• Martine Orange "AÉROPORTS DE PARIS : LA PRIVATISATION DE TOUS LES SOUPÇONS"
    Médiapart 18 février 2019

    Tout est étrange dans le projet de loi portant sur la privatisation du groupe ADP. Le texte est volontairement flou, les règles choisies sont hors norme, la durée de 70 ans de concession sans comparaison. Le gouvernement prévoit même de payer les actionnaires minoritaires pour privatiser et de payer pour reprendre le bien public à la fin de la concession. De quoi soulever nombre de doutes et de soupçons.

    « Heureusement, il y avait l’affaire Benalla. On craignait que la procédure d’indemnisation que nous avons prévue pour la privatisation d’ADP [anciennement Aéroports de Paris – ndlr] soulève des oppositions. En fait, les députés ont à peine regardé. Tout est passé sans problème. »

    Aigline de Ginestous est en verve lors de ce dîner parisien, un soir de septembre. Le projet de loi Pacte, dans lequel est inscrite la privatisation des aéroports de Paris, est alors en discussion en commission à l’Assemblée nationale. Mais les parlementaires ont l’esprit ailleurs, semble-t-il, troublés par ce qui se passe à la commission des lois au Sénat.

    Aigline de Ginestous est alors manifestement très investie dans ce projet. Ancienne salariée de la banque Rothschild, très active dans la levée de fonds d’En Marche ! lors de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, elle est devenue, après les élections, collaboratrice parlementaire de Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques et rapporteur général de la loi Pacte. Elle a aussi beaucoup travaillé sur ADP. Alors ce soir-là, elle se laisse aller aux confidences, face à des invités un peu médusés de découvrir tant de choses restées dans l’ombre dans ce projet de privatisation.

    Elle pourrait d’ailleurs continuer à suivre le projet à l’avenir. Depuis le 16 octobre, à l’occasion du remaniement ministériel, Aigline de Ginestous a été nommée cheffe de cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Contactée, elle n’a pas répondu à notre message.

    Les initiateurs du projet de loi sur la privatisation d’ADP avaient raison de s’inquiéter de la façon dont serait reçu le texte par les parlementaires. Car payer des indemnités aux actionnaires actuels pour privatiser est sans précédent dans une opération de privatisation. C’est l’une des étrangetés, mais pas la seule, dans ce projet de privatisation d’ADP.

    Tout semble volontairement flou, opaque. Même le Conseil d’État, pourtant de tradition peu contestataire, ne peut s’empêcher de relever en introduction de son avis « le caractère singulier de la réforme envisagée par le gouvernement qui conduit à prévoir, dans le projet de loi, un mécanisme “sui generis” d’indemnisation de la société ADP présentant une grande complexité ».

    « C’est un texte presque incompréhensible. Pour en comprendre le sens et la finalité, il faudrait savoir l’objectif que les politiques poursuivent », analyse l’avocat Dominique Schmidt, spécialiste en droit des sociétés et droit boursier.

    Les chiffres clés d’ADP en 2018. © ADP
    Les chiffres clés d’ADP en 2018. © ADP
    L’ennui est que le gouvernement n’a jamais articulé une argumentation convaincante sur ce dossier : pourquoi veut-il vendre à toute force ADP ? La société représente un caractère stratégique évident : elle contrôle la dizaine d’aéroports civils d’Île-de-France dont Roissy, Orly, Le Bourget et l’héliport d’Issy-les-Moulineaux.

    Roissy est classé comme le dixième aéroport mondial pour son trafic passager. Mais si l’on additionne les seuls trafics passagers d’Orly et de Roissy, ADP devient la première société aéroportuaire du monde, devant Atlanta, Pékin et Dubaï. Ces dernières années, la société a enregistré une croissance annuelle de 10 à 30 % de son chiffre d’affaires. Son bénéfice représente une marge nette de 14 %. Elle verse quelque 100 millions de dividendes par an à l’État.

    Alors pourquoi se séparer d’un tel actif ? Même les États-Unis ont gardé la propriété publique de leurs aéroports, les considérant comme des infrastructures stratégiques. L’aéroport de Francfort, troisième aéroport européen, est contrôlé majoritairement par le Land de Hesse et la ville de Francfort. Quant à la Grande-Bretagne, les autorités de la concurrence ont imposé que les deux principaux aéroports de Londres, Heathrow et Gatwick, soient séparés avant d’être privatisés afin de ne pas constituer un monopole.

    Or dans le projet de loi, aucune des précautions n’apparaît : le gouvernement ne prévoit ni maintien d’une présence publique ou des collectivités territoriales, ni séparation pour éviter une situation de rente excessive. Tout doit être cédé d’un bloc à un seul exploitant pendant 70 ans.

    « Les explications du gouvernement ne tiennent pas la route. Sa justification pour privatiser ADP, Engie et La Française des jeux est qu’il veut dégager 10 milliards d’euros pour créer un fonds d’innovation de rupture. Une fois placées, ces sommes doivent lui permettre d’obtenir 300 millions d’euros. Tout cela n’a aucun sens. L’État peut facilement trouver 300 millions d’euros sans ces opérations », soutient le député Charles de Courson qui, tout en ne se disant pas hostile par principe à la privatisation d’ADP, a beaucoup bataillé contre le gouvernement lors de la discussion du texte.

    Lors du débat parlementaire, le ministre des finances Bruno Le Maire a tenté de répondre en avançant des arguments d’une grande faiblesse. Les trois sociétés versent quelque 800 millions d’euros de dividendes par an à l’État, soit bien plus que les 300 millions attendus. Mais cet argent a un rendement de seulement 2,2 %, selon le ministre des finances, alors que l’argent tiré de ces ventes et placé pourrait lui offrir un rendement de 2,5 % (voir le compte-rendu des débats ici).

    La bonne opération avancée par le gouvernement a des allures de placement du livret A. Comment justifier l’abandon au privé pendant 70 ans d’un tel bien commun, qui constitue de fait une rente, en mettant en face de tels chiffres ? D’autant que le motif invoqué revient, alors que l’État s’appuie déjà sur la Caisse des dépôts et la BPI, à créer un fonds d’investissement à risque, ce qui ne relève ni de ses missions ni de ses compétences.

    Après l’Assemblée, le texte a été discuté au Sénat début 2019. Entretemps, il y a eu le cruel rapport de la Cour des comptes sur la privatisation des aéroports régionaux, le fiasco confirmé de la vente de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, le scandale renouvelé des autoroutes privatisées. Ces précédents justifiaient de ne pas réitérer l’expérience, surtout avec une société de l’importance d’ADP, ont expliqué les sénateurs. Droite et gauche unies, les sénateurs ont repoussé à début février cette privatisation, ainsi que celle de La Française des jeux et d’Engie.

    « Nous aurons le dernier mot », ont répliqué des députés LREM. La majorité semble bien décidée à rétablir les privatisations prévues dans le cadre de la loi Pacte. Car le gouvernement y tient par-dessus tout.

    Pourquoi tant d’acharnement ? Au bénéfice de qui ? Analyse d’un projet de privatisation qui soulève nombre de doutes et de soupçons.

    Sous le regard de la Constitution
    Jusqu’alors, tous les gouvernements qui se sont succédé ont exclu ADP du champ des privatisations. Même quand la société a été transformée en 2005, afin de permettre l’entrée d’actionnaires minoritaires, il a été inscrit qu’elle resterait contrôlée majoritairement par l’État. La raison invoquée était simple : Aéroports de Paris n’était pas privatisable.

    Selon de nombreux juristes, ADP s’inscrit dans le champ d’application de la Constitution, si l’on invoque le 9e alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »

    « ADP n’est pas constitutionnellement privatisable : cette société gère directement une frontière vitale placée au cœur de notre capitale économique et politique ; 80 % du trafic aérien de l’étranger vers la France s’effectue en recourant à ses services. Force est donc de constater que l’exploitation de la société ADP a un caractère de service public exercé à l’échelon national », rappellent dans une tribune publiée fin janvier dans Le Mondeplusieurs personnalités, dont Patrick Weil et Paul Cassia (lire le billet de ce dernier dans le Club de Mediapart), parties en guerre contre ce bradage.

    Le caractère inconstitutionnel a été soulevé à plusieurs reprises dans les débats parlementaires. Dans son argumentaire, le gouvernement se retranche derrière l’avis du Conseil d’État donné sur la loi Pacte. En quelques lignes, celui-ci a balayé l’obstacle d’un revers de main : « Si la société ADP est chargée, à titre exclusif, d’exploiter une dizaine d’aéroports civils, ceux-ci sont tous situés dans la région d’Île-de-France. Il estime donc qu’ADP, nonobstant l’importance des aéroports qu’elle exploite, n’exerce pas une activité présentant le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait, au sens et pour l’application du neuvième alinéa du préambule de 1946. »

    Mais sur quoi se fonde le Conseil d’État pour émettre un tel avis ? Lorsqu’une société accueille 80 % des trafics passagers d’un pays, peut-on se limiter à sa seule implantation régionale pour déterminer qu’elle n’exerce pas un monopole national parce qu’elle n’est que francilienne ? Pour trancher ces questions complexes, a-t-il par exemple consulté l’Autorité de la concurrence, dont la mission est notamment de déterminer les marchés pertinents, le caractère monopolistique ou non d’une société ?

    Interrogé par Mediapart, le Conseil d’État a répondu que non, il n’a pas sollicité l’Autorité de la concurrence. Il dit s’en être tenu à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la question, et notamment sur celle qui avait prévalu lors de la privatisation de Gaz de France. « Le commentaire de la décision du 30 novembre 2006[du Conseil constitutionnel] relève ainsi que la notion de marché à laquelle se réfère implicitement le Conseil constitutionnel pour l’application du neuvième alinéa du préambule de 1946 est beaucoup plus large que celle de “marché pertinent” retenue par le Conseil de la concurrence pour l’application du droit de la concurrence », précise le Conseil d’État.

    Mais sur quoi se fonde l’appréciation, si ce n’est pas sur des critères économiques ? Sans étude, sans estimation chiffrée, sans comparaison, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont donc leur propre estimation de ce qui constitue un monopole. Leur évaluation semble n’avoir qu’un lointain rapport avec ce que dit l’Autorité de la concurrence et, plus largement, avec les théories économiques sur le sujet. Ce qui permet toutes les interprétations, en toute opportunité.

    « Je ne crois pas qu’ADP constitue un monopole physique. Ils sont très rares. Pour ADP, on peut dire que Paris est en concurrence avec le hub de Londres, de Francfort ou d’Amsterdam. C’est là où sont les nouvelles concurrences », dit Charles de Courson.

    Le député de la Marne ne cache pas qu’il a une position un peu originale, même dans son camp. « La privatisation d’ADP, pourquoi pas ? Mais pour quoi faire ? Est-ce que cela permet d’inscrire Paris dans un réseau aéroportuaire international, qui semble être la tendance lourde du développement des services aéroportuaires ? Est-ce que la préservation d’Air France est prise en compte ? Est-ce que cela répond à l’intérêt général ? Si les conditions sont réunies, on peut le faire. Sinon, il faut s’abstenir. »

    Jusqu’à présent, le gouvernement a été incapable d’apporter des réponses à ces questions, de démontrer en quoi cette privatisation répondait à l’intérêt général. À aucun moment, il n’a présenté une vision à long terme, expliqué comment il voyait évoluer le transport aérien, quel rôle pouvait avoir ADP, pourquoi le transfert d’une telle rente au privé avait un sens. Aucun plan, aucun schéma directeur n’a été avancé, comme si l’avenir de Roissy et d’Orly relevait de la seule compétence du futur concessionnaire.

