on most of the land held by the movement. Nevertheless, what we managed to preserve today could very quickly be attacked again, administratively, politically or militarily. Whilst the zad recovers from its wounds and recomposes itself, the work in the fields and the constructions resumes and we project ourselves towards the struggles of the next months. These however go beyond us and connect with others around the world. They concern the collective and respectful use of the land, the sharing of the commons, the questioning of nation-states and borders, the reappropriation of our habitats, the possibility of producing and exchanging free from the shackles of the market, forms of self-organization on territories in resistance and the right to live there freely …

    Following more than two years of regular building work and a new month of construction this summer, this week of August 27 to September 2, will also be the inauguration of the Ambazada, a space intended to welcome rebels and struggles from around the world to the zad of Notre-Dame-des-Landes. To honor and celebrate the opening of the Ambazada the obvious thing to do was to make a call for a new intergalactic week. We hope that it helps to bring back momentum and horizons before the autumn mobilizations at home and abroad.

    /// Open encounters between territories in struggle and in search of autonomy

    There are questions that have not ceased to inhabit us during this past season on the zad, these include : How throw down the anchor down for the long term without becoming domesticated, being community centred or more porous in our movements, the power struggles and frontal relationship with the state and possibilities for victories to last. We had to find our own partial answers in the emergency, we had to make decisive choices against the tanks and under dramatic pressure. We want to re question these issues and share them with other territories born out of battles and that have traced their own path. Part of the week will be devoted to open encounters with guests from the Wendland in Germany, Christiania in Danemak, the free district of Lentillères in France, Errekaleor in the Basque Country and perhaps Exarchia in Greece. Each of these territories will tell us the way in which they handled these issues, followed by a debate between all of us.

    At another scale, there are peoples everywhere resisting cultural assimilation and liberal ideology . A moment during the week of specific meetings on this subject is also under preparation.

    /// Historical junctions and revolutionary legacies

    We will also propose that during some evenings you time travel across decades of significant struggles in different European countries. Revolutionary Italy in the 1970s, the German autonomous movements of the 1980s or the radical anti-capitalist ecology of the UK in the 1990s, among others, reconfigured our political language, actions and organizational practices. We dive back into these vibrant stories, in search of the legacies and imaginaries that they offer us, in order to think through the present.

    #ZAD #NDDL #territoires #autonomie #zad4ever #Intergalactic_Week

  • L’œuvre négative du colonialisme français aux Antilles : la production et la reproduction d’une pigmentocratie Saïd Bouamama - 15 Juin 2018 - wordpress.com
    https://bouamamas.wordpress.com/2018/06/15/loeuvre-negative-du-colonialisme-francais-aux-antilles-la-produ

    La Guadeloupe et la Martinique sont célébrées dans le discours dominant comme le symbole du métissage réussi. L’angle mort de ce discours est celui de la reproduction de ce que Raphaël Confiant nomme la « pigmentocratie[i] » qui structure le système social des Antilles dites « françaises » de l’époque esclavagiste et coloniale jusqu’à aujourd’hui. Ce système social reste en effet caractérisé, rappelle le chercheur canadien Adrien Guyot, par « une hiérarchisation sociale basée sur les notions de race et de couleur, amenant par là même la création de néologismes comme « éthnoclasse » pour faire référence aux classes sociales dont le principal critère d’appartenance est l’ethnie[ii] ». Sur le plan économique la structure des Antilles dites « françaises » reste coloniale. La prise en compte des contextes historique, économique et géostratégique est incontournable pour saisir cette réalité coloniale qui se reproduit.
     


      Le génocide des autochtones et intensification de la traite
    C’est avec l’arrivée de Christophe Colomb que commence la violence puis le génocide des peuples autochtones des Antilles. La colonisation d’Haïti par les espagnols en 1496, de Puerto-Rico en 1508, de la Jamaïque en 1509 et de Cuba en 1511 impose la domination espagnole sur l’ensemble des Grandes Antilles. Le résultat de cette domination ne tarde pas : l’extermination des peuples autochtones. « Rien que pour l’île d’Hispaniola où débarque Colomb lors de son premier voyage, on dénombre 300000 personnes en 1492, 50000 en 1510, 16000 en 1530, 1000 en 1540[iii] » rappelle l’historien Frédéric Dorel. Pour les petites Antilles la résistance des peuples autochtones (Les Kalinas ou Kallinagos que les colonisateurs espagnols appellent « indiens Caraïbe ») est telle que les espagnols ne parviennent pas à s’implanter[iv]. La colonisation française qui débute en 1635 poursuit le génocide des peuples autochtones enclenché par les espagnols : « Les nouveaux conquérants entreprennent l’élimination systématique des Indiens et la colonisation des petites Antilles par le moyen de la traite africaine[v] » résume Chantal Maignan–Claverie, spécialiste des Antilles françaises.

    La résistance des peuples autochtones conduit en réponse au projet d’éliminer les « Caraïbe » comme groupe social sur leur propre terre. Trois leviers sont actionnés pour atteindre ce but : L’appel à la traite pour répondre au besoin en main-d’œuvre du capitalisme de plantation ; l’expulsion des autochtones de leurs îles (Ainsi en 1650 les « Caraïbes », sont expulsés de Martinique) ; la pratique systématique du viol des femmes autochtones. « Le viol des femmes indiennes par les colons s’inscrivait dans une politique « d’épuration ethnique » visant à faire disparaître les Caraïbes en tant que groupe[vi] » souligne l’historien Nicolas Rey. L’extermination des autochtones a, bien sûr, comme conséquence immédiate une intensification de la traite.

    La résistance des esclaves fut comme ailleurs au rendez-vous. Elles prennent en premier lieu la forme de révoltes. Argumentant son projet d’abolition de l’esclavage, Victor Schoelcher met en avant ces révoltes récurrentes. Répondant à ses opposants qui affirment que les noirs préfèrent la servitude, il déclare : « Pourquoi donc alors tant de révoltes d’esclaves de tous côtés ? […] Si les Nègres se félicitent tant de leur sort, pourquoi donc alors les colons tremblent-ils sans-cesse[vii] ? ».

    La seconde forme de la résistance fut comme dans toute la région le marronnage c’est-à-dire la fuite des esclaves pour constituer une société parallèle libre dans les montagnes des colonies. Si la taille des îles ne permet cependant pas à cette forme de révolte de prendre l’ampleur qu’elle a prise dans d’autres pays du continent américain, elle contribue avec les insurrections à mettre à l’ordre du jour la question de l’abolition. Abolir l’esclavage apparaît aux yeux de républicains de plus en plus nombreux comme la seule manière de sauvegarder les colonies et le capitalisme de plantation qui les caractérisent.

    Le capitalisme de plantation  
    Le capitalisme de plantation que permet la traite débute par la culture du tabac pour très vite se réorienter vers la canne à sucre et la banane. Au même moment où en Europe le travail servile est abandonné au profit du salariat, l’esclavage devient aux Antilles la forme prédominante du travail. Le capitalisme de plantation peut dès lors se résumer comme suit :
    « Elle suppose, d’une part, l’organisation du travail de centaines d’esclaves encasernés ou casés, travaillant en brigades surveillées par des équipes de gardes-chiourme, pour la production extensive d’une plante unique (la canne à sucre) dont la transformation industrielle (toujours effectuée sur place, sur la plantation même) donnent lieu à des produits (essentiellement le sucre, la mélasse et le rhum) valorisables avec profit sur un marché. Elle implique par conséquent, d’autre part, l’investissement d’importants capitaux […], La plantation suppose enfin l’existence d’un vaste marché aux prix rémunérateurs dans les métropoles européennes[viii]. »
    La concentration des terres dans les mains de latifundistes est ainsi dès le début du capitalisme de plantation une caractéristique essentielle des économies antillaises. La concrétisation matérielle en est l’habitation-sucrerie, « centre moteur de l’économie coloniale[ix] ». En Martinique, rappelle l’historien Antillais Jean-Pierre Sainton, « une trentaine de propriétaires se partageait plus de 43 % des terres » dès 1671 en ajoutant qu’ « avec un temps de retard, l’évolution sera similaire en Guadeloupe[x] ». Quelques dizaines de familles blanches possèdent la plus grande partie de la terre et contrôlent ainsi l’ensemble de l’économie.
    L’abolition de l’esclavage ne mettra pas fin à la concentration foncière mais au contraire l’accentuera. L’indemnisation des propriétaires d’esclaves au moment de l’abolition contribuera à cette reproduction et accentuation de la concentration foncière. La loi du 30 avril 1849 prévoit en effet que les maîtres recevront une indemnité de dédommagement de 470 francs 20 centimes par esclave en Guadeloupe et de 430 francs 47 centimes pour la Martinique. Pour les anciens esclaves aucune indemnisation n’est prévue. « La restructuration post-esclavagiste, grandement impulsé par le capital bancaire, accentuera le degré d’accaparement des principaux moyens de production par la minorité oligarchique[xi] » résume le chercheur en sciences politiques Alain Philippes Blérald. Si la concentration foncière est commune, les processus vont cependant être différents pour les deux colonies. En Martinique les grandes familles békés de l’industrie sucrière restent les propriétaires des grands domaines, alors qu’en Guadeloupe le capital financier prend le relais. Les multinationales Somdia, Grands Moulins, Shneider, etc., investissent massivement dans le capitalisme de plantation. Cette différence a bien entendu des effets sur la structure foncière contemporaine.

    Le projet d’une généralisation de l’auto-exploitation en Guadeloupe
    En Guadeloupe la crise de l’économie sucrière sous le double effet du développement du sucre de betterave et de la concurrence de nouveaux pays producteurs conduira au retrait de ces grands groupes à la recherche d’investissement plus rentables. La production passe ainsi de 175 000 tonnes en 1965 à 107 000 tonnes en 1975 et à 56 000 tonnes en 1981[xii].

    L’Etat français accompagne ce retrait en achetant près de 11 000 hectares confiés à une société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Sur ces terres vivent 3300 agriculteurs soit 1000 ouvriers agricoles et 2300 exploitants ayant un « bail de colonat partiaire », un statut hérité de la période de l’abolition définit comme suit par le géographe Guy Lasserre : « le propriétaire maintint la jouissance gratuite de la case et du jardin vivrier aux esclaves libérés qui acceptaient de rester sur le domaine. Une parcelle de 1 ou 2 ha était attribuée en métayage au colon, à charge pour lui de livrer ses cannes au propriétaire de l’habitation. Le colon partiaire recevait pour son travail, le tiers ou la moitié de la valeur de la production[xiii]. »

    La naissance de la SAFER en 1965 se réalise alors que la production cannière a commencé sa chute et que des mobilisations des salariés agricoles pour de meilleurs salaires d’une part et pour l’accès à la terre, d’autre part, se développent. A partir de 1977 ces mobilisations se radicalisent et prennent la forme d’une occupation et d’une mise en exploitation des terres vacantes non exploitées. C’est ce contexte qui explique le projet de « réforme foncière » dès la décennie 60 mais avec une accélération à partir de la décennie 80. Le projet est résumé comme suit par le sociologue Christian Deverre : « [Un] transfert de la production directe à des exploitants individuels, mais contrôle du débouché final par les anciens groupes de planteurs, [Une] substitution du prix du marché au salaire comme forme de soumission du travail agricole […] Ce type de « réforme agraire » [est] basée sur l’hypothèse de l’acceptation par le paysan de son auto-exploitation – et de celle de sa famille[xiv] ».

