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récoltes et semailles

  • How much more can Netflix grow? | The Economist
    https://www.economist.com/podcasts/2020/09/10/how-much-more-can-netflix-grow
    Entretien avec Reed Hastings, PDG (j’archive)
    https://sphinx.acast.com/theeconomistasks/theeconomistasks-reedhastings/media.mp3

    Netflix had a blockbuster year as lockdowns supercharged subscriptions. But competition is intensifying and the American streaming market is close to saturation. Anne McElvoy asks the company’s co-founder and co-CEO how much more Netflix can still grow. How does he respond to the charge that its data-driven entertainment is creating a monoculture? And, why he envies the BBC but fears Disney.

  • Le groupe Facebook des films introuvables fermé
    https://www.liberation.fr/culture/cinema/films-introuvables-la-fin-dun-miracle-20210713_OXQEUYXT5BBLTCNQEL34MRBIZA

    Tandis que se déverse sur les écrans cannois le feu roulant des nouveautés, et qu’en marge du festival, une vingtaine de films dits de patrimoine sont eux aussi projetés dans des copies restaurées (cette année, par exemple, l’Etang du démon de Masahiro Shinoda ou Mulholland Drive de David Lynch), on apprenait lundi la mort discrète du groupe la Loupe, fermé sans préavis par Facebook. Née au cœur du premier confinement, sous l’impulsion notamment du cinéaste et collectionneur de raretés cinéphiles Frank Beauvais, qui s’en était ensuite éloigné, la Loupe a fédéré depuis des « amis » virtuels en cinémathèque alternative permettant d’avoir accès à des œuvres ne figurant en France dans aucune offre VOD légale ni, a fortiori, au format DVD ou Blu-ray. Il était possible de poser à la communauté aux yeux rougis la colle d’un incunable sri-lankais des années 80 réputé définitivement perdu ou d’un western queer vaguement évoqué dans une conversation avinée et, miracle ! souvent le fichier sortait des oubliettes et se trouvait versé, au fil des mises à disposition et téléchargements évidemment illégaux, et dans ce temps d’extrême disponibilité offert par la pandémie, à une utopie de programmation vertigineuse rassemblant plus de 18 000 abonnés.

    Libération, Télérama, le Monde rendirent compte du phénomène au début de l’été 2020 et le patron de Carlotta, Vincent Paul-Boncour, éditeur reconnu de films de patrimoines (il sort cet été la trilogie Musashi de Hiroshi Inagaki) s’était offusqué dans les colonnes du Film Français qu’on promeuve ainsi le piratage : « Il faut mettre fin à cette illusion que tout doive /puisse être accessible quelles qu’en soient les conséquences… » Eloge de la mesure et de la rareté difficilement soluble dans une voracité grandissante à proportion de la vitesse actuelle des échanges, de la taille des plateformes américaines et de leur politique d’épandage mondial de nouveautés. La lenteur, la prudence et la minutie de notaire qui préside au monde territorialement délimité et économiquement asphyxié de l’édition vintage laissent craindre une désaffection mémorielle inexorable.

    #propriété_intellectuelle (désolé @lucile).
    #incunables aussi

  • Algérie. Le coup d’État de juin 1965, la révolution et l’Internationale situationniste | Walid Bouchakour
    https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/coup-de-semonce-situationniste-en-algerie,4891

    Le 19 juin 1965, Houari Boumediene renverse le président algérien Ahmed Ben Bella et lance une répression contre la gauche. L’Internationaliste situationniste s’apprête alors à publier une sévère critique du régime avec son Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays. Des archives dévoilent l’histoire de ce fameux tract et de sa diffusion sous le manteau dans un contexte désabusé. Source : Orient XXI

  • Cinquante ans avant la Convention pour le climat : l’incroyable histoire des quatre chercheurs qui avaient déjà tout prévu
    https://www.telerama.fr/debats-reportages/cinquante-ans-avant-la-convention-pour-le-climat-lincroyable-histoire-des-q

    1972, Massachusetts. Quatre étudiants chercheurs sont chargés de réfléchir aux conséquences de la croissance sur la planète. En sortira le rapport Meadows, vendu à dix millions d’exemplaires. Avec enthousiasme, ils arpentent le monde pour convaincre les décideurs d’agir. Lesquels décident de ne rien faire. Ils nous racontent leur fantastique aventure.

    C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué. Manqué en 1972, en 1992, en 2012. Et 2022 ne s’annonce pas bien. Un rendez-vous avec la planète, ou plus précisément avec ceux qui la dirigent et qui, décennie après décennie, sur l’environnement, écoutent sans entendre, font mine de s’inquiéter puis atermoient.

    En 1972, les Américains Dennis Meadows, son épouse Donella, Bill Behrens et le Norvégien Jørgen Randers ne forment encore qu’une bande de très jeunes étudiants chercheurs – 26 ans de moyenne d’âge – au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Cambridge (États-Unis). Quatre « mousquetaires » au pedigree varié : un peu baba pour les deux premiers, rentrés deux ans plus tôt d’un long road-trip en Asie ; moins cool pour Jørgen, « jeune homme suffisant et parfaitement représentatif des milieux favorisés d’Oslo, confesse aujourd’hui l’intéressé. J’étais ce garçon doué en maths qui découvre, en intégrant le MIT pour y faire son doctorat de physique, qu’il y a un monde au-delà de la Norvège ». Quant à Bill Behrens, il fêtait tout juste ses 22 ans. Son nom, comme celui des trois autres, apparaît sur la couverture de The Limits to Growth (Les Limites à la croissance), un petit livre de 125 pages décrivant sans fioritures, et sur un ton politique neutre, l’impact destructeur des activités humaines sur notre planète. Les ressources de la Terre ne sont pas infinies, prévenaient les auteurs ; passé un cap, la charge devient trop lourde et les effets cumulés d’une démographie galopante, d’une pollution excessive, d’une consommation sans frein pourraient provoquer un effondrement. Troublé dans sa tranquillité, le gratin politique et économique mondial a lu cette enquête minutieuse, traduite en trente langues et vendue à 10 millions d’exemplaires… puis a choisi de ne rien faire.

    L’organisation était méticuleuse : « Chacun de nous s’occupait d’un secteur, détaille Bill Behrens, 71 ans, contacté par Zoom dans sa maison du Maine. Jurgen se cognait la pollution, je m’occupais des ressources naturelles, Donella de la démographie mondiale… Mais en découvrant les premières projections, nous étions tellement secoués que nous nous sommes dit : “Ce n’est pas possible, on a dû se planter.” On a repris nos calculs, fait quelques modifs ici et là… mais les nouvelles n’étaient pas meilleures. » Ou bien le monde développé réduisait son empreinte écologique avant de crever le plafond, ou bien la nature se chargerait de faire redescendre l’humanité sur terre…

    Une des premières recensions du livre paraît dans The New York Times Book Review : trois économistes en vue tournent en ridicule les conclusions de l’irritant bouquin. Si quelques critiques se montrent plus ouvertes, la plupart des commentaires sont négatifs, voire agressifs. Mais les débats sont passionnants. Et les années qui suivent, euphorisantes pour le quatuor. « C’était une période dingue, se souvient Bill Behrens. J’étais invité dans des colloques aux quatre coins du monde pour débattre de nos conclusions. Des organismes nous payaient le billet d’avion, et nous rémunéraient 1 000 dollars pour parler d’une enquête qu’on avait non seulement adoré faire, mais dont on pensait qu’elle allait changer le cours du monde. » À la longue, pourtant, l’ironie des mandarins, les sempiternelles réserves et ce satané déni vont avoir raison de l’enthousiasme.

