Cet été je passe chez des amis qui habitent dans les gorges de la Jonte. Pendant que nous continuons à discuter, E. et moi, nous nous étonnons que F. qui a débarrassé ne revienne toujours pas sur la terrasse avec vue imprenable sur le chaos des vautours, et prendre part à notre conversation fort gaie ce soir-là, il faut bien le dire. Au bout d’un quart nous rentrons et trouvons F. qui fait la vaisselle et tandis que nous nous offusquons E. et M. que ce n’était pas nécessairement à F. de la faire, que nous aurions pu en faire une affaire collective (nous montons un peu sur nos grands chevaux) (E. et moi, sommes un peu comme ça) F. nous rassure tout à fait en nous intimant le silence et nous invitant à écouter l’émission sur laquelle il vient de tomber par hasard sur France Culture, de longs enregistrements de toutes sortes de sonorités, c’est très bien monté, pas la moindre voix, il est assez difficile de dire exactement ce que nous entendons, nous somes tous les trois désormais dans leur étroite cuisine avec vue sur la forêt sombre de l’autre côté des gorges, c’est magnifique, l’instant est tendu à craquer puis vient la voix d’une speakerine qui explique que nous venons d’entendre un extrait d’une archive de ne je ne sais plus quelle émission, du genre des Nuits magnétiques et nous comprenons tous les trois, de concert et sans mot dire, que ce que nous venons d’entendre, qui était si beau, magique, presque, n’aura bientôt plus jamais cours. Je me demande si ce n’est pas à ce moment-là que, pensifs, tous les trois, nous sommes retournés sur la terrasse avec nos infusions de thym comprenant que la fin du monde avait déjà eu lieu mais que nous l’avions manquée.