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récoltes et semailles

  • Je cherchais des documents concernant la pollution des armées, la responsabilité majeure du complexe militaro-industriel dans le réchauffement climatique et je tombe sur cette chronique de mars dernier avec des liens utiles dedans : « Verts kaki, mais verts quand même ? » https://www.franceculture.fr/emissions/la-transition/armees-la-grande-mise-au-vert

    Vous avez encore des doutes sur la réalité du changement climatique ? L’armée, elle, s’y prépare de plus en plus. Et surveille de près son bilan carbone. C’est la transition de ce matin.

    On peut d’ores et déjà en déduire qu’il s’agit d’un sujet sérieux. Oui car si l’armée s’y intéresse de près, ce n’est pas parce que les écologistes ont fait un putsch au sein des états-majors : c’est parce que cette question, parfois prise à la légère par les politiques et les médias, est considérée comme essentielle par les militaires.

    J’avais eu l’occasion de consacrer une précédente chronique à un panorama des problématiques posées par la crise climatique aux armées. Ce matin, voyons comment celles-ci tentent d’atténuer leur impact sur le climat. Car aussi contre-intuitif que cela puisse paraitre, surtout si vous avez une fibre antimilitariste, les militaires se préoccupent de leur bilan environnemental. C’est ainsi, par exemple, que le Pentagone aux Etats-Unis s’est fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone pour ses infrastructures en 2050.

    Un tel objectif n’a rien de cosmétique dans la mesure où les armées sont considérées comme les premières émettrices institutionnelles de gaz à effet de serre, comme le relève un rapport publié ce matin par l’Observatoire Défense et Climat de l’IRIS, en partenariat avec le ministère des Armées. D’où un certain nombre d’initiatives pour verdir les équipements. On y apprend par exemple que la marine américaine travaille sur ‘’l’extraction de CO2 et d’hydrogène de l’eau de mer’’ en vue de fabriquer un carburant liquide pour ses navires. Autre exemple : lors du dernier défilé aérien du 14 juillet à Paris, les 2/3 des avions volaient avec des biocarburants.

    Vous vous en doutez : si les militaires s’engagent dans cette démarche d’atténuation de leur empreinte écologique, ce n’est pas uniquement parce qu’ils sont tombés sous le charme de Greta Thunberg et Nicolas Hulot. C’est avant tout une question de pragmatisme : il s’agit pour les armées de réduire leur dépendance énergétique, d’être capables de s’approvisionner de manière autonome en cas de coup dur, de ne pas dépendre des réseaux commerciaux.

    L’armée américaine a ainsi tiré les leçons de la catastrophe de Fukushima il y a 10 ans : suite à l’arrêt de la centrale, une des bases de l’US Air Force au Japon s’était retrouvée privée d’électricité pendant 90 jours. Depuis, chaque base est censée être autonome pendant deux semaines minimum, et ce grâce aux énergies renouvelables. D’autres ont suivi : pour réduire leur dépendance énergétique, les armées canadienne, britannique, indienne, danoise…investissent qui dans des parcs d’éoliennes, qui dans des champs de panneaux solaires.

    Un rapport d’information publié fin janvier par l’Assemblée nationale, sur le thème ‘’Dérèglement climatique et conflits’’, insiste lui aussi sur la nécessité de développer les énergies renouvelables afin de rendre l’armée française plus autonome, notamment lors des opérations extérieures, les OPEX. Plus autonome, c’est-à-dire moins dépendante des approvisionnements en eau et en pétrole généralement acheminés par convois, et qui peuvent donc être attaqués : plus autonome, donc moins vulnérable.

    Est-ce à dire que les objectifs militaires convergent toujours avec les objectifs climatiques ? Ce serait oublier un peu vite l’impact des conflits armés sur l’environnement, mais aussi l’utilisation de celui-ci comme moyen de combat. Manipuler les processus naturels pour modifier le climat : cela a fait partie des projets de l’armée américaine à la fin des années 40. L’idée était d’ensemencer les nuages avec des produits chimiques et de s’en servir ensuite comme arme de guerre, comme on peut le lire sur le site du GRIP (groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité).

    En décembre 1976, les Nations Unies ont tenté d’y mettre fin en adoptant la très méconnue convention ENMOD, sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires. Contrairement aux Etats-Unis, à la Russie ou encore à l’Allemagne, la France ne fait pas partie des signataires.

    Il me semblait avoir vu passer des choses chez Mediapart ou Reporterre ou Basta ou autres à ce sujet récemment, mais j’ai pas retrouvé.

  • Frédéric Lordon : « Quant à moi, je ne pense donc pas faire partie des personnes à convaincre en priorité de l’anti-dualisme — mais je dois compter avec les effets d’une visibilité distordue où mes interventions politiques font systématiquement oublier mes travaux philosophiques. »
    https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-la-multitude-mobilisee-en-masse-est-lunique-solution

    (…) Donc oui, le spi­no­zisme aide à pen­ser phi­lo­so­phi­que­ment l’écologie. Et oui, l’attrition de nos sen­si­bi­li­tés me pré­oc­cupe autant qu’un latou­rien qui piste les loutres. Maintenant la ques­tion poli­tique, c’est : qu’est-ce qu’on fait avec tout ça ? Le déli­cieux Pierre Charbonnier cite Philippe Descola pour rap­pe­ler qu’on ne peut pas « être révo­lu­tion­naire poli­ti­que­ment et conser­va­teur onto­lo­gi­que­ment ». Il va pour­tant fal­loir y arri­ver car, dans l’urgence extrême de l’écocide, mettre la révo­lu­tion poli­tique sous condi­tion de la révo­lu­tion onto­lo­gique est la cer­ti­tude de finir grillés, noyés, suf­fo­qués, pan­dé­miés et tout ce que vous vou­lez. La révo­lu­tion onto­lo­gique (désas­treuse) qui a fait émer­ger la méta­phy­sique du sujet et du libre-arbitre, puis l’a conver­tie en un ima­gi­naire com­mun, a pris des siècles. Celle qui l’annulera pour (re)faire les droits de l’égalité onto­lo­gique et de l’interdépendance géné­rale en pren­dra à peu près autant. Or nous n’avons pas des siècles. Donc on va lais­ser les uni­ver­si­taires (je m’y inclus) pré­pa­rer la révo­lu­tion onto­lo­gique, mais on ne va pas non plus se la racon­ter en tech­ni­co­lor sur les pou­voirs de la phi­lo­so­phie pre­mière, et on va plu­tôt tâcher de trou­ver et rapi­dos de quoi lais­ser une chance à l’humanité de conti­nuer à habi­ter cette pla­nète. Or cette chance pas­se­ra par la posi­tion d’un cer­tain nombre d’actes, à com­men­cer par des actes de nomi­na­tion, et en fait de dési­gna­tion.

    cc @pguilli

    • Au reste, je n’aurais nul besoin de me prévaloir de Spinoza pour justifier d’être sensible au sensible — on peut parfaitement l’être sans lui. Il se trouve que je le suis et qu’en plus je suis spinoziste. Simplement je n’éprouve pas le besoin de raconter mes petites aventures sensibles.

      cette manière égotique de disqualifier la question, le ton sarcastique (appris dans L’idéologie allemande) qui mime l’autodérision, c’est une diversion. dépolitiser l’enjeu, c’est le côté droitier de Lordon

      « Le ravage de la Terre et le résultat d’une économie politique qui a su capitaliser sur l’atrophie de la socialité envers les non-humains et les altérités en général. » Nous ne sommes pas seuls - Politiques des soulèvements terrestres, Léna Balaud, Antoine Chopot, p.82

    • Toujours aussi juste ! Lordon.

      Tout ce que je viens de dire atteste que je prends acte — mais de quoi ? en quels termes ? C’est ça toute la question. Oui, je prends acte qu’une révolution a eu lieu. Non je ne prends pas acte que le mot adéquat pour la nommer soit « Anthropocène ». « Anthropocène » nous dit que la cause de l’écocide c’est « l’homme » — pardon : « l’Homme ». Ah bon ? On se croirait revenu avant les Thèses sur Feuerbach : « l’Homme » — cette chose qui n’existe nulle part sinon dans la tête des philosophes idéalistes. Non, ce qui a foutu en l’air le climat et détruit la planète, ça n’est pas « l’Homme », ce sont les hommes capitalistes. Andreas Malm a fait litière de cet absurde « Anthropocène » dont le nom même n’est qu’un évitement : un de ces stratagèmes gélatineux typiques de l’idéalisme moraliste, qui fait toujours tout pour ignorer les forces matérielles et les forces sociales, les hégémonies et les conflits, les rapports sociaux et les rapports de force, et qui finalement nous laisse quoi comme possibilité ? Réformer l’Homme ? On sait déjà comment ça se finit : par le tri des déchets et l’apologie des « petits gestes » qui « permettront de tout changer ». Or voilà : les petits gestes pour tout changer sont précisément des béquilles pour tout reconduire, donc pour ne rien changer. Ou alors on va créer le parlement de la Loire, du bois de Saint-Cucufa ou du Gave de Pau ? Le capital tremble sur ses bases. Je pourrais dire que tout ce texte un peu énervé du blog du Diplo auquel vous faites référence a été sous la gouverne d’une image unique : l’hilarité des hommes du Medef. Je pense qu’ils ne doivent pas en croire leurs yeux ni leurs oreilles. Une « gauche radicale » pareille, c’est totalement inespéré, même dans leurs rêves les plus fous. En ces matières je pense qu’on peut se fier à des critères très rustiques mais très sûrs : quand quelque chose contrarie le capital, il ne rit pas du tout, il fait donner ses médias (j’entends : ses médias, convenablement agencés par lui, donnent d’eux-mêmes), et la requalification des contrariants en fous dangereux (désormais on dit « radicalisés », une expression très commode qui sert à plein de choses) ne se fait pas attendre.

      Reprenons : je prends acte qu’une révolution a eu lieu. Elle n’est pas celle de l’« Anthropocène », mais celle du Capitalocène, c’est-à-dire l’œuvre du capitalisme et des capitalistes. Je prends acte surtout de ce qu’une autre révolution doit impérativement suivre, celle-ci si nous ne voulons pas terminer calcinés — en réalité nous terminerons plutôt à nous entretuer pour les dernières flaques d’eau. Quand j’y repense, je trouve la phrase de Latour hallucinante : arrêtez de poursuivre la révolution, elle a déjà eu lieu ! Oui, seulement ça a été la révolution des capitalistes, ce qui me semblerait un puissant mobile non pas pour lâcher l’idée de révolution mais pour la poursuivre derechef, d’autant plus vigoureusement, et dans la direction exactement opposée.

  • D’accord avec la dernière phrase de @philippe_de_jonckheere sur un autre réseau ! « Je me demande si je n’ai pas enfin compris ce que faisait @visionscarto (fallait juste que Nepthys Zwer et lui-même me l’expliquent). Émission passionnante, obligatoire même. »

    https://rf.proxycast.org/3b3ffda0-21a6-4698-af86-0ccd17f77f82/12360-18.11.2021-ITEMA_22842731-2021C19327S0322-21.mp3

  • À propos de l’opération « Mondes nouveaux » (de la culture et des arts), Par Valérie Duponchelle (Le Figaro, 09/11/2021)
    https://www.lefigaro.fr/arts-expositions/avec-les-mondes-nouveaux-macron-relance-la-commande-publique-aux-artistes-2

    NOUS Y ÉTIONS - Le président de la République a reçu lundi soir les artistes et le monde de l’art pour annoncer ce vaste programme chiffré à 30 millions d’euros qui doit soutenir 264 projets.

    Devant l’Élysée, quelque 200 nouveaux venus, ou presque, font patiemment la queue pour montrer patte blanche, soit invitation et passe sanitaire. Ils sont très majoritairement jeunes, rieurs, avec toute une panoplie de coupes asymétriques et de coiffures déstructurées qui respirent les beaux-arts et la créativité débridée. En ce lundi 8 novembre, à 18h30, ils attendent de pénétrer dans le sanctuaire de la République dont ils sont soudain les héros.

    Sous peu, le président de la République les recevra en personne et lancera devant ce public, beaucoup plus jeune que d’habitude, le programme « Mondes Nouveaux », nouveau titre pour parler de la fort concrète commande publique (l’enveloppe globale est de 30 millions d’euros !). Sur les 3200 candidats prétendant à cette manne de l’État, quelque 264 projets ont été choisis, ce qui, compte tenu des 85 collectifs, représente déjà près de 430 personnes.

    Dans les 600 m2 de la Salle des fêtes de l’Élysée, construite par l’architecte Eugène Debressenne et inaugurée par le président Sadi Carnot pour l’Exposition Universelle de 1889, ils ne semblent pas si nombreux, manifestement plus surpris et intrigués qu’intimidés sous l’extraordinaire plafond Napoléon III. Les saluts se font par légers coups de poing, comme les « bros » des films Downtown Los Angeles. Un arc de chaises à dos précieux a été disposé face à l’estrade présidentielle, derrière des cordons gris et or.