    Bill Behrens, comme les autres, avait rendez-vous… avec lui-même. Il a acheté une cabane sans électricité dans les bois, et s’est lancé dans l’agriculture bio, avec vaches et moutons. « Je ne faisais qu’appliquer l’enseignement numéro un des Limites : arrêter de traiter la Terre comme un être à qui on ne cesse de prendre, sans rien lui donner en échange. » Dennis Meadows, lui, continuera longtemps de sillonner le monde pour secouer ses dirigeants. En vain. « Les grandes réformes politiques sont confrontées à un problème de taille, rappelle-t-il, elles exigent que les gens fassent un sacrifice aujourd’hui pour des bénéfices qui ne tomberont que bien plus tard. Et elles exigent des plus riches qu’ils fassent des sacrifices dont d’autres – généralement les plus pauvres – bénéficieront ailleurs. Aucun système politique occidental n’est capable de faire ce choix. Je me souviens d’un dirigeant européen qui, dans les années 1970, m’avait lancé : “Bravo, professeur Meadows, vous nous avez convaincus. Maintenant, expliquez-nous par quel miracle nous pourrons être réélus si nous faisons ce que vous dites ?” »

    Devant l’inaction crasse des responsables politiques et économiques, Donella a insisté pour qu’on ajoute un dernier chapitre, légèrement ésotérique. Les auteurs y proposaient cinq « outils » pour la transition qu’ils appelaient de leurs vœux : l’inspiration, l’honnêteté, le travail en réseau, l’apprentissage et… l’amour. « Du pur Donella, sourit Jørgen Randers. Si j’étais un grand sceptique, elle était une idéaliste qui avait connu la vie communautaire. Ce chapitre sur l’amour, les 3 % de la population mondiale qui partageait ses idées l’ont sûrement adoré. Les 97 % autres considèrent sûrement que c’est de la foutaise. »

    Il y a au moins deux morales à cette histoire. L’une, très sombre, l’autre lumineuse. Et les deux viennent de la bouche de Dennis Meadows, cueillies au tout petit matin – il se lève à 5 heures – alors qu’il faisait encore nuit noire dans le New Hamsphire : « J’ai passé cinquante ans à tenter d’expliquer aux dirigeants d’une cinquantaine de pays les enjeux des Limites à la croissance. Il est trop tard. Cognez-vous la tête contre un mur de pierre, ça fait mal au crâne mais ça n’a aucun effet sur le mur. Donc j’arrête. Et je me replie sur l’action locale, en utilisant la dynamique des systèmes sur les ressources naturelles, et en m’intéressant aux problèmes d’urbanisme de ma ville, Durham. » Des regrets ? « Très peu. Si vous faites dépendre votre bonheur de votre capacité à changer le monde, vous ne serez jamais heureux, car vous avez trop peu de chances de gagner. Quand des jeunes gens s’adressent à moi aujourd’hui, je leur dis les choses suivantes : “Apprenez la résilience, car les décennies qui viennent vont être semées de crises sévères ; apprenez des choses pratiques comme le jardinage ou la plomberie, car elles vous seront très utiles ; et lisez de l’histoire longue, celle des Phéniciens, des Romains, ou de la dynastie Qing.” Ces civilisations ont grandi, elles ont décliné, elles ont disparu. Imaginer que la nôtre pourrait suivre un autre destin me paraît un doux fantasme. Mais j’ajoute toujours ceci : “N’oubliez jamais qu’il existe deux façons de toucher au bonheur. La première est d’obtenir plus – c’est celle après laquelle notre civilisation a couru à perdre haleine –, et la seconde, de vouloir moins.” Philosophiquement, et de manière très pragmatique, je privilégierais le deuxième chemin. »

    #Rapport_Meadows #Club_de_rome #Ecologie #Climat #Histoire_contemporaine

  • Les auditeurs continuent de faire faux bond à la radio
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/13/les-auditeurs-continuent-de-faire-faux-bond-a-la-radio_6088116_3234.html

    A quoi bon communiquer sur des chiffres s’il n’est pas permis de les interpréter ? Une nouvelle fois, mardi 13 juillet, les opérateurs de la radio tentent une mission impossible, à savoir trouver des motifs de satisfaction dans une mesure de l’audience qu’ils ne peuvent pas exploiter selon les critères habituels. La seule donnée qui ne prête à aucun commentaire hasardeux est une nouvelle fois inquiétante : les auditeurs continuent de fuir les ondes.

    Entre avril et juin 2021, la #radio a perdu un million d’auditeurs par rapport à la même période de 2020, selon Médiamétrie. A l’époque, le média radio venait déjà d’afficher une chute vertigineuse de quatre points, soit environ 2 millions d’individus, installant son audience cumulée à 73,6 %. Rétrogradée à 71,3 %, cette audience établit que, désormais, le nombre d’auditeurs quotidiens est inférieur à 40 millions (39,1 millions), un plancher jamais atteint.

  • Crispations à France Inter
    https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2021/07/08/a-france-inter-les-nouveautes-de-la-grille-crispent-la-redaction_6087427_323

    « Les chefs ont tellement peur qu’on soit catalogués gauchistes ou islamo-gauchistes que, à force, on est devenus autre chose », laisse pourtant tomber un journaliste. Comprendre : une antenne « plus lisse », « avec moins d’aspérités », où on ne serait « pas très différents de ce qui se fait ailleurs ». « On est plusieurs à ressentir une pression, corrobore une de ses collègues. Factuellement, elle est difficile à définir. Mais on sent que dans nos reportages et nos journaux, il faut positiver et ne pas trop parler des choses qui fâchent. » Une autre rapporte : « Il y a une attention portée au fait de bien relayer l’action gouvernementale. »

    #VIVRE_ENSEMBLE

    Imperturbable, Laurence Bloch se défend de toute décision opérée en réaction aux critiques de la concurrence, qui la « laissent de marbre ». « Le seul juge de paix qui compte à mes yeux, tranche-t-elle, ce sont les auditeurs, qui sont de plus en plus nombreux, de tous les âges, et de toutes les origines. France Inter doit être un territoire commun où l’on peut s’écouter, échanger, et s’entendre. »

  • Décès de Philippe Aigrain : une grande perte pour les libertés numériques

    Philippe Aigrain est inclassable. Randonneur émérite, il aimait tant arpenter les chemins des Pyrénées qu’il en avait fait son twitname (@balaitous). Pourtant une chute lors d’une sortie en montagne vient de lui être fatale. Une grande tristesse pour toutes celles et ceux qui l’ont croisé et accompagné dans ses multiples projets. Avec les quelques mots qui suivent, je voudrais adresser toute mon amitié à Mireille qui l’accompagnait depuis si longtemps, en souvenir d’une belle ballade tous les trois autour de leur maison.

    Philippe a été un inlassable défenseur des logiciels libres quand il œuvrait dans les bureaux de la Commission européenne. Partant ce ce mouvement, il a découvert très tôt l’enjeu des communs, notamment des communs numériques et de la connaissance. Avec son ouvrage Cause commune, l’information entre bien commun et propriété, il fut le premier à ré-introduire en France la notion de communs en relation avec le nouveau statut de la connaissance à l’ère des réseaux numériques. Un projet sans cesse à remettre sur le chantier, comme par exemple aujourd’hui autour de la question des brevets sur les vaccins contre le Covid.