    Le seul projet évoqué est celui de la direction d’ADP : la construction d’un quatrième terminal à Roissy. Ce nouvel équipement, d’un coût estimé entre 7 et 9 milliards d’euros, justifie selon le gouvernement à la fois la privatisation et une concession hors norme de 70 ans. Dans les sociétés, de tels projets s’amortissent plutôt sur 20 ou 30 ans.

    Ce projet d’extension est vivement contesté par les riverains, qui dénoncent une centralisation accrue du trafic aérien sur Roissy. Ils redoutent que leur quotidien ne devienne invivable. Un tel projet démontre bien en tout cas la tentation de concentration – monopolistique aurait-on envie de dire – d’ADP, au contraire de tout ce qui a été affirmé.

    Tout est hors norme dans le projet de loi sur la privatisation d’ADP : les mécanismes imaginés pour la réaliser, les schémas juridiques, la période sur laquelle elle doit s’étendre, et comment l’État envisage de récupérer son bien à la fin.

    En 2005, ADP a changé de statut. L’État lui avait apporté la propriété de tous les actifs aéroportuaires et, pour renforcer son bilan, la propriété foncière de quelque 8 600 hectares de domaine public, avant de l’introduire en Bourse. Mais il était bien inscrit que l’État en garderait le contrôle majoritaire.

    C’est cette architecture qui embarrasse le gouvernement et qu’il veut casser. Pour cela, il lui fallait d’abord résoudre la question foncière. Plus de 8 000 hectares en région parisienne, cela vaut beaucoup d’argent. Pour ne pas avoir à réévaluer la valeur d’ADP, tout en n’ayant pas l’air de brader le patrimoine public, le gouvernement – ou plus exactement Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée à la manœuvre sur le dossier – a imaginé transformer la société en concession.

    Les apparences sont ainsi sauves : officiellement, les terrains restent la propriété de l’État. Le concessionnaire aura-t-il, cependant, la liberté de l’utiliser comme il l’entend pendant la durée de la concession ? Rien n’est dit sur le sujet. Mais tout laisse craindre, au vu des précédents des contrats autoroutiers, que les intérêts de l’État ne soient, une fois de plus, jamais défendus et que le concessionnaire soit libre de faire ce que bon lui semble, sans en avoir payé le prix.

    Une privatisation hors norme
    Cette transformation a conduit le gouvernement à proposer un schéma singulier « d’une rare complexité », comme le dit le Conseil d’État. L’imagination, il est vrai, a été au pouvoir. Le gouvernement a estimé que les actionnaires minoritaires actuels perdaient une partie de la valeur de leur investissement, puisque ADP n’allait plus être une société dont la durée de vie était illimitée, mais bornée dans le temps, la concession étant limitée à 70 ans. Selon l’analyse juridique soutenue par le gouvernement, cela revient à une sorte d’expropriation ou de nationalisation. Il convient donc d’indemniser les actionnaires existants pour cette perte.

    Ainsi, le gouvernement s’apprête à payer pour privatiser ADP. C’est sans précédent. En dépit de nombreuses recherches, il nous a été impossible de trouver un cas semblable en France ou à l’étranger.

    Selon les premiers chiffres avancés par le gouvernement, les indemnités s’élèveraient entre 500 millions et 1 milliard d’euros. Alors que la vente d’ADP est estimée autour de 8 milliards, l’État se priverait ainsi d’une partie de la somme pour dédommager les actionnaires actuels. Parmi ceux-ci figurent Vinci, actionnaire à 8 %, qui a depuis longtemps mis un pied dans la porte de la société, et Schiphol Group, qui exploite notamment l’aéroport d’Amsterdam, actionnaire lui aussi à hauteur de 8 %.

    « L’État a choisi cette formule parce que c’est plus facile à privatiser comme cela, plutôt que de désintéresser les actionnaires minoritaires. En fait, il leur fait bénéficier de la prime de contrôle qui lui revient en tant qu’actionnaire majoritaire », analyse l’avocat Dominique Schmidt, qui a souvent défendu l’Autorité des marchés financiers (AMF) devant les tribunaux.

    « Cette procédure semble logique et habituelle comme mécanisme. C’est le même principe qu’une indemnité d’éviction pour un locataire exploitant. L’idée est de compenser un préjudice lié au fait qu’il y avait une durée infinie pour exploiter qui se réduit à 70 ans et donc un préjudice. Pour autant, compte tenu de la durée assez inhabituelle dans le monde des affaires (70 ans), cette approche reste pour le coup seulement éventuelle à mon sens et très théorique », explique de son côté Olivier Arthaud, président de la chambre régionale des commissaires aux comptes de Lyon.

    L’étrangeté de l’opération ADP ne s’arrête pas là. Le droit des concessions est inscrit de longue date dans la pratique en France : à la fin de la durée de vie de la concession, le concessionnaire doit restituer l’ensemble des actifs et des biens en état à la puissance concédante – État ou collectivités locales – gratuitement. Aucun dédommagement n’est prévu. Mais pas dans le cas d’ADP : l’État a prévu de lui racheter les actifs au terme de la concession.

    Là aussi, c’est une situation sans précédent. Le risque est que l’État doive débourser des sommes gigantesques à la fin de la concession. Comme il est toujours impécunieux, il y a de fortes chances pour qu’il reconduise la concession plutôt que de la racheter. Sans le dire, c’est une concession à perpétuité pour le privé qui risque de se mettre en place.

    Afin de diminuer la valeur de rachat futur – en vieillissant, les actifs perdent de leur valeur – et d’économiser les deniers publics – c’est en tout cas la présentation qui en a été faite lors des débats parlementaires –, le gouvernement se propose d’allonger la valeur de la concession : 70 ans ! Là encore, aucune concession n’a jamais été aussi longue. D’autant qu’il ne s’agit pas de construire des aéroports, de créer ex nihilo des équipements. Ils existent, ils sont exploités et entretenus.

    « C’est le temps pour permettre une stabilité et une visibilité de l’exploitation à long terme », a justifié Bruno Le Maire pour expliquer cette durée hors norme. En termes économiques, cela s’appelle une rente perpétuelle, injustifiée. D’autant que le gouvernement a rejeté tous les amendements qui proposaient d’encadrer au moins un peu la procédure, de prévoir des clauses de revoyure, de révision.

    Un épais silence entoure aussi la possibilité que la société concessionnaire – en la matière, sa durée de vie est moins garantie que celle de l’État – change de mains, soit victime d’une OPA durant cette période. Qu’advient-il alors ? L’État aura-t-il la possibilité de récupérer la concession d’ADP, si celle-ci tombe aux mains de capitaux chinois par exemple ? Mystère.

    Cette question délicate n’est pas dans la loi mais est renvoyée au contrat de concession, le gouvernement semblant considérer qu’un droit d’agrément suffit pour préserver ses intérêts. Pendant 70 ans, le concessionnaire d’ADP doit avoir les mains libres, selon le gouvernement. On se saurait brider l’initiative privée.

    Une formule d’indemnisation sur mesure

    Le diable est souvent dans les détails. Dans le projet de loi sur la privatisation d’ADP, il se cache dans la formule comptable retenue pour calculer les indemnités à verser aux actionnaires existants. La première bizarrerie est que le gouvernement soit tenu d’inscrire cette méthode d’évaluation dans la loi.

    Pour calculer le montant des indemnités à verser aux minoritaires, il a choisi de ne retenir qu’un seul critère : les flux de trésorerie disponibles actualisés. Interrogé par Mediapart sur les motifs qui l’avaient conduit à retenir cette méthode, le ministère des finances n’a pas répondu.

    Cette méthode d’évaluation (pour les modes de calcul, voir ici) est censée permettre d’évaluer les ressources financières et les profits futurs que pourra dégager une entreprise. Mais cela repose sur des facteurs bien subjectifs. « Tout repose sur l’histoire que veut raconter l’entreprise. Surtout dans cette méthode, il a un facteur particulièrement souple : c’est le taux d’actualisation. C’est là que cela se passe. Selon le taux choisi, la valeur peut varier du simple au quadruple. »

    Olivier Arthaud, commissaire aux comptes, confirme l’analyse : « Faire varier le taux d’actualisation d’un point peut avoir un impact de plus de 20 % sur la valeur. C’est donc très “facile” de pousser une tendance ou une autre dans ce type d’approche. »

    Les observateurs sont encore plus perplexes sur la durée choisie pour effectuer les estimations. En général, le temps de référence se situe entre 5 et 7 ans, rarement au-delà. « 70 ans, cela tient de la divination », ironise Dominique Schmidt. « On est dans l’exercice théorique », abonde Olivier Arthaud, ajoutant qu’il voudrait au moins prévoir des clauses de revoyure tous les dix ans pour s’assurer de la vie future d’ADP. À ce stade, le gouvernement l’a exclu.

    La façon alambiquée dont répond le Conseil d’État sur cette méthode traduit un suprême embarras. Tout en relevant qu’au-delà de 20 à 30 ans, il est difficile d’avancer la moindre prévision, il statue finalement que « l’exercice n’est pas impossible » (voir son avis).

    « Mais qui a pu écrire un tel texte ? », s’amuse un connaisseur du dossier en commentant l’avis du Conseil d’État. « Y aurait-il quelque cabinet qui lui aurait suggéré la rédaction en lui faisant passer leur avis par quelque “porte étroite” [l’appellation fait référence aux interventions des lobbies qui s’adressent dans la plus totale opacité aux membres du Conseil constitutionnel (voir notre article) – ndlr] ? »

    Lorsque nous lui avons demandé comment il justifiait une telle méthode de calcul et s’il avait reçu des avis extérieurs, le Conseil d’État a répondu : « Le Conseil d’État s’est prononcé à partir des éléments qui lui étaient fournis par le gouvernement, après lui avoir posé toute question utile et dialogué avec lui. »

    Au bon vouloir du gouvernement
    « Mais pourquoi ne prévoyiez-vous pas un appel d’offres public ? Prévoir une procédure de gré à gré ne pourra qu’entretenir le soupçon. » Lors des débats parlementaires, plusieurs députés ont interpellé le ministre des finances sur les procédures choisies pour privatiser ADP et sur l’opacité régnant autour de ce dossier. « Je les ai prévenus. je leur ai dit qu’un appel d’offres les protégerait. Ils n’ont rien voulu entendre », dit Charles de Courson.

    À toutes les remarques et suggestions présentées par les parlementaires, le ministre des finances a opposé une fin de non-recevoir. Pas question de faire un appel d’offres public, pas question de publier le cahier des charges, pas question de s’expliquer.

    Pour bien montrer qu’il avait l’intention d’avoir de bout en bout la main sur le dossier, le gouvernement a soutenu des amendements opportunément déposés par des membres de la majorité LREM. Ceux-ci prévoient d’encadrer strictement le temps d’instruction du dossier de la commission des participations et des transferts.