    Elles sont réservées aux éminences du jour. (…)

    Aucun des artistes, toutes disciplines confondues, ne sait quel argent il aura. L’enveloppe globale du budget laisse entendre une moyenne de 100 000 euros par projet, ce qu’un habitué des projets fous, Stefano Stoll, 47 ans, le fondateur du festival Vevey Images, trouve « copieux et propice à la créativité ». Mais aucuns chiffres pour l’instant ne dépassent le premier seuil des bourses de recherches (de 3000€ à 10 000€, pendant trois mois au maximum). D’argent, il ne sera d’ailleurs ce soir guère question. Mais bien plus de principes vitaux, d’art, de son sens, de sa nécessité et de son avenir.

    À 19h 25, le président de la République fait son entrée solennelle, suivi de Bernard Blistène, président de ce comité artistique déterminant pour toutes ces carrières en herbes (« 50 des 264 projets vont très vite entrer en chantier », dira-t-il). Emmanuel Macron s’assoit au premier rang, à peine d’ailleurs, comme un danseur prêt à bondir. (…)

    Tendu comme un agrégatif, Bernard Blistène a rappelé le défi d’une mission que lui a confiée le président Macron en mars dernier : « Les derniers mois passés ont permis d’étudier quelque 3200 dossiers que nous avons reçus : c’est dire la ferveur et l’attente de toutes celles et tous ceux qui ont voulu répondre à l’Appel à manifestation d’intérêt – l’AMI : les acronymes sont parfois bienvenus ! – que le Ministère de la Culture a lancé dès le mois de juin dernier. Et ce sont donc 264 propositions que nous avons sélectionnées pour leur singularité, leur originalité, leur ambition. 264 propositions de créateurs et créatrices venus de tous horizons géographiques et artistiques car il ne pouvait être question de cantonner notre approche à un seul espace, une seule discipline, tant la création vivante se constitue en une formidable heuristique. »

    (…) Le troisième discours est philosophe, cite Derrida, évite de comparer les candidats perdus au Salon des Refusés, et après une vraie dissertation toute en paradoxes se conclut sur une chute légèrement emphatique : « Criez, créez ou crevez. » Dans la salle, l’atmosphère est proche du paroxysme des sentiments, la réalité est une chose très lointaine qui n’atteint plus personne. Lorsque le président de la République prend enfin la parole, à 19h 46, il est l’heure d’y revenir doucement, mais sûrement. Son propos est plus rationnel, ses considérations plus teintées de réserve. Il s’agit d’expliquer le pourquoi du comment, cette enveloppe de 30 millions d’euros attribuée à la commande publique, même si c’est une « réinvention collective d’un vieil usage français ».

    « Durant tout le début de l’épidémie, au moment même où cette idée avait jailli, je ne sais pas si vous vous souvenez, mais on parlait beaucoup du ’’monde d’après’’. On disait : ’’on va réinventer le monde d’après.’’ Il se peut qu’on soit dans le monde d’après et il ressemble quand même furieusement au monde d’avant, avec des contraintes supplémentaires, les mêmes choses qu’on n’avait pas tellement envie de revoir dans le monde d’avant, mais qui sont toujours là, têtues. Le monde d’après, je crois, n’existe pas totalement, souligne-t-il avec le pragmatisme du politique.

    « Je ne sais pas si les mondes nouveaux existent non plus totalement (...). Mais au fond, je ne sais pas s’il est possible d’avoir des mondes nouveaux, mais il est en tout cas souhaitable d’avoir des femmes et des hommes suffisamment fous pour le rêver. Ce qui rend le monde actuel insupportable, c’est de ne plus avoir à espérer un monde nouveau ou de penser que le souhaitable est le monde ancien, ou plutôt une idée fantasmée du monde ancien, ou plutôt le rêve d’un monde ancien qui n’a jamais été, mais apparaît comme plus étriqué et rassurant que le monde dans lequel on vit. Donc il y a quelque chose de formidablement intempestif dans votre aventure. Je pense qu’elle n’est pas possible, mais terriblement nécessaire, parce que je pense qu’on a besoin d’artistes qui aident à penser chaque jour qu’un monde nouveau est réalisable. Et il adviendra. » Face aux jeunes artistes qui le filment sur leurs téléphones, le président a livré un discours de campagne assurément.

    Où va la littérature ? Elle va vers Macron, par @artemis1 ici présente
    https://diacritik.com/2021/11/15/ou-va-la-litterature-elle-va-vers-macron

    (…) Au passage, aucune adresse ou intérêt particulier en direction une population spécifique et vulnérable (les Roms, les paysans, les pêcheurs, les immigrés, les migrants, les femmes aux foyers, les femmes battues, les enfants…) : ça ne sera pas franchement non plus de l’enquête de terrain à visée sociale et documentaire à la façon de Walker Evans et Dorothea Lange, ou James Agee, non, cela tournera autour du patrimoine national et/ou naturel français. Ils étaient 20 photographes en 1935, sous Roosevelt, à avoir été missionnés par le Département de l’agriculture des États-Unis pour documenter la crise mais n’est pas Roosevelt qui veut… Cet appel d’offre à visée patrimoniale, cela s’appelle de la récupération de l’air du temps en mode transformation académico-républicaine : on reprend les slogans, on les émousse et on en fait du petit lait. Voilà comment on récupère avec aisance l’écologie, le vivant, les paysages, la nature, la mer, les forêts, le ciel, les fleuves, le littoral, les animaux, les poissons, voilà comment on siphonne la nature, voilà comment on transforme les non-humains en porte-paroles républicains et même élyséens. Il paraît que c’est toujours comme ça, qu’il y a toujours une part de siphonage technique dans l’intérêt et le rapport construit à la nature, oui, mais pour servir qui ?

    Lire aussi Sandra Lucbert qui repartage cet entretien avec Ballast « j’ai essayé d’y déplier les mécanismes qui produisent pareil enrôlement des champs littéraires et artistiques » https://www.revue-ballast.fr/sandra-lucbert-lart-peut-participer-a-la-guerre-de-position

  • Movie Business / Streaming has changed the economics of talent : how Hollywood’s biggest stars are losing their clout | The Economist (13/11/2021) https://www.economist.com/business/how-hollywoods-biggest-stars-lost-their-clout/21806186

    (…) In total, streaming firms’ content spending could reach $50bn this year, according to Bloomberg.

    Yet despite the largesse it is a turbulent time in Tinseltown, as everyone from a-list stars to the crews who style their hair goes to war with the film studios. Some of the disputes have arisen from the pandemic, which has upended production and release schedules. But the tension has a deeper cause. As streaming disrupts the tv and movie business, the way talent is compensated is changing. Most workers are better off, but megastars’ power is fading.

    #industrie_culturelle #audiovisuel #streaming #svod

  • Sylvain Creuzevault, metteur en scène des « Frères Karamazov » (2021, Odéon) : « Représenter la vie en commun des hommes, ce n’est pas faire une messe » https://aoc.media/entretien/2021/10/29/sylvain-creuzevault-representer-la-vie-en-commun-des-hommes-ce-nest-pas-faire

    (…) Mais disons que maintenant, héritiers de cette anticléricalisme, nous cherchons tout de même des repères philosophiquement, conceptuellement, collectivement dans la construction de choses matérielles… Sachant que nous avons subi un renfermement de la proposition politique. Dans toute une partie de la gauche, après s’être dépêtrés de cet athéisme de base, certains sont allés voir du côté de la théologie de la libération, de la littérature, où le sujet politique n’était pas considéré comme le fin mot de l’histoire, car en effet il ne comblait pas notre soif. On peut aussi d’ailleurs voir des restes de religiosité dans une formule des années 1970 : « tout est politique ». Cependant ce « tout » fait écho à « tout est religieux » ; c’est un slogan de remplacement. Et puis, au tournant des années 2000, la lutte des classes a été remplacée de nouveau par une sorte de combat entre le Bien et le Mal, je pense au propos de George Bush qui affirmait vouloir combattre « l’axe du mal » et toute la guerre faite au terrorisme depuis. Il y a un retour de la morale très fort.

    • (…) Cela ne revient-il à dire : peut-on se contenter d’habiter les ruines du capitalisme comme projet politique ?

      Tout cela, ce sont pour moi des pensées bien nourries, petites bourgeoises. Les gens qui habitent les ruines, eh bien ils ne veulent pas y rester… Ce qui est urgent, c’est bien sûr d’étudier l’aujourd’hui, mais avant d’y arriver, nous avons cherché de notre côté à établir une généalogie : après les pièces historiques, celle sur Robespierre avec Notre Terreur, puis Le Capital et son Singe où l’on explorait Marx, nous avons décidé de rester quelques années avec Dostoïevski, un auteur qui avait problématisé la sécularisation du christianisme dans le socialisme, transsubstantiation qui n’était pas claire à une époque, la fin du XIXe siècle, où le capitalisme se renouvelait. Certains concepts, certaines règles, se sont transformés, ont changé de noms, mais demeurent. Par exemple, l’amour chrétien, que devient-il ? Quand le frère devient le camarade, et la solidarité, la force messianique, le Christ rouge ? Bien sûr, on pourrait interpréter cela comme une démarche d’appropriation pour mieux diffuser ces idées « nouvelles » sur des canaux anciens, pour que l’idée devienne force matérielle. Mais cela pose question. Et puis, comment combattre un langue qui a mille ans ? Le #christianisme, c’est une asso’ qui a bien réussi.

      @baroug

    • Je découvre un championnat sportif qui m’avait jusqu’ici échappé :

      « Il y a une dizaine d’années déjà, il nous avait aidés avec un chèque pour le championnat de France de karting des prêtres », raconte l’abbé Pierre Amar.

    • Vincent Bolloré, le catholique | Enquête de « La Croix » par Héloïse de Neuville et Mikael Corre (12/11/2021)

      Le grand patron est surtout « sincèrement inquiet » pour la France, selon plusieurs sources qui le disent soucieux d’en freiner la déchristianisation. « Pour lui, une certaine vision de l’homme est aujourd’hui menacée », croit savoir Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, qui le voit régulièrement (Vincent Bolloré possède un pied-à-terre à Saint-Tropez).

      (…) Le haut fonctionnaire se serait agacé auprès du grand patron que Pascal Praud et ses chroniqueurs parlent sans cesse des problèmes d’insécurité et d’islamisme à Trappes. Vincent Bolloré aurait alors demandé à son présentateur vedette de calmer le jeu. Et quelques semaines plus tard, la chaîne recontactait la préfecture avec comme projet de mettre en valeur des « initiatives positives » du territoire, si possible chrétiennes, et de retransmettre la messe de Noël. Un projet validé par le diocèse de Versailles.

      Mais Vincent Bolloré ne peut pas tout gérer en direct. Pour le seconder sur certains sujets, il s’est adjoint les services d’un chapelain : l’abbé Gabriel Grimaud. Ce prêtre atypique, ordonné en1977, est d’abord passé par plusieurs paroisses parisiennes avant de devenir aumônier dans l’enseignement scolaire, notamment à la Maison d’éducation de la Légion d’Honneur à Saint-Denis(2000-2021). Réputé bon prêcheur, il cultive la discrétion. Il n’a pas répondu à La Croix L’Hebdo et refuse toute interview, mais laisse courir sa plume sous divers pseudonymes (Défendente Génolini, Alexamenos…) dans plusieurs titres catholiques, dont ceux de Vincent Bolloré.

      (…) Ce goût pour la piété apparaît parfois loin de l’actualité. La liste des dernières émissions d’« En quête d’Esprit » en dit quelque chose. 19 septembre : « Comment sauver les églises de France. » 29 septembre : « Les anges sont-ils de retour ? » Le 10 octobre, cinq jours après la publication du rapport sur la pédocriminalité dans l’Église, l’émission est intégralement consacrée au film Fatima .

      Aucune mention de ce qui secoue alors les catholiques français. « Notre silence est-il un déni ?, s’interroge dix jours plus tard le présentateur Aymeric Pourbaix, dans un édito de France catholique intitulé « Se taire ou parler ? ». Non, bien sûr. (…) Parfois même, le silence est une indication à demeurer prudents. Et il est aussi permis de se poser la question, sans pour autant tomber dans le complotisme : quand toutes les ondes tiennent le même discours, qui leur a appris cet hymne à l’unisson ? Ne peut-il y avoir un chef d’orchestre caché, et à quelles fins ? » Et l’émission de spiritualité, tout à la piété, apporte ainsi, et par omission, sa contribution au combat contre-culturel, anti-« politiquement correct », mené plus largement sur CNews.

    • Et dans l’article du Monde :

      Qui a haussé la voix lorsque, en février 2019, il est intervenu pour annuler un projet pourtant déjà validé : l’achat de Grâce à Dieu, un film de François Ozon inspiré de l’affaire Preynat, ce prêtre reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement des enfants pendant vingt ans ?