    Je me souviens de la préparation de la conférence et du livre Pouvoir savoir, Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle , en 2005, sur la relation entre la connaissance et le développement. Alors qu’à la suite des débats de l’époque j’étais principalement focalisé sur le côté négatif, sur le poids que les extrémistes de la propriété intellectuelle faisaient peser sur le développement, Philippe a longuement insisté sur la nécessité de parler des biens communs comme de l’alternative adaptée à cette question. Il avait totalement raison.


    (Philippe Aigrain lors de la rencontre internationale des communs. Berlin, 2010.)

    Inlassable défenseur des libertés, Philippe a très tôt compris le risque que le numérique faisait peser sur les libertés individuelles. En créant en 2008 La Quadrature du Net avec Benjamin Sonntag et Jérémie Zimmermann, il a lancé un grand mouvement d’opinion et de plaidoyer. Les évolutions ultérieure de la technopolice partout dans le monde ont validé très largement son intuition. Les techniques de traçage et leur usage tant par les entreprises privées du numérique que par les États et les autres collectivités se renforcent chaque jour. Et c’est bien par une action juridique et politique déterminée que l’on pourra éviter la mise en place d’un nouveau régime de gouvernement appuyé sur une connaissance des activités et des affects de chaque individu.

    Mais Philippe Aigrain ne saurait se résumer à cet aspect de militant du numérique. Il est aussi un poète, tant par ses oeuvres que par l’appui qu’il a essayé de porter constamment à la poésie vivante. En 2014, il a repris le flambeau de Publie.net , la maison d’édition créée par François Bon. Il a ainsi participé à construire une indispensable maison d’édition de poésie et de littérature contemporaine française, présentant un modèle hybride de livres imprimé et numériques.

    Philippe, tes intuitions, tes saines colères, ta détermination et la clarté de tes positions vont nous manquer.

    #Philippe_Aigrain #Libertés_numériques #Communs #Tristesse

  • An In-Depth Look at How a Mob Stormed the Capitol
    https://www.nytimes.com/video/us/politics/100000007606996/capitol-riot-trump-supporters.html

    A six-month Times investigation has synchronized and mapped out thousands of videos and police radio communications from the Jan. 6 Capitol riot, providing the most complete picture to date of what happened — and why.

    Assez dingue. Ça rappelle ce qu’avait fait Le Monde sur le tir de LBD place d’Italie. Ou c’était Médiapart je sais plus.

  • Série, films... Après le placement de produit, voici venu le placement… d’idées (@onecop, Marianne, 19/06/2021)
    https://www.marianne.net/culture/la-fabrique-culturelle/serie-films-apres-le-placement-de-produit-voici-venu-le-placement-didees

    Mai 2016. Six millions de personnes se passionnent chaque semaine pour les aventures d’une jeune professeure de français, Sam, incarnée par Mathilde Seigner dans la série du même nom. Plusieurs séquences mettent en scène l’héroïne buvant l’eau du robinet. Un geste anecdotique pour ce personnage rejetant la société de consommation et son injonction à acheter des bouteilles d’eau en plastique ? Il s’agit pourtant d’un message tarifé destiné à se frayer un chemin dans les consciences du plus grand nombre. Combien de téléspectateurs se seraient doutés que, derrière ces images, se cachait le Centre d’information sur l’eau (Cieau), sorte d’observatoire qui se propose d’élargir le champ des connaissances de cette ressource ?

    Le petit pictogramme placé dans un coin de l’écran est pourtant là pour prévenir que le programme visionné a recours au placement de produit : une simple lettre « P » noire sur fond de cercle blanc apparaît discrètement pendant une minute au début du programme, après chaque interruption publicitaire, et durant le générique de fin. Cette pratique de publicité dissimulée, qui consiste à inclure un produit, un service ou une marque à l’écran, moyennant contrepartie, est aujourd’hui bien connue.

    Autorisé à la télévision depuis 2010 seulement, le placement de produit, dûment réglementé, cache cependant une large palette de réalités : produits de consommation, marques en tout genre… mais aussi valeurs et idées. Opération plus subtile, ce placement « nouvelle génération » a des implications morales et éthiques d’un tout autre type. Comment calibrer le coût d’une idée ? Et comment celle-ci chemine-t-elle ensuite jusqu’à nos écrans, et, in fine, jusqu’à notre for intérieur ? D’ailleurs, toutes les idées ont-elles le droit de s’inviter en douce dans nos films et séries ?

  • Ecoutez les forêts, écoutez le monde, grâce aux cartes sonores
    https://www.rtbf.be/info/societe/detail_ecoutez-les-forets-ecoutez-le-monde-grace-aux-cartes-sonores?id=10598391

    Les organisateurs du Timber Festival, un festival anglais qui célèbre nos liens avec les arbres, ont été frustrés par le Coronavirus. Ils ont dû annuler. Alors, ils ont imaginé ce beau projet : créer une carte sonore des forêts de la planète.

    https://timberfestival.org.uk/soundsoftheforest-soundmap

    About / Sounds of the Forest

    We are collecting the sounds of woodlands and forests from all around the world, creating a growing soundmap bringing together aural tones and textures from the world’s woodlands.

    The sounds form an open source library, to be used by anyone to listen to and create from. Selected artists will be responding to the sounds that are gathered, creating music, audio, artwork or something else incredible, to be presented at Timber Festival 2021.

    #forêts #cartes_sonores

  • De la téléréalité à la sphère politique, comment les influenceurs imposent leurs goûts au public | Enquête sur le « marketing d’influence » (Claudia Cohen, Le Figaro, 21/06/2021)
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/de-la-telerealite-a-la-sphere-politique-comment-les-influenceurs-imposent-l

    La vidéo du président de la République Emmanuel Macron aux côtés des youtubeurs McFly et Carlito fut sans précédent dans l’histoire de la communication politique française. Un temps décriés, les influenceurs ont rebattu les cartes de la communication. Des créateurs de contenus passionnés par un domaine sur YouTube aux personnalités populaires sur les #réseaux_sociaux comme Instagram, TikTok, Snapchat ou Twitch, en passant par les candidats d’émissions de téléréalité, la France compte aujourd’hui près de 150 000 influenceurs. EnjoyPhoenix (3,7 millions d’abonnés), Tibo InShape (6 millions d’abonnés) ou Nabilla (5,6 millions d’abonnés), comment expliquer un tel succès ?

    Porté par la pandémie, le business mondial du marketing d’influence a dépassé 15 milliards de dollars l’an passé. Un influenceur est « une personne qui influence l’opinion, la consommation par son audience sur les réseaux sociaux », selon les lexicographes du Petit Robert. Leur capacité à fidéliser de jeunes communautés virtuelles fascine jusqu’à la sphère politique, à la veille d’une nouvelle campagne présidentielle. Celle-ci y voit l’opportunité de toucher un public d’ordinaire très peu réceptif à la #communication traditionnelle. Lors du premier tour des régionales, dimanche, l’#abstention chez les jeunes a atteint des records : 87 % des 18-24 ans ne se sont pas exprimés dans les urnes, selon Ipsos.

    La promotion de projets gouvernementaux par des influenceurs, qui se définissent comme « apolitiques », s’est accélérée avec La République en marche. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, s’est affiché avec eux pour discuter des préoccupations étudiantes. Le ministère de la Jeunesse et des Sports en a fait une stratégie de communication à part entière. Plusieurs youtubeurs, dont Tibo InShape, avaient fait la promotion du service national universel (SNU), destiné aux 15-17 ans. Lorsque les partenariats sont rémunérés, les rétributions peuvent atteindre jusqu’à 30 000 euros, selon nos informations. Une communication qui reste moins coûteuse et plus ciblée qu’une campagne de publicité classique. Et qui présente l’intérêt de s’exprimer sans filtre.