    Il s’agit on le voit d’une tentative de généralisation du colonat partiaire dont l’effet est de faire passer l’exploitation d’une forme directe à une forme indirecte. Le discours idéologique d’accompagnement est, bien entendu, celui de la « justice sociale ». Dans les faits, précise Christian Lasserre, nous sommes en présence : « [D’un] contournement de l’obstacle que représente la hausse continue des coûts salariaux sur les domaines capitalistes. Toute l’organisation des redistributions foncières tend à maintenir la production de canne sur les nouvelles exploitations, tandis que les usines restent entre les mains et sous la gestion des grands groupes sucriers[xv]. »

    La Cofepp par exemple (Compagnie financière européenne de prise de participation) est prédominante dans le contrôle de la production de cannes à sucre. Actionnaire principale à 51 % de la SMRG (Sucrerie Rhumerie de Marie Galante), la Cofepp est contrôlée par la famille Cayard, des Békés de Martinique. Elle a fait un bénéfice de 23 millions d’euros en 2015 et contrôle 80 % du rhum guadeloupéen mais aussi 70 % du Rhum martiniquais et réunionnais[xvi].

    La culture de la banane qui bénéficie de la baisse de celle de la canne à sucre et qui devance désormais celle-ci est également dominée par de grands groupes industriels et financiers sous la forme du colonat. Les gros planteurs békés dominent l’ensemble du système sur fond de « collusion entre l’Etat et planteurs békés […] dénoncée à de nombreuses reprises[xvii] ». Ces gros planteurs disposent, en outre, de moyens de réagir dont sont dépourvus les petits et moyens producteurs. Ceux-ci disposent « d’un monopole de fait » que l’économiste Athanasia Bonneton résume comme suit : « lorsque les cours de la banane baissent dans le marché métropolitain, les gros planteurs réduisent la coupe. Par contre, les petits et moyens planteurs ne peuvent pratiquement pas refuser de fournir leurs régimes[xviii]. »
     
    Le « grand féodalisme » béké en Martinique
     
    La concentration foncière et le pouvoir des grandes familles békés est encore plus forte en Martinique. Le capital local a gardé en Martinique une prédominance perdue en Guadeloupe. Nous empruntons l’expression « grand féodalisme » béké à André Breton qui l’utilise en 1942 pour caractériser Eugène Aubéry, une des figures caricaturale des grandes familles béké[xix]. L’origine de cette différence avec la Guadeloupe est le résultat de la séquence historique de la révolution française :

    « Le destin de la Guadeloupe s’est séparé de celui de la Martinique lors de la période révolutionnaire, au cours de laquelle s’est déroulée une séquence d’événements dont la portée symbolique demeure encore aujourd’hui particulièrement prégnante. Les planteurs de la Martinique se réfugièrent en effet dans le giron de la Grande-Bretagne, échappant ainsi à la première libération des esclaves promulguée en 1794 à la Guadeloupe par le représentant de la Convention Victor Hugues, suite à sa reconquête de l’île sur les Anglais. L’esclavage fut rétabli sur l’île par Bonaparte en 1802, au prix d’une répression sanglante contre la résistance menée, sous la conduite de certains de leurs officiers, par les anciens esclaves devenus soldats de la République. Mais la plantocratie locale, décimée durant les troubles, se trouvait trop amoindrie pour absorber les événements postérieurs du XIXe siècle, à savoir l’abolition définitive de l’esclavage en 1848 et la concentration foncière autour des usines centrales de la seconde moitié du siècle. La Martinique, quant à elle, avait conservé intactes les vieilles structures antérieures à la Révolution, les planteurs ayant pu maintenir leur contrôle sur les terres et garantir la prééminence du capital local, ce qui a assuré le prolongement direct du système mis en place aux origines[xx]. »
     
    Plus de 75 ans après la citation d’André Breton la situation reste fondamentalement la même. Le leader indépendantiste Guy Cabort-Masson résume comme suit en 2002 la place des Békés dans l’économie martiniquaise : « Une caste faisant 0,8 % de la population contrôlant 60 % des terres utiles, plus de 15 % de l’économie du pays alors que le peuple de couleur n’a qu’environ 10 % de cette économie atomisée en « entreprises » ayant en moyenne entre 1 et 2 employés ![xxi] » Sept ans plus tard, un reportage de l’émission Spéciale Investigation intitulé « les derniers maîtres de la Martinique » avance les chiffres suivants : « ces personnes qui représentent 1 % de la population martiniquaise, détiennent 52 % des terres agricoles et 20 % de la richesse de l’île[xxii]. »

    La répartition des terres et des richesses selon un critère de couleur conduit à une structure sociale basée sur « hiérarchie socio-raciale[xxiii] ». Esquissant une description de cette hiérarchie, le sociologue Miche Giraud décrit comme suit la classe dominante en 1980 : « constituées de propriétaires latifundistes, des dirigeants et des principaux actionnaires des usines, des grands commerçants, dont l’immense majorité sont des Blancs créoles regroupés en quelques familles étendues le plus souvent alliées entre eux. Ces derniers possèdent plus des 2/3 des terres cultivables, la quasi-totalité des usines à sucre, les 9/10 des plantations de bananes, la totalité des conserveries d’ananas et ont également le quasi-monopole du commerce d’import-export[xxiv]. » Si les chiffres avancés ont légèrement variés depuis 1980, la structure de base reste fondamentalement la même.

    Une telle structure sociale où la couleur est le symptôme visible de la place sociale n’est possible que par l’intériorisation profonde d’un sentiment d’infériorité. « Aux Antilles la perception se situe toujours sur le plan de l’imaginaire. C’est en termes de Blanc que l’on y perçoit son semblable. […] C’est donc en référence à l’essence du Blanc que l’Antillais est appelé à être perçu par son congénère[xxv] » analysait déjà Frantz Fanon en 1953. « Les structures idéologiques héritées de l’esclavage restent gravées dans les mémoires, malgré l’évolution liée au cours de l’histoire[xxvi] » confirme l’ethnologue Ulrike Zandle 61 ans après. Ces structures continuent à irriguer la quotidienneté martiniquaise en imposant le « blanc » comme critère du souhaitable et du légitime. Un tel processus existe bien sûr également en Guadeloupe et ailleurs mais sa prégnance en Martinique est notable. Cette prégnance est un résultat historique conduisant à une correspondance plus forte qu’ailleurs entre hiérarchie sociale et hiérarchie de couleur. 
     
    Le pacte colonial maintenu
    Les inégalités colorées liées à la concentration foncière sont encore renforcées par le maintien d’un lien avec la « métropole » qui garde toutes les caractéristiques du « pacte colonial ». L’expression est définit comme suit par un document officiel de 1861 : « Sous l’empire de ce qu’on appelait le pacte colonial, la France se réservait le droit exclusif d’approvisionner ses colonies de tous les objets dont elles avaient besoin ; il était défendu aux colonies de vendre leurs produits à d’autres pays que la métropole, et de les élever à l’état de produit manufacturés ; le transport entre la métropole et les colonies était réservé aux bâtiments français[xxvii]. » Officiellement ce « pacte colonial » n’existe plus, les acteurs économiques étant libres de commercer avec qui ils veulent. Dans les faits au contraire le pacte reste, selon nous, une réalité indéniable.

    Le premier principe figurant dans cette définition, le monopole de l’approvisionnement, reste une réalité des colonies dites « françaises » des Antilles. Un regard sur les importations suffit à prendre la mesure du lien de dépendance. En 2016 la France hexagonale fournit 68.9 % du montant des importations pour la Martinique et 60, 6 % pour la Guadeloupe[xxviii]. Le deuxième partenaire étant les autres pays de l’Union Européenne (avec 13 % pour la Guadeloupe et 14.8 % pour la Martinique), nous sommes en présence d’une socialisation européenne du pacte colonial. Les importations avec les autres pays des Caraïbes plane péniblement à 5 ou 6% selon les années.

    Le deuxième principe du pacte colonial, le monopole de la métropole sur les exportations, reste lui aussi activée aujourd’hui. Les destinations des exportations révèlent la même dépendance que celle des importations. Pour la Guadeloupe les données sont les suivantes : 40 % vers la France ; 17, 7 % vers la Martinique et 12 % vers le reste de l’Union européenne. Pour la Martinique les données sont les suivantes : 73.6 % vers la France et 19 % vers deux autres colonies françaises (la Guadeloupe et la Guyane).

    Le troisième principe du pacte colonial, la spécialisation des colonies dans des cultures de rentes et de la métropole dans les produits manufacturés, est tout aussi vivace. La structure des exportations est sensiblement le même pour les deux pays, révélant la nature coloniale du lien avec la France : Ils importent des biens de consommation non durable (produits alimentaires, pharmaceutiques, etc.), des biens d’investissement (produits de l’industrie automobile, machines et équipements, etc.) et des biens intermédiaires (caoutchouc, plastiques, etc.). Ils exportent des produits agro-alimentaires (Bananes, cannes, etc.). Daniel Guérin résume comme suit en 1956 cette dépendance économique : « En bref les Antilles servent de marchés à peu près exclusifs pour les denrées alimentaires et les produits fabriqués métropolitains qu’elles échangent contre leur sucre et […] contre leur banane[xxix] ». A part des variations dans la part du sucre ou de la banane dans les exportations, rien n’a véritablement changé.

    L’enjeu économique des Antilles dites « françaises » ne se limite pas au capitalisme de plantation. Comme pour les colonies du pacifique la Zone Economique Exclusive (47 000 km² pour la Martinique et 86 000 km² pour la Guadeloupe) contient des nodules polymétalliques exploitables. A ces enjeux strictement économique, il faut ajouter ceux relevant de la géostratégie que le géographe François Taglioni résume comme suit :

    La Caraïbe présente, en outre, par l’intermédiaire des DOM français, un solide réseau de points d’appui. Fort-de-France, abrite une station-relais pour les transmissions en provenance des satellites. La Guadeloupe est une escale aérienne garante de l’indépendance militaire française. […] Enfin les forces navales françaises, anglaises et néerlandaises affirment leur présence militaire dans la zone. Les nodules polymétalliques exploitables, à des coûts certes encore très élevés, sur les fonds marins représentent peut-être pour l’avenir une richesse non négligeable.[xxx].

    Une telle logique économique avec 7000 km de séparation a, bien entendu, un coût que payent les peuples guadeloupéen et martiniquais. La dernière étude de l’INSEE datée de 2015 sur la comparaison des prix entre l’hexagone et les colonies des Antilles met en évidence des écarts de prix « significatifs » : le niveau général des prix est 12,3 % plus élevé en Martinique qu’en métropole (12.5 % pour la Guadeloupe). Cet écart est essentiellement issu d’un poste peu compressible, les produits alimentaires, qui indiquent un différentiel beaucoup plus important : 38 % pour la Martinique et 33 % pour la Guadeloupe[xxxi].