    • Éric Zemmour escorté en gare de Marseille

      https://www.bfmtv.com/politique/eric-zemmour-escorte-en-gare-de-marseille-devant-les-huees-de-militants-antif

      Le polémiste d’extrême droite Éric Zemmour, qui doit annoncer sa candidature à la présidentielledans les prochains jours, a subi plusieurs déconvenues lors de sa visite à Marseille. Lors de son retour en gare ce samedi, il a été hué par des militants antifascistes et escorté par les CRS jusqu’au train.

      le charlot du chouan de l’île du Loch’ échoue

  • Parmi tous les journaux étudiés par le Haut conseil à l’égalité femmes-hommes, on ne trouve aucune directrice de publication
    https://www.lefigaro.fr/medias/un-rapport-pointe-le-sexisme-de-la-presse-ecrite-dans-les-articles-et-en-in

    Des femmes moins souvent citées dans les articles, des rédactrices plutôt chargées de la culture que du sport : la presse écrite en France contribue aux stéréotypes sexistes, dénonce jeudi le Haut conseil à l’égalité femmes-hommes, qui appelle à des quotas, ou encore à un système de « bonus-malus » dans les aides publiques aux journaux. Ce biais « est visible au sein même des rédactions et dans la manière dont sont rédigés les articles publiés », affirme cette instance consultative indépendante dans son troisième « état des lieux du sexisme en France ».

  • Wes Anderson voudrait déjeuner – sur The French Dispatch - AOC (paywall, c’est la conclusion, j’ai pas vu le film mais apprécié cette lecture) https://aoc.media/critique/2021/10/26/wes-anderson-voudrait-dejeuner-sur-the-french-dispatch

    (…) Cela en dit surtout long sur le #journalisme. Car Wes Anderson a toujours su recouvrir d’une sorte de chic des zones de notre paysage collectif totalement fossilisées : il a filmé des hôtels middle Europa comme on n’en trouve plus nulle part. Il a filmé des scouts. Il a mis en scène des gens assez riches pour voyager loin avec tout un assortiment de malles siglées, avec porteurs afférents. Il a même filmé des tennismen dépressifs (quand tout le monde sait qu’ils ont été remplacés par des Ranxerox sans états d’âmes). The French Dispatch est joli mais moins inoffensif qu’on ne le croit. C’est un cercueil. C’est l’impeccable adieu à une certaine idée de la presse. Au moins lui fallait-il un Wes Anderson pour pouvoir dire que, ici comme ailleurs, elle n’a plus lieu.

    • Wes Anderson voudrait déjeuner – sur The French Dispatch
      Par Philippe Azoury
      Journaliste
      Sans rien perdre de son excentricité, en marquant, toujours, son décalage – avec sa génération, et dans ce qu’il représente à l’écran – Wes Anderson se rêve cette fois en rédacteur en chef. Avec un casting hors pair, remarqué à Cannes, The French Dispatch met en scène la rédaction d’un magazine d’information d’un autre temps, celui d’une presse intelligente, sobre, sarcastique et élégante, qui s’affirme sans fard en contre-pouvoir.

      Nous sommes en 2021, et il paraît que des journalistes rêvent de faire des films. Quoi de plus commun ?
      Nous sommes toujours en 2021 et un cinéaste, chic mais populaire, sujet d’un véritable culte, rêve quant à lui non plus de réaliser de films, mais de diriger un journal. C’est excentrique : jouir à l’idée de se voir assis derrière un grand bureau, vêtu d’un gilet beigeasse, éructant des horreurs dans sa barbe à l’adresse de pigistes sous-payés, est-ce encore de l’ordre du possible aujourd’hui ? Il y aurait encore des êtres humains dont le rêve hebdomadaire serait de bâtir un chemin de fer ? Leur a-t-on dit qu’à partir de là, ils verront dissoudre sous leurs yeux leur dernière parcelle de temps disponible, passeront leurs dimanches à essayer de faire entrer au chausse pieds des histoires trop longues, bavardes, dans des maquettes serrées jusqu’à ressembler dorénavant et un peu partout à des boîtes à chaussures d’enfants ?

      Lundi lire, mardi relire, mercredi traquer la coquille, jeudi éditer et titrer, vendredi boucler, et puis samedi et dimanche tout mettre à la poubelle car non, cette fois, ça ne tient pas, et il aurait fallu dynamiser ici, calmer le jeu là : ces semaines-là d’enfer expurgées seraient donc un fantasme pour d’autres ? Ils se voient réellement en train de presser le citron de leur imagination pour que les ventes, en berne, forcément en berne (il doit rester aujourd’hui plus d’anciens poilus de la guerre de 14 encore en vie que de journalistes qui ont connu l’âge d’or des ventes florissantes), remontent un jour ? Si oui, alors le vouloir devenir journaliste est une perversion sexuelle à rajouter à la longue liste établie par Krafft-Ebing ?
      Le cinéaste, c’est Wes Anderson. Et à en croire The French Dispatch, son nouveau film, il tient entre ses mains ce rêve malade, cette anachronie, de devenir rédacteur en chef d’un magazine d’information différent, « cassant, mais juste » en comité de rédaction, privilégiant le style et la belle écriture, et si un DA ou un SR (les journaux sont comme le rap français : ils redoublent d’acronymes) venait à lui demander : « Et au fait, pour la prochaine couv’, tu as une idée ? » notre homme serait catégorique : formellement, ne rien appliquer qui soit trop direct, ou qui fasse promotion. Faire l’inverse de la concurrence. Pas de photo, cela risquerait de faire trop de poids, trop d’entrechocs. Juste une illustration. Élégante et classique. D’un auteur ligne claire, cela va sans dire. Des traits lisibles et heureux – mais avec de l’intelligence et du sarcasme, à tous les endroits. Une folie douce volontiers hors de toute actualité. Le cinéaste imagine une presse qui ressemblerait en tout point à ses films. Le cinéaste s’imagine produire une œuvre élégante mais qui aurait la puissance ténébreuse d’un contre-pouvoir. Wes Anderson voudrait déjeuner.
      À moins que ce cinéma-là se soit lui-même inscrit dans la descendance du New Yorker. Cela fait longtemps finalement que Wes Anderson fait des journaux filmés. Aussi, avec The French Dispatch, il produit cette chose assez étrange : non pas un film inspiré de la vie d’un magazine (nous n’avons vu ici aucun reporter en bras de chemise, notant sur un calepin des informations recueillis en calant le téléphone entre l’oreille gauche et l’épaule, à la façon des Hommes du président, de Alan J. Pakula), mais monté comme un magazine. Par succession de rubriques. Cinq sections, trois grandes histoires : The Concrete Masterpiece ; Revisions to a Manifesto ; et enfin l’interminable The Private Dining Room of the Police Commissioner. Trois films dans le film, trois grands articles.
      Il lui arrive aussi, entre les pages (là où d’habitude, on met les publicités), de raconter en deux plans quelques légendes : quand le film parle avec admiration de ce type fantomatique qui, depuis vingt ans, taille son crayon dans l’espoir de retrouver un jour l’inspiration qui lui valut de signer les portraits les plus aiguisés des bas-fonds de New York (nous savons désormais, en partie grâce au travail des Éditions du sous-sol, qu’il s’agit de Joseph Mitchell), nous comprenons que Wes Anderson réinvente la presse selon des modalités qui n’ont plus cours. Mais qui s’accordent à ses désirs.
      Elles lui permettent de déplacer la rédaction du New Yorker en France. De tous les magazines édités par Condé Nast (Vogue, Vanity Fair, AD…) le New Yorker (crée en 1925 par Harold Ross) fut celui qui jamais n’eut une édition française, c’est donc pratique : il n’y a pas de réel, toujours plus gluant et fatigant, pour gâter la sauce et gâcher le fantasme, et le cinéaste peut s’en donner à cœur joie.
      Délocaliser New York à Paris, donc ? Non, même pas : dans une ville imaginaire qui serait française jusqu’au bout des ongles et porterait le nom d’Ennui-sur-Blasé. Ennui-sur-Blasé, dans les faits, c’est Angoulême, où le film a été tourné et pour beaucoup post-produit : Angoulême, la ville de l’image, la capitale de la BD, qui est avec le journalisme l’autre référent du film.
      The French Dispatch est un film qui laisse songeur tout autant qu’il fascine.
      Il y a longtemps que Wes Anderson ne dialogue plus avec d’autres cinéastes, mais vit dans un monde dont les contours fonctionnent en circuit fermés, toujours plus loin de la réalité immédiate, monde qui, de bonds en bonds, de clichés en image d’Épinal, nous regarde sous des couches de représentations dénuées de présence. C’est la merveille de son cinéma, c’est aussi son problème.
      Depuis plus de vingt ans qu’il enchante (La Famille Tenenbaum, La Vie aquatique, The Darjeeling Limited) , Wes Anderson a perdu de loin en loin l’attachement qu’il pouvait encore avoir avec l’imaginaire d’une génération. Ce n’était en rien un documentariste, mais dans quelques années, des historiens futés pourront toujours scruter, dans La Famille Tenenbaum par exemple, les signes culturels et mondains qui pouvaient réunir sous une même histoires quelques silhouettes autour desquelles se fantasmait une génération de hipsters à barbe et bonnets, qui question chaussettes encourageaient la couleur et prirent Williamsburg d’assaut pour en faire l’épicentre d’une mode – on serait bien en peine de dire une idéologie.
      Aujourd’hui, Wes Anderson a démissionné de ce monde-là, de cette nécessité à représenter ceux de son âge. Son cinéma n’a cessé de s’éloigner de l’humain. Ses personnages étaient ouvertement prisonniers du cliché, des parodies sur pattes, mais on pouvait parfois songer qu’ils incarnaient une perfection inatteignable. Aujourd’hui ils ne sont plus que des fétiches, des Barbies.
      Le grand basculement vers ce cinéma où un adulte se regarde infiniment jouer à la poupée a eu lieu avec Fantastic Mister Fox en 2010, film d’animation en volume adapté du grand Roald Dahl. Film inquiétant à tous les endroits, matériellement constitué de marionnettes à poils que des centaines d’animateurs faisaient bouger dans un hangar de Londres, près d’un petit aéroport, en l’absence physique de Wes Anderson – lequel ayant définitivement basculé dans un délire démiurgique, envoyait à ses équipes une minute par jour de mouvements qu’il mimait lui-même, filmée directement sur son téléphone portable et envoyée par Messenger depuis son appartement parisien.
      L’excentrique texan n’a jamais été aussi heureux que sur ce tournage-là, loin des hommes, s’amusant dans sa chambre farcie de jouets, dans une distanciation sociale qui n’avait pas attendu la pandémie pour tenir lieu de loi. Quand il s’est agit de ressortir pour promouvoir le film, on s’aperçut que Wes Anderson portait les mêmes vêtements beiges que son renard de personnage. À ce costume, au sens (presque sexuel) japonais du terme, il n’a plus jamais dérogé.
      Depuis, son cinéma n’a jamais tout à fait renoué avec la chair et l’humain. Ses deux grands films de la décennie, The Grand Budapest Hotel et Moonrise Kingdom, riaient d’être des miniatures. Il y a quatre ans, L’Île aux chiens, son précédent film, était adapté d’un manga et réitérait le procédé de Fantastic Mister Fox.
      Aujourd’hui, The French Dispatch est un film qui laisse songeur tout autant qu’il fascine. Son premier problème n’est pas tant qu’il soit inégal (il l’est, mais tout rédac chef vous dira qu’il faut que du terne côtoie du flamboyant, pour qu’un magazine tienne ses promesses) mais d’être, comme beaucoup de magazines : prisonnier de sa direction artistique.
      Il y a un siècle, S.M. Eisenstein pouvait penser qu’en matière de cinéma le hors-champ décidait de tout (là était son marxisme). Ici, dans cet univers dépolitisé en profondeur, c’est le DA qui semble décider de tout, et cela se voit dans les deux derniers « articles » du film : l’un raconte une révolution étudiante, au printemps 1968, où à Ennui-sur-Blasé on se demande : qui a bien pu rédiger le manifeste qui l’accompagne ? Un garçon qui se prend pour un génie, une fille qui lui rappelle qu’elles sont toujours plus malines ? À moins que ça ne soit la « vieille maitresse » du jeune Saint Just, passée « corriger » le brulot à quelques endroits opportuns ? Comme par hasard, c’est aussi une journaliste du magazine. Journaliste ou correctrice ?
      On sent que la question intéresse profondément Wes Anderson, davantage que la politique elle-même. Il suffit de voir les moments de révolte produire à l’image un effet « Mai 68 dans la Rue Gamma », cocasse pour ne pas dire autre chose, pour comprendre que l’essentiel est ailleurs : dans la position accordée aux rôles et à chacun ? C’est possible…
      Même échec pour la troisième histoire, inspirée de James Baldwin, et qui voudrait se raconter depuis un talk-show à l’américaine et se perd en route dans trop de couches de récit. Peut-on se planter, en 2021, sur une figure aussi bienvenue ? Pourtant, étrangement, là encore, le film parle d’une place à trouver, d’un rôle introuvable.
      Wes Anderson a toujours su recouvrir d’une sorte de chic des zones de notre paysage collectif totalement fossilisées.
      Pour tout dire, The French Dispatch serait en partie anecdotique ou plaisant s’il n’était pas traversé dans sa première heure par un épisode tout à fait nouveau dans le cinéma de Wes Anderson, où commence à se dire quelque chose d’enfin adulte autour de cette passion devenue dévorante pour le fétiche, la fourrure et la miniaturisation du monde.
      The Concrete Masterpiece est un moment d’une folie absolue, pour qui s’intéresse de près à ce qui anime en profondeur Anderson. Il met en scène Léa Seydoux et Benicio del Toro. Ce dernier est un artiste peintre, façon ogre à la Rodin, enfermé en psychiatrie pour des siècles. Léa Seydoux est sa gardienne, sorte de louve autoritaire tout droit sortie d’un porno concentrationnaire sinon d’un film « rétro » comme on disait dans les années 1970 quand Portier de nuit fabriquait des fantaisies SM louches autour des camps.
      La peine interminable du peintre assortie au désir de la gardienne d’être autre, le temps d’une fonction réversible, vont les amener à accomplir un chemin qui ressemble d’assez près à celui de La Venus à la fourrure. La surveillante devient modèle, le prisonnier devient libre de la représenter telle qu’elle se voit, mais il lui appartient et elle le dirige, du moins le croit-elle ou s’en laisse-t-elle persuader. Car il est possible qu’elle se donne à lui totalement, sans défense, dans cette dé/figuration esthétique qu’elle encourage : car la peinture de l’ogre est devenue abstraite. Elle ressemblerait presque à du Fautrier, alors même qu’au fur et à mesure, le film lui devient charnel. Dans cette cellule/atelier/chambre, la liberté est dans la distribution des rôles et des fonctions. Personne n’y perd et aucun marchand d’art n’arrive à arrêter ce jeu de rôles affolant tout, qui touche à quelque chose de plus important encore que la simple satisfaction sexuelle. Car pour la première fois en vingt-cinq ans, le cinéma de Wes Anderson se fait déborder de présence charnelle sans rien perdre de son art de la fétichisation : au contraire, il se dit enfin pour ce qu’il est.
      Quel chemin ce cinéma va-t-il prendre après cet épisode ? À quoi ressemblera le film qu’il est en train de tourner en Espagne et pour lequel il a interdit tout journaliste d’aller sur le tournage ? Il n’y a personne comme Wes Anderson sur la planète Cinéma. Il n’est pas dans l’animation, il la regarde de loin (Oh Angoulême). Il n’est plus, et depuis longtemps, dans le cinéma tel qu’il se fait ailleurs, mais il en convoque les stars (le casting de The French Dispatch est vertigineux). Il rate le vivant, mais il s’en fiche pas mal. Il est seul et cette solitude, personne ne peut ni l’envier ni l’égaler. Il est excentrique au sens premier du terme.
      Si Wes Anderson avait été musicien, il aurait pu jouer dans des groupes anglais distingués comme The Monochrome Set, le Jazz Butcher ou The Cleaners From Venus. Il a opté pour le cinéma. Voilà maintenant qu’il le regrette. Qu’il veuille faire des journaux, cela en dit long sur lui, dont on sent depuis quelques temps qu’il cherche à sortir des pièges posés par son œuvre.
      Cela en dit surtout long sur le journalisme. Car Wes Anderson a toujours su recouvrir d’une sorte de chic des zones de notre paysage collectif totalement fossilisées : il a filmé des hôtels middle Europa comme on n’en trouve plus nulle part. Il a filmé des scouts. Il a mis en scène des gens assez riches pour voyager loin avec tout un assortiment de malles siglées, avec porteurs afférents. Il a même filmé des tennismen dépressifs (quand tout le monde sait qu’ils ont été remplacés par des Ranxerox sans états d’âmes). The French Dispatch est joli mais moins inoffensif qu’on ne le croit. C’est un cercueil. C’est l’impeccable adieu à une certaine idée de la presse. Au moins lui fallait-il un Wes Anderson pour pouvoir dire que, ici comme ailleurs, elle n’a plus lieu.
      Philippe Azoury
      Journaliste, Rédacteur en chef culture de Vanity Fair, enseignant à l’ECAL (Lausanne)

