Olivier Burtin, historien : « Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche ne représente pas une rupture franche dans l’histoire des Etats-Unis »
La victoire de Donald Trump à la présidentielle de 2016 avait choqué et surpris de nombreux Américains : en même temps que leur pays fermait les portes de la Maison Blanche à la première femme candidate officielle à la présidence, il les ouvrait à un homme qui s’était publiquement vanté de traiter les femmes comme des objets.
Huit ans ont passé, et les polémiques d’alors semblent bien fades en comparaison de ce que Trump a promis d’accomplir lors de son second mandat, qui lui semble désormais acquis au regard des résultats de l’élection du 5 novembre. Aujourd’hui, ce ne sont plus le choc ou la désillusion qui dominent parmi ses opposants, mais la peur et l’anxiété face aux changements radicaux qu’il compte mettre en œuvre et qui représentent, encore plus nettement qu’auparavant, le triomphe de l’extrême droite.
A l’heure de sa victoire, il est donc utile de dresser un premier tableau des principaux objectifs que Trump entend poursuivre à son retour à la Maison Blanche, tant ces transformations s’annoncent plus profondes que celles entreprises entre 2017 et 2021.
L’un de ses objectifs majeurs, auquel presque toutes les autres parties de son programme sont subordonnées, est de soumettre l’administration fédérale à sa volonté. Répondant aux accusations contre un « Etat profond » qui aurait entravé Trump lors de son premier mandat, ce plan vise à lever les protections légales dont jouissent des dizaines de milliers de fonctionnaires afin de pouvoir les licencier et les remplacer par des partisans loyaux, prêts à suivre scrupuleusement les directives de la Maison Blanche.
Mainmise sur les trois pouvoirs
Russ Vought, ancien directeur du budget de Trump, a explicitement évoqué son objectif de « traumatiser » les fonctionnaires pour les dissuader de travailler, tandis que le Projet 2025 de l’Heritage Foundation a déjà désigné des remplaçants pour des milliers de postes-clés. A l’intérieur du mouvement MAGA (Make America Great Again), certains réfléchissent aussi à la possibilité de contourner les enquêtes administratives de sécurité traditionnellement accomplies par le Federal Bureau of Investigation, ce qui pourrait permettre l’arrivée (ou le retour) à des postes de responsabilités de personnalités ouvertement associées à l’extrême droite, comme Michael Flynn ou Steve Bannon.
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Un tel bouleversement marquerait la fin d’un service public fondé sur le mérite et le retour d’un spoil system rappelant le XIXe siècle, où les postes étaient attribués aux soutiens du vainqueur de l’élection. Cependant, deux différences majeures s’imposent : non seulement les nominations projetées par le Projet 2025 sont planifiées de façon bien plus globale et systématique, mais elles visent à ancrer une idéologie spécifique plutôt qu’à récompenser une simple fidélité partisane.
Il n’est plus question de tolérer les fameux « adultes », ces conseillers qui, lors du premier mandat de Trump, avaient modéré ses impulsions. Désormais, le milliardaire sera aux commandes sans aucun garde-fou. C’est d’autant plus vrai que la Cour suprême lui est largement acquise et qu’avec le basculement du Sénat à droite le Parti républicain pourrait, comme en 2016, avoir à nouveau la mainmise sur les trois pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire – au niveau fédéral.
Trump entend tirer parti de cette nouvelle liberté d’action pour cibler tous ceux qu’il perçoit comme ses ennemis. Il s’agit là d’une vaste catégorie, qui comprend non seulement les principaux dirigeants du Parti démocrate – Trump a promis de nommer un procureur spécial pour enquêter sur Biden et sa famille –, mais aussi tous ceux qui ont témoigné contre lui lors des deux procédures de destitution et les critiques, passées et présentes, de ses actions.
Instrumentaliser l’Etat
Déjà mise à rude épreuve durant son premier mandat, l’indépendance traditionnelle du ministère de la justice sera cette fois attaquée de manière encore plus systématique et agressive. Les protections instaurées depuis les années 1970 pour limiter les excès de la « présidence impériale » après le scandale du Watergate risquent fort d’être balayées par un Parti républicain désormais entièrement dévoué à son chef. Celui qui s’est présenté durant la campagne comme le « châtiment » envoyé par ses partisans à ceux qui les auraient « trahis » souhaite clairement instrumentaliser l’Etat fédéral à des fins tant personnelles qu’idéologiques.
Parmi ses idées, aucune n’est plus cruciale que son projet déclaré de déporter massivement plusieurs millions d’immigrés. La mise en œuvre de ce plan concrétiserait une idée longtemps cantonnée aux marges du débat politique : celle d’un prétendu complot des élites libérales visant, par l’immigration, à transformer la majorité historique blanche des Etats-Unis en une minorité parmi d’autres. Trump a non seulement adopté cette vision d’extrême droite, mais a aussi fait sien un discours rappelant les thèses eugénistes en vogue au début du XXe siècle, décrivant les immigrés comme une « invasion » de « criminels » qui « empoisonne le sang » du pays.
Pour exécuter une telle déportation de masse, il a promis de mobiliser la garde nationale et d’invoquer l’Alien Enemies Act de 1798, la même loi qui permit à Roosevelt de faire interner, pendant la seconde guerre mondiale, plus de 30 000 personnes accusées de sympathies pour le Japon, l’Allemagne ou l’Italie. Rien ne l’empêcherait non plus de réformer en profondeur le système d’immigration légale, avec potentiellement un retour du système de quotas raciaux qui était en place entre 1921 et 1965.
Cet aperçu ne fait qu’effleurer l’étendue du programme de Trump, qui est bien plus vaste. Il suffit néanmoins à montrer que son retour à la Maison Blanche, bien qu’il annonce des bouleversements majeurs, ne représente pas une rupture franche dans l’histoire des Etats-Unis. Les idées d’#extrême_droite y sont, en effet, enracinées bien plus profondément qu’on ne l’a longtemps compris. Nous venons de constater qu’elles sont toujours vivaces.
Olivier Burtin est maître de conférences en civilisation des Etats-Unis à l’université de Picardie Jules-Verne, à Amiens, spécialiste de l’histoire contemporaine des Etats-Unis. Ses travaux portent notamment sur le rôle de l’extrême droite au sein de la société américaine.
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