    Mais le coût payé ne concerne pas que le niveau de vie. Les guadeloupéens et martiniquais payent également ce rapport colonial sur le plan de la santé. L’utilisation de pesticides à outrance, y compris ceux dont la dangerosité est avérée, est une caractéristique de ce modèle. Avec la complicité de l’Etat français des pesticides interdits en France ont continués à être utilisés massivement en Guadeloupe et Martinique. Le scandale du chlordécone, un pesticide cancérogène et mutagène, en est une illustration dramatique. Il a été utilisé massivement aux Antilles dites « française » de 1972 à 1993 alors qu’il était interdit dans l’hexagone à partir de 1989. L’Etat français a, en effet, accordé, sur pression des gros planteurs, un moratoire de trois ans. Les effets sur la santé étaient pourtant déjà connus : cancer de la prostate, puberté précoce, prématurité lors des grossesses, troubles de la motricité et de la mémoire visuelle, etc. La journaliste du Monde Faustine Vincent résume comme suit les conséquences de cette dérogation meurtrière :
    La quasi-totalité des Guadeloupéens et des Martiniquais sont contaminés par ce pesticide ultra-toxique, utilisé massivement de 1972 à 1993 dans les bananeraies. Une situation unique au monde. […] Les Antilles sont contaminées pour des siècles, car la molécule est très persistante dans l’environnement − jusqu’à sept cents ans. A partir du début des années 2000, on a découvert que le chlordécone, qui passe dans la chaîne alimentaire, avait non seulement contaminé les sols, mais aussi les rivières, une partie du littoral marin, le bétail, les volailles, les poissons, les crustacés, les légumes-racines… et la population elle-même. La quasi-totalité des 800 000 habitants de la Guadeloupe (95 %) et de la Martinique (92 %) sont aujourd’hui contaminés[xxxii].

    Interdire dans l’hexagone et autoriser aux Antilles, voilà un bel exemple d’un traitement d’exception, qui est une des caractéristiques essentielles du colonialisme. Le mépris pour la santé des indigènes révélé ici par les pesticides est du même type que le mépris révélé en Polynésie avec les essais nucléaires.
     
    Les dessous d’une déportation de la jeunesse
    Le modèle colonial de développement crée logiquement une « disproportion entre la population et les ressources que le système économique actuel met à sa disposition » remarque en 1956 Daniel Guérin[xxxiii]. Toute une littérature se développe alors pour expliquer cette « poussée démographique » et proposer des solutions. Les explications sont généralement essentialistes et les solutions orientées vers le malthusianisme. Les causes sont ainsi recherchées dans la culture antillaise et la piste privilégiée en solution est celle du contrôle des naissances. Or nous le savons depuis longtemps un des facteurs déterminants de la fécondité se situe dans les conditions matérielles d’existence.

    L’inquiétude sur la fécondité antillaise est à inscrire dans le contexte des décennies 50 et 60 qui inaugure des transformations profondes aux Antilles dites « française ». La première d’entre elle est l’ébranlement du complexe d’infériorité que les écrits d’Aimé Césaire résument. Frantz Fanon décrit comme suit en 1955 ce processus de réaffirmation de soi : « Pour la première fois, on verra un professeur de lycée donc apparemment un homme digne, simplement dire à la société antillaise « qu’il est beau et bon d’être nègre […] Ainsi donc l’Antillais, après 1945, a changé ses valeurs. Alors qu’avant 1939 il avait les yeux fixés sur l’Europe blanche […] il se découvre en 1945, non seulement un noir mais un nègre et c’est vers la lointaine Afrique qu’il lancera désormais ses pseudopodes[xxxiv]. »

    L’Afrique est pendant la décennie 50 en pleine effervescence anticoloniale avec une guerre d’Algérie qui devient rapidement une centralité dans le positionnement politique des militants africains. Se penchant sur l’identité antillaise en 1979, le sociologue Jean-Pierre Jardel résume comme suit les bouleversements de ces deux décennies :
     Depuis deux décennies environ, des changements rapides se produisent aux différents paliers de la réalité socio-culturelle des Antilles françaises. Les discours prononcés par des hommes politiques, les idées diffusées par les écrivains de la négritude, l’autonomie ou l’indépendance acquise par plusieurs îles de l’archipel Caraïbe, ont fait comprendre à une large fraction de la population qu’il existait une entité antillaise ayant ses propres valeurs, face aux valeurs de la métropole européenne. On se trouve donc en présence d’une phase de réajustement des normes et par conséquent d’une situation conflictuelle généralisée.[xxxv]

    Les émeutes de Fort de France du 20 décembre 1959 et celles du Lamentin en mars 1961 sonnent comme un avertissement aux yeux des autorités françaises. De cette époque date l’encouragement à une émigration de la jeunesse des Antilles dites « françaises » vers la métropole qui sera systématisé trois ans plus tard par la création du BUMIDOM en 1963 (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer). De 1963 à 1982, ce bureau utilise toute une panoplie de moyens divers et de promesses (de formation, de logement, d’emplois, de salaires élevés, etc.) pour pousser à l’exil toute une jeunesse afin de désamorcer une crise sociale et politique latente. Le journaliste et écrivain guadeloupéen Hugues Pagesy donne la lecture suivante de l’action du BUMIDOM en quatrième de couverture de l’ouvrage qu’il lui consacre :

    « La traite négrière n’aurait-elle servi à rien pour que, 115 ans après l’abolition de l’esclavage, un organisme d’État répondant au nom de BUMIDOM […] mette en place un système pour vider la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique, de toute une partie de leur jeunesse ? Sous prétexte de lutter contre le manque d’activité qui frappe ces régions, le BUMIDOM va en fait organiser une déportation de ces jeunes vers la France, que d’aucuns dénonceront comme étant un vrai génocide par substitution. […] L’empire qui perd petit à petit une bonne partie de ses territoires veut museler ceux d’Outre-mer. Les prétextes évoqués sont leur démographie galopante et un chômage endémique[xxxvi].

    Au total se sont près de 260 000 personnes qui ont migrés vers l’hexagone sous l’effet direct ou indirect du Bumidom dont 42 622 martiniquais et 42 689 guadeloupéens[xxxvii] : une véritable saignée dans la jeunesse antillaise compte tenu de la taille de la population et de l’âge des personnes concernées. Aimé Césaire qualifie à l’assemblée nationale cette politique de « génocide par substitution » et la délégation guadeloupéenne à la Tricontinentale de la Havane en janvier 1966 (Conférence de solidarité des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine) dénonce « la politique coloniale du gouvernement français à la Guadeloupe, notamment l’expatriation de la jeunesse[xxxviii] ».
     
    « Dissiper les malentendus » sur la question nationale
     « L’heure est venue de clarifier les problèmes et de dissiper le malentendus », c’est par ces mots que Frantz Fanon conclue l’article consacré aux émeutes de Fort de France du 20 décembre 1959 cité plus haut. Pour lui cette révolte indique une mutation dans le processus d’émergence d’une conscience nationale antillaise. Celui-ci est complexe du fait des spécificités de la colonisation aux Antilles : ancienneté pluriséculaire de la colonisation, génocide des peuples autochtones, hétérogénéité de peuplement liée à l’esclavage et aux immigrations suscitées par le colonisateur, ampleur du processus d’assimilation liée à la violence esclavagiste initiale puis par la durée pluriséculaire de la domination, histoire politique spécifique de chacune des îles, etc.

    L’ensemble de ces facteurs explique l’épisode de 1946 où « des larges masses antillaises » rappelle Aimé Césaire ont approuvées la départementalisation c’est-à-dire ont votées pour rester française. Césaire lui-même a soutenu cette option en raison du danger que constitue la proximité avec les Etats-Unis : « Une autre objection plus sévère encore est l’existence à côté des Antilles d’un voisin dont la puissance et l’appétit ne sont que trop connus[xxxix]. » Coincés entre deux dominations, les Antillais ont dans le contexte de l‘époque considérés qu’obtenir une égalité plus grande dans le cadre français étaient la seule voie possible complète Aimé Césaire[xl]. 

    Au moment où Césaire tire ce bilan de la loi de 1946 (en 1956), les peuples des Antilles dites « françaises » ont fait leur expérience de l’impasse de l’assimilationnisme. Si des spécificités sont indéniables dans le processus de conscientisation nationale, celui-ci est tout aussi indéniablement en accélération rapide dans les deux colonies.

    En Martinique le processus se traduit par la création de l’OJAM (’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique) qui inaugure son action politique par l’apposition d’immense banderoles sur les murs de tous les bâtiments publics de l’île, portant le slogan « la Martinique aux Martiniquais » le 23 décembre 1962. Un tabou est brisé. Pour la première fois une organisation revendique ouvertement l’indépendance. Dans le même temps le « manifeste de l’OJAM » est placardé sur les murs proclamant :
    Que la Martinique est une colonie, sous le masque hypocrite de département français, comme l’était l’Algérie, parce que dominée par la France, sur le plan économique, social, culturel et politique. […] En conséquence l’O.J.A.M […] Proclame le droit des martiniquais de diriger leurs propres affaires. Demande aux Guadeloupéens, aux Guyanais de conjuguer plus que jamais leurs efforts dans libération de leur pays pour un avenir commun. Soutien que la Martinique fait partie du monde antillais. Appelle les jeunes de la Martinique, quelles que soient leurs croyances et leurs convictions, à s’unir pour l’écrasement définitif du colonialisme dans la lutte de libération de la Martinique[xli].

    La réponse de l’Etat français est, bien sûr, la répression. 18 militants de l’OJAM sont déférés devant la Cour de sûreté de l’Etat pour « atteinte à l’intégrité du territoire ». 5 militants écopent de peine de prisons et les autres sont relaxés. Si l’OJAM ne survit pas à cette épreuve, le mouvement indépendantiste existe désormais, même s’il reste encore minoritaire et éparpillé. A partir de la fin de la décennie 60 et tout au long de la décennie 70, les organisations indépendantistes se multiplient : Mouvement National de Libération de la Martinique (MNLA) en 1969, Groupe Révolution socialiste (GRS) en 1970, Groupe d’Action Prolétarienne (GAP) au début de la décennie 70, Mouvement Indépendantiste Martiniquais (MIM) en 1978, le Pati kominis pour lendépandans èk sosyalizm (Parti Communiste pour l’Indépendance et le Socialisme) en 1984, le Parti pour la Libération de la Martinique (PALIMA) en 1999. Malgré cet éparpillement l’idée indépendantiste progressera de manière significative depuis dernières décennies du siècle dernier. Lors des élections régionales de 1986 les indépendantistes ne comptent que pour 3 %, 6 ans plus tard le MIM devient la première force organisée du pays. Aux régionales de 1998 le MIM obtient 31, 71 % des suffrages et son président, Alfred Marie-Jeanne, devient président du conseil régional (il sera reconduit à ce poste en 2004). En dépit des multiples divisions et de la bureaucratisation suscitée par la participation au jeu institutionnel et encouragée par l’Etat français, le projet indépendantiste est désormais une réalité incontournable en Martinique.