      #presse #journalisme

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Wes_Anderson

    • Il met en scène Léa Seydoux et Benicio del Toro. Ce dernier est un artiste peintre, façon ogre à la Rodin, enfermé en psychiatrie pour des siècles. Léa Seydoux est sa gardienne, sorte de louve autoritaire tout droit sortie d’un porno concentrationnaire sinon d’un film « rétro » comme on disait dans les années 1970 quand Portier de nuit fabriquait des fantaisies SM louches autour des camps.

      Beau révisionnisme historique masculiniste, voici Rodin en psychiatrie à la place de Camille Claudel et Camille Claudel en gardinenne de geôle sexualisé en BDSM via la venus à la fourrure.
      Bel effort de Philippe Azoury pour glorifié ce réalisateur de pub et lui faire la courte echelle sur les cadavres des femmes artistes. Je souligne aussi l’usage de l’expression « Ogre » souvent utiliser pour dissimulé les violeurs mais ici pour ce simili Rodin on ne saura pas...

      #invisibilisation #historicisation #excision_symbolique #révisionnisme #male_gaze #camille_claudel #ogre #fraternité #hagiographie

  • Le socialisme n’est pas compatible avec l’extractivisme – CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/critique-extractivisme-gauche-amerique-latine

    Le concept de néoextractivisme, contrairement à ce qu’avance l’article du Monde diplomatique, met en évidence la continuité et les différences avec l’extractivisme « classique ». En outre, Gudynas reconnaît les avancées sociales et les « changements substantiels » des gouvernements progressistes, centrés sur la réduction de la pauvreté, les efforts de redistribution et le retour des États, mais il souligne les conditions et les limites, la fragilité et les ambivalences de ceux-ci. Ces limites sont inhérentes à sa matrice « développementiste », ainsi qu’à une stratégie subordonnée au marché mondial. Cela traduit, selon Thea Riofrancos, une double réinterprétation du socle commun des gauches, autour de ce qu’elle appelle le « radicalisme des ressources » (nationalisation, expropriation et distribution de la rente), du côté des acteurs étatiques ; de la résistance au modèle extractiviste, du côté des mouvements protestataires[7].

    #gudynas #néo-extractivisme #extractivisme

  • The Creator of Dogecoin Says He Now Believes That All Cryptocurrency Is Horrible https://futurism.com/creator-dogecoin-cryptocurrencies-horrible

    In a scathing — and eye-opening — Twitter thread, the co-creator of popular altcoin Dogecoin, Jackson Palmer, eviscerated the technology and community behind cryptocurrencies in general.

    It was a blistering takedown.

    “After years of studying it,” Palmer wrote, “I believe that cryptocurrency is an inherently right-wing, hyper-capitalistic technology built primarily to amplify the wealth of its proponents through a combination of tax avoidance, diminished regulatory oversight and artificially enforced scarcity.”

    (j’archive)

  • Ethnologue de la France d’après. Portrait de Jérôme Fourquet par Eugénie Bastié (Le Figaro, 11/10/2021) #paywall https://www.lefigaro.fr/actualite-france/jerome-fourquet-ethnologue-de-la-france-d-apres-20211011

    Après le succès phénoménal de L’Archipel français le sondeur publie, avec Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux (Seuil). Un ouvrage indispensable pour comprendre notre pays à la veille de la présidentielle. Portrait d’un touche-à-tout à la curiosité insatiable et aux méthodes de travail très originales.

    (…) Dans son nouveau livre, La France sous nos yeux (Seuil), coécrit avec le talentueux Jean-Laurent Cassely, Fourquet multiplie ces variables inattendues qui permettent de mieux cerner des Français qui se définissent moins par leur généalogie politique que par leurs modes de vie. Évolution du taux de machine à dosettes dans les foyers (63 % contre 8 % en 2004) et des barbecues Weber dans les jardins, « premiumisation » des stations de ski, progression des kebabs et du halal… « Fourquet a compris que dans une société de consommation, on peut comprendre le pays par les habitudes de consommation » analyse Jérémie Peltier. « Dans une société qui ne croit plus dans le grand soir ni dans la révolution, ce qui compte, c’est ici et maintenant, ce que je peux payer à mes enfants. L’idée, c’est que si, à 40 ans, tu ne peux pas payer des Nike et du Nutella à tes enfants, tu as raté ta vie », résume Fourquet.

  • Rester fidèle au sang | À propos du travail de Sara Sadik | Par Félix Boggio Éwanjé-Épée & Stella Magliani-Belkacem | CAC Brétigny
    https://www.cacbretigny.com/fr/631-rester-fidele-au-sang

    La recherche de Sara Sadik tourne autour d’un premier mot : fragilité. Fragiles, ses protagonistes, réels et imaginaires, le sont—même s’ils veulent « ne rien laisser paraître »—par leur condition sociale et politique. « Mecs de quartiers », Noirs, Arabes, musulmans, les sujets qui peuplent et nourrissent son travail sont ce qu’on appelait il n’y a pas si longtemps des « damnés de la terre ». Maudits par le champ politique, par le racisme institutionnel, par le chômage et la précarité, maudits pour leur religion, leur culture, leur langue. Cette fragilité est « objective », elle ne dit rien en elle-même sur ce dont parlent les textes et les images de Sara Sadik. L’évoquer est toutefois indispensable pour saisir ce que n’est pas son travail : quand un objet est fragile, on ne veut pas qu’il tombe entre de mauvaises mains. Depuis que le rap et la « culture urbaine » sont partout—dans la mode, la musique, la publicité, le sport, la radio, les réseaux sociaux—, la figure du « lascar », du « jeune » potentiellement producteur et consommateur, devient un objet esthétique de premier ordre pour le monde marchand. Il va de soi que les artistes ne peuvent manquer de voir leurs travaux sollicités et digérés pour mieux conquérir des imaginaires : ou bien flairer la tendance, ou bien la susciter, la produire en même temps qu’elle est en train de naître au cœur des subcultures.

    Ce pillage en règle des cultures minoritaires n’est pas pour autant une voie de salut pour ceux qui en sont les acteurs—loin s’en faut. La recherche de Sara Sadik est un antidote à cette esthétique du pillage. Plutôt qu’exploiter la fragilité de ses protagonistes, elle cherche à l’accueillir et en faire une force subjective. Les textes et les images ne proposent jamais au spectateur étranger aux cultures urbaines—qu’elle met en scène et auquel elle s’adresse par la voix quasiment robotique qu’elle incarne dans plusieurs de ses films et performances—d’aller au frisson, à la rencontre de l’image choc, la dernière punchline, ou la « vanne » à la mode. L’univers de Sara Sadik est pourtant bien ancré dans l’univers matériel et l’imaginaire connecté des jeunes hommes des quartiers populaires. Et une part notable de son œuvre consiste à documenter ces mondes subjectifs—à partir d’un ancrage marseillais qui a lui-même ses propres codes, son rap, ses références.

    Si Sara Sadik accueille cette fragilité, c’est qu’elle la connaît trop bien. Dès lors que vous sortez des terrains balisés par l’apartheid socio-économique et symbolique, vous n’êtes « pas chez vous ». Vous ne serez ni chez vous dans le « monde de l’entreprise », ni à l’école, ni sur les bancs de la fac, ni dans le milieu de l’art. Au mieux, on vous prendra ce qui se vend bien. On vous demandera toutefois d’oublier d’où vous venez, d’oublier vos amis, vos familles, votre accent et votre argot ; on attendra de vous que vous changiez votre manière de parler, de voir le monde, de sentir, de manger, de marcher, de prier, de vous habiller ; on cherchera à vous insuffler la honte de qui vous étiez et de ceux avec qui vous étiez.

    La récupération des modes de vie subalternes (populaires, « de cité », urbains) par une esthétique du pillage ne constitue en aucun cas un geste rédempteur. Sara Sadik nous enseigne que pour résister à la honte, on ne peut pas se contenter de mousser trois influenceurs étiquetés « banlieue », de se transformer en coupure de mode, ou d’imprimer de belles photos de son bâtiment et de ses copains fumant la chicha sur du papier glacé. On peut se faire plaisir, gagner un peu d’argent (ce qui n’est pas rien), mais réapprendre à s’aimer (aimer les siens), c’est autre chose.

    Trop souvent le débat en esthétique se focalise sur la « représentation des minorités ». La libération est ainsi décrite comme un au-delà des stéréotypes : les fils d’immigrés ne sont pas si chômeurs, pas si incarcérés, pas si délinquants, pas si machos, pas si radicalisés. Pour Sara Sadik, pourtant, les images ne sont pas à réparer. Pour autant qu’une esthétique « correctrice » soit possible, elle n’aurait comme résultat que de promouvoir de (bien fades) modèles d’intégration.

    Les images des siens, elle veut les agrandir. Comme dans Zetla Zone (2019), elle fabrique une oasis dans un désert. Elle invente des superpouvoirs, empruntés aux Saiyans de Dragon Ball Z, à l’OVNI de Jul, elle fait des sodas Oasis ou Capri-Sun de merveilleux élixirs. Sara Sadik travaille en réalité augmentée ; elle façonne des mondes dans lesquels les motifs fantastiques ou futuristes offrent aux « corps d’exception » d’autres façons de se connaître, de se reconnaître, de se rencontrer et de s’aimer.