    Avant que certains n’envahissent l’espace politique, les influenceurs étaient surtout connus pour la vente de produits à la manière d’un téléachat 2.0. Thé amincissant, ceinture gainante ou robot de cuisine : ils mettent en scène l’utilisation d’un produit au quotidien à partir d’un brief rédigé par la marque. Grâce à des codes promotionnels personnalisés proposés aux abonnés, les annonceurs peuvent mesurer la rentabilité de chaque influenceur. Depuis quelques années, des agences comme Webedia, We Events ou Shauna Events s’attachent à monétiser la popularité de leurs poulains. « Nous gérons la carrière de nos influenceurs comme les agents de la série Dix pour cent s’occupent de leurs talents », résume Hugues Dangy, patron de la chaîne Non Stop People, associé au groupe Banijay (en 2018, Banijay intégrait le capital de l’agence Shauna Events). Dans les prochains jours, la société de production va annoncer le lancement de l’entité Banijay Talent, qui regroupe l’ensemble de ses activités de #marketing d’influence. Pour constituer son catalogue, elle signe des contrats d’exclusivité avec des candidats d’émissions de télévision comme le concours de beauté Miss France, le jeu d’aventures « Koh-Lanta » ou la téléréalité « Les Marseillais ».

    Certains candidats devenus influenceurs peuvent gagner entre 80 000 et 300 000 euros par mois. Cinq cents personnalités issues de la téléréalité sont sous le feu des projecteurs. Voyages de rêve, opérations de chirurgie esthétique et premiers pas de leurs enfants, elles alimentent leurs réseaux sociaux en filmant leur vie, entre deux placements de produits. Du moins ce qu’elles souhaitent en montrer. Instagram peut s’apparenter à un temple du bonheur de pacotille.

    Parfois, le placement de produit sur les réseaux sociaux vire à l’absurde. Il n’est pas rare de croiser sur Snapchat un jeune homme faisant la promotion d’une culotte menstruelle ou mettant en avant de fausses promotions. « Les influenceurs ont un devoir de responsabilité. Certains se servent du lien de confiance avec leur communauté, souvent très jeune, pour vendre des produits de mauvaise qualité et réaliser des bénéfices démesurés », explique Sam Zirah, créateur de contenu aux plus de 2 millions d’abonnés sur YouTube et spécialiste du milieu. Conscient de ces quelques dérives, Bercy a récemment renforcé plusieurs dispositifs pour protéger le consommateur.

    À l’image des gagnants du Loto, certains influenceurs connaissent une gloire soudaine et amassent des sommes considérables en peu de temps. Les plus malins se tournent vers des avocats fiscalistes pour gérer leur rémunération. D’autres préfèrent fuir le pays pour s’installer à Dubaï. Ce nouvel eldorado dispose d’un taux d’imposition proche de zéro.

    Devenir un influenceur, c’est le rêve de nombreux jeunes qui se voient déjà en haut de l’affiche. Abandonner une partie de sa vie privée au public est perçu par certains comme un moyen de parvenir à une réussite financière sans être issu d’un milieu social favorisé ou passer par la case études. Et ce, parfois, sans aucun talent. Cependant, les candidats de téléréalité ne sont pas représentatifs de cet écosystème très hétérogène, explique Guillaume Doki-Thonon, fondateur et directeur général de l’entreprise experte du marketing d’influence Reech. En effet, la majorité des influenceurs français sont des personnes devenues célèbres sur internet grâce à leur passion pour la cuisine, le sport, l’humour ou les cosmétiques, et la qualité de leurs contenus. Ces personnalités consacrent des dizaines d’heures par semaine à leurs vidéos pour ravir leurs fans.

    Mais le chemin est long pour parvenir à conquérir de nouveaux abonnés. Et les places sur le devant de la scène sont peu nombreuses. Malgré une professionnalisation du métier, très peu réussissent à vivre de cette activité. En France, 85 % d’entre eux gagnent moins de 5 000 euros par an. Et ils ne sont que 6 % à gagner plus de 20 000 euros par an. Face à cette réalité du marché, de nouvelles agences s’ouvrent pour mettre les marques en relation avec ces micro-influenceurs, suivis par 10 000 à 100 000 abonnés sur un réseau social, et ces nano-influenceurs, qui comptent entre 1 000 et 5 000 abonnés.

    Outre son nombre d’abonnés, la valeur d’un influenceur réside surtout dans la qualité des connexions qu’il crée avec le public. Pour scanner les réseaux sociaux, les agences et les marques utilisent désormais des outils technologiques. En France, plusieurs acteurs, dont l’entreprise parisienne Reech, développent ces algorithmes. « Nous avons créé un “Google de l’influence”, explique Guillaume Doki-Thonon. Notre technologie permet d’identifier, à partir de mots-clés, l’influenceur idéal pour maximiser le taux d’engagement d’une campagne. » Il a déjà vendu sa technologie à de grandes marques comme Yves Rocher et Boulanger, ou à l’agence de #publicité BETC. Les équipes de communication de l’Élysée et plusieurs ministères ont également recours à ce type d’outils, selon nos informations.

    À l’ère de la bataille pour l’#attention, les agences #médias traditionnelles commencent, elles aussi, à recourir à ces personnalités. « Face à la perspective d’un monde sans cookies publicitaires, les influenceurs représentent un vrai avantage pour les annonceurs car ils sont parfaitement intégrés dans le contrat de lecture des internautes », analyse Mathieu Morgensztern, country manager de WPP France. Récemment, GroupM (WPP) et Dentsu, en partenariat avec TF1 PUB et Unify, se sont lancés dans le live streaming e-commerce.

    Entre téléréalité et téléachat, la pratique a déjà révolutionné le commerce en ligne en Chine, où elle a généré 154 milliards de dollars de ventes en 2020, selon KPMG et Alibaba. Pendant des dizaines de minutes, les produits d’une marque sont testés en direct par des influenceurs dans un décor semblable à une virée shopping entre amis. Une mini-boutique en ligne permet aux internautes de commander en profitant de codes promo. Réalisés dans des studios professionnels, ces contenus se veulent plus créatifs et engageants. De quoi ringardiser le simple placement de produits ?

  • La numérisation du quotidien, une violence inouïe et ordinaire
    Par #Célia_Izoard
    https://reporterre.net/La-numerisation-du-quotidien-une-violence-inouie-et-ordinaire

    Mais les discours misérabilistes sur la « fracture numérique » ignorent un point essentiel : c’est le fait que parmi ces treize millions d’individus, une bonne partie pense peut-être que l’État ne devrait pas pouvoir exiger d’eux qu’ils achètent un ordinateur, un smartphone, une imprimante, un scanneur et un abonnement internet (le parc électronique de base) ; qu’ils aident des entreprises privées à faire du data mining ; qu’ils transforment leur vie pour se consacrer à ces systèmes addictifs et envahissants ; qu’ils contribuent à la suppression des fonctionnaires et aux licenciements induits par la numérisation. Une partie d’entre eux pense aussi qu’on ne peut pas les obliger à polluer en achetant toutes ces machines « dématérialisantes ». Qu’on veuille les aider ou leur botter les fesses, on présente toujours ceux et celles qui répugnent à numériser leur vie comme des gens qui n’ont pas encore compris, alors que, bien au contraire, ils ont souvent très bien compris. La question n’est pas celle de l’aptitude personnelle mais celle de la liberté.