    La décennie 60 est également celle qui voit s’organiser un mouvement indépendantiste en Guadeloupe. C’est au sein du mouvement étudiant en métropole, dans l’AGEC (Association Générale des Etudiants Guadeloupéen), qu’est lancé pour la première fois le mot d’ordre d’indépendance nationale. En Guadeloupe même c’est en 1963 qu’est constitué le GONG (Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe) dont certains membres fondateurs sont issus de l’AGEG. Peu nombreux les militants du GONG sont très actifs. Ils ont présent systématiquement pour soutenir chaque grève ouvrières, ce qui les rend rapidement populaire. « Chaque fois que des ouvriers, qu’ils soient du bâtiment ou de la canne étaient en grève ou en difficulté quelconque, le GONG, et ses militants devaient venir leur prêter main-forte[xlii] » se souvient le militant nationaliste Claude Makouke. Le mouvement social qui secoue la Guadeloupe en 1967 et le massacre qui l’accompagne, est le prétexte que prendra l’Etat français pour décapiter ce mouvement indépendantiste ayant une audience populaire grandissante.

    A l’origine du mouvement se trouve une grève des ouvriers du bâtiment pour exiger une hausse de 2,5 % des salaires. Les négociations entre le patronat et le syndicat CGTG échouent le 26 mai et une manifestation devant la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre se transforme en émeute. Les CRS tirent sur la foule provoquant les premiers décès. Les affrontements s’étendent alors à toute la ville. Lorsqu’elles cessent le lendemain un bilan officiel annonce 8 morts. La réalité du massacre mettra vingt ans à percer. En 1985 Georges Lemoine, secrétaire d’Etat chargé des départements et territoires d’Outre-mer reconnaîtra le chiffre de 87 victimes et plus d’une cinquantaine de blessés. C’est dans ce contexte que l’Etat français décide de profiter de la situation pour décapiter le mouvement indépendantiste. L’organisation et ses militants sont accusés de la responsabilité des émeutes et des victimes. 19 militants du GONG sont arrêtés et inculpés « d’atteinte à la sureté de l’Etat et à l’intégrité du territoire ». La presse colonialiste exulte à l’image du journal France-Antilles qui titre en première page et en gros caractère le 13 juin : « Le Gong est décapité. Dix-neuf arrestations à Paris et en Guadeloupe[xliii] ». Le mouvement massif de solidarité qui s’organise alors sauvera les inculpés dont le jugement de février 1968 prononce 6 peines avec sursis et 13 acquittements. En Guadeloupe même cependant 70 autres militants attendent leur jugement. Six d’entre eux écoperont de peines de prison ferme allant d’1 à 6 mois.

    Le GONG ne survie pas à cette dure épreuve mais ses militants sont nombreux à être présent dans la création ultérieure d’autres organisations indépendantistes. Ils réinvestissent d’abord leurs forces dans la dynamique syndicale en créant l’UTA (Union des Travailleurs Agricole) en 1970, l’Union des Paysans Pauvres de Guadeloupe (UPG) en 1972 et enfin l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG) qui regroupe les deux précédente et d’autres syndicats en 1973. Tels sont les facteurs qui expliquent le lien étroit entre indépendantistes et syndicalistes en Guadeloupe. En témoigne l’élection à la tête de l’UGTG de l’indépendantiste Elie Domota et sa désignation comme porte-parole du LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon– Collectif contre l’exploitation outrancière), un regroupement syndical, associatif et politique qui a mené le vaste mouvement social en janvier et février 2009.

    En 1977 ces militants créent l’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe (UPLG) qui reste jusqu’à aujourd’hui la principale organisation politique indépendantiste. A côté de celle-ci existe également le Mouvement pour une Guadeloupe Indépendante (MPGI) crée en 1981, le Konvwa pou liberasyon nasyonal Gwadloup (KNLG) fondé en 1997 et Fòs pou konstwi nasyon Gwadloup (Forces pour batir la nation guadeloupéenne) fondé en 2010. Des tentatives de luttes armées ont également eu lieu par le GLA (Groupe de Libération Armée) qui mène une série d’attentats contre des édifices publics en 1980 et 1981, puis par l’ARC (Alliance Révolutionnaire Caraïbe) menant le même type d’actions de 1983 à 1989.

    Si comme en Martinique la multiplicité des organisations, l’institutionnalisation de certains leaders, la répression et les divisions du mouvement nationaliste, le rapport des forces disproportionné avec une des principales puissances mondiale, etc., rendent difficile une perspective d’indépendance à court terme, cela ne veut pas dire que la question de l’indépendance nationale est enterré. « Le Mouvement Patriotique Guadeloupéen au niveau organisationnel et militant connaît une passe difficile, un mouvement de reflux, mais c’est là le paradoxe, les idées nationalistes n’ont jamais cessé de progresser et d’irriguer au quotidien la vie des guadeloupéens[xliv] » résume le journaliste Danik Zandwonis.

    Comme nous le disions dans nos précédents articles consacrés à Mayotte, la Kanaky et la Polynésie, la faiblesse de la conscience internationaliste et du mouvement anticolonialiste en France fait partie du rapport des forces défavorable auquel sont confrontés les militants nationalistes des colonies françaises. Qu’un tel mouvement se développe et que le rapport de forces mondial se transforme et la perspective indépendantiste redeviendra un objectif atteignable rapidement. A plus ou moins long terme l’indépendance est inévitable : la situation géographique, la rationalité économique et la communauté des traits culturels avec les autres peuples de la région orientent structurellement vers un projet de fédération des Antilles.

    Saïd Bouamama

    Notes :  
    [i] Raphaël Confiant, Aimé Césaire, une traversée paradoxales du siècle, Stock, Paris, 1993,
    [ii] Adrien Guyot, L’Amérique, un ailleurs partagé, Départment of Modern Languages and Cultural Studies, University of Albama, 2016, pp. 104-105. .
    [iii] Frédéric Dorel, La thèse du « génocide indien » : guerre de position entre science et mémoire, Revue de civilisation contemporaine Europes/Amériques, N° 6, 2006.
    [iv] Nicolas Rey, Quand la révolution aux Amériques était nègre … Caraïbes noirs, negros franceses et autres « oubliés » de l’histoire, Karthala, Paris, 2005, p. 48.
    [v]Chantal Maignan-Claverie, Le métissage dans la littérature des Antilles françaises. Le complexe d’Ariel, Karthala, Paris, 2005, p. 118.
    [vi] Nicolas Rey, Quand la révolution aux Amériques était nègre … Caraïbes noirs, negros franceses et autres « oubliés » de l’histoire, op. cit., p. 53.
    [vii] Victor Schoelcher, Abolitions de l’esclavage ; Examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des Sang-Mêlés, Porthmann, Paris, 1840, p. 138.
    [viii] Alain Bihr, Recension du livre de Caroline Oudin-Bastide, Travail, capitalisme et société esclavagiste. Guadeloupe, Martinique (XVIIe-XIXe siècle), Revue « Interrogation ? », n° 10, mai 2010.
    [ix] Alain Philippe Blérald, Histoire économique de la Guadeloupe et de la Martinique : du XVIIe siècle à nos jours, Karthala, Paris, 1986, p. 26. 
    [x] Alain Philippe Blérald, Histoire économique de la Guadeloupe et de la Martinique : du XVIIe siècle à nos jours, Karthala, Paris, 1986, p. 26. 
    [xi] Ibid, p. 138.
    [xii] Christian Deverre, Crise sucrière et réforme foncière en Guadeloupe, Cahiers d’économie et sociologie rurales, n° 17, 1990, p. 100.
    [xiii] Guy Lasserre, La Guadeloupe. Etude géographique, Union Française d’Edition, Bordeaux, 1961, p. 393.
    [xiv] Christian Deverre, Crise sucrière et réforme foncière en Guadeloupe, Cahiers d’économie et sociologie rurales, op. cit., p. 108.
    [xv] Ibid, p. 111.
    [xvi] Luce Blanchard, Qui se cache derrière le projet de centrale thermique d’Albioma à Marie-Galante, https://blogs.mediapart.fr/luce-blanchard/blog/020217/qui-se-cache-derriere-le-projet-de-centrale-thermique-dalbioma-marie, Consulté le 10 juin 2018 à 19 h 55.
    [xvii] Muriel Bonin et Cécile Cathelin, Conversion environnementale de la production bananière guadeloupéenne : une stratégie politique et économique, Economie rurale, n° 341, mai-juin 2014, p. 76.
    [xviii] Athanasia Bonneton, La banane en Guadeloupe : les conditions économiques et sociales de la culture et de la commercialisation, CDDP Guadeloupe, 1988, p. 52.
    [xix] André Breton, Martinique charmeuse des serpents, 10/18, Paris, 1973.
    [xx] Jean-Luc Boniol, Janvier-mars 2009, trois mois de lutte en Guadeloupe, Les Temps modernes, 1/2011, n° 662-663, pp. 82-113.
    [xxi] Guy Cabort-Masson, Interview à la revue Antilla, n° 961, 9 novembre 2001, p. 6.
    [xxii] Les derniers maîtres de la Martinique, http://www.fxgpariscaraibe.com/article-27520586.html, consulté le 11 juin 2018 à 16 h 30.
    [xxiii] Ulrike Zander, La hiérarchie « socio-raciale »en Martinique. Entre persistance postcoloniale et évolution vers un désir de vivre ensemble, Revue en ligne Asylon (s), n° 11, mai 2013, http://www.reseau-terra.eu/article1288.html#nh37, consulté le 11 juin 2018 à 16 h50.
    [xxiv] Michel Giraud, races, clases et colonialisme à la Martinique, L’Homme et la société. Volume n° 55. Nº 1, 1980, p. 206.
    [xxv] Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris, 1971, p. 132.
    [xxvi] Ulrike Zander, La hiérarchie « socio-raciale »en Martinique. Entre persistance postcoloniale et évolution vers un désir de vivre ensemble, op. cit.
    [xxvii] Rapport du secrétaire d’Etat de la Marine et des Colonies du 2 février 1861, Revue maritime et coloniale, tome 2, Lahure, Paris, juillet 1861, p. 53.
    [xxviii] L’ensemble des données de cette partie sont issues de deux documents de l’Institut d’Emission des Département d’Outre-Mer (IEDOM) : Guadeloupe 2016 et Martinique 2016, Paris, 2017.
    [xxix] Daniel Guérin, Les Antilles décolonisées, Présence Africaine, Paris, 1956, p. 55.
    [xxx] François Taglioni, Géopolitique et insularité : l’exemple des petites Antilles, in André-Louis Sanguin (coord.), Vivre dans une île, L’Harmattan, Paris, 1997, p. 179.
    [xxxi] INSEE première, n° 1589, avril 2016, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908163, consulté le 13 juin 2018 à 10 h 00.
    [xxxii] Faustine Vincent, Scandale sanitaire aux Antilles, Le Monde du six juin 2018, https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/06/06/scandale-sanitaire-aux-antilles-qu-est-ce-que-le-chlordecone_5310485_3244.ht, consulté le 13 juin 2018 à 10 h 45.
    [xxxiii] Daniel Guérin, Les Antilles décolonisées, op. cit., p. 37.
    [xxxiv] Frantz Fanon, Antillais et Africains, in Pour la révolution africaine, La Découverte, Paris, 2001, p. 31 et 34.
    [xxxv] Jean-Pierre Darnel, Langues et identité culturelle aux Antilles françaises, Pluriel débat, n° 17, année 1979, p. 27.
    [xxxvi] Hugues Pagesy, Kolombie 2 : Bumidom la vérité, Editions Nestor, Gourbeyre – Guadeloupe, 2017, quatrième de couverture.
    [xxxvii] André Calmont, et Cédric Audebert, Dynamique migratoire de la Caraïbe, Karthala, Paris, 2007, p. 99.
    [xxxviii] Première conférence Tricontinentale, Interventions et résolutions, La Havane, 1966, p. 90.
    [xxxix] Aimé Césaire, Introduction au livre de Daniel Guerin, Antilles décolonisées, op. cit., p. 9.
    [xl] Ibid, pp. 10-11.
    [xli] Manifeste de l’OJAM, https://afcam.org/index.php/fr/dossiers/dossiers-4/les-collectivites-invitees-au-haut-comite/2-uncategorised/4194-le-manifeste-de-l-o-j-a-m, consulté le 14 juin 2018 à 8 h 30.
    [xlii] Xavier-marie Bonnot et Francois-Xavier Guillerm, Le sang des nègres, Galaade, Paris, 2015.
    [xliii] Raymond Gama et Jean-Pierre Sainton, Mé 67 : Mémoire d’un évènement, Société Guadeloupéenne d’Edition et de Diffusion, 1985, p. 122.
    [xliv] Danik I. Zandwonis, Guadeloupe. L’indépendance est plus proche qu’on ne le dit …, http://7seizh.info/2014/12/11/guadeloupe-lindependance-est-plus-proche-quon-ne-le-dit, consulté le 14 juin 2018 à 16 h 45.