    La connaissance de soi que propose Sara Sadik n’est ni celle des gravures de mode ni celle des sociologues et de leur « misère du monde ». Le miroir qu’elle tend aux damnés de la terre est d’abord un miroir qui reflète l’âme, ou plutôt le cœur. Ses textes, ses sculptures, ses images, sont autant de pièces d’une archive de soi-même—mais d’une archive qui serait celle du secret, d’un lieu intime qui pourtant se livre partout où l’on veut bien le trouver. Sara Sadik ne travaille pas en psychologue mais en archéologue du présent. Elle glane dans les expressions culturelles, les réseaux sociaux, les chansons de rap, les clips Tiktok, les Insta de prisonniers, tout ce qui laisse paraître une intériorité, une affectivité, un lieu souterrain où une émotion en train de naître est tuée dans l’œuf par la guerre de tous contre tous—et la « cuirasse caractérielle » comme seul refuge face à la violence entre pauvres que le système nourrit.

    Ainsi, la reconnaissance de soi qui émerge de ses créations n’est pas un simple pot-pourri identitaire—ce que des spectateurs pressés ne manqueront pas de voir dans son œuvre. La quête de phrases, de références, sont autant de manières de « citer des gestes », comme a pu écrire Walter Benjamin à propos du théâtre de Bertolt Brecht. Si le philosophe avait vu l’importance de cet aspect chez Brecht, c’est parce que pour Benjamin, c’est le collage, l’image composite qui seule est véritablement à même de faire naître une allégorie. Ainsi, se reconnaître dans les trajectoires fantastiques que Sara Sadik propose à ses protagonistes, c’est faire entrer sa vie imaginaire et culturelle dans le domaine de la fable. Retrouver—non sans plaisir—ses propres références, ses manières de faire, de parler, n’est pas un loisir de complaisance. Les fameux « codes » culturels, vernaculaires, minoritaires, pour la plupart illégitimes, y reflètent des réalités intérieures inexplorées, et qui n’ont pas droit de cité. C’est cette beauté que Sara Sadik fait émerger, la beauté même du geste, de la petite phrase qui d’un seul coup donne à la vie de la rue la force du mythe.

    Ce que nous apprend aussi Sara Sadik—car elle se met elle-même en scène comme celle qui enseigne—, c’est que les damnés de la terre sont aussi des oubliés de la rencontre, des oubliés de l’amour. Comme il faudra le dire plus loin, l’amour ne se réduit pas à la rencontre amoureuse, mais celle-ci—ou son absence—occupe une place d’importance dans l’ensemble de l’œuvre. Les lecteurs de Fredric Jameson savent combien l’utopie de science-fiction s’avère utile pour représenter d’autres modes de faire-relation, d’autres quotidiennetés. Sara Sadik imagine quant à elle des mondes dans lesquels les machines nous réapprennent à aimer et dans lesquels la rencontre amoureuse (re)devient un jeu— comme l’environnement virtuel et construit à partir de GTA de Khtobtogone (2021) ou la compétition du Carnalito Full Option (2020) nous le font apparaître. Il n’est pas anodin que cette dernière œuvre ait été créée avec la participation de jeunes en centre éducatif fermé. La prison tout court, la prison du quartier, la prison de la précarité, sont autant de prisons des cœurs. Pour autant, Sara Sadik ne cherche pas à réparer « le genre » ou les rapports hommes-femmes. Elle fait plutôt état d’un deuil de la rencontre, et en propose la relève par une régression féconde—non pas celle du divan ou du face-à-face des psys, mais celle du groupe, de la bande de garçons.

    La bande désigne un autre lieu de l’amour, au-delà de la rencontre amoureuse : l’amour des potes, de la mama, ceux pour qui on peut donner sa vie. Les scénarios virtuels de Sara Sadik sont autant de façons de réapprendre à s’aimer, et pouvoir s’aimer résume à soi seul les motifs les plus intimes et les plus politiques que porte son travail : quand le monde blanc vous renvoie l’image du barbare, du violeur, de l’agresseur, du voyou, que ce monde ne veut pas que vos mères et vos sœurs voilées accompagnent les sorties scolaires, que ce monde vous promet la prison, le bracelet électronique ou l’intérim à vie, s’aimer devient un combat. S’aimer, ce n’est dès lors pas seulement le narcissisme consumériste qu’incarne le selfie. L’amour de soi et des siens s’avèrent indissociables et constituent le désir secret qui oriente le travail du rêve dans les compositions et les collages de l’artiste, tout en étant au cœur d’un questionnement éthique : comment donner sans me perdre alors que j’ai déjà tout donné ? comment échapper aux traîtres et rester fidèle au sang ?

    L’amour, omniprésent sous cette acception élargie dans le travail de Sara Sadik, fait objection à la guerre de tous contre tous. Elle fait aussi objection à l’indignité dans laquelle l’appareil médiatique et politique entend réduire les habitants des quartiers populaires et à l’illégitimité qui frappe leurs imaginaires. Le spectateur sceptique ne manquera pas de demander : n’est-ce pas plaquer indûment un romantisme sur ces jeunes hommes dont « on connaît bien » les frasques et les turpitudes ? Une telle question en dira plus long sur celui qui la pose que sur les jeunes hommes non-blancs et la fantasmagorie sexuelle et agressive qu’on veut leur prêter—quand bien même le fantasme rejoindrait la réalité. 

    L’excitation du petit ou grand bourgeois à aller fouiller dans les sales histoires, les petites perversions ou les anecdotes morbides ou pornographiques de ses pauvres ne rappelle pas seulement les portraits classiques—et au fond, hyper-moralistes—d’une certaine tradition naturaliste française, dénoncée à l’époque par tous les théoriciens socialistes—lisez les pages acerbes de Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, sur les romans de Zola ; ce dévergondage par procuration nous rappelle aussi qu’on attend du monde de l’art—même chez les critiques ou les spectateurs prétendument « progressistes »—qu’il épouse l’époque dans ses abords les plus cyniques et qu’il abandonne définitivement tout attachement à la vérité et à la beauté qu’elle recèle.

    Alors que le pouvoir politique français légifère et communique sur le bobard raciste du « séparatisme », Sara Sadik nous rappelle combien la « communauté » n’est pas un choix ou une solution qui s’offrirait aux exclus du monde blanc, mais bel et bien une question. L’amour ne représente pas seulement une aspiration frustrée ; il est aussi un sentiment profond qui bouleverse ce qu’on attendait de soi-même et de la vie—tel le protagoniste de Khtobtogone qui réinterroge ses choix existentiels profonds. La force politique des créations de Sara Sadik est de montrer le travail complexe et toujours recommencé des cultures subalternes pour rapprocher et grandir des gens que tout un monde cherche à diviser, à écraser, à humilier. Les incrédules, ceux qui se croient « savants » et sages, n’y voient qu’une grande industrie peuplée de fausses chanteuses autotunées, de rappeurs semi-illettrés, d’ados perdus accros à leurs « écrans », de mecs lourdingues shootés aux jeux vidéo.

    Bien loin de ces lieux communs de l’opinion dominante—des plateaux télé zemmourisés aux salles des profs—, et en rupture avec le pillage commercial, l’art peut être aussi un véritable contemporain des subalternes et de leur propre « travail de culture ».

  • Fiche « L’enfer numérique », par @stephane
    https://www.bortzmeyer.org/enfer-numerique.html

    Et l’article du @mdiplo du mois où l’auteur présente le propos de son livre (paywall) : https://www.monde-diplomatique.fr/2021/10/PITRON/63595

    Nous sommes désormais noyés sous les publications qui parlent de l’empreinte environnementale du numérique et notamment de l’Internet. Mais ce nouveau livre est plus approfondi que beaucoup de ces publications et contient des récits intéressants.

    Au passage, je ne sais pas si quelqu’un a calculé l’empreinte environnementale des livres qui critiquent l’empreinte environnementale de l’Internet ☺. Plus sérieusement, une bonne partie de ces livres sont juste de l’anti-numérique primaire, par des auteurs nostalgiques d’un passé où seule une minorité d’experts pouvaient décider et s’exprimer, auteurs qui regrettent le bon vieux temps (ils critiquent le numérique mais jamais l’automobile). Ces défauts se retrouvent aussi dans le livre de Guillaume Pitron (par exemple quand il mentionne, même s’il n’insiste pas là-dessus, qu’il faudrait que des autorités décident des usages légitimes de l’Internet) mais heureusement cela ne fait pas la totalité du livre.

    Donc, de quoi parle ce livre ? De beaucoup de choses mais surtout des conséquences environnementales et (à la fin) géopolitiques de l’usage de l’Internet. L’auteur insiste sur la matérialité du monde numérique : loin des discours marketing lénifiants sur le « virtuel » ou sur le « cloud », le monde numérique s’appuie sur la matière, des métaux rares, des centrales électriques fonctionnant au charbon ou au nucléaire, des centres de données énormes. Ce discours n’est pas très original, cet argument de la matérialité a été souvent cité ces dernières années mais le poids du discours commercial est tel que beaucoup d’utilisateurs du numérique n’ont pas encore conscience de cette matérialité. Et elle a des conséquences concrètes, notamment en matière environnementale. Le numérique consomme de l’énergie, ce qui a des conséquences (par exemple en matière de relâchement de gaz à effet de serre, qui contribuent au réchauffement planétaire) et des matériaux dont l’extraction se fait dans des conditions souvent terribles et pas seulement pour l’environnement, mais surtout pour les humains impliqués.

    Quelle que soit la part réelle du numérique dans les atteintes à l’environnement (les chiffres qui circulent sont assez « doigt mouillé »), il n’y a pas de doute que, face à la gravité du changement climatique, tout le monde devra faire un effort, le numérique comme les autres. Des techniques frugales comme LEDBAT (RFC 6817) ou Gemini sont des briques utiles de cet effort (mais l’auteur ne les mentionne pas).

    C’est après que les choses se compliquent. Qui doit agir, où et comment ? Le livre contient beaucoup d’informations intéressantes et de reportages variés et met en avant certaines initiatives utiles. C’est par exemple le cas du Fairphone, un ordiphone conçu pour limiter l’empreinte environnementale et sociale. Beaucoup de critiques ont été émises contre ce projet, notant que les objectifs n’étaient pas forcément atteints, mais je les trouve injustes : une petite société locale n’a pas les mêmes armes qu’un GAFA pour changer le monde, et ses efforts doivent être salués, il vaut mieux ne faire qu’une partie du chemin plutôt que de rester assis à critiquer. C’est à juste titre que le projet Fairphone est souvent cité dans le livre. (Sur ce projet, je recommande aussi l’interview d’Agnès Crepet dans la série audio « L’octet vert ».)

    Ces reportages sont la partie la plus intéressante du livre et une bonne raison de recommander sa lecture. Il comprend également une partie géopolitique intéressante, détaillant notamment l’exploitation de plus en plus poussée de l’Arctique (à la fois rendue possible par le changement climatique, et l’aggravant) et les projets gigantesques et pas du tout bienveillants de la Chine. Même si beaucoup de projets (comme le câble Arctic Connect) se sont cassés la figure, bien d’autres projets leur succèdent.

    Par contre, le livre ne tient pas les promesses de son sous-titre « Voyage au bout d’un like ». S’il explique rapidement que le simple fait de cliquer sur un bouton « J’aime » va mettre en action de nombreuses machines, parcourir un certain nombre de kilomètres, et écrire dans plusieurs bases de données, il ne détaille pas ce parcours et ne donne pas de chiffres précis. Il est vrai que ceux-ci sont très difficiles à obtenir, à la fois pour des raisons techniques (la plupart des équipements réseau ont une consommation électrique constante et donc déterminer « la consommation d’un Like » n’a donc guère de sens) et politiques (l’information n’est pas toujours disponible et le greenwashing contribue à brouiller les pistes). L’auteur oublie de rappeler la grande faiblesse méthodologique de la plupart des études sur la question, et des erreurs d’ordre de grandeur comme l’affirmation p. 157 que les États-Unis produisent… 640 tonnes de charbon par an n’aident pas à prendre aux sérieux les chiffres.

    Mais le livre souffre surtout de deux problèmes : d’abord, il réduit l’utilisation de l’Internet au Like et aux vidéos de chat, souvent citées. D’accord, c’est amusant et, comme beaucoup d’utilisateurs, je plaisante moi-même souvent sur ce thème. Mais la réalité est différente : l’Internet sert à beaucoup d’activités, dont certaines sont cruciales, comme l’éducation, par exemple. L’auteur critique le surdimensionnement des infrastructures par les opérateurs, jugeant qu’il s’agit d’un gaspillage aux conséquences environnementales lourdes. Mais il oublie que ce surdimensionnement est au contraire indispensable à la robustesse de l’Internet, comme on l’a bien vu pendant le confinement, avec l’augmentation du trafic (voir le RFC 9075). Outre les pandémies, on pourrait également citer les attaques par déni de service (la cybersécurité est absente du livre), qui sont une excellente raison de surdimensionner les infrastructures.