    #numérisation #informatisation

  • « Diversité » contre égalité ?, par Serge Halimi. Archive de… 2007 https://www.monde-diplomatique.fr/2007/09/HALIMI/15108

    À propos de Walter Benn Michaels, The Trouble with Diversity : How We Learned to Love Identity and Ignore Inequality, Metropolitan Books, New York, 2007.

    (…) Au demeurant, l’accent exclusif mis sur le combat contre l’inégalité des revenus semble rendre Michaels aveugle à l’existence de discriminations spécifiques, sexuelles et ethniques, qu’un « grand soir » égalitaire ne résoudrait pas automatiquement – l’histoire du mouvement ouvrier l’a prouvé. Enfin, l’inexistence des races a-t-elle jamais empêché l’existence de racistes, parfois au sein même des classes populaires ? À lire Michaels, quiconque s’offusque quand les courtières de Wall Street sont moins payées que leurs homologues masculins « déguise le fait » que les premières « ne sont pas des victimes du tout » comparées aux « femmes de Wal-Mart ». Mais le refus des privilèges sociaux des financiers, hommes et femmes, doit-il interdire de combattre la discrimination salariale subie par les femmes, y compris à Wall Street ?

    C’est peut-être parce que l’auteur passe une part appréciable de son existence sur un de ces campus américains en partie préservés de la réalité sociale du pays qu’il lui arrive de « tordre le bâton » dans l’autre sens. Il entend ainsi pourfendre une caste universitaire toujours à l’affût de « textes » à déconstruire et de combats « symboliques » à engager, histoire de renouveler le produit à défaut de changer la société. Mieux vaut donc lui cacher que des Européens déboussolés et soucieux de virtuosité théorique entendent à présent importer ce genre de science sur leur territoire – afin de secourir la gauche…

  • #The_Avalanches - « Since I Left You »

    Le collectif de musiciens / producteurs / DJs australien a repoussé les limites de l’art du #sampling et de l’#échantillonnage en produisant il y a vingt ans cet album unique.

    Un disque de pop dans lequel s’entremêlent par le biais de centaines d’échantillons toute la culture musicale de ces DJs passionnés de musique au sens large : #Jazz, #Calypso, #Folk, #Country, #Bandes_Originales_de_films, #Rock, #Disco, #Pop, #Soul, #Funk, #musiques_électroniques

    https://www.franceinter.fr/emissions/dans-la-playlist-de-france-inter/dans-la-playlist-de-france-inter-01-juin-2021

    https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/15361-01.06.2021-ITEMA_22685396-2021F28411S0152.mp3

    #musique

  • Chronologie – Un siècle de radio - RFI
    https://graphics.rfi.fr/chronologie-un-siecle-de-radio

    En 1886, l’ingénieur et physicien allemand Heinrich Hertz découvre les ondes électromagnétiques en laboratoires. C’est en son honneur que les ondes  #radio  seront plus tard nommées « hertziennes ». En 1890, le Français  Edouard Branly  invente le radio conducteur ou cohéreur permettant de recevoir les ondes hertziennes. Troisième invention importante : le Russe Popov met au point les antennes verticales en 1895, ce qui améliorera considérablement l’émission des ondes. Et c’est Guglielmo Marconi qui rassemble toutes ces inventions  : il réussit à transmettre des informations (en code morse) sans câble  : c’est la première transmission radio. Il utilise les ondes hertziennes découvertes par Heinrich Hertz. En 1899, il réalise la première liaison radio entre l’Angleterre et la France au-dessus de la Manche. De la télégraphie sans fil (TSF) à l’ère de la radio numérique terrestre (RNT) et des #podcasts, retour sur les étapes clés de l’#histoire de la radio.

  • Dix forêts pour un trèfle – sur JVLIVS du rappeur SCH | AOC media
    https://aoc.media/critique/2021/05/31/dix-forets-pour-un-trefle-sur-jvlivs-du-rappeur-sch

    La trilogie JVLIVS, dont vient de paraître le deuxième volume, s’inscrit dans la lignée des concept-albums. Le rappeur SCH y revendique son goût pour la narration et relance la forme ancienne de la fiction mafieuse. Les phrases chargées comme de la poudre transmuent ce cocktail musical en nouvel avatar du film noir. Promenade en sept punchlines dans un triptyque en passe de devenir un monument poétique.

    • Thème parmi d’autres dans le rap des années 90, d’ailleurs plutôt décrié (« l’argent pourrit les gens », chantait NTM), l’enrichissement est devenu le but avoué de la nouvelle école, devenant le moteur même de la création (« je fais plus de € à chaque lettre sur ma feuille », affirme Ademo dans Naha de PNL) et la raison de vivre ultime, quoique sans doute ironique, de la pop dite urbaine – on se souvient du succès de « Aristocrate » de Heuss l’Enfoiré, l’un des tubes de 2019, qui questionnait en vocoder « Mais elle est où la moulaga ? », vite suivi par « La kichta » (la liasse), en duo avec Soolking.

      SCH, qui a désormais « mis la pharmacie en gérance », dépasse la blague : l’enrichissement est devenu automatique, version sonore et mafieuse du trading haute fréquence. Économie virtuelle, économie réelle, « argent propre argent sale », les flux circulent dans le grand Marché noir qui donne son titre au tome 2.

      Déjà, dans Facile sur le tome 1, le gangster convertissait l’argent en une liste de marques de luxe : la richesse est aussi symbolique. Symbolique à double tranchant : « Ça fait chuter le prix du mètre carré » souligne le rappeur dans Fournaise à propos du trafic et des grosses cylindrées : l’économie parallèle a des incidences sur le cours du foncier.

      Car SCH parle depuis le début de cocaïne très pure – métaphore canonique de la musique que dealent les rappeurs. Ironique encore, quand on sait que la musique « urbaine » est celle qui se vend le mieux depuis plusieurs années en France, alors même qu’elle est boudée par le circuit des honneurs télévisuels, tourné vers la variété.

      L’économie est aussi incarnée par les containers EVP, cette fameuse figure de la mondialisation dont SCH a fait l’objet de sa com’ : chargés sur un cargo, soulevés dans les airs sur le port de Marseille dans le clip de Gibraltar qui annonçait l’album, lequel finit, dans le bonus Fantôme, à Rotterdam. La richesse, métaphorique ou réelle, s’incarne dans ce qui circule – figuration d’un monde résumable à son infrastructure logistique.

      Pour la sortie du disque, les mêmes containers floqués au nom JVLIVS ont été livrés dans la nuit devant les grandes gares de France (en partenariat avec la plateforme de streaming Deezer) : comme si la fiction narrative qui structure l’album s’invitait dans le paysage réel. La musique comme marchandise ou le monde comme fantasme – un peu des deux.

  • Émouvant. « Fini les soirées, les taxis gratuits, la camaraderie entre jeunes banquiers » : la « génération P » à bout de souffle à Wall Street
    https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/06/02/a-wall-street-la-generation-pandemie-est-a-bout-de-souffle_6082528_1698637.h

    « Payer plus ? C’est le contraire de ce qu’il faut faire », juge M. Beunza Ibanez. Alex Croft et Logan Naidu, chasseurs de têtes de Dartmouth Partners, prédisent, eux, une hausse du nombre de départs et l’arrivée consécutive d’une nouvelle vague de jeunes étudiants endettés pour les remplacer. La réponse à la crise, expliquent-ils, passe par un changement culturel. Et « un changement qui vient du haut ».