    Chargée par la loi d’évaluer les conditions de privatisation de tous les biens publics, cette autorité voit réduire son rôle à une simple chambre d’enregistrement des volontés du gouvernement sur ce dossier : elle n’aura, selon les amendements déposés, que trente jours pour se prononcer sur la privatisation d’ADP.

    Il est donc à craindre que tout se passera – et est peut-être même déjà engagé – ailleurs. Pour le conseiller, le gouvernement a déjà choisi depuis longtemps son banquier d’affaires : c’est Bernard Mourad. Ancien dirigeant du groupe Altice, ce proche d’Emmanuel Macron a rejoint En Marche !, où il était lui aussi chargé de la collecte de fonds, pendant la campagne présidentielle.

    Après l’élection présidentielle, il a créé une petite banque d’affaires puis a rejoint la filiale parisienne de Bank of America, dont il a pris la direction. Et c’est cette banque qui a été choisie comme conseil de l’État dans le dossier ADP. Comme Bernard Mourad le dit à Vanity Fair, « c’est challenging ».

    Dans son rapport sur les privatisations des aéroports régionaux, la Cour des comptes avait rappelé à l’ordre le ministère des finances, en lui rappelant que les règles de déontologie s’appliquaient aussi à lui, que les conflits d’intérêts n’étaient pas qu’une question théorique. Compte tenu du rôle joué par Bernard Mourad pendant la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, n’aurait-il pas été préférable que Bercy applique un devoir d’abstention, afin d’éviter tout soupçon ? Interrogé, le ministère des finances n’a pas répondu.

    Car le soupçon est là, toujours plus pesant, au fur et à mesure que le dossier chemine au Parlement. Avant même que la procédure ne soit officiellement ouverte, Vinci, qui possède déjà les aéroports de Nantes, Lyon et Gatwick (Angleterre), et est candidat pour reprendre celui de Toulouse – ce qui devrait normalement soulever au passage quelques problèmes de concurrence –, est présenté comme le grand vainqueur.

    Au point que le PDG du groupe de BTP et de concessions, Xavier Huillard, a fini par s’énerver lors de la présentation de ses résultats. « Nous sommes absolument convaincus que ce modèle de gestion privée est plus que jamais efficace pour renforcer l’attractivité des territoires », a-t-il soutenu, en récusant tous les procès d’intention faits à son groupe sur sa gestion des autoroutes, dont il est aussi le premier concessionnaire en France.

    Selon certaines rumeurs, il pourrait être amené à partager ADP avec quelques autres actionnaires extérieurs qui viendraient l’accompagner. Le nom de la Caisse des dépôts du Québec – dont le rapporteur général du projet de la loi Pacte, Roland Lescure, est un ancien premier vice-président – est souvent évoqué. Elle est peut-être déjà présente au capital d’ADP, mais son nom n’apparaît pas car elle n’a pas franchi le seuil de déclaration.

    L’institution canadienne, présente en France depuis plus de vingt ans, essentiellement dans l’immobilier, a de grands projets en France. Elle a justement ouvert un bureau en France, spécialisé dans les infrastructures.

    Mais on cite aussi des fonds d’investissement, des banques d’affaires comme Macquarie Group ou Goldman Sachs. Bref, beaucoup de personnes, particulièrement dans le monde financier, semblent très attirées par ADP. Ce qui devrait normalement amener le gouvernement à reconsidérer son analyse sur le dossier, à se demander si vraiment il faut privatiser un tel actif. Mais non. Le gouvernement veut vendre, vendre à tout prix le groupe ADP.

    Dans sa décision du 26 juin 1986, le Conseil constitutionnel avait fixé les grands principes qui devaient conduire les privatisations : « L’État ne peut céder des actifs en dessous de leur valeur et le choix des acquéreurs doit se faire “sans privilège” », avait-il tenu à préciser. Pourquoi, dans le dossier ADP, le gouvernement donne-t-il tant l’impression de vouloir passer outre ce principe ? Pourquoi a-t-on le sentiment, avant même que la privatisation ne soit engagée, que tout est opaque et que tous les dés sont pipés ?

  • *À travers des salles sans fin

    Wolfgang Streeck
    Behemoth : Une histoire de l’usine et de la construction du monde moderne de Joshua Freeman
    Norton, 448 pages, £ 12.99, mars, ISBN 978 0 393 35662 5
    LRB Vol 41 n°3 - 7 feb 2019

    C’était au début des années 1960, je pense que notre classe d’un gymnase d’une petite ville a fait un voyage dans le sud-ouest de l’Allemagne, accompagnée de plusieurs enseignants. Nous avons visité Heidelberg et Schwetzingen et des endroits similaires sans vraiment les voir ; Les garçons de 17 ans ont d’autres préoccupations. Mais nous sommes aussi allés à Rüsselsheim, près de Francfort, pour visiter l’usine de voitures Opel. Je n’avais jamais imaginé qu’un tel lieu puisse exister : le bruit assourdissant, la saleté, la chaleur et au milieu de tout cela, des personnes effectuant stoïquement de petites opérations prédéfinies sur les voitures en construction qui étaient lentement mais sans relâche passer devant leurs postes de travail. Le point culminant de la visite a été la fonderie du sous-sol - qui, comme je l’apprends maintenant du livre merveilleux de Joshua Freeman, était l’endroit habituel pour les fonderies dans les usines automobiles de cette époque. Ici, là où la chaleur semblait insupportable et qu’il n’y avait presque pas de lumière, des hommes à moitié nus transportaient le métal en fusion, chauffé au rouge, du four aux postes de coulée, dans de petits seaux remplis à la limite du poids. Formé aux classiques plutôt qu’au monde réel, j’ai eu le sentiment d’entrer dans l’atelier d’Héphaïstos. Avec le recul, je pense que c’est ce jour-là que j’ai décidé d’étudier la sociologie, ce qui, à mon avis, pouvait alors aider d’autres personnes à améliorer la vie de ceux qui étaient esclaves dans les sous-sols des usines du monde entier.

    Plus tard, quand j’étais jeune spécialiste en sciences sociales, l’industrie automobile est restée une obsession. Dans la mesure du possible, j’ai inclus la construction automobile dans mes travaux empiriques, et j’ai pris le soin de visiter les usines pour me rappeler comment elles étaient et reconstituer mon stock d’images imaginaires de ce que j’essayais, souvent en vain, de convaincre mes collègues. Cathédrales gothiques du 20ème siècle. C’était incroyable à quel point ils changeaient et à quelle vitesse. À chaque visite, il y avait moins de bruit, de saleté et de poussière ; beaucoup meilleur air ; pas de soudure à la main ou en hauteur ; ateliers de peinture automatique hermétiquement fermés ; soulever des objets lourds par des machines et plus tard par des robots. Et au stade de l’assemblage final, c’étaient maintenant les travailleurs qui étaient assis sur des plates-formes mobiles qui les transportaient avec les portes ou les sièges ou tout ce qui leur convenait. Ma dernière visite à l’usine Volkswagen de Wolfsburg, il y a plus de trente ans, s’est terminée comme à l’accoutumée lors du montage final, où les seuls sons entendus étaient de la musique douce et le premier tir des moteurs à la fin de la ligne lorsque les nouvelles voitures ont été chassés. Les ouvriers étaient principalement des femmes, vêtues de jeans et de t-shirts. Avec un grand sourire et le chauvinisme masculin qui fait peut-être toujours partie de la culture de la construction automobile, mon guide, issu du comité d’entreprise tout puissant, a déclaré que je regardais le « marché du mariage de Wolfsburg » : « Les gars passent ici quand ils ont une pause pour voir ce qui est proposé. habillé en jeans et t-shirts. Avec un grand sourire et le chauvinisme masculin qui fait peut-être toujours partie de la culture de la construction automobile, mon guide, issu du comité d’entreprise tout puissant, a déclaré que je regardais le « marché du mariage de Wolfsburg » : « Les gars passent ici quand ils ont une pause pour voir ce qui est proposé. habillé en jeans et t-shirts. Avec un grand sourire et le chauvinisme masculin qui fait peut-être toujours partie de la culture de la construction automobile, mon guide, issu du comité d’entreprise tout puissant, a déclaré que je regardais le « marché du mariage de Wolfsburg » : « Les gars passent ici quand ils ont une pause pour voir ce qui est proposé.

    Nombre des changements résultent des progrès technologiques, ainsi que des contraintes du marché du travail - en particulier de la nécessité de féminiser la main-d’œuvre. Mais la politique et les relations industrielles comptaient au moins autant. Dans les années 1970, après la vague de grèves de 1968 et 1969, les gouvernements, les directions et les syndicats des pays manufacturiers européens ont commencé à prendre au sérieux les demandes d’humanisation du travail industriel. En Allemagne, sous la direction de Brandt et Schmidt, une campagne nationale de recherche et développement, dirigée par un département spécial du ministère de la Recherche et de la Technologie, a largement financé des projets universitaires et industriels dans les domaines de l’ingénierie, du management et de la sociologie industrielle. L’objectif était de mettre fin au taylorisme et certains travailleurs et leurs représentants ont acquis le droit, et pas seulement d’être informés et consultés,

    Freeman, dont l’histoire est centrée sur le Royaume-Uni, les États-Unis, l’URSS et la Chine, contourne en grande partie le continent européen, ce qui est regrettable étant donné le succès durable de la fabrication dans des pays comme l’Allemagne et la Suède. Il est certain que la participation des travailleurs et l’antitorayisme avaient leurs inconvénients, de même que la cogestion des travailleurs. En Suède, les réformes ont abouti à des méthodes de production d’avant-garde chez Volvo et Saab, qui étaient non seulement chères, mais étaient également détestées par les travailleurs qu’elles étaient supposées bénéficier : un "travail de groupe" sur des "îlots de production", par exemple, où des voitures étaient placées. quasiment de rien par une équipe et les travailleurs ont été encouragés à signer le produit fini. Saabs et Volvos ont été pendant un temps les voitures préférées des intellectuels européens, car on les croyait fabriquées

    En Allemagne, dans l’intervalle, la coopération entre la direction et le comité d’entreprise chez Volkswagen s’est peu à peu transformée en collusion et en cooptation. Les scandales comprenaient des paiements de plusieurs millions d’euros au président du comité d’entreprise et à sa petite amie, autorisés par le directeur du personnel de l’entreprise, Peter Hartz. (En 2002, alors qu’il était chez VW, le chancelier Gerhard Schröder a nommé Hartz au poste de président d’une commission sur le marché du travail, ce qui a finalement débouché sur les réformes « Hartz-IV », qui ont réduit les prestations pour les chômeurs de longue durée.) Cela importait plus à la presse qu’au magasin et, quels que soient les programmes élaborés par la direction, les syndicats et les comités d’entreprise, les travailleurs appréciaient au moins leurs nouvelles conditions de travail.