    #barbarie génocide #histoire #colonialisme #colonisation #Noirs #Noir #nègre #Antilles #Guadeloupe #Martinique #Mayotte, #Kanaky #Polynésie #DOM #Haïti #Hispaniola #Caraïbe #France #néo-colonialisme #libéralisme_postcolonial #peuples_autochtones #békés #Révolte #Kalinas #métissage #banane #sucre #mélasse #rhum #canne_à_sucre #Indépendance
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    Eugène_Aubéry Guy_Cabort_Masson #Alfred_Marie_Jeanne #Elie_Domota

  • Les algorithmes à l’époque de la start-up nation : sur Parcoursup et la sélection à l’Université
    http://www.platenqmil.com/blog/2018/06/15/les-algorithmes-a-lepoque-de-la-start-up-nation--sur-parcoursup-et-la-se

    Avec une expression qui est devenue célèbre, la Harward Business Review a défini la Data Science comme « le job le plus sexy du 21ème siècle » [1]. La définition - assez débattue - de ce domaine indique en général la capacité d’extraire des prévisions à partir de bases des données massives. Un pilier de la discipline est le Machine Learning (ML), c’est-à-dire l’utilisation de différentes techniques statistiques pour permettre à un ordinateur d’« apprendre » sans être explicitement programmé pour le faire. Par exemple, plus de 95% des profits de Facebook viennent de la vente d’espaces publicitaires « ciblés » [2] : la plateforme est capable de montrer à chaque utilisateur des annonces sélectionnées par les algorithmes de ML sur la base de ses activités passées.
     
    La capacité d’extraire des prévisions à partir de quantités massives de données constitue déjà une des sources du capitalisme moderne : « Data is the oil of the 21st century », pour reprendre une expression très courante dans le domaine du Big Data [3].
     
    Dans ce contexte, un pilier du quinquennat d’Emmanuel Macron à l’Elysée consiste précisément dans la conversion au numérique d’une partie consistante de l’économie française. Les slogans “start-up nation” ou “silicon valley française” sont représentatifs de cette intention et ont été accompagnés par des choix politiques déjà clairs pendant cette première année de présidence. Par exemple, un financement massif dans le domaine de l’Intelligence Artificielle (1,5 milliards d’Euros) a été récemment annoncé, en soutien au « plan pour l’Intelligence Artificielle » dévoilé par Macron en collaboration avec le mathématicien Cédric Villani [4]. Suite à cette décision, de nombreuses plateformes comme Google et Facebook ont annoncé l’ouverture de centres R&D dans la région parisienne. En même temps, un renforcement significatif du secteur de la formation numérique se développe en Île-de-France. Le Président a également prévu un régime fiscal adapté aux besoins de l’économie numérique [5], pour essayer de faire de la France le leader européen du secteur [6], comme l’Allemagne l’est déjà par rapport à l’industrie 4.0.

    #Parcoursup #data #université #sélection

  • Trouble #8 : Hack the System
    https://lundi.am/Trouble-8-Hack-the-System

    Chaque jour, de plus en plus de nos activités et communications ont lieu en ligne. Nous sommes devenus accros à la connectivité..... à l’accès constant à un catalogue sans fin d’informations, de divertissements et d’engagements, tous disponibles en un seul clic de souris. L’Internet est devenu profondément ancré dans toutes les facettes de notre vie, au point qu’il semble souvent être un appendice neutre à la réalité elle-même - un « patrimoine numérique commun » où des milliards de citoyens du monde détiennent les clés d’une vaste bibliothèque décentralisée de connaissances humaines. Mais en réalité, Internet est loin d’être neutre.... et ce n’est certainement pas un bien commun.

    Les fermes de serveurs et les câbles à fibres optiques qui constituent l’infrastructure physique de l’Internet sont de plus en plus la propriété, l’exploitation et le contrôle d’une petite poignée de sociétés incroyablement puissantes. Les plateformes de médias sociaux sont devenues des sites d’endoctrinement de masse et des points d’ancrage du contrôle social. Les sociétés démocratiques libérales sont attaquées par les trolls russes. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère de l’histoire, dans laquelle les États se livrent une guerre secrète et une guerre cybernétique perpétuelle qui ont des conséquences dans le monde réel, cachées et inconnues.

    Beaucoup d’entre nous choisissent d’éluder ces faits en prétendant le plus souvent ignorer le fonctionnement de la technologie et en s’immergeant volontiers dans le spectacle qu’elle crée. Mais il y a aussi ceux qui sont inexorablement attirés par la recherche d’une meilleure compréhension du fonctionnement de la mécanique complexe du pouvoir à l’ère numérique... et de la façon dont ce pouvoir pourrait être exploité à nos propres fins. Dans cet épisode de Trouble, sub.Media parle à un certain nombre de pirates et d’experts en sécurité numérique puisqu’ils partagent leurs expériences et offrent des conseils sur la meilleure façon de naviguer sur le champ de bataille qu’est l’Internet.

    https://vimeo.com/244383308

    _Chaque mois, Trouble propose un nouveau documentaire sur le web. Vous pouvez visionner les précédents tels que “Tuer le serpent noir” à propos des luttes indigènes de Standing Rock, “Combattre le fascisme”, “Accueillir les réfugiés - construire la solidarité à travers les frontières”, “Il n’y a pas de justice” ou encore “Vous êtes observés”._

    #Internet #Hack #hackers #communs #résistance #Trouble

  • Éloges des mauvaises herbes - Ce que nous devons à la ZAD
    https://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2018/06/eloges-des-mauvaises-herbes-ce-que-nous.html#more

    Par Ernest London

    Écrit dans l’urgence de l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, ce livre regroupe les textes de seize personnalités intellectuelles, littéraires et artistiques cherchant à penser l’importance de ce qui se joue là.

    La puissance publique dévoile sa faiblesse en affirmant, menaces et destructions à l’appui, qu’elle ne peut tolérer sur son territoire un espace qui fabrique d’autres mondes, explique Jade Lindgaard, coordinatrice de l’ouvrage et journaliste à Mediapart. « La loi protège la propriété privée et l’agriculture polluante. »

    David Graeber, auteur de la préface, prévient que ce livre est « une des nombreuses armes dont nous avons besoin pour défendre la pérennité sur le long terme de cette expérience si singulière » tant ceux qui remettent en cause l’équilibre actuel ne doivent jamais être perçus comme victorieux. « Des alternatives aussi visibles font voler en éclat l’idée que, en dépit de la répétition des crises, le système actuel doit absolument être rafistolé afin de conserver le statu quo. »

    Il présente la ZAD comme expérience de « politique préfigurative », à beaucoup plus petite échelle mais comparable à celle des zapatistes du Chiapas et des kurdes du Rojava. Convaincu que le système s’effondre et que dans cinquante ans le capitalisme n’existera plus, peut-être remplacé par quelque chose de pire, il affirme qu’il est de notre devoir d’empêcher la machine militaire et bureaucratique de broyer ceux qui essayent de penser à ce à quoi un monde meilleur pourrait ressembler.

    La préfiguration c’est « relever avec constance le défi de se comporter les uns vis-à-vis des autres comme nous le ferions dans une société véritablement libre », ce qui est l’exact contraire de l’idée que la fin justifie les moyens !

    La contribution de Virginie Despentes pourra dérouter. Si elle comprend bien en quoi la ZAD est un grain de sable qui enraye la propagande affirmant qu’ « il n’y pas d’alternative », elle imagine une multiplication de tels lieux qui serviraient de refuge aux précaires, aux « manants », d’aujourd’hui et de demain ! Elle semble, pour sa part, admettre le statu quo comme irrémédiable.

    John Jordan, artiste-activiste résidant sur la ZAD met en avant la « culture de la résistance » particulière qui y a pris forme et rappelle que tout ce que nous avons obtenu l’a été grâce à la désobéissance. Il insiste sur l’importance de produire nos propres récits des luttes que nous vivons. Il a vu se mêler ici la résistance et la création, le combat et la construction. À Nicolas Hulot qui prétend que « l’écologie ce n’est pas l’anarchie », il rappelle que les premiers théoriciens de l’écologie furent précisément des anarchistes : Élisée Reclus pour qui l’être humain est la nature prenant conscience d’elle-même, Pierre Kropotkine qui promut l’évolution comme coopération et non seulement comme compétition, et plus tard Murray Bookchin qui développa le concept d’écologie sociale pour éviter l’effondrement écologique en nous débarrassant de toutes formes de domination.