    #banque #finance #burn-out

  • Comment Bercy s’est converti dans la douleur à la dépense : 424 milliards d’euros depuis mars 2020 (Elsa Conesa, _Le Monde, 29 mai 2021)
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/05/29/comment-bercy-s-est-converti-dans-la-douleur-a-la-depense_6081957_823448.htm

    « Oups. » Dans les couloirs monochromes de Bercy, la réaction est restée policée. Mais les hauts fonctionnaires du puissant ministère de l’économie et des finances se souviendront longtemps de ce moment où Emmanuel Macron a lâché sa petite bombe, le soir de son allocution du 12 mars 2020. « Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies, quoi qu’il en coûte », l’ont-ils entendu dire, médusés. Crise oblige, nombre d’entre eux étaient encore dans leur bureau du bâtiment Colbert, un œil sur l’écran de télévision. Mais aucun n’avait été prévenu, pas même les directeurs, poids lourds du ministère. « Houston, on a un problème », a ironisé l’un d’eux.

    Bien sûr, il y a cette pandémie qui s’étend comme une marée noire sur l’Europe et contraint à fermer les économies les unes après les autres. Mais ce « quoi qu’il en coûte », il va falloir le financer. Le président n’est pas le seul à décider : l’appétit des investisseurs pour la dette française ne se décrète pas. Et, depuis quelques jours, a resurgi le spectre d’une crise de la dette, à l’image de celle qui avait failli faire éclater la zone euro en 2012. « Ce n’était pas du tout certain que les marchés suivraient, se souvient une figure de la maison. On n’aurait pas eu le plan de relance européen et la #BCE, on partait dans le décor… » (…)

    Une révolution culturelle pour une maison dont les grands commis sont biberonnés au contrôle des deniers publics. « On est passés du chauffage au climatiseur », ironise l’ancien ministre Eric Woerth, aujourd’hui président de la commission des finances à l’Assemblée. Les élus ont, de fait, rarement eu l’occasion d’auditionner un ministre du budget qui, comme Olivier Dussopt, s’applique à sommer des chiffres disparates pour afficher le niveau de dépenses le plus élevé face à la crise − 424 milliards d’euros depuis mars 2020

    (…)

    Sa grande angoisse ? Que les aides d’urgence se pérennisent et fassent exploser le déficit. L’administration n’aurait sans doute pas fait le « quoi qu’il en coûte » parce que c’est « un changement de cap politique majeur dont elle n’a pas l’initiative, rappelle Amélie Verdier, l’actuelle directrice du budget. _*L’administration ne fait pas la politique et c’était très politique de dire qu’on arrête de compter. Elle conseille avant et assure après la mise en œuvre des choix faits. »_ Sa préoccupation, ce ne sont pas les milliards décaissés dans l’urgence, dont personne ne conteste la nécessité. Le problème, « c’est plutôt l’après, la sortie de crise ».

    « La réalité, c’est que les hauts fonctionnaires de Bercy se sont fait marcher sur la tête par le politique, observe un ancien de la maison. Certains en étaient malades. » Valorisés pendant des années dans le rôle ingrat du défenseur de l’austérité, ces moines-soldats ont dû détruire ce qu’ils avaient mis des années à construire, presque du jour au lendemain. Un revirement décrit par certains comme « inhumain ». Ne dit-on pas qu’au budget il y a ce rêve d’être « le dernier qui éteindra les lumières » ? En clair, d’être celui qui, à force d’avoir ratiboisé la dépense, l’a fait… disparaître.

    *Bien sûr, l’urgence de la crise s’est imposée à ces cerveaux bien faits. Mais à la fierté réelle d’avoir contribué à sauver le pays s’ajoute, par moments, le sentiment désagréable de s’être fait avoir. Car dans le chaos provoqué par la pandémie, certains ministères en ont profité pour prendre leur revanche. Des dépenses retoquées dix fois parce qu’elles étaient jugées ineptes ont été validées sans autre forme de procès. (…)

    Dans la tempête, certains de ces gardiens du temple ont tenu bon, conservant un œil sur le déficit quand tous les repères sautaient. Et ont tenté d’alerter : la crise n’excuse pas tout, il faut du contradictoire. « Les premiers mois, on voyait la résistance des “vrais Bercy”, qui continuaient à tenir un discours de rigueur, raconte un fonctionnaire d’un ministère concurrent. On leur disait qu’ils étaient déconnectés de la réalité, mais rien à faire, la culture demeure. » Dans les boucles d’e-mails, les deux discours coexistent, trahissant des débats internes. (…)

    Pour autant, politiques, chefs d’entreprise, élus, tous le disent : la mobilisation du ministère a été exemplaire à tous les étages. Réquisitionnée pour distribuer, partout en France, les chèques du fonds de solidarité, l’administration fiscale a répondu comme un seul homme à des consignes pourtant très inhabituelles : dépenser, décaisser et cesser les contrôles. « Notre mission est plutôt de prélever que de donner, reconnaît Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques (DGFIP). Mais il y avait un besoin de sécuriser les versements et la DGFIP a été en capacité de le faire dans des délais très courts. »

    Quitte à détourner le regard, par moments. Comme le raconte cet inspecteur en Rhône-Alpes qui a dû verser des aides à des entreprises qui n’avaient pas fait leurs déclarations depuis des années. « On aurait pu leur dire de régulariser leur situation avant de payer, bougonne-t-il. Mais les consignes, c’était de payer, qu’on verrait plus tard. » Dans le doute, il a fait un courrier de rappel aux entreprises concernées en pointant leurs obligations. « Même si ça ne sert à rien… C’est du jamais-vu qu’il n’y ait pas d’obligation pour lâcher l’argent, ça nous chatouille quand même un peu de voir ça… »

    (…) Même après quinze mois de crise, l’idée même de politique industrielle continue de nourrir des débats entre les différentes directions de Bercy, entre les ingénieurs de la direction des entreprises et les énarques du Trésor. Faut-il relocaliser les filières critiques ? Ou laisser faire le marché ? Quel degré d’implication pour l’Etat ? « La crise a confirmé notre diagnostic selon lequel le fonctionnement du marché crée des vulnérabilités, comme sur les semi-conducteurs ou le paracétamol », fait valoir Thomas Courbe, à la tête de la direction générale des entreprises, qui porte traditionnellement une vision plus interventionniste.

  • L’éthique en partage – en hommage à Jacques Bouveresse | Pascal Engel / AOC media #philosophie
    https://aoc.media/critique/2021/05/12/lethique-en-partage-en-hommage-a-jacques-bouveresse

    Contre ces déclarations de guerre et cette surenchère permanente, Bouveresse proposa sa propre politique intellectuelle, celle du respect de la vérité, de la sobriété et de l’honnêteté. Là où ses contemporains ne lisaient pas au-delà de Nietzsche, de Marx et de Lacan, et n’entendaient pas outre-Rhin d’autres voix que celles qui venaient de Königsberg, de Iéna et de Fribourg en Brisgau, il alla chercher ses modèles du côté de Vienne et de Cambridge, chez Wittgenstein, et les penseurs du Cercle de Vienne, mais aussi chez les grands écrivains autrichiens, Kraus et Musil, qui furent ses maîtres tout autant que Frege, Russell, Carnap, Schlick et Gödel.

    En les lisant et en les commentant il accomplissait un double mouvement : d’un côté, il proposait, sur le modèle krausien, une critique, souvent sur le ton satirique, de la culture de son époque, de l’intrusion du journalisme et du sensationnalisme dans tous les secteurs de l’esprit, et de l’autre il entendait opérer une véritable réforme intellectuelle et morale, en retrouvant l’inspiration rationaliste qu’avait perdue la philosophie française en subissant les assauts des Anti-lumières existentialistes, post-structuralistes, puis post-foucaldiennes.

