L’homme dont le rêve était un mur
Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? Mam’zelle BZ, sans H au bout, à qui je viens de parler des nouvelles lampes acnéiques anti-jeunes à l’essai en les quartiers mal famés bien qu’habités de faméliques de London, Liverpool, Cardiff, vient de suggérer l’idée d’un genre de réverbère anti-vieux, façon d’éclairage publique rendant l’incontinence urinaire visible. On vit dans un monde formidable, où les grandes idées ne manquent pas. Au clair, de quoi s’agit-il ? Dans les endroits loufoques où la jeunesse a l’habitude de prendre ses quartiers, de big ampoules roses-rouges font ressortir l’acné à la face des visages adolescents, crème anti-boutons ou pas crème. Cela, c’est censé les faire fuir. M’est avis que ça marchera jamais mais, dans les West Midlands, la police, qui soutient un autre projet, a constaté une « chute spectaculaire du nombre d’ados s’attardant dans les lieux publics après avoir diffusé du Beethoven sur des hauts parleurs. » Tout le contraire d’Alex, en somme, l’ultraviolent héros d’Orange Mécanique, fana lui de « Ludwig van ». Les temps changent il faut croire, quoi que : ce n’est pas d’hier que des cohortes d’ingénieurs paranos planchent sur des systèmes censés contrôler la jeunesse, les moins jeunes, les plus jeunes du tout, les presque vieux, les tout à fait vieux.
Cela dit, le contrôle, comme dit ma mère, c’est tout con : c’est bien souvent dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, fussent-elles à la grimace, aussi Beethov’ à fond ça vaudra jamais une bonne grille, un barrage à l’ancienne, ou, mieux encore, un mur. Une fois n’est pas coutume : Arno Klarsfeld partage quelque chose avec ma mère, ce quelque chose qui a pour nom l’amour du mur bien fait. « Un mur, c’est fait avec des fils, des barbelés, un mur quoi, comme à Rome. A Rome il y avait un mur », cancanne l’azimuté. C’est ce dont il rêve, l’Arno, c’est sa dernière grande belle idée, un mur de 130 kilomètres, entre la Grèce et la Turquie, un mur, comme « entre les Etats-Unis et le Mexique, une grande barrière, avec des patrouilles qui patrouillent (sic !) sans cesse. » La vision cocaïnomane de ce sarkozyste grotesque est d’une simplicité proche du mongolisme : face à « une Europe prospère », il y aurait « le reste du monde qui a les guerres, qui souffre, qui a des privations, etc (re-sic !) ». Au bout de ce « etc », tombe la sentence, sans appel : « il faut que les gens ne puissent pas passer. S’il y a une porte entrebâillée, il faut qu’elle soit refermée. » C’est que pour Klarsfeld, voyez, l’Europe c’est un peu comme son jardin, avec piscine et pergola. Il convient qu’alentours la muraille soit solide, il faut que ça « patrouille », afin d’éviter que moins-que-riens, souillons et traine-savates ne finissent par gâter l’apéro-brunch, n’est-ce pas Carla ? Des fois, comme ça, et de plus en plus régulièrement, je me dis que la seule bonne nouvelle lors de l’éventuelle annonce de l’éventuelle élection de l’improbable Hollande (c’est le nom, à ce qui se murmure, du candidat Ps à je ne sais plus quelle élection), que la seule bonne nouvelle, donc, sera de voir disparaître de ces énergumènes tel l’imbitable Arno Klarsfeld, comme autant de poils de cul happés par le siphon des chiottes. De cet endroit, ils viennent. Ils n’auraient jamais dû le quitter.
Mais la vie est mal faite, qui permet l’expression d’un homme dont le rêve est un mur. Mal faite, aussi, la vie qui voit Daniel Mermet, agitateur d’ondes dormantes, tour à tour mériter respect puis susciter franche rigolade, puisque soudainement ridicule de grandiloquence éhontée. Le lendemain du tour de piste Mélanchonniste à la Bastille, on entendit ainsi le gars commenter la chose en ces termes : « de mémoire de manifestant, on avait jamais vu autant de monde dans la rue ! » Calme ta joie, Daniel. 140 000, certes, c’est pas mal. C’est cependant 20 fois moins qu’en 2010 lors des grandes journées de grève, et encore, ce n’est qu’un exemple. « De mémoire de manifestant » on a donc, et souvent, vu bien plus de gens dans la rue, et souvent bien plus énervés, et ne se déplaçant pas, eux, pour écouter le discours du nouveau Leader Maximo, la longue litanie de ses promesses en peau de banane. La « révolution par les urnes », nous promet El Leader Price : arrêtons-nous, un temps, là-dessus. Urnes et révolution, mêlées, mélange de l’eau et du feu en somme, alliance contre-nature dressée telle une digue pour contenir la vague, vas-y vote mon gars, mélenchonne et colère ma fille, mais après : retour à la niche. Pour ma part, prendre part au vote, revient à ne l’avoir jamais quittée.
Et tandis que ça aboie, que ça couvre d’affiches-portraits nos villes déjà laides sans leurs bouilles, une contrôleuse SNCF largue en pleine cambrousse, en fin de soirée, des mineures. Ordre leur est donné de descendre illico du train. Leurs crimes ? Pas de titres de transport, pas de papiers, et tziganes donc : OUT ! Ainsi le veut le règlement. Le règlement contraint alors ces jeunes filles à poursuivre leur périple le long de la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute, toute proche. Le règlement stipule qu’il est interdit de circuler, à pied, sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute. Il ne dit pas, le règlement, qu’on devait écraser, puis traîner sur cinquante mètres, les corps des trois jeunes demoiselles. Le règlement ne dit rien non plus de ce qu’il serait advenu si, oubliant le règlement, se montrant pour une fois tout simplement humaine, la contrôleuse SNCF ne les avait pas poussées dehors, au milieu de nulle part et alors que la nuit tombait. Elles s’appelaient Carmen, Charlotte, Victorine. Elles sont passées sous les roues, victimes du « règlement. »
Frédo Ladrisse.