    Il explique pourquoi « la séparation opérée entre l’individu et le tout est une fiction » et que « seuls les comportements qui font place sur le long terme à la fertilité et à la diversité de l’écosystème tout entier pourront se perpétuer ». La défense de la ZAD est une lutte pour les communs contre la propriété privée. « C’est un combat pour l’avenir, un combat que nous ne pouvons pas perdre. »

    « Cette action militaire, la pire [en France] depuis au moins 1968, est évidemment une violation du droit des citoyens qui ouvrent les chemins d’une transition écologique et économique pour nous sortir de cette voie sans issue faite de cupidité, de violence, d’inégalité et de non-durabilité vers laquelle les puissances économiques et politiques poussent l’humanité et la Terre. » L’activiste indienne Vandana Shiva est catégorique : « Cette violence revient à effacer l’avenir. »

    Les collectifs qui s’expriment sur la ZAD ont pris conscience de leur pouvoir à être « le changement que nous voulons voir dans le monde » selon la formule de Gandhi. Leurs actes sont criminalisés tandis que les crimes contre la nature et les personnes sont protégés par la force armée. Le gouvernement français devrait y envoyer ses jeunes pour leur apprendre à vivre dignement, en paix avec la terre, plutôt que ses Robocops.

    La ZAD est un mouvement de « réappropriation de nos communs » qui sont des « formes démocratiques de gouvernance ».

    Olivier Abel, professeur de philosophie, avoue ne s’être pas intéressé à Notre-Dame-des-Landes avant l’intervention du 9 avril. La disproportion des moyens mis en oeuvre lui fait alors comprendre que nous ne sommes plus dans une société politique où les lois peuvent être contestées voire transgressées au moins symboliquement et marginalement, mais dans une « société bétaillère », une « société technologique ». 

    De la même façon, Geneviève Pruvost, sociologue du travail… et de la police, interprète ces opérations policières massives à caractère militaire comme une mise à nue des priorités politiques du gouvernement car cette « résistance au progrès et au confort moderne », cette « forme de lutte d’une sidérante simplicité, à la portée de tout le monde peut se répandre comme une trainée de poudre, sans coup férir ».

    Bruno Latour, professeur à Sciences Po, surprendra pas sa naïve injonction à l’État d’accepter les enseignements des zadistes en matière de développement des territoires.

    Christophe Bonneuil, directeur de recherche en histoire au CNRS, remet en perspective ce conflit comme « la radicalisation d’une guerre des mondes » entre les « modernisateurs » qui se conçoivent comme séparés de la nature, et les « terrestres » qui assument leur appartenance à la terre et expérimentent des formes avancées d’émancipation et d’autogestion démocratique.

    Starhawk, activiste et écoféministe américaine qui se présente comme sorcière, résume en un texte bref et incisif l’enjeu : « Maintenant les communs veulent reconquérir cette terre. » « Les paysans traditionnels et les anarchistes ont uni leurs forces pour revitaliser la terre, pour faire pousser de la nourriture, pour construire des structures sauvages et créatives, et pour offrir l’hospitalité à tous. Un tel rêve représente une menace existentielle pour un ordre mondial qui exige que tout soit objectivé, quantifié, monétisé. Mais ce monde-là est en train de tous nous tuer. »

    Kristin Ross qui connait bien la ZAD pour s’y être rendue de nombreuses fois analyse cette « accumulation d’expériences, de solidarités et de partages » qui constitue une telle menace pour le néolibéralisme qu’Emmanuel Macron n’a pas hésité à déchaîner autant de violence. « La ZAD n’est pas une utopie mais une communauté qui fonctionne depuis 10 ans. » Elle contredit « le récit classique selon lequel 68 aurait épuisé et enterré les dernières illusions révolutionnaires et que désormais, faute d’alternative, il faut renoncer à changer le monde. »

    Pablo Servigne, « chercheur in-Terre-dépendant » trouve lui aussi des mots justes : « Notre-Dame-des-Landes est un point clé pour la compréhension de notre époque, c’est le lieux de friction entre l’imaginaire de continuité et l’imaginaire de rupture. »

    Wilfrid Lupano, scénariste de la série BD des Vieux Fourneaux dans laquelle il a imaginé une ZAD, raconte sa visite à la bibliothèque du Taslu et explique qu’à l’heure de la désertification des campagnes, il n’y a pas d’autre territoire rural en France qui attire autant de jeunes désireux d’y construire une vie remplie de sens.

    L’intervention qui tranche le plus dans ce concert d’appels à résister et qui est d’autant plus important, est signée Amandine Gay, cinéaste, universitaire et afroféministe. Elle ne manque en effet aucune occasion de poser frontalement la question raciale et reproche l’attitude qu’Aimé Césaire appelait le « fraternalisme » et qui pollue toujours les milieux alternatifs de la gauche française : les zadistes n’ont pas cherché à nouer des contacts avec les agriculteurs de la Caraïbe ou avec les Amérindiens de Guyane qui se font violemment et illégalement expulser de leur propre terre par exemple, pour inscrire leur lutte au niveau international, pour proposer « une perspective écologique et décoloniale ». La survie de la ZAD pendant neuf ans est l’expression même d’un « privilège blanc ». Il a fallu la mort de Rémi Fraisse pour que les militants anticapitalistes, écolos et alternatifs blancs se mobilisent massivement contre les violences policières. Loin de critiquer la lutte des zadistes et de leurs nombreux soutiens, elle leur montre la fracture invisible entre les différentes luttes puisqu’ils appellent tant à la « convergence des luttes ».

    Le regard de l’architecte Patrick Bouchain est également fort intéressant. Il rappelle qu’un bail emphytéotique est envisageable pour confier ces terres à ceux qui en réclament l’usage mais pas la propriété, et que leur acte est une désobéissance à la « stupidité républicaine » plutôt qu’à l’ordre républicain qui n’a d’ailleurs pas eu besoin de beaucoup de courage pour s’attaquer à 250 personnes pacifiques. « Avec les cabanes de la ZAD, on a l’exemple d’un habitat contextuel par manque de moyens. Il est rudimentaire, mais il est aussi préparatoire à ce qu’il faudrait faire désormais. C’est une glorification de la liberté de construire. »

    Enfin, l’écrivain d’anticipation Alain Damasio imagine dans une longue nouvelle, notre monde en 2041 alors que les grandes villes, après les stades, ont été rachetées par des marques et que les ZAD se sont multipliées (87 en France et 364 en Europe). Notre-Dame-des-Landes a été vendue aux enchères par morceaux. Attachés aux arbres, six mille personnes ont sauvé la forêt. « L’usage fonde le droit, il n’en dépend pas. L’usage c’est ce qui fait que le portenaouak et le tout-à-l’égo ne viennent pas remplacer le diptyque argent+propriété qui fonde l’ordre dégueu du capitalisme qu’on a dégagé de nos vies. » « Ils pacifient, nous opacifions. Nous sommes l’ombre de leurs nombres, le zéro de leur réseau ; la friche de leurs chiffres. » La grande vertu de ce genre littéraire est de donner à voir le futur, même proche, d’inviter à réfléchir autrement, à se projeter un peu plus loin. C’est réussi.

    Étrange sensation que de sauter ainsi d’un point de vue à l’autre. L’exercice permet finalement de les confronter tour à tour à son propre avis, d’approfondir ses réflexions, de les porter à ébullition, et donnerait presque envie de jeter quelques notes personnelles sur les pages blanches finales. Malgré quelques bénéfiques divergences, le constat est unanime : c’est bel et bien un épisode de la guerre civile en cours qui se joue là, l’écrasement d’une preuve bien vivante qu’un autre monde est possible. C’est pourquoi, même si cet ouvrage ne le dit pas, il faut rejoindre les Comités de soutien de la ZAD, aller y faire un tour, apporter sa pierre à l’édifice, reconstruire ce qui a été détruit, écouter aussi la parole de ceux qui y vivent.

    Éloges des mauvaises herbes - Ce que nous devons à la ZAD
    Alain Damasio, Virginie Despentes, David Graeber, Bruno Latour, Pablo Servigne, Vandana Shiva, Kristin Ross, Olivier Abel, Christophe Bonneuil, Patrick Bouchain, Amandine Gay, John Jordan, Wilfried Lupano, Geneviève Pruvost, Nathalie Quintane, Starhawk
    Coordonné par Jade Lindgaard
    210 pages – 15 euros
    Éditions Les Liens qui libèrent – Paris – Juin 2018
    http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-%C3%89loge_des_mauvaises_herbes-9791020906427-1-1-
    Les recettes des ventes de ce livre iront aux activités développées sur la ZAD

    #ZAD #NDDL #vivre_la_commune #communs #territoires

  • Directive Copyright : combattons le filtrage automatisé... et la centralisation du Web !
    https://www.laquadrature.net/fr/copyright_plateforme

    Le 20 juin prochain, le Parlement européen arrêtera sa décision sur la directive Copyright, symbole d’une nouvelle période de régulation de l’Internet. La Quadrature du Net vous invite à appeler les eurodéputés pour exiger qu’ils agissent contre l’automatisation de la censure au nom de la protection du droit d’auteur et, plus largement, contre la centralisation du Web. Pour comprendre la décision complexe qui se jouera le 20 juin, il faut d’abord revenir sur les base de la régulation des contenus (...)

    #Google #Facebook #YouTube #bot #filtrage #législation #solutionnisme #copyright #LaQuadratureduNet #Robocopyright (...)

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  • L’intelligence artificielle s’invite aux côtés de la Police et du renseignement

    Lors de son discours début juin 2018, le ministre de l’Intérieur a évoqué l’usage de l’intelligence artificielle « pour repérer dans la foule des individus au comportement bizarre ». En fait, des technologies de ce type sont déjà en expérimentation. Mais se pose la question des données personnelles.

    Qui a oublié le Minority report de Philip K. Dick ? En 1956, la nouvelle du romancier américain y décrit une société dystopique, où les futurs criminels sont arrêtés avant de passer à l’acte. Une fiction qui évoque aujourd’hui le cas de la Chine, où peuvent être réalisées des arrestations « préventives » grâce au big data (ou mégadonnées). Grâce à un système de « crédit social » dont l’expérimentation a débuté en mars 2018, la surveillance de masse détermine même qui a le droit de se déplacer en avion ou en train.

    En France, nous n’en sommes évidemment pas là. Mais au cours d’un discours début juin 2018, qui dressait le bilan annuel de son action, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a évoqué l’intelligence artificielle et son utilité pour les forces de l’ordre. « En matière d’exploitation des images et d’identification des personnes, on a encore une grande marge de progression. L’intelligence artificielle doit permettre, par exemple, de repérer dans la foule des individus au comportement bizarre », a-t-il indiqué, rapportent nos confrères de La Croix. Le « policier augmenté » par l’intelligence artificielle existe-t-il déjà aujourd’hui ? Un tel système est-il techniquement possible ? La réponse est oui, en partie tout du moins, car tout dépend des données sur lequel il se base. État des lieux.
    Des prototypes conçus grâce à la science des données

    Pour déployer des technologies de surveillance, encore faut-il commencer par collecter des données. Or il existe déjà le mégafichier TES (ou fichier des titres électroniques sécurisés), qui regroupe les données biométriques de tous les détenteurs d’une carte d’identité ou d’un passeport français. Selon cette page du ministère de l’Intérieur, la donnée reste « une mine d’or pour la sécurité ». Mais à l’heure du tout numérique, tout ou presque peut devenir une source de données : images de vidéosurveillance, enregistrements sonores, reconnaissance faciale sur d’anciennes photos d’identité, analyse des publications sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter..) ou de l’activité sur des jeux en réalité augmentée tel Pokemon Go...