    Cette inspiration lui venait tout autant de la tradition française de la philosophie des sciences, celle de Herbrand, de Cavaillès, de Canguilhem, de Vuillemin et de Granger, que de la tradition de la philosophie analytique anglo-saxonne, qu’il défendit toujours, mais au sein de laquelle il se sentait bien moins à l’aise que dans ses racines autrichiennes. Il proclame dans l’un de ses essais qu’il se sent « so very unFrench », mais il aurait pu dire aussi qu’il se sentait « very unEnglish » et « so very unAmerican ».

    (…) De plus en plus également, il remontait aux sources de la philosophie autrichienne, chez Bolzano, Brentano, Mach et Boltzmann, mais jamais simplement avec un souci de faire une archéologie de la philosophie contemporaine, car ce qui l’intéressait, était comme Wittgenstein, « les vrais problèmes de philosophie » – ceux de la nature de la perception, des couleurs et des qualités secondes, de l’inférence logique, de l’espace, de la nature du possible et de l’a priori – mais sans jamais oublier leurs liens aux sciences et à leur histoire. C’est pourquoi on trouvera chez lui autant de travaux sur la logique chez Leibniz, l’optique et la théorie musicale de Helmholtz ou sur le réalisme de Poincaré que sur des questions de philosophie analytique du langage et de la connaissance.

    Bien qu’il ait toujours défendu et promu la philosophie analytique, surtout dans ses incarnations initiales chez Frege, Russell, Moore et Carnap, Bouveresse ne se sentait pas vraiment un philosophe analytique. D’abord parce qu’il ne pratiquait ni le style de la thèse, de l’argument en forme ni celui de l’analyse minutieuse des non-sens des philosophes au nom du langage ordinaire, et lui préférait le style de l’élucidation synoptique et de la critique.

    • Mais surtout, la philosophie de Bouveresse est une philosophie de la #raison : de ses pouvoirs critiques et de ses limites, de ses relations avec le sentiment et l’émotion, dont il cherchait sans cesse, à l’instar de Musil, comment les combiner et les équilibrer. Là aussi il n’aimait pas plus le rationalisme triomphant que l’empirisme dogmatique, et il cherchait à en donner des versions sobres. (…)

      Mais on retrouve, dans son livre sur La connaissance de l’écrivain (2008), la même dualité que dans sa philosophie de la connaissance : d’un côté, il entend réhabiliter l’idée que la littérature est, contrairement à tout ce que la pensée littéraire française n’a cessé d’affirmer de Mallarmé à Blanchot, affaire de connaissance et de vérité, mais, de l’autre, il entend montrer que cette connaissance est fondamentalement pratique et ancrée dans les formes éthiques de la vie humaine.

    • « Il ne peut être question en aucun cas pour moi d’accepter l’honneur supposé qui m’est fait. »

      26 juillet 2010

      https://agone.org/blog/il-ne-peut-etre-question-en-aucun-cas-pour-moi-daccepter-l-honneur-suppose-qu

      Lettre de Jacques Bouveresse à Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur En réaction à l’attribution d’une Légion-d’honneur qu’il n’a jamais demandée, Jacques Bouveresse nous a transmis la lettre (en date du 17 juillet 2010) par laquelle il a refusé cet « #honneur ».

      Madame la ministre,

      Je viens d’apprendre avec étonnement par la rumeur publique et par la presse une nouvelle que m’a confirmée la lecture du Journal officiel du 14 juillet, à savoir que je figurais dans la liste des promus de la #Légion_d’honneur, sous la rubrique de votre ministère, avec le grade de chevalier.

      Or non seulement je n’ai jamais sollicité de quelque façon que ce soit une distinction de cette sorte, mais j’ai au contraire fait savoir clairement, la première fois que la question s’est posée, il y a bien des années, et à nouveau peu de temps après avoir été élu au #Collège_de_France, en 1995, que je ne souhaitais en aucun cas recevoir de distinctions de ce genre. Si j’avais été informé de vos intentions, j’aurais pu aisément vous préciser que je n’ai pas changé d’attitude sur ce point et que je souhaite plus que jamais que ma volonté soit respectée.

      Il ne peut, dans ces conditions, être question en aucun cas pour moi d’accepter la distinction qui m’est proposée et – vous me pardonnerez, je l’espère, de vous le dire avec franchise – certainement encore moins d’un gouvernement comme celui auquel vous appartenez, dont tout me sépare radicalement et dont la politique adoptée à l’égard de l’Éducation nationale et de la question des services publics en général me semble particulièrement inacceptable.

      J’ose espérer, par conséquent, que vous voudrez bien considérer cette lettre comme l’expression de mon refus ferme et définitif d’accepter l’honneur supposé qui m’est fait en l’occurrence et prendre les mesures nécessaires pour qu’il en soit tenu compte.

      En vous remerciant d’avance, je vous prie, Madame la ministre, d’agréer l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

      Jacques Bouveresse

      –-------------------------

      #décorations

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Bouveresse#Décorations

  • Dingue tout de même ce qui s’est passé pour évincer Nonna Mayer de la présidence de la FNSP. Elle se défend ici dans une tribune.
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/06/nonna-mayer-ceux-qui-m-attaquent-ne-respectent-pas-les-regles-du-debat-unive

    Affublée de l’étiquette d’islamo-gauchiste alors qu’elle était en lice pour la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques, la politiste Nonna Mayer revient dans une tribune au « Monde » sur ses recherches, notamment sur l’antisémitisme, et appelle à lutter contre les préjugés minant la société française

    Tribune. Tout chercheur travaillant sur les préjugés envers l’Islam et les musulmans en France court désormais le risque de se voir accoler l’étiquette infamante « d’islamo- gauchiste ». Un terme confus, polémique, aux effets délétères.

    Le 11 mars, la veille de mon audition par le Comité de recherche formé par Louis Schweitzer pour examiner les candidatures à la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques, un billet non signé sur le site de l’Observatoire du décolonialisme m’accusait pêle-mêle : d’avoir introduit le terme « islamophobie » à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), de lui donner « une caution scientifique », de reprendre mot à mot la définition de feu le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), de mettre sur un pied d’égalité préjugés antisémites et islamophobes, de confondre critique légitime de la religion et attaque contre des croyants, d’importer des théories douteuses sur le genre, la race, l’intersectionnalité.

    Ce texte, au demeurant truffé d’erreurs et de contrevérités, était à l’évidence destiné à délégitimer ma candidature, et à promouvoir celle de Pascal Perrineau, présenté comme « un universitaire » défendant le « camp républicain » et handicapé par sa qualité de « mâle blanc de plus de 50 ans ». D’autres articles ont suivi, stigmatisant la démarche « militante » du sondage annuel sur le racisme de la CNCDH et des chercheurs qui l’analysent, dont je suis.

    Le dernier en date, sous la plume de Pascal Perrineau, m’associe dans une note de bas de page avec Vincent Tiberj à une « mouvance islamo-gauchiste » pour qui l’islamophobie aurait historiquement remplacé l’antisémitisme en Europe.