    Le livre de Freeman raconte une histoire longue et élaborée qui commence en Angleterre à la fin du 18e siècle, puis aux États-Unis - du textile à l’acier, en passant par l’automobile - puis à la victoire mondiale du taylorisme et du fordisme dans la première moitié du 20e siècle . Cette victoire s’étendit à l’Union soviétique sous Staline et atteignit son apogée dans la production de masse de la Seconde Guerre mondiale. La guerre froide s’ensuit, puis la montée de la Chine et sa propre version du capitalisme. Tout au long de son récit, Freeman exprime une profonde ambivalence vis-à-vis de l’industrialisation moderne : d’une part, expulsion de la terre, prolétarisation, exploitation, répression et discipline cruelle ; d’autre part, émancipation par rapport aux modes de vie traditionnels, nouvelles solidarités, syndicats capables de lutter pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions,

    Freeman ne prête pas attention à l’organisation interne des usines, mais également à leurs relations avec la société et à leurs effets. Le fait que les usines nécessitent des schémas d’établissement particuliers - nouvelles villes ou grands logements d’entreprise - ne figure pas toujours en bonne place dans les comptes de l’industrialisation. La planification de l’arrivée soudaine d’un grand nombre de personnes dans un espace auparavant peu peuplé était attrayante pour les urbanistes, avec leurs visions d’une nouvelle société et d’un nouvel ouvrier industriel ayant besoin de divertissement, d’éducation et de culture : un contraste frappant avec la vie dans les villages où la première génération de travailleurs industriels ont été recrutés. Les architectes ont souvent conçu de nouveaux bâtiments d’usines, non seulement pour répondre à des besoins utilitaires, mais également pour faire des déclarations esthétiques sur la valeur de ce qu’ils produisaient. Architecture d’usine,

    Le récit de Freeman sur « la construction du monde moderne » nous ouvre les yeux sur le degré de fertilisation croisée internationale, en particulier dans les années 1930 et 1940, lorsque la fabrication à grande échelle commençait à prendre toute son ampleur. Henry Ford était une icône mondiale qui comptait Hitler parmi ses admirateurs. Dès son arrivée au pouvoir, Hitler s’était efforcé, mais en vain, de faire abandonner aux constructeurs automobiles allemands leurs méthodes de production à petite échelle au profit de la production en série d’une voiture simple "pour le peuple" - une Volkswagen.L’exemple de Ford a inspiré Hitler à installer une usine automobile sur son modèle dans un endroit qui sera appelé plus tard Wolfsburg (il existait déjà deux usines beaucoup plus petites de Ford et de General Motors en Allemagne, à Cologne et à Rüsselsheim), qui auraient été importées de Dearborn, Michigan. En 1938, Hitler décerna à Ford la plus haute décoration du régime nazi réservée aux étrangers, la grande croix de l’ordre allemand de l’aigle.

    Un autre trait inhabituel de l’histoire de Freeman est l’espace qu’il consacre à la représentation artistique de l’usine, à commencer par le futurisme. La photographie et la cinématographie, les toutes dernières branches de la production artistique, reproductibles en tant que produits de masse, ont été particulièrement importantes. Photographes et cinéastes ont bien documenté la corvée de la production en série et la misère de l’exploitation, mais ils étaient également fascinés par la promesse de progrès que représentent les nouvelles voitures sortant du tapis roulant, les turbines et les moteurs d’avions polis, design avant-gardiste, comme le siège social Johnson Wax de Frank Lloyd Wright à Racine, Wisconsin.

    Une question récurrente dans la longue histoire de Freeman est de savoir si la souffrance des travailleurs au cours des premières années d’industrialisation était vraiment nécessaire. Ce débat commence par la discussion d’Adam Smith sur la division du travail, l’augmentation de la productivité et la négation de l’humanité qu’elle entraîne - de sorte que ses avantages sont annulés à un moment donné par les dommages causés aux capacités mentales humaines et à l’estime de soi. Les capitalistes ont insisté sur le fait que le gaspillage de quelques générations dans l’enfer des usines de Manchester était un sacrifice nécessaire pour assurer un meilleur avenir à tous. Mais où finit le sacrifice si l’impératif du capitalisme est l’accumulation infinie de capital ? Ce n’était pas vraiment un problème sous le socialisme : Staline et Trotsky considéraient tous les deux que l’utilisation de la force brute était indispensable à une version socialiste de l’accumulation primitive. une confiance sans faille dans le taylorisme et une discipline de type militaire pour faire avancer la création d’une classe ouvrière socialiste. L’avènement du communisme, disait-on dans le récit, signifierait la libération de la société du travail par le biais d’une combinaison de capital socialisé et de pouvoir soviétique. Les sociaux-démocrates européens, pour leur part, ont opté pour la libérationen ne de travail : ils se sont installés, en d’ autres termes, pour moins de contrôle de gestion, les possibilités pour les travailleurs à élargir leurs rôles, des chaînes plus courtes de commandement, et pour tirer profit de l’ augmentation de la productivité pour ralentir le rythme de travail.

    Sans surprise, le conflit entre le travail et le capital - ou la direction - sur l’organisation et la discipline des usines est un thème prédominant dans le récit de Freeman. Une attention particulière est accordée à la lutte pour la division du produit résultant de la productivité supérieure résultant de la coopération dans la production à grande échelle. Le travail en usine est un travail d’équipe : il est impossible de concevoir une formule simple pour diviser ses avantages, ouvrant ainsi la porte à la négociation entre des parties ayant des intérêts divergents. Ici, un paramètre crucial est le pouvoir relatif, tel qu’il est influencé par et affecté par les institutions nationales et locales chargées des relations professionnelles. Le pouvoir façonne fondamentalement l’organisation de la production. Par exemple, Freeman raconte qu’aux États-Unis après la guerre, les usines géantes ont commencé à se démoder et ont été remplacées par des sites de production beaucoup plus petits et très dispersés géographiquement. Les nouvelles technologies de transport et de coordination ont contribué à rendre cela possible, de même que la désintégration verticale et la livraison des pièces juste à temps. Selon Freeman, toutefois, la force motrice était la réaction de la direction face au pouvoir que les travailleurs organisés avaient été autorisés à exploiter dans le cadre du New Deal, le plus efficacement possible dans les grandes usines. Pour éviter des concessions coûteuses à leur main-d’œuvre nouvellement habilitée, les entreprises se sont réinstallées dans de nouvelles installations, là où il n’y avait pas de tradition de syndicalisation. Dans ce cas, la « gestion des ressources humaines » pourrait être en mesure d’examiner cent mille demandes d’emploi pour sélectionner 1 500 personnes. Elles pourraient ainsi s’assurer que les travailleurs qu’ils ont embauchés sont antisyndicaux,

    De son côté, Freeman note que l’abandon des grandes usines n’était pas universel. Cela n’a pas été le cas dans les pays et les entreprises dotés d’une démocratie industrielle efficace, où les représentants des travailleurs avaient le droit de veto sur la délocalisation des emplois, garantissant en retour la paix industrielle. Un exemple parfait est, encore une fois, l’usine principale de Volkswagen à Wolfsburg, où l’effectif déjà important de 44 000 personnes en 2007 est passé à 62 000 personnes dix ans plus tard (un peu moins que ce que prétend Freeman). Cela a été possible principalement parce que le syndicat a pu obtenir des garanties d’investissement et de maintien de l’emploi dans l’usine, en échange de ses services dans la gestion du mécontentement des travailleurs. Un autre facteur est que l’état de la Basse-Saxe, où se trouve Wolfsburg, est un actionnaire privilégié de Volkswagen et suffisamment puissant pour que des emplois y soient conservés.

    Bien sûr, il n’ya pas que la direction qui trouve effrayantes usines énormes ; les travailleurs peuvent aussi, surtout s’ils n’ont pas voix au chapitre. À la fin des années 1970, j’ai emmené un responsable syndical britannique visiter l’usine de Wolfsburg. Habitué aux petites usines Leyland britanniques de l’époque, condamnées, dispersées géographiquement et jamais vraiment intégrées, qui étaient ravagées par les conflits industriels et dépendaient de subventions publiques, le fonctionnaire devint de plus en plus déprimé alors que nous traversions les halls de fabrique apparemment sans fin commencé à se plaindre de l’inhumanité de serrer autant de travailleurs dans un même espace. Sa frustration a augmenté seulement après qu’il ait demandé combien de fois, en moyenne, l’usine atteignait ses objectifs de production : ses homologues allemands n’ont pas compris la question car ils ne pouvaient pas concevoir que les objectifs de production ne soient pas atteints. Le soir, autour d’une bière, il trouva un soulagement en violant leCommandement de Fawlty Towers et mention de la guerre ("À l’époque, ces hommes ne se comportaient pas") : en tant que membre d’une petite unité spéciale de marines, il avait atterri à Flensburg pour aider à arrêter Großadmiral Dönitz, un acte d’héroïsme pour lequel, À sa grande surprise, nous avons exprimé notre profonde gratitude.

    Le dernier chapitre de Freeman porte sur les « usines géantes » de l’Asie, en particulier les usines Foxconn appartenant à des Taiwanais et situées en Chine continentale. Ici aussi, les problèmes de taille sont minimisés - par le biais de la répression. En tant qu’historien, Freeman situe les relations de travail actuelles de la Chine dans le contexte de son histoire récente, en particulier la révolution culturelle, lorsque la direction était subordonnée à la volonté des masses et que la discipline d’usine était remplacée par une ardeur révolutionnaire. Il ne reste que peu de cela aujourd’hui, à moins que le régime sévère du secteur privé en forte croissance du secteur manufacturier chinois ne soit en partie compris comme une suite dialectique des catastrophes économiques et politiques des années 1960 et 1970.

    En Europe en particulier , il semble y avoir une connexion encore plus sinistre entre la politique de libération sinon de puis entravail et le nouveau « mode de production asiatique ». En tant que consommateurs satisfaits des jouets électroniques, des chaussures de course colorées et des t-shirts bon marché qui nous parviennent grâce à l’industrialisme asiatique moderne, nous avons tendance à oublier la manière dont ils sont fabriqués en Chine, au Vietnam, à Taiwan, en Indonésie, au Cambodge et au Myanmar - en usines non possédées mais utilisées par des entreprises comme Apple, Disney, Adidas et Walmart. Le Manchester infernal des débuts de l’industrialisation existe toujours, mais à la périphérie mondiale, trop loin pour les voyages scolaires. Après avoir externalisé en Asie la misère des longues heures de travail et des bas salaires, nous pouvons, en tant que consommateurs, récolter leurs bénéfices sans en supporter les coûts en tant que producteurs (en négligeant pour le moment ceux qui, dans une version ironique de la libération du travail, ont perdu leur emploi du fait ce processus).