    Un inventaire futuriste ? Pas tant que ça, puisque les quelques exemples listés ci-dessus proviennent de propositions faites dans le cadre d’un concours d’innovation intitulé « détection objets renseignement militaire », lancé en 2017 par l’Intelligence Campus, premier pôle de compétitivité dédié à la data science appliquée aux enjeux de la direction du renseignement militaire (DRM). Des prototypes ont été réalisés, sans que la DRM n’annonce pour l’instant un déploiement à large échelle d’un de ces systèmes. Fin 2015, suite aux attentats, la DRM a d’ailleurs signé une convention de recherche avec le CNRS. « Les recherches sur la reconnaissance automatique d’image intéressent particulièrement le renseignement militaire », expliquait Fabrice Boudjaaba, chargé de recherches au CNRS, sur le site de l’organisation scientifique. « En effet, leur principal problème du renseignement aujourd’hui n’est pas le manque d’information, mais bien le trop plein d’information qui peut submerger et finalement paralyser l’outil de renseignement. »
    L’intelligence artificielle face à la question des données personnelles

    En février 2018, Gérard Collomb avait déjà détaillé ses propositions pour une « police numérique », et mentionné une première expérimentation prédictive bien concrète déjà menée en France. « Les services de l’Etat vont analyser les données avec de l’intelligence artificielle pour être encore plus efficaces, avec une expérimentation déjà lancée dans onze départements », indiquait-il dans une interview donnée au Point. En fait, ce logiciel « d’anticipation des crimes » ne concerne pour l’instant que la prédiction des vols de voiture et des cambriolages, et affiche une sorte de « carte météo » du risque. L’enjeu : orienter les patrouilles de gendarmes, ainsi que le relatent nos confrères de Radio France qui ont vu fonctionner le logiciel. Autrement dit, il s’agit d’un simple outil d’aide à la décision qui ne se base pas sur des données personnelles, mais les 7 dernières années de statistiques criminelles de chaque secteur.

    Mais la généralisation de systèmes de captation tels que les caméras, notamment par les CRS (voir l’exemple de la caméra à 360° sur ce communiqué du ministère de l’Intérieur) face à des foules lors de grands événements ou de manifestations, pose de nouvelles questions, notamment quant au droit d’accès des données personnelles. À cet égard, un décret a encadré l’usage des caméras mobiles par les agents de polices et les militaires. Avec une nuance importante : le droit d’accès prévu par la CNIL ne peut plus s’appliquer qu’indirectement, en saisissant la CNIL, tandis que le droit d’opposition au traitement ne s’applique plus. Les caméras doivent toutefois être portées de façon apparente, et le déclenchement de l’enregistrement être notifiée aux personnes filmées. Ces données personnelles peuvent ensuite être conservées jusqu’à 6 mois, voire plus longtemps si elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire ou administrative.

    https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/l-intelligence-artificielle-s-invite-aux-cotes-de-la-police-et-du-r

  • Repenser le salariat, détricoter le capitalisme (avec Danièle Linhart)
    https://grozeille.co/repenser-le-salariat-detricoter-le-capitalisme-avec-daniele-linhart

    Pour les différents tentacules mobilisés ces derniers mois contre les réformes du gouvernement Macron, les étudiants, lycéens, les soignants et personnels des hôpitaux, les cheminots, postiers ou salariés de McDo, les motifs de lutte commune semblaient presque inexistants. En tout cas, c’est ce que soulignaient divers observateurs, souvent afin d’expliquer les faiblesses du mouvement social ou de le décrédibiliser.

    Il n’est pourtant pas certain que la situation soit si éclatée. Preuve en est, de nombreuses composantes des luttes en cours se regroupent encore sous les couleurs de leur métier. Défendre une certaine idée du travail contre celle portée par le gouvernement, voilà a minima une volonté commune sous laquelle se rassembler. Bien entendu, là n’est pas l’unique question politique déterminante aujourd’hui mais il est clair que sous ces deux conceptions opposées de ce qu’est et doit être le travail reposent aussi deux vision différentes du monde et de la société.

    Pour comprendre le coeur de ce nouvel antagonisme, nous avons interrogé Danièle Linhart, sociologue et professeure à l’université Paris 8, qui étudie les mutations du travail et plus particulièrement les nouvelles techniques de management.

    #travail #salariat #management

  • 1938 : le monde ferme ses portes aux réfugiés

    Des réfugiés qui fuient en masse le nazisme, des gouvernements qui leur barrent l’accès à leur territoire, des exilés contraints d’embarquer clandestinement sur des bateaux de fortune, une diplomatie prête à donner des gages aux pires dictatures et néanmoins impuissante, comme l’atteste l’échec prévisible de la conférence d’Évian en 1938 : les analogies sont décidément troublantes entre l’attitude des États à l’égard des Juifs dans les années 1930 et celle qu’ils adoptent aujourd’hui à l’égard des réfugiés.

    Les États européens, obsédés par le « risque migratoire », mettent depuis de longues années toute leur énergie à tenir à distance les flux de migrants, demandeurs d’asile inclus, et à leur interdire l’accès à leurs territoires. Cette tendance a été poussée à son paroxysme au moment de la « crise migratoire » de 2015, face à l’afflux de réfugiés venus de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan ou d’Érythrée. Au point que plusieurs observateurs n’ont pu s’empêcher de faire le parallèle avec l’attitude qui fut celle des États, dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale, à l’égard des Juifs fuyant le nazisme [1].

    Ce parallèle non seulement n’a rien de scabreux, mais il s’impose. Il n’a rien de scabreux car si les Juifs, à l’époque, sont persécutés, spoliés, humiliés, pourchassés, physiquement agressés, personne ne peut alors anticiper la « solution finale ». Il s’impose tant les analogies sont frappantes : la fermeture de plus en plus hermétique des frontières à mesure que la persécution s’aggrave et que les flux d’exilés augmentent ; des réfugiés contraints à embarquer clandestinement sur des bateaux de fortune avec l’espoir, souvent déçu, qu’on les laissera débarquer quelque part ; en guise de justification, la situation économique et le chômage, d’un côté, l’état de l’opinion dont il ne faut pas attiser les tendances xénophobes et antisémites, de l’autre ; le fantasme, hier, de la « cinquième colonne » – agitateurs communistes, espions nazis –, aujourd’hui de la menace terroriste ; et finalement une diplomatie qui n’hésite pas à pactiser avec les pires dictatures, hier pour tenter de sauver la paix (on sait ce qu’il en est advenu), aujourd’hui pour tenter d’endiguer les flux de réfugiés.

    L’évocation du passé donne, hélas, le sentiment que l’histoire bégaie : car la Realpolitik qui prenait hier le pas sur les préoccupations humanitaires continue aujourd’hui à dicter l’attitude des États, alors même qu’ils ont collectivement décidé d’accorder au droit d’asile une place éminente parmi les droits de l’Homme et se sont engagés à le respecter.

    Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la communauté internationale, inquiète des risques de déstabilisation engendrés par les masses de réfugiés qui, par centaines de milliers, fuient les guerres civiles, les dictatures, les persécutions, décide de se saisir du problème.

    Mais l’action diplomatique en faveur des réfugiés reste subordonnée à la défense par les États de leurs intérêts propres et de leurs prérogatives souveraines. Entre 1922 et 1928, une multitude d’« arrangements » sont passés sous l’égide de la Société des Nations, visant à accorder un minimum de protection aux réfugiés. C’est notamment le fameux « passeport Nansen » qui leur confère, à eux qui ne sont plus reconnus ni protégés par leur pays d’origine, un minimum d’existence juridique. Mais la portée de ces textes, applicables au départ aux réfugiés russes, puis aux Arméniens, puis aux Assyro-Chaldéens, est très limitée, tant par la faiblesse des garanties qu’ils confèrent que par leur absence de caractère obligatoire. Avec l’aggravation de la situation économique consécutive à la crise de 1929, les États n’hésitent pas à refouler ou expulser les réfugiés, considérés comme un fardeau. À l’approche de la guerre, viendront s’ajouter à ces considérations économiques des considérations de police et de sécurité.

    Des arrangements sans contrainte

    C’est dans ce contexte que les États vont être confrontés à la question des réfugiés provenant d’Allemagne puis, après l’Anschluss, d’Autriche. La diplomatie s’active timidement : un « arrangement provisoire intergouvernemental concernant le statut des réfugiés venant d’Allemagne » est signé le 4 juillet 1936, dont les dispositions sont reprises dans la convention du 10 février 1938 : les États s’engagent à délivrer aux réfugiés un titre de voyage ou un document tenant lieu de passeport ; lorsqu’ils les ont autorisés à séjourner, ils ne peuvent les expulser ou les refouler qu’en cas de risque pour la sécurité nationale ou l’ordre public, et, en aucun cas, vers l’Allemagne sauf « s’ils ont de mauvaise foi refusé de prendre les dispositions nécessaires pour se rendre dans un autre territoire ». Mais la convention n’est signée que par sept pays : la Belgique, la Grande-Bretagne, le Danemark, l’Espagne, la France, la Norvège et les Pays-Bas, et elle n’aura guère le temps, de toute façon, de produire des effets avant le déclenchement de la guerre.

    Ayant juridiquement toute latitude pour agir à leur guise, les États n’ont aucun scrupule à fermer leurs frontières. Les États-Unis s’en tiennent à la politique adoptée depuis l’Immigration Act de 1924 et à un quota annuel de 27 370 immigrants pour l’Allemagne et l’Autriche. Après l’Anschluss, le ministre de l’intérieur britannique, s’adressant à la Chambre de communes, affirme que le pays maintient sa tradition d’asile, mais qu’il faut « éviter de donner l’impression que la porte est ouverte aux immigrants de toutes sortes. Car alors de prétendus émigrants se présenteraient dans les ports en si grand nombre qu’il serait impossible de les admettre tous ; les services d’immigration auraient de grandes difficultés à décider qui devrait être admis et d’inutiles épreuves seraient imposées à ceux qui effectueraient un infructueux périple à travers l’Europe [2] ». Pour les Britanniques, au demeurant, la question centrale reste celle de la Palestine : depuis l’arrivée de Hitler au pouvoir, l’immigration est passée de 9 500 personnes par an à 30 000 en 1933 et à près de 62 000 en 1935. Alors que ce territoire apparaît comme le seul lieu de refuge potentiel pour les Juifs, la Grande-Bretagne, confrontée à l’hostilité des Arabes, remet en question son engagement en faveur de l’établissement d’un Foyer national juif : le Livre blanc du printemps 1939 limite le quota annuel d’immigrants vers la Palestine à 10 000 personnes par an pour les cinq années suivantes. Des navires de la Royal Navy patrouillent pour empêcher les réfugiés d’accoster. S’ils n’ont pas de certificat ils sont refoulés ou bien internés à Chypre, sur l’île Maurice ou en Palestine même.

