Le classement sans suite de la plainte d’Anaïs Leleux contre Julien Bayou est largement perçu comme le point final, tant attendu, de cette affaire.
Ce qui permet à tout le monde ou presque de se convaincre que oui, décidément, les féministes contemporaines sont vengeresses et nuisent à leur si juste cause. Je souhaite expliquer ici pourquoi il s’agit en réalité d’une question politique, dont la prise en compte se fait plus que jamais attendre.
Tout le monde est convaincu, tant cela a été répété dans tous les médias, que j’ai révélé cette affaire sur C à Vous le 19 septembre 2022. C’est faux et ce n’est pas anodin. C’est Julien Bayou lui-même, dans le Figaro du 7 juillet 2022 , qui a rendu publiques les accusations de son ex-compagne.
Il a ainsi usé de son pouvoir médiatique, qu’il tenait de sa position dans notre parti politique, elle-même octroyée par nos militants et militantes, pour commencer à asseoir un récit public à son avantage sur cette affaire, alors privée.
Cela faisait trois mois qu’Anaïs Leleux avait écrit à la cellule d’EELV pour dénoncer les comportements de son numéro 1, et trois mois qu’il ne s’était rien passé au sein du parti. Ce signalement a été suivi d’une tentative de suicide puis de son hospitalisation.
Plusieurs figures féministes interpellaient alors publiquement le parti à ce propos sur les réseaux sociaux. C’est donc logiquement que la question m’a été posée sur le plateau de C à vous. J’ai répondu ce que je savais.
Cette affaire relevait de “comportements de nature à briser la santé morale des femmes”. Tels ont été mes mots. Toute autre réponse aurait été un mensonge, une trahison de la parole des femmes, et pourtant, que n’avais-je pas dit ? On m’a reproché d’exposer des faits privés.
On m’a reproché de mettre en danger la victime, toujours en prise à des crises suicidaires : je m’étais évidemment préalablement assurée auprès d’elle de ce qu’elle souhaitait que, le cas échéant, je réponde.
Qu’avons-nous appris depuis ? Les deux plaintes déposées par Mme Leleux ont été classées sans suite. Ce n’est pas nécessairement la fin de la procédure mais c’est un point d’étape incontestable, qui dit l’état du droit sur ce cas précis.
Nous avons également appris, à la lecture de l’article de Médiapart du 29 octobre 2022 et de l’article de Reporterre du 25 octobre 2022 , que Julien Bayou, alors investi par nos militants et militantes du pouvoir de porte-parole national puis de secrétaire national, / aurait séduit, successivement ou simultanément, des jeunes femmes, parfois nouvelles adhérentes, ou sympathisantes, rencontrées non pas dans un bar mais bien ès qualités dans l’espace militant du parti.
Au cours de ces relations, certaines disent s’être senties “humiliées”, d’autres ont eu le sentiment que Julien Bayou avait pillé leur travail militant, la plupart ont quitté notre parti et ont connu des épisodes de dégradation plus ou moins grave de leur santé mentale.
Nous n’avons pas réfléchi collectivement aux conséquences du fait que notre pouvoir politique collectif, dont nous investissons certains et certaines d’entre nous, pour leur confier des mandats internes ou externes, aurait été utilisé à plusieurs reprises pour engager des relations / avec des adhérentes abordées dans le parti, qui ont été blessées au point d’abandonner l’action politique à nos côtés. Ces faits n’ont pas besoin de qualification judiciaire pour être appréhendés politiquement : ils relèvent du mécanisme caractéristique de la domination sexiste, au sein, / et par le pouvoir, et sont en contradiction avec nos valeurs féministes. C’est précisément sur ces sujets-là que nous attendons notre parti, et non sur des réactions uniquement calquées sur l’activité policière et judiciaire.
Certes, certains et certaines de nos adhérents ne partagent pas ce point de vue et considèrent que ces faits ne sont qu’un cumul de malheureuses affaires privées. Un certain nombre d’entre elles et eux appartiennent toutefois à des réseaux internes qui ont été développés par Julien Bayou /
lors des périodes où il a été en situation de pouvoir : c’est la dernière lame de l’intrication entre pouvoir et domination. Le pouvoir sert autant à aborder les personnes pouvant devenir victimes qu’à se protéger a posteriori.
Je salue les décisions prises par le parti d’ouvrir un espace de parole pour les femmes et la décision de suspension à titre conservatoire.