    Une grande partie de ce que Freeman a à dire à propos de l’Asie est peut-être familière grâce aux reportages dans les médias, mais rassemblés dans un seul endroit, les informations sont vraiment bouleversantes. Une usine employant 350 000 personnes produisant des iPhones et rien d’autre ; permis de séjour pour les travailleurs migrants conçus pour les empêcher de s’organiser ; les dortoirs des travailleurs à la discipline quasi militaire quasi stricte. Ici, pas de villes du futur : seulement des barbelés, des gardes de sécurité en uniforme et des caméras de surveillance. Et les suicides : en 2010, 14 jeunes travailleurs ont été tués du toit d’une usine de Foxconn produisant des iPhones et des iPads. Freeman rapporte que Apple a réprimandé poliment Foxconn, et que Foxconn a réagi en prenant des mesures préventives pour éviter à son client le plus embarrassé,

    Pourquoi ces usines asiatiques sont-elles si grandes ? Les grandes usines impliquent que les patrons fassent de nombreux efforts pour contrôler leurs travailleurs. Selon Freeman, il ne s’agit pas d’économies d’échelle : les processus de production impliqués ne sont pas assez complexes pour cela. Plus vraisemblablement, ils répondent aux demandes de clients tels que Nike et Hewlett-Packard, pour lesquels la « flexibilité » est primordiale. Lorsque Apple a mis à disposition son iPhone 6 tant attendu disponible, il devait pouvoir vendre 13 millions d’unités au cours des trois premiers jours du téléphone sur le marché. Puisque la fraîcheur, selon Tim Cook, PDG d’Apple, est la propriété la plus importante d’un gadget moderne, il doit être possible d’apporter des modifications au design jusqu’à quelques semaines avant sa mise en vente. Ce type de production « juste à temps » nécessite d’énormes usines avec une énorme main-d’œuvre stockée, pour ainsi dire, dans des dortoirs appartenant à la société à proximité, prêt à être appelé à tout moment et à travailler 12 heures ou plus pendant plusieurs semaines d’affilée. Nulle part le sale secret de notre mode de vie prospère - la façon dont nous sommes épargnés de produire ce que nous avons été amenés à croire que nous avons besoin à des prix abordables - mis à nu plus clairement qu’ici.

    Ce n’est pas que Freeman laisse ses lecteurs sans espoir. Les salaires ont récemment augmenté en Asie, mais le taux de rotation du personnel reste extrêmement élevé, ce qui indique un degré d’insatisfaction des travailleurs qui pourrait devenir trop coûteux pour être maintenu par les employeurs. Le nombre et la taille des grèves dans les usines chinoises semblent considérables, ce qui dément l’idée du travailleur chinois soumis. Même la vie dans une usine Foxconn semble avoir eu certains des « effets civilisateurs » sur ses travailleurs qui, selon Freeman, ont toujours été associés à l’usine. En s’éloignant du village et en gagnant leur propre argent, même dans le pire des cas, les fils et les filles de paysans échappent à ce que Marx et Engels ont appelé « l’idiotie de la vie rurale ». La modernisation, malgré ses multiples mécontentements, pourrait-elle se propager de l’usine à la société chinoise,

    Freeman ne spécule pas sur ce qui pourrait suivre dans la longue histoire du travail organisé et de la production. Les « usines sataniques » de Foxconn créées à la demande, entre autres, de la plus grande entreprise capitaliste de tous les temps, constitueront une partie importante du tableau. Cependant, un type d’usine ou de quasi-usine tout à fait nouveau où le gros du capital productif n’est pas centralisé et où la discipline de l’usine est remplacée par la discipline du marché est tout aussi important. Dans le monde de la nouvelle entreprise de plate-forme - Uber, TaskRabbit, Deliveroo, ce genre de chose - ce n’est pas le capital capitaliste qui possède les moyens de production, mais l’ouvrier qualifié, une fois qu’ils ont remboursé le prêt qu’ils ont pris pour acheter leur équipement. La production est locale, proche du client, voire personnalisée. Il n’y a plus d’agglomération, pas de production, ou des travailleurs et de leurs espaces de vie. Seule la gestion est centralisée au niveau mondial. Mais, à l’instar des projets utopiques des années 1970 qui visaient à restaurer la dignité du travailleur d’usine, la direction émet désormais des conseils et non des commandes : cela aide les travailleurs à faire leur travail et sert les travailleurs au lieu de les pousser. Les travailleurs, à leur tour, travaillent quand ils veulent, et l ’« aliénation » de leur travail de leur vie, si caractéristique de l’usine de l’ère industrielle, est pour toujours une chose du passé.

    Ou alors c’est fait pour apparaître. En fait, la séparation taylorienne de la planification et de l’exécution n’est nulle part plus rigide que dans les nouvelles sociétés de plate-forme, où les outils de planification sont détenus exclusivement et incontestablement par la direction, souvent intégrée dans une société distincte. L’exécution, quant à elle, est laissée aux sous-traitants, qui sont contrôlés non seulement par des incitations matérielles, mais aussi par les dernières technologies comportementales, telles qu’incarnées par des algorithmes exclusifs stockés dans les derniers équipements, également propriétaires et télécommandés. des espaces dans la sphère de la production. Dans des cas extrêmes, la vie peut être transformée en travail sans que les travailleurs eux-mêmes en prennent conscience : les « utilisateurs » de Facebook, par exemple, produisent par inadvertance la ressource la plus importante de la plate-forme,

    Les catégories analytiques traditionnelles telles que le travail salarié ou le marché du travail atteignent ici les limites de leur utilité. Dans la gigantesque usine de services décentralisée, vous ne signez plus de contrat de travail mais bénéficiez d’une occasion de travailler en réseau social. Ce travail peut inclure ce que nous produisons pour Apple, Google, Facebook, Tinder, etc. Nous pensons que nous les « utilisons » alors qu’en réalité, nous sommes utilisés. Existe-t-il un rôle dans ce monde pour le droit du travail, pour la protection sociale, pour la protestation collective - en d’autres termes, pour la politique ? Pouvons-nous espérer le retour d’artisans indépendants, prêts à s’organiser en guildes modernes et en syndicats ressuscités, ou du système de gangs des quais ou de l’industrie aéronautique, tel qu’il existait encore il ya un demi-siècle en Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, les États Unis ? Ou le droit civil pourrait-il remplacer le droit du travail dans la réglementation des nouvelles usines ? Si nos sociétés considèrent toujours que leur tâche est de civiliser le monde de la production organisée, elles feraient mieux de continuer.

  • Bolsonaro’s Brazil
    Perry Anderson
    I : Lula / Dilma
    La tératologie de l’imaginaire politique contemporain - assez abondante : Trump, Le Pen, Salvini, Orbán, Kaczyński, ogres à profusion - a acquis un nouveau monstre. S’élevant au-dessus de la mêlée, le président élu du Brésil a vanté les mérites du plus célèbre bourreau de son pays. a déclaré que sa dictature militaire aurait dû tirer trente mille adversaires ; a dit à un membre du Congrès qu’elle était trop laide pour mériter d’être violée ; a annoncé qu’il préférait un fils tué dans un accident de voiture plutôt qu’un homosexuel ; déclaré saison ouverte sur la forêt amazonienne ; Le lendemain de son élection, il a notamment promis à ses partisans de débarrasser le pays de la drogue. Pourtant, pour Sérgio Moro, son nouveau ministre de la Justice, salué dans le monde entier comme un symbole d’indépendance et d’intégrité judiciaires, Jair Bolsonaro est un "modéré".

    En apparence, le verdict des urnes en octobre dernier était sans équivoque : après avoir gouverné le pays pendant 14 ans, le Parti des travailleurs (PT) a été totalement répudié et sa survie est désormais incertaine. Lula, le dirigeant le plus populaire de l’histoire du Brésil, a été incarcéré par Moro et attend d’autres peines de prison. Son successeur, expulsé de son poste à mi-parcours de son second mandat, est un paria virtuel, réduit à une humiliante quatrième place dans une course au Sénat locale. Comment ce renversement est-il survenu ? Dans quelle mesure était-il contingent ou à un moment donné couru d’avance ? Qu’est-ce qui explique le radicalisme du résultat ? Par rapport à l’ampleur des bouleversements vécus par le Brésil au cours des cinq dernières années et à la gravité de ses conséquences,

    La politique brésilienne a un caractère italianisant : complexe et sinueuse. Mais il y a peu d’espoir de saisir ce qui est arrivé au pays sans l’avoir comprise. Lorsque Lula a quitté ses fonctions en 2010 - les présidents brésiliens sont limités à deux mandats successifs, sans toutefois être exclus de la réélection suivante - l’économie affiche une croissance de 7,5%, la pauvreté a été réduite de moitié, les nouvelles universités ont été multipliées, l’inflation est basse, le budget et le compte courant étaient excédentaires et ses cotes d’approbation étaient supérieures à 80%. Pour lui succéder, Lula a choisi sa chef d’état-major, Dilma Rousseff, dans les années 1960, un combattant clandestin contre la dictature militaire, qui n’avait jamais occupé un poste d’électeur auparavant. Avec Lula à ses côtés, elle a remporté la victoire avec une majorité de 56%, la première femme à remporter la présidence. D’abord mieux accueillie par une classe moyenne qui détestait Lula, elle jouit d’une estime assez répandue pour une démonstration de calme et de compétence. Mais son héritage était moins rose qu’il n’y paraissait. Les prix élevés des produits de base ont sous-tendu l’essor de Lula, sans modifier les taux d’investissement et la croissance de la productivité historiquement bas du Brésil. Pratiquement dès son entrée en fonction en 2011, Dilma a commencé à chuter, ramenant sa croissance à 1,9% d’ici à 2012. En 2013, la Réserve fédérale américaine a annoncé qu’elle cesserait d’acheter des obligations, déclenchant ainsi une crise du caucase. marchés des capitaux, attirant des capitaux étrangers hors du Brésil. La balance des paiements s’est détériorée. L’inflation a repris. Les années de prospérité soutenue étaient terminées. Mais son héritage était moins rose qu’il n’y paraissait. Les prix élevés des produits de base ont sous-tendu l’essor de Lula, sans modifier les taux d’investissement et la croissance de la productivité historiquement bas du Brésil. Pratiquement dès son entrée en fonction en 2011, Dilma a commencé à chuter, ramenant sa croissance à 1,9% d’ici à 2012. En 2013, la Réserve fédérale américaine a annoncé qu’elle cesserait d’acheter des obligations, déclenchant ainsi une crise du caucase. marchés des capitaux, attirant des capitaux étrangers hors du Brésil. La balance des paiements s’est détériorée. L’inflation a repris. Les années de prospérité soutenue étaient terminées. Mais son héritage était moins rose qu’il n’y paraissait. Les prix élevés des produits de base ont sous-tendu l’essor de Lula, sans modifier les taux d’investissement et la croissance de la productivité historiquement bas du Brésil. Pratiquement dès son entrée en fonction en 2011, Dilma a commencé à chuter, ramenant sa croissance à 1,9% d’ici à 2012. En 2013, la Réserve fédérale américaine a annoncé qu’elle cesserait d’acheter des obligations, déclenchant ainsi marchés des capitaux, attirant des capitaux étrangers hors du Brésil. La balance des paiements s’est détériorée. L’inflation a repris. Les années de prospérité soutenue étaient terminées. ramenant brusquement la croissance à 1,9% d’ici 2012. En 2013, la Réserve fédérale américaine a annoncé qu’elle cesserait d’acheter des obligations, déclenchant ainsi une « crise effrénée » sur les marchés des capitaux, tirant les capitaux étrangers du Brésil. La balance des paiements s’est détériorée. L’inflation a repris. Les années de prospérité soutenue étaient terminées. ramenant brusquement la croissance à 1,9% d’ici 2012. En 2013, la Réserve fédérale américaine a annoncé qu’elle cesserait d’acheter des obligations, déclenchant ainsi une « crise effrénée » sur les marchés des capitaux, tirant les capitaux étrangers du Brésil. La balance des paiements s’est détériorée. L’inflation a repris. Les années de prospérité soutenue étaient terminées.

