Le tribunal administratif de Grenoble ordonne la fin de l’utilisation de « Briefcam », un logiciel de vidéosurveillance israélien, à Moirans dans l’Isère
La ville de Moirans (Isère) utilisait une technologie de vidéosurveillance algorithmique depuis 2018, en toute illégalité. Ce type de logiciels est exploité par de nombreuses communes, comme Brest ou Saint-Denis. La décision de ce vendredi 31 janvier pourrait faire jurisprudence.
« Briefcam » permet de visualiser des images de vidéos surveillance en y appliquant des « filtres par sexe, taille, type de vêtements, de couleurs, ou d’analyse des comportements de déplacement ». (Xose Bouzas/Hans Lucas. AFP)
par Léonard Cassette et AFP
publié aujourd’hui à 19h13
C’est une première. La justice a ordonné ce vendredi 31 janvier à la commune de Moirans (Isère) de ne plus utiliser le logiciel de vidéosurveillance algorithmique (VSA) israélien « Briefcam », qui permet notamment la reconnaissance faciale. Dans sa décision, le tribunal administratif de Grenoble annonce : « il est enjoint à la commune de Moirans de cesser sans délai l’utilisation du logiciel Briefcam à compter de la notification du présent jugement ». La Quadrature du net, une association de défense et de promotion des droits et libertés sur Internet, avait déposé un recours auprès du tribunal en août 2021. Elle dénonçait alors un « excès de pouvoir ». La mairie s’était défendue en expliquant ne pas faire usage de l’algorithme de reconnaissance faciale.
Dans leur décision, les magistrats ont considéré que « ce logiciel permettait de procéder à des traitements relevant du droit des données à caractère personnel » et que son utilisation par la ville de Moirans « n’avait été accompagnée de la détermination d’aucune finalité déterminée et explicite et d’aucune garantie de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée des administrés ». Leur décision est par exemple motivée par le fait que « Briefcam » permet de visualiser des images de vidéos surveillance en y appliquant des « filtres par sexe, taille, type de vêtements, de couleurs, ou d’analyse des comportements de déplacement ». Le logiciel rend également possible le suivi de personnes aperçues sur plusieurs caméras et l’isolement d’« objets » présélectionnés.
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Concrètement, la technologie VSA utilisé par la ville de Moirans permet de retrouver des personnes en fonction de leur apparence, soit sur des images en direct, soit en analysant des vidéos à postériori. En 2017, le préfet de l’Isère avait autorisé le maire de cette commune de 7 500 habitants à mettre en place un système de vidéosurveillance sur son territoire. La municipalité avait ensuite décidé d’y ajouter ce logiciel d’analyse d’images de la société Briefcam – aujourd’hui détenue par le géant japonais Canon.
Selon la juriste de la Quadrature du net Noémie Levain, de nombreuses villes ont recours à ce type de logiciels de manière illégale – Brest, Saint-Denis ou encore Reims utilisent par exemple la VSA. Ces communes les installent souvent dans la plus grande opacité. « Ça ne passe parfois même pas au conseil municipal », explique-t-elle à Libé. S’il est impossible de connaître le nombre exact de municipalités qui ont recours à la VSA, le Monde diplomatique rapportait dans un article de février 2023 que « Briefcam équipe environ deux cents villes en France ». « On a su que Moirans y avait recours car c’était indiqué dans la documentation commerciale de Briefcam. Autrement, il est très difficile de savoir si le logiciel a été acheté pas les communes », rapporte Noémie Levain. La société israélienne n’est d’ailleurs pas la seule à proposer ce genre de solution en France.
La décision du tribunal administratif s’apparente donc une « victoire totale », d’après la Quadrature du net. « On espère qu’elle puisse faire jurisprudence, explique Noémie Levain. C’est très difficile d’attaquer la VSA, un tribunal qui dit de manière aussi claire que ce type de logiciel n’est pas prévu par la loi et ne présente pas de garantie pour la vie privée, ça peut faire bouger les choses, c’est inédit. »
Un logiciel utilisé par les forces de l’ordre
La vidéosurveillance algorithmique a néanmoins été autorisée de manière expérimentale par la loi Jeux olympiques (JO) adoptée en avril 2023. Comme le note l’Informé, ces outils sont autorisés jusqu’au 31 mars 2025, « pour une analyse en temps réel des images captées par les caméras ». L’utilisation de la VSA dans ces conditions reste limitée à huit situations précises, dans un cadre a priori bien défini. Elle concerne des évènements « particulièrement exposés à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes », comme des rassemblements sportifs ou culturels. Chaque recours à la technologie doit également faire l’objet d’une autorisation préfectorale pour un mois renouvelable sous conditions. « C’est une stratégie des petits pas, pour rendre acceptable l’utilisation de la VSA par la population », analyse Noémie Levain.
La Cnil, autorité de contrôle du respect de la vie privée, a mené l’an dernier des contrôles sur l’utilisation du logiciel « Briefcam » par des services de police et huit communes, à la suite d’une enquête de Disclose. Le média d’investigation avait révélé que les forces de l’ordre utilisaient illégalement cette technologie depuis 2015. En décembre, la Cnil a mis en demeure le ministère de l’Intérieur de brider la fonction de reconnaissance faciale et six des huit communes pour qu’elles mettent fin à des « manquements constatés » dans l’utilisation de caméras augmentées.
L’autorité, qui a fixé sa position sur l’utilisation de la VSA en 2022 a rappelé qu’en dehors du cadre légal d’expérimentation prévu pour les Jeux olympiques 2024, l’utilisation de caméras augmentées en temps réel était interdite. L’utilisation de logiciels d’analyse automatique d’images déjà enregistrées est autorisée dans le cadre d’enquêtes judiciaires, mais strictement encadrée.