    Et le deuxième problème ? Parce que l’auteur pourrait répondre qu’il est bien conscient de la coexistence d’usages « utiles » et « futiles » de l’Internet et qu’il suggère de limiter les seconds. C’est là qu’est le deuxième problème : qui va décider ? Personnellement, je pense que le sport-spectacle (par exemple les scandaleux jeux olympiques de Paris, monstruosité environnementale) est à bannir des réseaux (et du reste du monde, d’ailleurs). Mais je ne serais probablement pas élu avec un tel programme. Personne n’est d’accord sur ce qui est sérieux et ce qui est futile. Qui va décider ? Des phrases du livre comme le fait d’ajouter « sacro-sainte » devant chaque mention de la neutralité de l’Internet ont de quoi inquiéter. J’avais déjà relevé ce problème dans ma critique du dernier livre de Ruffin. Une décision démocratique sur les usages, pourquoi pas ; mais je vois un risque sérieux de prise de pouvoir par des sages auto-proclamés qui décideraient depuis leurs hauteurs de ce qui est bon pour le peuple ou pas.

    • Notons que l’article du Monde Diplo n’est qu’un parmi les nombreux articles de la campagne de promotion du bouquin. Aucun de ces articles n’émet la moindre critique ou la moindre nuance. Soit les médias servent la soupe à un collègue, soit c’est simplement une réaction anti-Internet classique dans les médias (ils n’ont jamais digéré de devoir partager leur pouvoir de communication).

  • TikTok dépasse YouTube en termes de temps passé par utilisateur - Les Numériques
    https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/tiktok-depasse-youtube-en-termes-de-temps-passe-par-utilisateur-n1680

    TikTok continue son ascension fulgurante. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le service chinois a surpassé YouTube quant au temps passé par utilisateur. Les deux plateformes sont aussi rivale sur la question de l’argent dépensé par les internautes.

    #reseau-social #tiktok

    • En pleine promotion pour la sortie de son nouveau film France, le metteur en scène plusieurs fois récompensé à Cannes a exprimé son profond mépris pour le groupe télévisuel public au micro d’Europe 1.

      « Ils sont aseptisés, bien-pensants, bienséants. Je ne supporte pas cette espèce de ton, cette espèce de représentation des choses très puritaine, très morale. » Bruno Dumont n’a pas mâché ces mots au sujet de #France_Télévisions dans l’émission de radio, « Culture médias ».

    • Bruno Dumont, réalisateur de « France » : « J’ai appuyé fort pour y voir plus clair »

      Le cinéaste, dont le film cruel contre l’information-spectacle et le journalisme était en compétition au Festival de Cannes, réagit aux critiques parfois sévères qu’il a suscitées.

      France est le onzième long-métrage de Bruno Dumont. Présentée en compétition en juillet au Festival de Cannes, cette charge cruelle, contre l’information-spectacle et le journalisme, a divisé la critique. Le cinéaste dit qu’il comprend que son film, qui mélange mélo et tragique, romanesque et comédie, l’amour et la mort, ait pu désarçonner.

      Vous clouez au pilori dans ce film l’obscénité d’une époque dominée et abêtie par le système de l’information-spectacle et la culture du clash. Concevez-vous votre film comme une satire ?

      France est une franche satire de l’information-spectacle où, sous ce ridicule, bien appuyé en surface, perce une quête tragique et romantique de nous-mêmes dans ce monde numérique hypertrophié dans lequel beaucoup perdent naturellement les pédales. Le film y mélange tout à tour de bras le mélo, le tragique, le romanesque, la comédie, le sentimentalisme outré, le film français, le grotesque, la mort, l’amour, pour représenter ce que nous sommes devenus : des déséquilibrés ! J’ai appuyé fort, pour y voir plus clair !

      C’est donc un film enlevé qui – à ce régime artistique forcené – fait autant froid dans le dos que rire à s’en tenir les côtes et pleurer. Notre époque est abêtie par le filtre d’écrans où sévit une nouvelle pensée quasi démente, par sa simplification, sa disproportion et sa moralisation de tout. Les héros de France sont comme ça, aplatis !

      Le genre du film n’est pourtant pas si facile à définir…

      Il relève à la fois du mélodrame, genre « roman-photo » à l’eau de rose, et de la tragédie grecque. France se débat dans un monde aliéné dont elle est la vedette et, pourtant, regimbe comme une vraie héroïne de cinéma, mais cette fois-ci très humaine, petite, pleine de ses vicissitudes, de sa grâce et de ses turpitudes.

      Et comme c’est bête, France, ça tourne en rond et c’est pareil à une danse, un boléro : ça tourne, ça se développe, mais ça se répète, ça ressasse, ça énerve ! Ravel disait lui-même du thème de son Boléro : « Je sais bien que c’est nul, mais il fallait le trouver quand même ! » Ici, c’est à peu près pareil. C’est nul, mais à répéter avec insistance, ça commence à prendre tournure, non ?

      Les premières réactions de la presse au festival de Cannes ont témoigné d’un rejet du film. Un de vos précédents films, « Ma Loute », qui fut plus apprécié, ne parlait pourtant pas d’autre chose : l’aveuglement des élites devant l’injustice et la souffrance dont elles sont la cause. Comment expliquez-vous cette différence d’accueil ?

      Ma Loute se passait loin, au début du XXe siècle, dans la villégiature bourgeoise de l’élite industrielle provinciale. C’était poétique. C’était tranquille. On allait facilement dans le métaphorique. C’était bête aussi, mais on était tenu à distance. Avec France, on est tout près, on a le nez dans le contemporain.

      Dans du stuc pourtant, mais dans du naturel aussi, alors on ne sait plus très bien où on est, on s’y croirait même parfois, alors difficile de faire le malin. Parce que la presse, cette fois-ci, c’est elle qui a les honneurs de la satire ! Alors, oui, le film aurait été hué à la projection de presse. Il faut dire que beaucoup de journalistes en prennent pour leur grade. C’est parfois à la louche ! Mais la satire réclame son dû.

      Le film montre d’entrée la manière dont la presse peut arranger le réel comme bon lui semble. La fiction rôde dans l’information-spectacle, parce que les images et les sons font naturellement d’abord ce qu’ils savent faire : du cinéma – de la fiction – et c’est déjà le monde à l’envers. D’où la haine résiduelle des gens, leur haine du journaliste pour la fiction qu’il renvoie du réel ! Une journaliste d’une TV allemande, lors des inondations de juillet, ne s’est-elle pas mis de la boue sur elle pour faire genre, comme si elle avait aidé les sinistrés, et nous raconter des salades et tout bidonner ? Du France toute crue, non ?

      Le journalisme ne se résume pourtant pas à ces travers…

      C’est pourquoi il ne se borne pas à la seule satire d’une profession de spectacle en perdition, et creuse dans l’âme humaine. Ces héros de l’information sont, au fond, tragiques. Nombre d’entre eux lâchent prise et s’anéantissent. D’autres pas.

      A bien y regarder, le film ne désespère pas d’une profession décriée, fort diverse au demeurant, bien capable de se relever de ses travers et dont France va être paradoxalement l’héroïne. Alors, dans son bouillon, la satire se poétise, elle s’évapore, elle se romance ! J’ai toujours cherché à glorifier humainement mes héros. Si petits soient-ils, je filme leurs sursauts, toujours !

      Pourquoi ce nom, « France » ? N’avez-vous pas eu peur de charger un peu la barque ?

      La Vie de Jésus, déjà, ne fut-elle pas, à cette bascule, la vie d’un homme bien ordinaire ? France, c’est aussi la France, mais dans le rayonnement ! Quand on entend dire à la journaliste en visite « Madame France, on est tellement content de vous voir, chez nous » : ça fait quelque chose, non ? Au fond, selon moi, ce n’est même plus une femme, France. Ni même une journaliste. C’est un ectoplasme cinématographique qui sonde le temps présent où nous sommes.

      Léa Seydoux n’a jamais été aussi magnifiquement filmée. Vous la transformez, entre le kitsch et la rédemption, en une icône de notre temps. Quels ont été vos partis pris formels pour y parvenir ?

      C’est le tour de force que le film devait réussir à représenter sous un régime si théâtral : la transformation continuelle d’une anti-héroïne en héroïne. Si Léa Seydoux est pitoyable et bouleversante, c’est réussi ! Tout l’enjeu du film était là. Cette ligature si humaine et dont Hugo avait fait de Jean Valjean Monsieur Madeleine.

      France, c’est un boléro, et c’est Madeleine. Il fallait que Léa Seydoux soit éblouissante pour sortir France de là où elle était et, surtout, pour en être, de ce barnum de l’information-fiction. Et c’est toute notre vie qui est dans ce dilemme : d’être ou pas, et toujours de tout ! Le cinéma, à transfigurer, nous aide tant à voir clair dans ce magma.

      Comment avez-vous obtenu, sur la foi d’un tel scénario, l’ouverture des portes de l’Elysée et de CNews ?

      On a demandé. Ils ont accepté. Plus facile de tourner à l’Elysée que près de chez moi dans les dunes de la Slack. J’imagine qu’ils doivent avoir le sens de l’humour, à l’Elysée. C’est tellement un signe d’intelligence l’humour, l’ironie surtout. A l’Elysée je me suis senti direct chez moi. On a fait nos plans prévus sans encombre. CNews pareil. On fait du cinéma, vous savez, que du faux, on est des rigolos.

      Ne craignez-vous pas que la violence de votre peinture des élites corrobore un populisme d’autant plus simplificateur et irrationnel qu’il est instrumentalisé par des mouvements totalitaires ?

      Ces mouvements totalitaires n’attendent pas après moi pour avoir de l’eau à leur moulin ; ils viennent mécaniquement des peintures insipides et autres croûtes qu’on a faites des gens eux-mêmes, au cinéma et à la télévision, avec la presse qui va avec, depuis des décennies, et qui, à force, en aura bien décérébré des millions. Les « gilets jaunes » étaient rendus à moitié déments à force de visionner des images dégénérées.

      C’est l’asepsie générale de cette pensée numérique que diffuse l’information-spectacle des élites qui engendre et pond la pensée rance des vindicatifs. C’était au cinéma digne de ce nom d’instrumentaliser la pensée totalitaire pour la garder dans son théâtre et l’y transfigurer à l’éther de sa fiction. Sinon, tout file dans la rue. A tout divertir, tout le temps, on aura rendu les gens moins humains. Voilà tout.

      https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/08/25/bruno-dumont-j-ai-appuye-fort-pour-y-voir-plus-clair_6092272_3246.html

      #blabla

  • Pierre Bourdieu, nous sommes déterminés, mais sommes-nous libres ?
    https://www.franceinter.fr/emissions/intelligence-service/intelligence-service-19-decembre-2020

    Excellent et stimulant portrait par Jean Lebrun avec des archives et Philippe Raynaud. Ça parle un peu #intersectionnalité à la fin avec Gisèle Sapiro. Et se détermine par cette phrase de Lebrun : « Et si comme disait Bourdieu la sociologie pouvait aider à organiser le retour du refoulé ? »

  • Manifestation anti-passe sanitaire : Le cabinet occurrence admet son impuissance !
    https://blogs.mediapart.fr/sidoinec/blog/200821/manifestation-anti-passe-sanitaire-le-cabinet-occurrence-admet-son-i

    David Dufresne, qui se souvient de ses années 1990 à Libération : "Il y avait des journalistes qui savaient compter les manifestants, et qui les comptaient ! C’est une culture journalistique qui s’est perdue, j’ai l’impression. Maintenant, les journalistes attendent le chiffre officiel et celui des organisateurs, ce que je trouve un peu exaspérant. Vu le mouvement qui se crée, ne pas faire cet effort de compter, c’est participer à cette espèce de « voix officielle » et n’est bon pour personne." Alors, il propose que les médias recommencent à compter eux-mêmes les manifestants dans toute la France, quitte à mutualiser leurs moyens sur place, et à recouper les décomptes locaux au niveau national – un peu à la manière du Nombre Jaune, finalement.

    Mais les médias ne s’étaient-ils pas réunis en 2017 afin de connaître précisément et de manière indépendante l’affluence aux manifestations parisiennes ? Cet été, les 70 médias partenaires (tels que Mediapart ou Le Parisien) finançant ces décomptes ont bien sollicité le cabinet Occurrence, qui se charge de l’installation d’un système de captation et de mesure en un point du cortège. Mais Occurrence a tenu compte des échecs répétés qui s’étaient produits lors des manifestations parisiennes des Gilets jaunes, les cortèges s’étant scindés à plusieurs reprises ou n’étant que partiellement passés devant l’emplacement de mesure, faussant ses décomptes. "Quand c’est un rassemblement statique, on n’a pas suffisamment testé la technologie pour être sereins à 100 %. Et quand il y a plusieurs cortèges, le comptage devient trop difficile car on pourra compter un maximum de deux cortèges", détaille auprès d’ASI celui qui supervise les comptages d’Occurrence, Jocelyn Munoz.