    Politiquement, une hypothèque sur le gouvernement du PT dès le début. Après la re-démocratisation du pays à la fin des années 1980, trois partis se profilaient : le centre-droit, le PSDB « social-démocrate » en feuilles de vigne, siège des grandes entreprises et de la classe moyenne ; au centre, la PMDB théoriquement « démocratique », un réseau tentaculaire de clientélisme dans les zones rurales et les petites villes, mettant en scène des nids locaux bénéficiant de largesses fédérales ou provinciales ; à gauche, le PT, le seul parti qui soit plus qu’une collection de notables régionaux et de leurs subalternes. Parallèlement à ce trio, cependant, dans le système brésilien de représentation proportionnelle à liste ouverte dans de très grandes circonscriptions, proliféraient une pléthore de petits partis sans orientation idéologique : proliférations d’engorgement de fonds publics et de faveurs envers leurs dirigeants. Dans ces conditions,

    Pendant vingt ans, la présidence n’a été assumée que par deux partis, le PSDB et le PT. Les premiers, déterminés à livrer au pays ce qu’ils appelaient un « choc du capitalisme » salutaire, n’ont eu aucune peine à trouver des alliés parmi les oligarchies traditionnelles du Nord-Est et les éternels prédateurs de la PMDB. Ils étaient des alliés naturels pour un régime libéral-conservateur. Lorsque Lula est arrivé au pouvoir, le PT n’a pas voulu dépendre d’eux. Au lieu de cela, il s’est efforcé de construire une majorité au Congrès à partir du bourbier de partis plus petits, tous plus vénaux les uns que les autres. Pour éviter de leur donner trop de ministères, récompense financière habituelle du soutien, il a effectué des paiements en espèces mensuels sous le comptoir. Lorsque ce système, le soi-disant mensalão, a été exposé en 2005, il a semblé un temps que cela pourrait faire tomber le gouvernement. Mais Lula est resté populaire parmi les pauvres et, en se séparant d’aides clés et en passant à une dépendance plus conventionnelle du PMDB pour obtenir une majorité au Congrès, il a survécu au tumulte et a été réélu triomphalement. À son deuxième mandat, le PMDB était un organe stable de son administration, bénéficiant en contrepartie d’une série de nominations satisfaisantes, aux niveaux central et local, dans l’appareil gouvernemental. À la fin du mandat, Michel Temer, président de la PMDB à la Chambre basse, a été choisi par Lula comme vice-président de Dilma. Il s’agit d’un vétéran de la division d’arrière-plan et de l’intrigue d’un couloir politique.

    Les legs économiques ont explosé en premier. En 2013, les classes moyennes avaient gâché le gouvernement et la hausse des prix provoquait des tensions populaires dans les grandes villes. Lula avait injecté de l’argent - un salaire minimum plus élevé, un crédit moins cher, des transferts en espèces - destiné aux pauvres, destiné à la consommation privée, et non aux services publics, dont la plupart restaient désastreux. En hiver, les tarifs plus élevés des bus ont déclenché des manifestations dirigées par de jeunes militants de gauche à São Paulo. La répression policière les a amplifiés lors de manifestations massives dans les rues du Brésil. Avec l’augmentation de la participation de la droite et le soutien des puissants médias du pays, ils sont rapidement devenus un jeu pour tous contre les politiciens en général et le PT en particulier. En 15 jours, le taux d’approbation de Dilma est passé de 57 à 30%. Combinant des réductions de dépenses et d’autres mesures sociales peu coûteuses, elle a récupéré du terrain au cours des prochains mois. Mais à l’été 2014, les mines politiques enterrées ont commencé à exploser. La police fédérale participe à des opérations de blanchiment d’argent dans un lave-auto à Brasilia -lave jato - a révélé une corruption généralisée dans le géant pétrolier Petrobras, qui affichait à l’époque l’une des plus importantes évaluations boursières au monde. Un flot de fuites provenant de l’enquête, un crescendo assourdi par les médias, ont révélé des connexions avec le PT remontant à l’époque de Lula. Celles-ci ont résonné dans une atmosphère déjà très chargée, conséquence du procès public tenu fin 2012 - sept ans après les faits - des principaux acteurs du parti dans l’ affaire mensalão .

    Ainsi, lors de sa réélection en 2014, Dilma a dû faire face à une opposition beaucoup plus agressive qu’en 2010. Comme auparavant, c’était le candidat du PSDB qui avait atteint le second tour de la course à la présidence. Dans une campagne combative mais maladroite, dans laquelle elle a mal défrayé le débat, Dilma a obtenu une faible majorité, s’engageant à ne jamais accepter l’austérité qu’elle accusait son adversaire d’avoir planifié d’infliger à la population. Avant même de prendre ses fonctions, elle était en difficulté. Envisageant peut-être de réitérer la stratégie d’ouverture de Lula lors de son accession à la présidence, lorsqu’il a commencé avec une orthodoxie économique stricte pour rassurer les marchés, augmentant les dépenses sociales uniquement après avoir consolidé ses finances publiques, Elle a choisi un dirigeant de banque formé à Chicago pour le ministre des Finances afin de signaler une nouvelle frugalité et a trahi ses promesses de campagne avec un licenciement classique affectant les revenus populaires. Après s’être aliénée à gauche, elle a contrarié sa droite en tentant d’empêcher le PMDB de continuer à occuper le puissant poste de président de la Chambre, laissé vacant par Temer en 2010, dont la coopération dépendait généralement de l’adoption de la loi, avant d’être franchement vaincu par le candidat victorieux du parti, Eduardo Cunha. Le PT, qui n’avait obtenu que 13% des suffrages du Congrès, était désormais extrêmement vulnérable à l’Assemblée législative. Le temps nécessaire à l’adoption de la législation dépendait généralement de la coopération, mais le candidat victorieux du parti, Eduardo Cunha, l’a vaincu. Le PT, qui n’avait obtenu que 13% des suffrages du Congrès, était désormais extrêmement vulnérable à l’Assemblée législative. Le temps nécessaire à l’adoption de la législation dépendait généralement de la coopération, mais le candidat victorieux du parti, Eduardo Cunha, l’a vaincu. Le PT, qui n’avait obtenu que 13% des suffrages du Congrès, était désormais extrêmement vulnérable à l’Assemblée législative.

    Le PSDB, quant à lui, n’avait pas pris sa défaite pour que la présidence s’allonge. Furieux d’avoir échoué devant le triomphe qu’il comptait, leur chef, Aécio Neves, a porté plainte pour dépense illégale contre le billet gagnant du Tribunal suprême électoral, dans l’espoir d’obtenir l’annulation du résultat et la mise en place d’un nouveau sondage, dans lequel - étant donné la désillusion populaire avec le cours économique de Dilma - il pouvait cette fois être assuré du succès. Mais le PSDB, un conglomérat de notables bien nantis dans lequel d’autres avaient leurs propres ambitions, n’était pas du même avis derrière lui. José Serra, candidat qui a échoué à la présidence du parti en 2002, est maintenant sénateur à São Paulo et a vu le chemin de l’expulsion de Dilma d’une autre manière, ce qui pourrait élargir le soutien à son éviction et jouer entre ses propres mains. L’inconvénient de l’itinéraire d’Aécio était qu’il menaçait également Temer en tant que candidat à la vice-présidence. Il n’a donc que peu d’intérêt pour la PMDB. Serra était proche de Temer ; ils étaient depuis longtemps associés à la politique de São Paulo. Mieux vaut alors engager une procédure de destitution contre Dilma devant le Congrès, où Cunha pourrait leur donner une audience favorable. Le succès ferait automatiquement de Temer le président et donnerait à Serra la rampe de lancement idéale pour lui succéder, faisant passer Aécio à la présidence.

    Naturellement, Temer était sensible à ce plan et, subrepticement, ils ont coordonné leurs actions pour le réaliser. Derrière eux se trouvait, plus discret, l’ancien homme d’État du PSDB, Fernando Henrique Cardoso, ami intime et conseiller de Serra, qui n’avait jamais aimé Aécio. Il ne restait plus qu’à trouver le prétexte de la destitution. Un consensus s’est dégagé sur un détail technique : Dilma a enfreint la loi en différant les paiements sur les comptes publics pour améliorer leur apparence électorale. Que cela ait été une pratique de longue date, commune aux gouvernements précédents, importait à peine. En été 2015, le paysage politique avait été transformé par un scandale engloutissant les manœuvres à Brasilia.

    Les enquêtes relatives à Lava Jato relèvent de la compétence de l’État dans lequel le premier coupable moyen à être capturé, le doleiro Alberto Youssef, a salué : la société atypique de la province de Paraná, une classe moyenne, située au sud du Brésil. Moro, un fils autochtone qui avait fait ses armes en assistant au procès de mensalão , était président du tribunal de Curitiba, la capitale. Son modèle opérationnel, comme il a clairement indiqué dans un article publié une dizaine d’ années avant que l’enquête Lava Jato a commencé, seraient les poursuites Mani Pulite de corruption, qui avait détruit régissant les partis de l’ Italie au début des années 1990, ce qui porte la première République à une fin. 1Moro a distingué deux aspects de sa campagne de louanges : le recours à l’emprisonnement préventif pour sécuriser les délations et les fuites calibrées à la presse sur les enquêtes en cours pour susciter l’opinion publique et faire pression sur les cibles et les tribunaux. La dramatisation dans les médias importait plus que la présomption d’innocence, qui, expliquait Moro, était soumise à des considérations pragmatiques. En charge de Lava Jato, il s’est révélé un imprésario exceptionnel. Les opérations successives (rafles, rafles, menottes, aveux) ont fait l’objet d’une publicité maximale, avec des informations pour la presse et la télévision, chacune soigneusement numérotée (il y en a eu 57 à ce jour, entraînant plus de mille ans de prison ) et typiquement un nom choisi pour un effet d’opéra parmi les imaginaires cinématiques, classiques ou bibliques : Bidone, Dolce Vita, Casablanca, Personne ne dort, Erga Omnes,