    En France, en 1933, les premiers réfugiés passent facilement la frontière. Mais, très vite, les pouvoirs publics s’inquiètent de cet afflux des exilés et, dès la fin de l’année, l’attitude change : nombre de candidats à l’entrée sont refoulés et ceux qui, ayant réussi à entrer, ne sont pas en règle sont expulsés. L’arrivée au pouvoir du Front populaire marque une accalmie temporaire, mais la situation des réfugiés, considérés comme une menace pour la sécurité, voire comme une porte d’entrée pour les espions et les agitateurs, se dégrade à nouveau sous le gouvernement Daladier. En aucun cas, dit le ministre de l’intérieur de l’époque ,« la France ne saurait consentir à ouvrir ses frontières inconditionnellement et sans limitation à des individus par le fait seul qu’ils se prévaudraient de leur qualité de réfugiés. En effet l’état de saturation auquel nous sommes arrivés en matière d’immigration étrangère ne nous permet plus d’adopter une politique aussi libérale [3] ».

    La Suisse entrouvre sa porte aux réfugiés allemands en 1933 – mais ne peuvent se revendiquer de cette qualité que les personnes menacées pour leurs activités politiques. Une directive du Département fédéral de justice et police dit très explicitement que seuls les « hauts fonctionnaires, les dirigeants des partis de gauche et les écrivains célèbres » doivent être considérés comme réfugiés [4]. Les Juifs, eux, sont considérés comme de simples étrangers en transit et se voient reconnaître au mieux un droit de résidence temporaire, sans possibilité de travailler. Après l’Anschluss, le gouvernement décide la fermeture des frontières à tous ceux qui ne sont pas formellement habilités à entrer et l’expulsion de ceux qui sont en situation irrégulière. Pour faciliter le travail des autorités suisses amenées à faire le tri parmi les ressortissants du Reich, une négociation s’engage avec les autorités nazies pour que soit apposé un cachet spécial sur les passeports des Juifs – un grand J rouge de trois centimètres de hauteur – qui permet de repérer ceux qui doivent demander une autorisation spéciale pour entrer dans le pays [5].

    « Un seul serait déjà trop »

    Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que la #conférence_d’Évian, réunie en juillet 1938 pour chercher des solutions concrètes au problème des réfugiés juifs allemands et autrichiens, se solde par un échec [6]. Face à la détérioration de la situation et à la pression exercée par une partie de l’opinion publique, mais désireux aussi d’éviter un brusque afflux de réfugiés aux États-Unis, Roosevelt a en effet pris l’initiative de réunir une conférence internationale qui se tient à Évian du 6 au 15 juillet.

    Les représentants des 32 États présents, tout en affirmant leur implication dans le règlement de la question des réfugiés, se retranchent derrière des considérations économiques et politiques pour justifier la fermeture de leurs pays à l’immigration et le refus d’accueillir des réfugiés juifs.

    Les pays d’Europe occidentale se disent tous « saturés » : la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, le Danemark, la Suède, la Suisse se déclarent les uns après les autres dans l’incapacité d’accueillir des réfugiés et n’envisagent d’accorder que des visas de transit. Le représentant de l’Australie déclare sans complexe que : « N’ayant aucun réel problème racial en Australie, nous ne sommes pas désireux d’en importer en encourageant une large immigration étrangère. » Et le délégué canadien, interrogé sur le nombre de réfugiés que son gouvernement pourrait envisager d’accueillir, répond : « Un seul serait déjà trop. »

    Même les pays d’Amérique du Sud, terres traditionnelles d’immigration, font part de leurs réserves : les uns invoquent la crise économique, les autres craignent de déplaire à l’Allemagne à laquelle les lient des accords commerciaux. La Colombie dit pouvoir accepter des travailleurs agricoles, l’Uruguay également, à condition qu’ils possèdent quelques ressources. Seule la République dominicaine de Trujillo offre d’accueillir 100 000 réfugiés juifs autrichiens et allemands, pour des raisons qui ont peu à voir avec la compassion humanitaire : c’est une occasion de « blanchir » une population jugée trop noire ; et cette offre généreuse vise aussi à redresser l’image d’un pays ternie par le massacre, en octobre 1937, à l’instigation des autorités, de milliers de Haïtiens travaillant dans les plantations.

    La conférence d’Évian se conclut donc sur un constat d’impuissance de la communauté internationale. Ce qui permet au journal allemand Reichswart d’ironiser : « Juifs à céder à bas prix – Qui en veut ? Personne !? » Hitler en effet peut triompher : personne ne veut accueillir ses Juifs.

    Impuissante, cette diplomatie est également sans scrupule, prête à toutes les concessions face à Hitler si tel est le prix à payer pour sauver la paix. Les orateurs à la tribune se bornent à exprimer le vœu d’« obtenir la collaboration du pays d’origine », pays jamais nommé et jamais stigmatisé pour ses agissements ; à aucun moment il n’est fait ouvertement mention du fait que ces réfugiés sont juifs, pour ne pas fournir un argument supplémentaire à la campagne fasciste contre les démocraties « enjuivées ». Dans la résolution finale, purgée de toute appréciation morale sur les persécutions, les termes « réfugiés politiques » sont remplacés par « immigrants involontaires » pour éviter de froisser le Troisième Reich.

    Le seul résultat concret de la conférence est la création d’un Comité intergouvernemental d’aide aux réfugiés allemands et autrichiens qui aura pour mission d’entreprendre « des négociations en vue d’améliorer l’état des choses actuel et de substituer à un exode une émigration ordonnée ». Aux yeux des pays occidentaux, en effet, de la même façon que la voie de la paix doit être recherchée en discutant avec Hitler, le problème des réfugiés ne peut être résolu qu’en accord avec les nazis.

    Les « petits bateaux de la mort »

    Visas refusés, frontières closes : les réfugiés sont acculés, en désespoir de cause, à prendre la mer, le plus souvent clandestinement. À la veille de la guerre, des dizaines, des centaines de bateaux, parfois des paquebots de ligne, souvent des bâtiments de fortune ou de contrebande qui ont pris leurs passagers en charge frauduleusement, naviguent sur les océans à la recherche d’un port où ils seront autorisés à débarquer : le Cairo part le 22 avril 1939 de Hambourg pour Alexandrie ; l’Usaramo pour Shanghai ; l’Orbita pour le Panama en juin 1939 ; l’Orinoco, vers Cuba [7]

    D’autres restent bloqués pendant des semaines ou des mois dans les ports roumains de la mer Noire ou sur le Danube. D’autres encore errent en Méditerranée, avec l’espoir vain de pouvoir accoster en Palestine. La presse française se fait l’écho de ces « vaisseaux fantômes » voguant de port en port sans qu’on laisse leurs passagers débarquer, ne serait-ce qu’en transit, transportant par milliers « ces hommes, ces femmes, ces enfants dont personne ne veut », qui sillonnent les mers en se heurtant à l’inhospitalité des côtes [8].

    Même ceux qui ont des papiers d’immigration en règle ne sont pas assurés d’être admis, comme le montre l’histoire cruelle du Saint-Louis. Ce paquebot transatlantique quitte Hambourg le 13 mai 1939 en direction de La Havane. Ses 937 passagers, presque tous des Juifs fuyant le Troisième Reich, sont en possession de certificats de débarquement émis par le directeur général de l’immigration de Cuba. Mais, dans l’intervalle, le président cubain a invalidé ces certificats. On interdit donc aux passagers de débarquer. Le bateau repart, et lorsqu’il passe le long des côtes de Floride une demande est adressée au président des États-Unis afin qu’il leur accorde l’asile – elle ne reçoit pas de réponse. Le 6 juin 1939, le Saint Louis reprend sa route vers l’Europe. In extremis, avant que le bateau ne soit contraint de revenir en Allemagne, le Jewish Joint Commitee réussit à négocier avec les gouvernements européens une répartition des passagers entre la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et les Pays-Bas qui n’acceptèrent de les accueillir qu’à condition qu’il ne s’agisse que d’un transit dans l’attente d’une émigration définitive vers une autre destination. Temporairement sauvés, une majorité d’entre eux connaîtra le sort réservé aux Juifs dans les pays occupés par l’Allemagne.

    Les embarquements clandestins se poursuivent une fois la guerre déclenchée, les réfugiés prenant des risques croissants pour tenter de rejoindre clandestinement la Palestine depuis les ports de la mer Noire, à travers le Bosphore, les Dardanelles et la mer Égée. Un gigantesque marché noir s’organise, avec la bénédiction des nazis qui, avant la programmation de la « solution finale », y voient une façon de débarrasser l’Europe de ses Juifs. Beaucoup de ces « bateaux cercueils », comme on les a appelés, font naufrage, d’autres sont victimes des mines ou des sous-marins allemands, et les épidémies déciment ceux qui ont réussi à survivre [9]. Lorsque, ayant surmonté tous ces obstacles, y compris percé le blocus britannique, ils arrivent à Haïfa ou Tel-Aviv, ils sont, dans le meilleur des cas, arrêtés et incarcérés, sinon refoulés et contraints de reprendre la route vers la Bulgarie ou la Roumanie.

    On voit ici, comme un clin d’œil de l’histoire, la place géographiquement stratégique, déjà à l’époque, de la Turquie, qui contrôle la route empruntée par les réfugiés obligés de traverser les détroits du Bosphore et des Dardanelles. La Turquie interdit l’accès à son territoire aux réfugiés qui ne détiennent pas de visa pour la Palestine et, sous la pression de la Grande-Bretagne, ne laisse pas les bateaux faire escale dans ses ports, ce qui provoquera la catastrophe du #Struma (voir encadré). Décidément, on a parfois l’impression que l’histoire bégaie.
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    Le Struma

    Le 12 décembre 1941, 767 réfugiés juifs originaires de Bucovine et de Bessarabie – où sévissent les Einsatzgruppen – embarquent sur le Struma, un navire bulgare vétuste, prévu pour une centaine de passagers. Le navire part du port roumain de Constanza, sur la mer Noire, en direction d’Istanbul où les réfugiés espèrent pouvoir déposer des demandes de visa pour la Palestine. Le 16 décembre le bateau arrive dans un port turc au nord du Bosphore, mais la Grande-Bretagne fait pression sur la Turquie pour qu’elle l’empêche de poursuivre sa route. Le Struma reste ainsi bloqué 70 jours, pendant l’hiver 1941-1942, sur le Bosphore. Les réfugiés souffrent de la faim, de l’entassement. Ils finissent par être ravitaillés grâce aux dons des associations juives et avec l’aide de la Croix-Rouge. Les autorités turques décident de le refouler vers la mer Noire et le 23 février 1942 le bateau reçoit l’ordre d’appareiller : ce sont finalement les garde-côtes turcs qui doivent remorquer le Struma, hors d’état de naviguer. Quelques heures plus tard, il est touché par erreur par une torpille soviétique et coule rapidement. Il n’y aura qu’un seul survivant.)


    https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2016-4-p-39.htm
    #fermeture_des_frontières #asile #migrations #réfugiés #juifs #histoire #Evian