    Car le cabinet n’est pour l’instant pas en mesure de s’implanter dans autant d’endroits qu’il y a de cortèges, faute de moyens et de salariés en plein été. "Médiatiquement, ça donne un chiffre partiel, trop compliqué à annoncer, expose Munoz. On a un petit peu laissé tomber, on se rend bien compte que les technologies développées l’ont été pour compter une manifestation syndicale bien structurée qui va d’un point A à un point B. Mais c’est très frustrant pour nous de ne pas pouvoir compter quand on voit les débats sur Twitter !" Munoz envisage désormais des décomptes dans d’autres villes que Paris, dont les manifestations ne comptent qu’un cortège au trajet bien défini : "Peut-être qu’on essaiera à la rentrée." Quoi qu’il en soit, les médias feraient bien de ne pas tabler sur la seule Occurrence pour éviter de n’être que des relais de la communication gouvernementale.

    Extrait : MANIFESTANTS : LES MÉDIAS SE CONTENTENT DU DÉCOMPTE OFFICIEL, ASI, Loris Guémart @lorisguemart, 09 août 2021

  • Google, entreprise malfaisante | Étienne Gernelle
    https://www.lepoint.fr/editos-du-point/etienne-gernelle/gernelle-google-entreprise-malfaisante-21-07-2021-2436385_782.php

    Ce journal, chers lecteurs, n’est pas, vous le savez, un bureau de propagande anticapitaliste ou altermondialiste. Mais quand notre business est à son tour victime d’une entreprise, nous sortons le couteau, et le mettons entre les dents. Source : L’édito à deux balles

    • Haha j’adore.

      Ce journal, chers lecteurs, n’est pas, vous le savez, un bureau de propagande anticapitaliste ou altermondialiste. On y préfère souvent Tocqueville à Marx, et Aron à Sartre. Précisément. Parmi les grands penseurs libéraux se trouve le génial Frédéric Bastiat. Celui-ci a écrit un petit opus intitulé Physiologie de la spoliation. Il en recense quatre formes principales : la guerre, l’esclavage, la théocratie et… le monopole.

      Lors de notre rendez-vous avec Google, en septembre dernier, nous nous sommes permis, pour voir, d’en citer quelques passages, que vous connaissez peut-être, car nous nous y référons régulièrement. Celui-ci, notamment : le monopole, selon Bastiat, consiste à « faire intervenir la force dans le débat, et par suite, d’altérer la juste proportion entre le service reçu et le service rendu ». Et Bastiat d’ajouter - et nous avec - que « le monopole aussi fait passer la richesse d’une poche à l’autre ; mais il s’en perd beaucoup dans le trajet ». Cela s’appelle une rente.

      Sourires jaunes chez nos « négociateurs » de Google, qui ne sont pas là pour philosopher sur le juste échange ou le libéralisme selon David Ricardo, celui de la valeur-travail, mais pour exécuter un plan de marche établi en Californie.

      #droits_voisins #monopole #presse

  • Géographie de la fracture vaccinale : pourquoi la défiance prospère dans le sud
    https://www.lefigaro.fr/politique/geographie-de-la-fracture-vaccinale-pourquoi-la-defiance-prospere-dans-le-s

    Sur la base des données de l’Assurance Maladie, le géographe de la santé de l’université de Montpellier, Emmanuel Vigneron, a dressé à une très fine échelle une carte inédite de la couverture vaccinale. Le chercheur a calculé pour chaque territoire un « indice comparatif de vaccination » qui neutralise statistiquement l’effet de l’âge des populations locales pour faire ressortir d’autres paramètres influant sur le taux de vaccination. En Ile-de-France ou dans l’agglomération lyonnaise par exemple, la carte fait ainsi apparaître les clivages sociologiques avec un taux de vaccination nettement moins élevé dans les banlieues populaires que dans les arrondissements bourgeois.

  • Filmer sa démission sur TikTok, une tendance devenue virale aux États-Unis - Edition du soir Ouest-France - 19/08/2021
    https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-08-19/filmer-sa-demission-sur-tiktok-une-tendance-devenue-virale-aux-etats-un

    En avril, 4 millions de personnes ont volontairement quitté leur emploi aux États-Unis. Soit 2,7 % des actifs américains, selon le Bureau of Labor Statistics, du Département du travail. Ce taux de démission serait le plus important depuis la création de ce bureau des statistiques sur le monde du travail en 1884, rapporte un article de l’Agence France-Presse publié par la RTBF.

    • Une vague de « grande démission » touche les salariés américains selon une étude
      https://www.rtbf.be/tendance/detail_une-vague-de-grande-demission-touche-les-salaries-americains-selon-une-e

      La "grande démission" touche les Etats-Unis, selon une étude de l’entreprise Gallup. Un taux de démissions élevé à cause d’un engagement plus faible des salariés au sein de leurs entreprises depuis la pandémie de Covid-19.
      Tristes et stressés par la pandémie, les employés craquent

      La pandémie marque de son empreinte le monde du travail et les employés du monde entier se désengagent de leurs tâches. D’après une étude de Gallup, société de services en gestion de management et de ressources humaines, le taux d’engagement des travailleurs dans le monde atteint 20%.

      "L’engagement des employés a diminué de 2 points de pourcentage entre 2019 et 2020. Ils ont déclaré être plus inquiets, stressés, en colère et tristes en 2020 qu’ils ne l’avaient été l’année précédente", note l’étude.

      Ce niveau de désengagement entraîne une forte hausse de démissions aux Etats-Unis en 2021. Moins concernés, intégrés à des équipes "peu engageantes", les salariés américains à avoir démissionné étaient 4 millions en avril 2021 selon le Bureau of Labor Statistics (2,7%).

      C’est le taux le plus élevé depuis le début du Bureau of Labor Statistics, selon plusieurs médias américains spécialisés dans le travail. A tel point que “beaucoup l’appellent ’la grande démission’”, écrit Gallup.
      Lieu de travail, lieu de tous les maux ?

      En 2020, le Covid-19 a attaqué la santé mentale des employés. Le télétravail augmente le temps passé au travail (49%), demande une nouvelle organisation et réduit la séparation entre vie professionnelle et personnelle.

      La hausse des démissions dans les différents secteurs n’est pas "une question de rôle ou de salaire. C’est un problème lié au lieu de travail", expliquent les experts.

      Ainsi les termes de travail hybride, de flexibilité gèlent les modes de fonctionnement du travail de demain.

      Si les projections de retour au bureau pouvaient enthousiasmer certains, le variant Delta compromet le retour des employés dans les locaux. Apple exige le télétravail auprès de ses employés jusqu’en octobre tandis qu’Amazon a annoncé le retour début 2022.
      Le managers face à leurs responsabilités

      Ces modes de fonctionnement impliquent d’adapter le management de façon pérenne. Un management de supervision et empathique afin que les salariés soient plus autonomes, qu’ils aient les moyens d’être confortablement installés. Il faut également individualiser les gestions de performances…

      Autant d’enjeux qui posent finalement la question du vrai défi de la crise sanitaire : le management n’est-il pas l’unité de moyen, le vrai levier de l’entreprise, du travail hybride ?

  • Des milliers de feuillets inédits : les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline
    http://www.davduf.net/des-milliers-de-feuillets-inedits-les-tresors

    Trésor ! Jean-Pierre Thibaud ; ex critique théâtre de Libé : « Il y a de nombreuses années, un lecteur de Libération m’a appelé en me disant qu’il souhaitait me remettre des documents. Le jour du rendez-vous, il est arrivé avec d’énormes sacs contenant des feuillets manuscrits. Ils étaient de la main de Louis-Ferdinand Céline. Il me les a remis en ne posant qu’une seule condition : ne pas les rendre publics avant la mort de Lucette Destouches, car, étant de gauche, il ne voulait pas “enrichir” la veuve de (...) #blogger|fcuker

    / #Livres

    • Des milliers de feuillets inédits : les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline
      https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/08/04/les-tresors-retrouves-de-louis-ferdinand-celine_6090546_3260.html

      Il l’a hurlé si fort et si souvent que même ses plus fervents admirateurs avaient fini par en douter. Et pourtant, jusqu’à son dernier souffle, Louis-Ferdinand Céline, mort en 1961, n’a cessé de le répéter : en 1944, alors qu’il venait de s’enfuir en catastrophe vers l’Allemagne nazie avec les ultras de la Collaboration, des pillards ont forcé la porte de son appartement de Montmartre et lui ont volé de volumineux manuscrits, pour une large part inédits. Parmi eux, a-t-il toujours proclamé, celui de Casse-pipe, le roman qui devait former un triptyque avec ses deux chefs-d’œuvre Voyage au bout de la nuit (1932) et Mort à crédit (1936). Seules quelques pages de ce roman étaient parvenues jusqu’à nous.

      Oui, Céline l’a hurlé sur tous les tons. Dans D’un château l’autre, en 1957 : « Ils m’ont rien laissé… pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit… » Dans une lettre à son ami Pierre Monnier, en 1950 : « Il faut le dire partout si Casse-pipe est incomplet c’est que les Epurateurs ont balancé toute la suite et fin, 600 pages de manuscrit dans les poubelles de l’avenue Junot. » Et d’ajouter que ces « pillards » avaient également dérobé un épais manuscrit intitulé La Volonté du roi Krogold, quasiment inédit lui aussi. Quelques jours avant sa mort, le romancier écrivait encore dans Rigodon : « On m’a assez pris, on m’a assez dévalisé, emporté tout ! Hé, je voudrais qu’on me rende ! »

      https://actualitte.com/article/101770/archives/les-feuillets-perdus-de-louis-ferdinand-celine-enfin-retrouves

      #Céline

    • ah oui, j’ai trouvé cet article de Le Monde sur internet, il est chouette, il restitue bien l’époque en plein dans ta gueule

      « Et, pour qu’un résistant soit emprisonné en 1944, il fallait vraiment qu’il ait fait des choses graves » , observe Emile Brami [biographe de L-F. C.]

      [...]

      « Cela paraît fou, mais Céline, auteur de pamphlets antisémites, avait choisi Rosembly pour tenir sa comptabilité, justement parce qu’il pensait qu’il était juif ! » , commente Emile Brami.

      [...] S’il n’a pas collaboré au sens « technique » du terme – trop maladivement indépendant pour cela –, il passe pour être l’un des plus célèbres amis français des nazis. [et là, c’est pas du Brami]

      Edit

      Pendant l’Occupation, [la prison de Fresnes] prend une dimension nouvelle, hautement symbolique, avec la présence dans ses murs de grandes figures de la Résistance : le lieutenant de vaisseau d’Estienne d’Orves, le général Delestraint, Edmond Michelet, Pierre Brossolette, Missak Manouchian, Geneviève Anthonioz-de Gaulle… et bien d’autres encore, connus ou inconnus, communistes ou gaullistes... Pour tous ces détenus, Fresnes n’est qu’une étape, ils doivent y séjourner quelques mois seulement, le temps de l’instruction de leur affaire, puis la plupart partiront en Allemagne (Buchenwald, Ravensbrück…) ou seront conduits devant un peloton d’exécution au Mont-Valérien.

      http://museedelaresistanceenligne.org/media5275-Plaque-apposA

      https://justpaste.it/37tvr

    • Dingue.

      Soixante ans après sa mort, du fond de sa tombe du cimetière des Longs-Réages, à Meudon (Hauts-de-Seine), Louis-Ferdinand Céline doit savourer cet incroyable coup du destin. Et se remémorer sa supplique prophétique : « Hé, je voudrais qu’on me rende ! » C’est désormais chose faite.

      c’est @chirine qui doit être contente

  • Agamben WTF, or How Philosophy Failed the Pandemic, Benjamin Bratton, Verso
    https://www.versobooks.com/blogs/5125-agamben-wtf-or-how-philosophy-failed-the-pandemic

    Benjamin Bratton on why philosophy failed us in facing up to the pandemic, and why we need to rethink biopolitics as a matter of life and death.

    As yet another wave of infection blooms and the bitter assignment of vaccine passes becomes a reality, societies are being held hostage by a sadly familiar coalition of the uninformed, the misinformed, the misguided, and the misanthropic. They are making vaccine passports, which no one wants, a likely necessity. Without their noise and narcissism, vaccination rates would be high enough that the passes would not be needed. 

    But it is not simply the “rabble” who make this sad mess, but also some voices from the upper echelons of the academy. During the pandemic, when society desperately needed to make sense of the big picture, Philosophy failed the moment, sometimes through ignorance or incoherence, sometimes outright intellectual fraud. The lesson of Italian philosopher, Giorgio Agamben, in part tells us why.

    Famous for critiques of “biopolitics” that have helped to shape the Humanities’ perspectives on biology, society, science and politics, Agamben spent the pandemic publishing over a dozen editorials denouncing the situation in ways that closely parallel right-wing (and left-wing) conspiracy theories. 

    Over the past two decades, the soft power influence of his key concepts in the Humanities - homo sacer, zoē /bios, the state of exception, etc. - has been considerable. This has also helped to cement in a stale orthodoxy suspicious of any artificial governing intervention in the biological condition of human society as implicitly totalitarian. In the name of being “critical”, the default approach to any biotechnology is often to cast it as a coercive manipulation of the sovereignty of the body and lived experience. 