    Pendant un an, les opérations de Lava Jato se sont concentrées sur d’anciens directeurs de Petrobras, chargés de recevoir et de distribuer de gros pots-de-vin. Puis, en avril 2015, ils ont renversé le premier cadre important du PT, João Vaccari Neto, son trésorier. Quelques semaines plus tard, les chefs des deux plus grandes entreprises de construction du pays, Odebrecht et Andrade Gutierrez, tous deux d’un conglomérat continental opérant dans toute l’Amérique latine, ont été renvoyés pour interrogatoire. À l’heure actuelle, les manifestations en faveur de Moro - réclamant la punition du PT et le retrait de Dilma - se construisaient et assiégeaient le Congrès. Cunha, qui faisait toujours officiellement partie de la coalition au pouvoir, s’est donné pour objectif de clarifier le dossier pour impeachment. Isolée et affaiblie, Dilma a accepté le conseil de ses ministres du PT demandant que Lula soit convoquée pour tenter de sauver la situation. Il a rapidement entrepris de réparer les obstacles avec la PMDB. Ce faisant, il apparut soudainement et spectaculairement que Cunha avait des millions de dollars sur des comptes bancaires secrets en Suisse. Sur quoi il proposa un pacte de protection mutuelle : il bloquerait les poursuites contre Dilma si le gouvernement bloquait les poursuites contre lui. Lula a appelé à l’acceptation de l’accord et, au sommet, à Brasilia, un accord a été trouvé. Mais Dilma a refusé et la direction nationale du PT, basée à São Paulo, craignant que la nouvelle de cet accord ne puisse que confirmer l’opinion publique que le parti était totalement corrompu, a demandé à ses députés de voter pour une action contre Cunha. En représailles, il a immédiatement dégagé les accusations portées contre Dilma pour délibération au Congrès. Cunha avait des millions de dollars sur des comptes secrets en Suisse. Sur quoi il proposa un pacte de protection mutuelle : il bloquerait les poursuites contre Dilma si le gouvernement bloquait les poursuites contre lui. Lula a appelé à l’acceptation de l’accord et, au sommet, à Brasilia, un accord a été trouvé. Mais Dilma a refusé et la direction nationale du PT, basée à São Paulo, craignant que la nouvelle de cet accord ne puisse que confirmer l’opinion publique que le parti était totalement corrompu, a demandé à ses députés de voter pour une action contre Cunha. En représailles, il a immédiatement dégagé les accusations portées contre Dilma pour délibération au Congrès. il apparut soudainement et de façon spectaculaire que Cunha avait des millions de dollars sur des comptes bancaires secrets en Suisse. Sur quoi il proposa un pacte de protection mutuelle : il bloquerait les poursuites contre Dilma si le gouvernement bloquait les poursuites contre lui. Lula a appelé à l’acceptation de l’accord et, au sommet, à Brasilia, un accord a été trouvé. Mais Dilma a refusé et la direction nationale du PT, basée à São Paulo, craignant que la nouvelle de cet accord ne puisse que confirmer l’opinion publique que le parti était totalement corrompu, a demandé à ses députés de voter pour une action contre Cunha. En représailles, il a immédiatement dégagé les accusations portées contre Dilma pour délibération au Congrès. il bloquerait les poursuites contre Dilma si le gouvernement bloquait les poursuites contre lui. Lula a appelé à l’acceptation de l’accord et, au sommet, à Brasilia, un accord a été trouvé. Mais Dilma a refusé et la direction nationale du PT, basée à São Paulo, craignant que la nouvelle de cet accord ne puisse que confirmer l’opinion publique que le parti était totalement corrompu, a demandé à ses députés de voter pour une action contre Cunha. En représailles, il a immédiatement dégagé les accusations portées contre Dilma pour délibération au Congrès. il bloquerait les poursuites contre Dilma si le gouvernement bloquait les poursuites contre lui. Lula a appelé à l’acceptation de l’accord et, au sommet, à Brasilia, un accord a été trouvé. Mais Dilma a refusé et la direction nationale du PT, basée à São Paulo, craignant que la nouvelle de cet accord ne puisse que confirmer l’opinion publique que le parti était totalement corrompu, a demandé à ses députés de voter pour une action contre Cunha. En représailles, il a immédiatement dégagé les accusations portées contre Dilma pour délibération au Congrès. a chargé ses députés de voter pour une action contre Cunha. En représailles, il a immédiatement dégagé les accusations portées contre Dilma pour délibération au Congrès. a chargé ses députés de voter pour une action contre Cunha. En représailles, il a immédiatement dégagé les accusations portées contre Dilma pour délibération au Congrès.

    Pendant ce temps, Moro préparait son coup de grâce. Au cours de la première semaine de mars 2016, l’opération Aletheia a saisi Lula tôt le matin et l’a emmené pour interrogatoire. Des photographes de presse et de télévision, prévenus à l’avance, flambaient autour de lui dans le noir. Il était maintenant sous enquête officielle de Lava Jato. Une autre sensation a suivi. Un appel téléphonique de Dilma à Lula pour discuter des modalités de sa nomination en tant que chef d’état-major à Brasilia a été exploité par Moro et immédiatement communiqué à la presse. Étant donné que les politiciens de rang ministériel, ainsi que les membres du Congrès, jouissent de l’immunité de poursuites à moins d’être autorisés par la Cour suprême, il y a eu un tollé. C’était simplement une façon de protéger Lula de toute arrestation. La nomination a été annulée par deux juges à Brasilia, le premier à avoir vociféré contre le PT sur Facebook,

    La pression de la rue pour la destitution était désormais énorme : à travers le Brésil, 3,6 millions de manifestants réclamaient l’expulsion de Dilma. Pourtant, il était encore loin d’être clair que la majorité des deux tiers nécessaire à la destitution pouvait être atteinte au Congrès. En peu de temps, un raid de Lava Jato a permis de découvrir les cahiers de notes conservés par Odebrecht, enregistrant des paiements chiffrés à ce que l’on pense généralement à environ deux cents hommes politiques brésiliens, de presque tous les partis. À cela, les sirènes se sont déclenchées dans la classe politique. Quelques jours plus tard, un des principaux courtiers en énergie de la PMDB a été enregistré en disant à un collègue que « ce saignement doit être arrêté ». Puisque « les membres de la Cour suprême » lui avaient dit que cela était impossible tant que Dilma était en place et que les médias étaient en colère, elle a dû être remplacée par Temer et un gouvernement national a été formé, soutenu par la Cour suprême et l’armée - il avait parlé avec des généraux. C’est seulement ainsi que Lava Jato pourrait être arrêté avant d’atteindre la PMDB. Dans les quinze jours qui ont suivi, la Chambre, sous la présidence de Cunha, a voté en faveur de la destitution de Dilma. Moro pourrait alors s’en prendre à Cunha, qui avait rempli son rôle. La Cour suprême a ordonné au Congrès de le renvoyer à la présidence. En temps voulu, il fut expulsé de la maison et se retrouva en prison. Après un intervalle requis, le Sénat a déclaré Dilma coupable sur l’acte d’accusation adopté par la Chambre et Temer a assumé la présidence. Début 2017, Lula a été arrêté pour corruption dans le cadre de l’acquisition d’un appartement en bord de mer, dont il n’était jamais devenu propriétaire. Jugé à Curitiba cet été-là, il a été condamné à neuf ans de prison ; quand il a fait appel, ils ont été augmentés à 12.

    La réaction à l’incarcération de Lula a commencé à montrer que ce n’était pas le cas. Les ennemis de la PSDB avaient compté sur lui pour s’exiler plutôt que pour se retrouver en prison, pour fuir en toute sécurité, scellant ainsi sa chute. Pris au dépourvu par son acceptation stoïque de la prison, ils n’ont pas tenu compte de la sympathie que pourrait susciter son incarcération. En quelques mois, des sondages ont montré qu’il était redevenu le dirigeant le plus populaire du pays. Il était même disqualifié en tant que criminel, lors du concours pour la présidence en 2018. Mais l’attrait personnel de Lula était une chose, l’avenir de le PT un autre. Le parti avait subi un effondrement sans précédent dans l’histoire du Brésil. Quel genre de calcul était nécessaire pour y remédier ? Au cours de ses années de pouvoir, le PT avait peu fait pour favoriser une culture de l’analyse autocritique ; ou une réflexion sur où il, ou le pays, allait. Les intellectuels avaient été utiles comme passerelles vers la visibilité publique au début. Une fois au pouvoir, même si beaucoup - peut-être la plupart - ont continué à le soutenir, le parti les a essentiellement ignorés, dans un philistinisme myope pour lequel tout ce qui importait était de faire des calculs électoraux.

    Peu mérité et peu apprécié, le parti possédait un penseur politique du premier rang. Fils d’un immigré juif autrichien qui est devenu un économiste de gauche de premier plan au Brésil, André Singer est membre fondateur du PT à São Paulo en 1980. Il a débuté en tant que journaliste, pour occuper un poste de direction dans le moins conservateur des deux les journaux, la Folha, avant de devenir attaché de presse et porte-parole présidentiel de Lula au cours de son premier mandat à Brasilia, à la fin duquel il a démissionné pour se lancer dans une carrière universitaire de politologue. En 2012, alors que le PT était toujours intact, il réalisa la première étude sérieuse de la trajectoire de son règne et de son soutien social sous Lula. Bien qu’écrit dans une admiration respectueuse pour ce qui avait été accompli, il était trop serein quant à la nature et aux causes du "réformisme faible" qu’il représentait pour trouver la faveur du parti et y avait peu d’écho. L’été dernier, il a publié une suite, O lulismo em crise : Um quebra-cabeça do período Dilma, 2011-16 (’Le lulisme dans la crise : un casse-tête de la période de Dilma’) on peut espérer se réunira moins le silence.2 De temps en temps, dans différents pays, les livres sont comparés au 18e Brumaire de Marx, mais en tant que synthèse éblouissante de l’analyse de classe, du récit politique et de l’imagination historique, aucun ne l’a vraiment abordé jusqu’à ce tour de force brésilien. Le ton de la chanteuse, cool et sobre, la passion contenue plutôt qu’exprimée, est tout à fait différente de l’incendie de l’ironie caustique et de l’intensité métaphorique de Marx, et les événements en cause ont été jusqu’à présent, du moins trempés de sang et précipités. Mais le type d’intelligence au travail et sa portée sont des parents.

    Le casse-tête que Singer cherche à résoudre est la raison pour laquelle, à partir du sommet de son succès au cours de sa présidence, la formule du pouvoir que Lula a construite s’est désintégrée en un tel désastre général. Son argument préliminaire est qu’il ne s’agissait pas d’un cas connu d’entropie au pouvoir. Dilma n’était pas simplement une imitation maladroite de son prédécesseur, gênant dans la poursuite de la même politique. Elle avait ses propres objectifs qui différaient des siens. Ces chanteurs caractérisent comme une combinaison de « développementalisme » et de « républicanisme ». Selon lui, le premier était une tentative d’accélération de la croissance grâce à une utilisation plus ambitieuse des outils à la disposition de l’État national : contrôle des taux d’intérêt, prêts publics, incitations fiscales, droits à l’importation, dépenses sociales - somme toute ensemble de politiques économiques plus interventionnistes que le PT n’avait tenté jusqu’à présent. À la seconde, il signifie républicanisme au sens classique, tel que reconstruit par JGA Pocock : c’est-à-dire la conviction des 17e et 18e siècles que la corruption constituait un danger permanent pour l’intégrité de l’État et la sécurité des citoyens, contre laquelle la vigilance était une condition de la liberté . Le projet de Lula avait été un réformisme faible : Dilma visait une version plus forte.

    Le deuxième argument de Singer a toutefois eu pour effet de supprimer deux éléments essentiels du système de Lula, son entente avec le capital financier et son pacte avec le clientélisme. Dans le but de stimuler les investissements, la "nouvelle matrice économique" de Dilma visait à favoriser l’industrie nationale - qui s’était longtemps plainte des taux d’intérêt vertigineux du Brésil, de la monnaie surévaluée, de la faible protection des produits manufacturés locaux et des intrants énergétiques intérêts partagés entre les banques, les maisons de courtage et les fonds de pension qui en ont bénéficié. Mais au Brésil, les différents secteurs du capital étaient trop étroitement liés pour qu’une telle stratégie de séparation fonctionne. Il a été dénoncé dans les médias comme une ingérence, un étatisme anti-libéral et des entreprises qui ont rapidement fermé les rangs contre lui. Il n’ya pas eu d’investissements supplémentaires, la croissance a diminué, les bénéfices ont chuté, les grèves se sont multipliées. La fédération des employeurs est devenue extrêmement hostile.