    Cette campagne, complaisamment relayée par certains médias (voir l’interview le 15 mars du fondateur de l’Observatoire, Xavier-Laurent Salvador, sur le site de L’Express) est grave. Elle met en cause mon intégrité scientifique. Elle vise à discréditer les travaux que je mène sur le racisme et l’antisémitisme depuis trente ans, ceux de la CNCDH, et de l’équipe de chercheurs avec qui j’analyse son enquête annuelle sur le racisme. Le temps est venu de réfuter ces accusations malveillantes. (…)

    • Je n’ai pas introduit le terme d’islamophobie à la CNCDH. Je n’en faisais pas encore partie quand, en 2013, elle engage en interne une réflexion collective sur le sens et l’usage d’un terme qui se diffuse depuis les années 2000, suite au rapport du think tank britannique Runnymede Trust. A l’issue de ce débat, la CNCDH s’est prononcée à la majorité pour l’usage du terme d’« islamophobie » défini comme « attitude d’hostilité systématique envers les musulmans, les personnes perçues comme telles et/ou envers l’islam ».

      Cette définition n’est pas inspirée par le CCIF mais par les travaux pionniers sur le préjugé du psychologue américain Gordon Allport (The Nature of Prejudice, 1954). Le terme s’est généralisé dans les sciences sociales. Elisabeth Ivarsflaten et Paul Sniderman – deux professeurs mondialement reconnus, peu suspects « d’islamo gauchisme » – l’utilisent sans complexe dans leur dernier livre sur l’acceptation des minorités musulmanes en Europe et aux Etats-Unis (The Struggle for Inclusion. Muslim minorities and the democratic ethos, University of Chicago Press, 2021).

      La critique de fond adressée à ce terme est qu’il mêlerait la « phobie » de la religion musulmane et celle de ses croyants. Il interdirait de critiquer l’islam, sous peine d’être taxé de racisme anti musulman. Mais quel serait le bon terme ? L’expression n’est sans doute pas très heureuse. Le suffixe de « phobie » évoque une peur démesurée et irrationnelle, voire des troubles psychopathologiques.

      Mais il en va de même pour les concepts de judéophobie, négrophobie, romaphobie ou homophobie, pourtant entrés dans les mœurs. Celui d’antisémitisme, qui englobe étymologiquement tous les Sémites, est tout aussi insatisfaisant pour décrire l’hostilité envers les seuls juifs. Comme le souligne Pierre-André Taguieff, « remplacer “islamophobie”, jugé trop connoté, par “racisme antimusulman” ou “musulmanophobie” ne changerait rien. Ces expressions seraient exploitées par les mêmes milieux islamistes avec les mêmes objectifs » (« Petites leçons pour éviter tout amalgame », lemonde.fr).

      J’emploie ce terme dans mes recherches sans arrière-pensée, pour désigner l’aversion envers l’islam et/ou les musulmans. Mais il est rare de critiquer une religion, sur des bases philosophiques ou éthiques, en faisant abstraction des hommes et des femmes qui s’en réclament. Ce sont les enquêtés pour qui l’islam et ses pratiques font problème, même invisibles dans l’espace public (prières, jeûne du Ramadan, interdits alimentaires), qui ont le plus de préjugés envers les musulmans et plus largement les immigrés. Et loin de s’enraciner dans les valeurs « républicaines » que menacerait un islam intolérant, les critiques les plus fortes viennent des moins attachés à la laïcité, des moins enclins à défendre les droits des femmes et des minorités sexuelles.
      Me voir reprocher d’accorder dans mes travaux plus d’importance à l’islamophobie qu’à l’antisémitisme et d’être indifférente au fait qu’on tue des juifs en Europe m’est intolérable, alors qu’une partie de ma famille paternelle a été exterminée à Auschwitz. Les mutations de l’antisémitisme sont au cœur de mes travaux sur les préjugés depuis vingt ans. J’ai montré que les violences antisémites en France ont explosé en 2000 après la seconde Intifada, les plus meurtrières étant commises au nom du jihad, à l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse en 2012 (4 morts), à l’Hyper Cacher en 2015 (4 morts).

      Je souligne toutefois plusieurs paradoxes (« Permanences et renouveau de l’antisémitisme en France », dans Race et racisme, Le Seuil, 2020). Les opinions ne suivent pas la même logique que les comportements. Les violences à l’égard des juifs ont suscité en retour indignation et compassion. C’est depuis 2000 que l’image des juifs de France s’améliore sur notre indice de tolérance, jusqu’à devenir la minorité la mieux considérée.

      Mais les préjugés multiséculaires associant les juifs à l’argent et au pouvoir n’ont pas disparu pour autant et ils peuvent encore tuer : c’est en leur nom qu’Ilan Halimi, en 2006, a été kidnappé et torturé à mort, parce que « les juifs ont de l’argent ». Ce sont ces vieux préjugés qui structurent le champ des opinions antisémites en France aujourd’hui, plus que le « nouvel antisémitisme » animé par la critique d’Israël et du sionisme. Si les violences antijuifs sont effectivement attisées par le conflit israélo-palestinien, l’opinion dans sa majorité y est plutôt indifférente, rejetant ses protagonistes dos à dos.

      Ce n’est pas minimiser l’antisémitisme, encore moins nier sa spécificité et celle de la Shoah, que de comparer ce préjugé aux autres, pour mieux le combattre. D’observer que l’hostilité aux juifs s’étend souvent à d’autres minorités, dans un même réflexe « ethnocentriste » rejetant « des manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères » (Claude Levi-Strauss, Race et histoire, Gallimard, 1952).

      De voir que ces préjugés, au-delà de leurs différences, ont des origines communes, à commencer par l’ignorance, reflétant « la raison des sots » (Voltaire). Qu’en France comme dans toute l’Europe les juifs sont mieux acceptés que les musulmans, qui eux-mêmes le sont beaucoup plus que les Roms, partout les moins aimés.

      Un profond malaise identitaire

      Qu’est-ce enfin que « l’islamo-gauchisme » ? Quand Pierre-André Taguieff (La Nouvelle judéophobie, Mille et Une Nuits, 2002) lance l’expression pour décrire les convergences entre groupuscules militants antisionistes d’extrême gauche et islamistes défendant la cause palestinienne, elle a un sens précis.

      Mais son dernier livre (Liaisons dangereuses. Islamo-nazisme, islamo-gauchisme, Hermann, 120 p., 14 €) en a tellement élargi le champ qu’il rend les contours de cette mouvance militante insaisissables et fait de l’islamo-gauchisme un fourre-tout idéologique, où voisinent « victimisme pro islamique », décolonialisme, racialisme, intersectionnalité et féminisme « misandre » (sexiste, utilisant la « théorie du genre » pour inciter « à la haine du mâle blanc hétéro »).
      L’approche, plus polémique que scientifique, traduit surtout un profond malaise identitaire face à une société multiculturelle où les femmes, les LGBT, les minorités ethniques et religieuses cherchent à faire entendre leur voix, et où les travaux des sciences sociales montrent que les inégalités liées au genre et à l’origine se combinent avec celles que découpe la classe, le diplôme, le revenu. C’est cela l’intersectionnalité, une méthode courante consistant à croiser les facteurs explicatifs, rien d’autre !

      Les nouveaux inquisiteurs

      Ceux qui m’attaquent ne respectent pas les règles du débat universitaire, celles d’un échange serein, d’arguments rationnels, étayés par des faits. Leur combat est politique. Il s’inscrit dans le droit fil des propos du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, dénonçant à des fins électorales les « ravages » d’un « islamo-gauchisme » qui « gangrènerait » l’université. Ces nouveaux inquisiteurs mènent une chasse aux sorcières. Ils feraient mieux de lutter contre les préjugés bien réels qui minent la société française, quels que soient les mots utilisés pour les décrire.