    If one were to imagine Alex Jones not as a Texas good ol’ boy, but rather as a Heideggerian seminary student, this would give a sense of how Agamben himself approached the requests for public comment on the COVID-19 pandemic. Beginning in February 2020, with “The Invention of an Epidemic”, he called the virus a hoax and the belated lockdowns in Italy a “techno-medical despotism”. In “Requiem for the Students”, he denounced Zoom seminars as acquiescence to a Silicon Valley concentration camp condition (his words). In “The face and death”, he derided the use of masks as sacrificing the ritual humanity of the naked face.

    Each short essay was more absurd and strident than the last. Upon publication of the earliest of these, Agamben’s friend, the French philosopher Jean-Luc Nancy, warned us to ignore him, and that if he himself had followed Agamben’s medical advice discouraging a heart transplant that saved his life, that he would be dead. 

    Earlier this month, Agamben went all in, directly and explicitly comparing vaccine passes to Nazi ‘Juden’ stars. In a short piece called, “Second class citizens”, he connects the fates of those who refuse vaccination to that of Jews under fascism and concludes that “The ‘green card’ (Italy’s vaccine pass) constitutes those who do not have it in bearers of a virtual yellow star.” After picking up my jaw, I cannot help but compare Agamben’s analysis to that of QAnon-influenced United States congressperson, Marjorie Taylor Greene, who beat him to the punch when she tweeted back in May that “Vaccinated employees get a vaccination logo just like the Nazi’s forced Jewish people to wear a gold star.” 

    In this ongoing performance, Agamben explicitly rejects all pandemic-mitigation measures on behalf of an ‘embrace tradition, refuse modernity’ conviction which denies the relevance of a biology that is real regardless of the words used to name it. Something seems to have recently cracked open for him, and yet at the same time, re-reading his foundational texts in the light of the pandemic pieces is illuminating. His position has not suddenly changed. It was there all along.

    Romanticism has been a permanent passenger on the flights of Western Modernity, and its mourning for ‘lost objects’ always just-out-of-reach vacillates between melancholia and revolt. Romanticism’s aesthetic disgust with rationality and technology finally has less to do with their effects than with what they reveal about how differently the world really works from how it appears to myth. Its true enemy is less alienation than demystification, and so it will always accept collaboration with Traditionalists. 

    It is not surprising then that Agamben earned the thanks of both Lega Nord and the anti-masker/vaccine movements. His conclusions are also similar to those of the Brazilian populist president Jair Bolsonaro, who sees the virus as an over-blown plot by techno-medical globalists to undermine traditional authority and natural bodily and communitarian coherency. What is the lost object? Agamben’s contributions are, at their core, an elaborate defense of a pre-Darwinian concept of the human and the mystical attachments it provided. Ultimately, he is not defending life, he is refusing it. 

    As of today, Agamben’s biggest online supporters are not his many long time readers but rather a squad of new fans, primarily a Based coalition of wounded contrarian man-childs. From vitalist Reactionaries quoting Julius Evola and Alexander Dugin to the anti-vaxxer roommate who puts energy drinks in his bong, these and other lonely anti-heroes are doomed by their burden to see clearly through the hypocrisies of our Matrix reality. For them, Agamben’s principled stand unites them with the legacy of Romanticist glorious and occult refusals. At work is perhaps less a horseshoe theory of Red-Brown alliance, than the tender bond between outcasts and idiots. 

    In my book, The Revenge of The Real: Politics for a Post-Pandemic World, I consider the origins and doomed future of Agamben’s brand of negative biopolitics. “While Agamben’s own worldview is classically Europeanist, dripping with lurid Heideggerian theology, his influence on the Humanities is much wider and deeper” and so the reckoning due goes well beyond revised syllabi. “The question is how much of the philosophical traditions to which Agamben has been attached over the last decades will also need to be shelved. What then to do with the artifacts of Agamben’s life work? It is a traditionalist, culturalist, locally embedded doctrinal edifice, protecting the ritual meaningfulness of things against the explicit nudity of their reality: like the defiant monologues of a Southern preacher, his sad, solemn theory is undeniably beautiful as a gothic political literature, and should probably be read only as such”

    Even so, the reckoning with legacies of his and other related projects is long overdue. His mode of biopolitical critique blithely ventures that science, data, observation and modeling are intrinsically and ultimately forms of domination and games of power relations. Numbers are unjust, words are beautiful. To accept that real, underlying processes of biochemistry are accessible, and generative of both reason and intervention, is presumed naive. It’s a disposition also found in different tones and hues in the work of Hannah Arendt, Michel Foucault, and especially Ivan Illich, who died from a facial tumor he refused to treat as doctors recommended. Even here at University of California, San Diego, a hub of interdisciplinary biotechnology research, many colleagues insist that the “digitalization of Nature” is “an impossible fantasy”, even as they accept an mRNA vaccine based on a prototype bioprinted from a computational model of the virus’ genome uploaded from China before the actual virus even made it to North America. 

    As I have suggested elsewhere, this orientation is exemplary of the drawn-out influence of Boomer Theory. The baby boomers have tyrannised the Left’s imagination - bequeathing tremendous capacities to deconstruct and critique authority but feeble capacities to construct and compose. Perhaps the ‘68 generation’s last revenge upon those who inherit their messes, is the intellectual axiom that structure is always more suspicious than its dismantling and composition more problematic than resistance, not just as political strategies but as metaphysical norms. Their project was and remains the horizontal multiplication of conditional viewpoints as both means and ends, via the imaginary dismantling of public reason, decision and structuration. This is how they can at once fetishize “the Political” while refusing “governmentality.” 

    I grew up in this tradition, but the world works very differently than the one imagined by soixante-huitards and their secretaries. I hope that philosophy will not continue to fail those who must create, compose and give enforceable structure to another world than this one.

    Agamben’s pandemic outbursts are extreme but also exemplary of this wider failure. Philosophy and the Humanities failed the pandemic because they are bound too tightly to an untenable set of formulas, reflexively suspicious of purposeful quantification, and unable to account for the epidemiological reality of mutual contagion or to articulate an ethics of an immunological commons. Why? Partially because the available language of ethics is monopolized by emphasis on subjective moral intentionality and a self-regarding protagonism for which “I” am the piloting moral agent of outcomes.

    The pandemic forced another kind of ethics. The Idealist distinction between zoē and bios as modes of “life” around which Agamben builds his biopolitical critique is a conceit that snaps like a twig in the face of the epidemiological view of society. Why did we wear masks? Because of a sense that our inner thoughts would manifest externally and protect us? Or was it because we recognize ourselves as biological organisms among others capable of harming and being harmed as such?

    The difference is profound. As we pass by a stranger, how do the ethics shift from subjective intention of harm or endearment to the objective biological circumstance of contagion? What is then the ethics of being an object? We will find out. But when presented with the need for intensive sensing and modeling in the service of highly granular provision of social services to those in need, many public intellectuals choked, only able to offer hollow truisms about “surveillance”. 

    At stake is not just some obscure academic quarrel, but rather our ability to articulate what it means to be human, that is to be all together homo sapiens, in connection with all the fraught histories of that question. I argue that we need instead a positive biopolitics based on a new rationality of inclusion, care, transformation and prevention, and we need a philosophy and a humanities to help articulate it. 

    Fortunately, in many ways we already do. A short and very incomplete list of such might include Sylvia Wynter’s mapping of “who counts” as Human in Colonial Modernity in ways that open the category to reclamation: “We” have been defined by exclusion. It includes those studying the microbiome including the role of microbial life inside of human bodies to keep us alive: The human is already inclusive of the non-human. It includes those studying Anthropogeny and common evolutionary origins of the human species and planetary future: The human is continuous, migratory and changing. It includes those studying experimental Astronautics and the limit conditions of survival in a fragile artificial environment: At thresholds of survivability the human is like a fish discovering water. It includes those studying CRISPR and other re-weaving technologies for genetic therapy: The human can recompose itself at the deepest levels. 

    The affirmation or negation of what the human is also plays out through what humans can be. This animates the cultural controversies over gender reassignment therapies and techniques. The human is also a contingent, complex and pluralistic assemblage available to self-fashioning so that one may finally feel at home in their own skin. But the general availability of synthetic androgens, estrogens and progesterone draws on Modern laboratory biotechnology that Agamben’s biopolitics sees as invasive and unnatural.

    If Philosophy and the Humanities are to claim due legitimacy for present and future challenges, the collective conception of another positive biopolitics –based in the reality of our shared technical and biological circumstances–is absolutely essential. 

    Toward that, I conclude with another passage from The Revenge of The Real: “A laissez-faire vitalism for which “life will find a way” is not an option; it is a fairy tale of a comfortable class who don’t live with the daily agency of sewage landscapes and exposed corpses…” Instead, “(This positive) biopolitics is inclusive, materialist, restorative, rationalist, based on a demystified image of the human species, anticipating a future different from the one prescribed by many cultural traditions. It accepts the evolutionary entanglement of mammals and viruses. It accepts death as part of life. It therefore accepts the responsibilities of medical knowledge to prevent and mitigate unjust deaths and misery as something quite different from the nativist immunization of one population of people from another. This includes not just rights to individual privacy but also social obligations to participate in an active, planetary biological commons. It is, adamantly, a biopolitics in a positive and projective sense.”

    The pandemic is, potentially, a wake-up call that the new normal cannot be just the new old normal. This means a shift in how human societies —which are always planetary in reach and influence— make sense of themselves, model themselves and compose themselves. This is a project that is as philosophical as it is political. Failure is not an option.

    #Benjamin_Bratton #Agamben #Heidegger #philosophie #biopolitique #vitalisme #soin #pandémie #masques #covid-19

  • Apophenia - by Edward Snowden — How the Internet Transforms the Individual into a Conspiracy of One
    https://edwardsnowden.substack.com/p/conspiracy-pt2

    The easier it becomes to produce information, the harder that information becomes to consume — and the harder we have to work to separate the spurious from the significant.

    Humans are meaning-making machines, seeking order in the chaos. Our pattern recognition capabilities are a key determinant in defining intelligence. But we now live in a dystopian digital landscape purpose-built to undermine these capabilities, training us to mistake planned patterns for convenient and even meaningful coincidences.

    You know the drill: email a colleague about the shit weather and start getting banner ads for cheap flights to Corsica (I hear it’s nice?); google “ordination license” or “city hall hours” and watch your inbox fill with rebates for rings and cribs. For those of us who grew up during the rise of surveillance capitalism, our online experience has been defined by the effort of separating coincidence from cause-and-effect. Today we understand, if not accept, that hyper-consumption of information online comes at the cost of being hyper-consumed, bled by tech companies for the that data our readings secrete: You click, and the Big Five scrape a sample of your “preferences”—to exploit.

    The real cost to this recursive construction of reality from the ephemera of our preferences is that it tailors a separate world for each individual.

    And when you do live at the center of a private world, reverse-engineered from your own search history, you begin to notice patterns that others can’t. Believe me when I say I know what it feels like to be told that you’re the only one who sees the connection—a pattern of injustice, say—and that you’re downright crazy for noticing anything at all. To manufacture meaning from mere coincidence is the essence of paranoia, the gateway to world-building your own private conspiracies—or else to an epiphany that allows you to see the world as it actually is.

    I want to talk about that epiphany, about taking back control of our atomized, pre-conspiracy world.

    #conspirationnisme cf. les écrits d’Hakim Bey aussi sur le sujet. De la Toile au faisceau… #néolibéralisme aussi

    • Pourquoi les parquets financiers étrangers ne semblent pas se soucier des sommes folles siphonnées des comptes publics haïtiens et qui ne peuvent que transiter ou sinon atterrir dans leurs systèmes bancaires ?

      Pourquoi le pays a attendu juillet pour enfin recevoir ses premières doses de vaccin anti-Covid ?

      Pourquoi le président s’est-il fait tuer dans sa chambre, dans la résidence sans doute la mieux protégée du pays sans que personne d’autre que son épouse ne soit blessée ?

      Oui “Haïti, c’est compliqué” et il faut continuer à poser sans relâche ces questions. Aux chefs haïtiens, à tous les échelons. Aux chefs blan (en créole tout non-Haitien est un blan, sans “c” quelle que soit sa couleur de peau).

      Il faut aussi poser ces questions à certains diplomates de carrière autoproclamés experts es Haiti qui cumulent les “missions”, et gloussent parfois devant le surréalisme atteint par la crise, en oubliant que la dangerosité des rues de Port-au-Prince, qu’ils évitent en circulant dans leurs voitures blindées, leur fait bénéficier -cerise sur leurs déjà copieux salaires- de primes de risque supérieures au montant que gagne un policier, quand celui-ci parvient à toucher sa paie.

      Il nous faut demander pourquoi car la jeunesse haïtienne qui ne demande qu’à vivre décemment dans son pays le mérite. “Le peuple souffre mais on vit. On exulte, on tombe, on se redresse, on continue, on crève de faim mais ça bouge et ça bouge tout le temps”. Extrait d’interview de Toto Bissainthe, chanteuse et comédienne, 1984.