Je crois cependant que le parti aurait dû, dès la parution des articles, présenter des excuses auprès de ces femmes pour n’avoir pas vu, pas su les protéger, s’excuser aussi de n’avoir pas su retenir ces adhérentes qui constituent la force vive de notre collectif, affirmer haut et fort / que ces faits n’ont pas leur place dans un parti qui se prétend féministe. Il n’est pas trop tard.
Qu’avons-nous appris d’autre ? Sophie Tissier a dénoncé le 9 mars 2024, sur Twitter un “baiser volé” à la suite d’une intervention à notre conseil fédéral.
Cela a été minimisé mais qu’est-ce qu’un “baiser volé”, sinon la romantisation d’une agression sexuelle ? Nous avons enfin appris, par un communiqué du parti le 25 octobre 2024, que l’enquête du cabinet Pisan n’avait relevé aucun fait contraire au droit ou aux règles du parti de la part de J Bayou.
Cette formulation évite la question politique car, les faits décrits précédemment contreviennent à nos valeurs, pas à notre règlement intérieur. Le fait que Le Canard enchaîné du 12 novembre 2024 révèle que cette enquête contenait le témoignage d’une femme pouvant relever d’un viol / n’a par ailleurs suscité aucune réaction. Il n’y a pas de hasard ou de concours de circonstance dans le fait que la proportion de femmes ne soit que de 36% au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Cela est le produit de processus de domination, de fragilisation et d’éviction des femmes des lieux / de militantisme politique. Les comportements de « séduction » en leur sein, qui masquent en réalité bien souvent de la prédation, y participent.
Ils ne sont pas les seuls : la mauvaise répartition des tâches domestiques qui incombent davantage aux femmes, la moindre confiance en soi, des réseaux plus ténus y jouent aussi des rôles. Cela constitue un ensemble qui aboutit à une mise en retrait des femmes militantes politiques.
Enfin les femmes qui s’engagent en politique ont, comme toutes les femmes, été exposées à des violences dans leur vie. Elles ont, pour certaines d’entre elles, un rapport compliqué avec leur corps (souvent d’ailleurs le corps des femmes politiques est un objet de discussion et de commentaires), / elles peuvent aussi avoir une estime d’elles-mêmes dégradée ou fragile. Ce sont donc des cibles pour des comportements d’emprise ou toxiques.
Chez les Écologistes, nous ne tolérerions pas, au nom de nos valeurs, qu’un ou une militante vante les mérites des pesticides ou prône la possession de jets de privés, pourtant ces positions ne relèveraient pas de la loi.
Si nous sommes, comme nous le revendiquons, un parti féministe, pourquoi avons-nous tant de mal à reconnaitre que si certaines de nos adhérentes ont été humiliées, par un homme qui s’est servi à cette fin de la part de pouvoir que nous lui avions confiée, cela contrevient à nos règles, à nos valeurs / et requiert une réaction de notre parti ? Parfois les luttes mettent du temps. Le viol conjugal par exemple n’est entré que récemment dans la jurisprudence et le devoir conjugal a été supprimé, en France, par la Cour européenne de justice uniquement le 23 janvier dernier.
Rappelons-le : un viol sur deux est commis par un conjoint ou un ex-conjoint. On peut imaginer que nous ne sommes qu’à l’aube de la prise de conscience sociétale de ce que sont l’emprise et les violences psychologiques et que le droit évoluera un jour sur ces questions, mais seul l’avenir le dira.
Juridiquement, le classement sans suite fait de Julien Bayou un présumé innocent des faits visés par ces plaintes.
Les affaires judiciaires suivent leur cours (son ex compagne a évoqué la possibilité de se porter partie civile).
La question politique, elle, attend toujours son issue et c’est cela qui crée la confusion et nuit au parti.
C’est cependant une question importante posée à l’ensemble des espaces militants : quels sont les cadres et mesures à mettre en place pour que tout le monde puisse y venir militer en sécurité ? Et comment faire en sorte que ces lieux soient aussi ceux de la bataille culturelle à mener sur ces sujets.
À toutes les personnes qui lisent ce texte et qui souhaitent que la société change, que les dominations soient combattues, j’aimerais pouvoir dire : « venez, engagez-vous, nous avons besoin de vous et notre parti est un lieu de militantisme safe ».