    Pendant ce temps, en refusant de se livrer à la traditionnelle do ut des de la politique de baril de porc du Brésil, et purger le gouvernement de ses ministres les plus ouvertement compromis, Dilma était forces antagoniser au Congrès sur lequel sa majorité à l’Assemblée législative dépendait, pour qui la corruption était une condition de l’existence. Après une analyse détaillée des fractions de capital, Singer situe ces tensions dans un aperçu saisissant de la longue duréede la structure du parti au Brésil, de l’après-guerre à nos jours. Tout au long, trois composants ont persisté. De 1945 à 1964, lorsque l’armée a pris le pouvoir, il existait un parti de la droite libérale du spectre, représentant les banquiers, les classes moyennes urbaines et une partie de l’oligarchie rurale, l’UDN ; un parti populaire de gauche, le PTB, s’adressant à la classe ouvrière et aux citadins pauvres ; et un parti intermédiaire, le PSD, basé sur la plus grande partie de la classe de propriétaires terriens traditionnels et ses dépendants à la campagne et dans les petites villes de province. Singer appelle ce dernier « parti de l’intérieur » une force semblable à une amibe sans identité idéologique distincte, glissant dans n’importe quelle direction, pouvoir temporaire et émoluments, démocratiques ou non démocratiques, laïcs. Vingt ans plus tard, après la démission de l’armée, Ce trio a essentiellement reparu sous la forme de la PSDB, du PT et du PMDB. Aucune des deux premières ne peut gouverner sans l’assistance parasitaire de la troisième, avec son vaste réseau de capillaires de représentants locaux et son contrôle quasi continu de la puissante présidence du Sénat. Tout soupçon de républicanisme était anathème pour lui.

    Quoi de la propre circonscription du PT ? Même si, dès 1945, un pôle de capital et un pôle de travail étaient clairement perceptibles au sein du système politique, leur conflit était toujours surdéterminé par un vaste sous-prolétariat, urbain et rural, dont l’existence détournait le système d’une confrontation de classe. à une opposition populiste entre riches et pauvres, dans laquelle les pauvres étaient disponibles pour être capturés de manière démagogique ou clientéliste par des politiciens à la fois conservateur et radical. En 2006, les politiques sociales de Lula, qui réduisaient considérablement la pauvreté, constituaient pour la première fois cette masse, dont une grande partie subsistait dans l’économie informelle, un bastion électoral du PT, dont Dilma a hérité. Des millions de personnes avaient été libérées de la misère et savaient à qui elles le devaient. Mais, poussés par les journalistes intéressés et l’idéologie de l’époque, le régime s’est vanté de sa réussite en tant que création d’une « nouvelle classe moyenne » au Brésil, alors que la promotion sociale de la plupart des personnes touchées n’était pas seulement plus modeste - des emplois formels et des salaires minimums plus élevés les élevant à un niveau comparable à celui de une nouvelle classe ouvrière - mais plus précaire. Politiquement, soutient Singer, la propagande officielle a eu un effet boomerang : son effet était de favoriser l’identification à l’individualisme consumériste de la classe moyenne actuelle, plutôt qu’à la classe ouvrière existante.

    Une fois que la croissance est devenue négative, la mobilité à la baisse a frappé bon nombre de ceux qui venaient juste de s’élever. La frustration suscitée par ce renversement des attentes était particulièrement vive chez les jeunes qui avaient bénéficié de l’expansion populaire de l’enseignement supérieur, même s’ils étaient indifférents en matière de qualité, étaient un autre des avantages offerts par le PT aux pauvres, aux emplois pour lesquels ils avaient été amenés à espérer. Voilà la masse combustible qui est devenue critique lors du grand soulèvement de rue de juin 2013 - environ 1,5 million de personnes dans les manifestations à leur apogée - qui constituerait un tournant dans les fortunes de Dilma et de son parti. L’analyse minutieuse de ses participants sur ses participants - des statistiques dépassant les rêves de l’époque de Marx - montre que 80% des manifestants avaient moins de quarante ans. Quatre-vingt pour cent des diplômés de l’enseignement supérieur étaient ou étaient déjà inscrits dans l’enseignement supérieur, contre 13% de l’ensemble de la population titulaire d’un diplôme universitaire ; pourtant, dans la moitié des cas, le revenu du ménage ne dépassait pas deux à cinq fois le salaire minimum, le seuil de pauvreté effectif étant inférieur à deux salaires. Ceux qui se trouvaient au-dessous de lui, le sous-prolétariat proprement dit, étaient marginaux par rapport aux événements et constituaient moins d’un sixième des participants. La capacité de l’autre tiers des manifestants, la véritable classe moyenne, à obtenir le soutien de la moitié qui se croyait ou aspirait à faire partie de la classe moyenne, a toutefois été décisive dans l’évolution et le résultat des manifestations indignation face au gouvernement et, au-delà, à la classe politique dans son ensemble - militants dynamiques d’une nouvelle droite jeune mobilisant les médias sociaux pour les lier ensemble en tant que force. Structurellement,la pègre dans le récit de Marx de 1848.

    Les vainqueurs qui ont capturé le mouvement et en ont fait un tremplin pour des assauts beaucoup plus importants et plus meurtriers contre le gouvernement deux ans plus tard, étaient les nouvelles cohortes de la classe moyenne urbaine dans les villes du sud du pays. Les grandes entreprises, la classe ouvrière et les pauvres avaient tous bénéficié de la règle du PT. Les professionnels, les cadres moyens, le personnel de service et les petits employeurs n’en avaient pas. Leurs revenus ont augmenté proportionnellement moins que ceux des pauvres et leur statut a été érodé par les nouvelles formes de consommation populaire et de mobilité sociale. Faisant formellement partie du secteur "moderne" de la société brésilienne, cette couche était de taille suffisante pour exercer depuis longtemps un droit de veto sur les modifications de nature à rendre le reste du pays moins arriéré. Mais s’il était suffisamment important pour empêcher l’intégration sociale des pauvres dans le développement national, il était trop petit pour avoir beaucoup d’espoir de dominer les élections, une fois le suffrage prolongé après la guerre. La tentation a donc toujours été de court-circuiter les élections lors d’un coup d’État. En 1964, une grande partie de la classe moyenne urbaine avait conspiré avec des officiers pour lancer un coup d’État militaire. En 2016, il a organisé un coup d’État parlementaire, renversant le président dans le cadre de la constitution, plutôt que de le suspendre.

    Cette fois, ce n’est pas l’armée, mais le pouvoir judiciaire qui a servi de levier à un renversement que cette couche, organisée simplement en termes électoraux, en tant que parti ou ensemble de partis, ne pouvait pas réaliser. Les magistrats, plus proches de la masse civile que les officiers dans leur carrière et leur culture, étaient des alliés plus organiques dans une cause commune. Dissidents des deux caractérisations opposées du rôle des juges dans Lava Jato - soit des fléaux sans peur de la corruption, le maintien impartial de l’état de droit, soit des manipulateurs impitoyables à des fins politiques partisanes - Singer considère que leurs opérations sont à la fois véritablement républicaines. en effet, pourtant indéniablement factieux dans la direction. Républicain : comment pourrait-on décrire l’emprisonnement des magnats les plus riches et les plus puissants du pays ? Non sans raison,Que pais é esse ? - ’Quel genre de pays est-ce ?’ Factious : comment pourrait-on décrire autrement le ciblage systématique du PT et l’épargne des autres partis jusqu’à la chute de Dilma ? Sans parler du flou des sympathies politiques et des antipathies sur Facebook, des photos sournoises de Moro avec des ornements de la PSDB et des autres. La contradiction était un nœud inextricable, empêtré dans celui du PT lui-même : les juges « factieux et républicains », le parti « créé pour changer les institutions et avalé par eux ».

    Avoir aménagéla trajectoire sur laquelle Dilma s’est engagée, les obstacles économiques et législatifs dans lesquels elle s’est engagée, le système de partis dans lequel elle s’est retrouvée enfermée, l’ensemble des forces de classe qui y font face et le siège judiciaire qui l’a finalement encerclée, conclut Singer par un graphique récit de la séquence des mouvements et des contre-mouvements des différents acteurs politiques dans la tourmente vers la destitution. Ici, les personnalités ont tout leur poids. Les intentions de Dilma étaient plus qu’honorable. Elle souhaitait faire progresser, et pas seulement conserver, les acquis sociaux obtenus par le PT sous Lula et les libérer des connivances avec lesquelles ils avaient été achetés. Mais politiquement mal à l’aise, elle compensa par la rigidité et si, en privé, elle pouvait être suffisamment détendue et charmante, elle ne refusa ni critique ni conseil. Pour chanteur, elle doit être tenue responsable de deux erreurs fatales et évitables, refusant à chaque fois de tenir compte de son mentor. La première a été sa décision de se représenter à la présidence une deuxième fois en 2014, plutôt que de se retirer pour permettre à Lula de revenir, comme il l’avait prévu et souhaité. Par vanité coupable ou fierté naturelle de l’autonomie de son projet ? À un moment donné, Lula a publiquement admis qu’il serait candidat si le PSDB risquait de faire un retour, comme ce fut bientôt le cas. Mais son style brutal n’était pas son style : il n’avait jamais soulevé la question directement avec elle. La convention politique au Brésil, comme aux États-Unis, est qu’un président en exercice se présente pour un second mandat, et il l’a respecté. plutôt que de se retirer pour permettre à Lula de revenir, comme il s’y attendait et souhaitait le faire. Par vanité coupable ou fierté naturelle de l’autonomie de son projet ? À un moment donné, Lula a publiquement admis qu’il serait candidat si le PSDB risquait de faire un retour, comme ce fut bientôt le cas. Mais son style brutal n’était pas son style : il n’avait jamais soulevé la question directement avec elle. La convention politique au Brésil, comme aux États-Unis, est qu’un président en exercice se présente pour un second mandat, et il l’a respecté. plutôt que de se retirer pour permettre à Lula de revenir, comme il s’y attendait et souhaitait le faire. Par vanité coupable ou fierté naturelle de l’autonomie de son projet ? À un moment donné, Lula a publiquement admis qu’il serait candidat si le PSDB risquait de faire un retour, comme ce fut bientôt le cas. Mais son style brutal n’était pas son style : il n’avait jamais soulevé la question directement avec elle. La convention politique au Brésil, comme aux États-Unis, est qu’un président en exercice se présente pour un second mandat, et il l’a respecté. il n’a jamais soulevé la question directement avec elle. La convention politique au Brésil, comme aux États-Unis, est qu’un président en exercice se présente pour un second mandat, et il l’a respecté. il n’a jamais soulevé la question directement avec elle. La convention politique au Brésil, comme aux États-Unis, est qu’un président en exercice se présente pour un second mandat, et il l’a respecté.

    La deuxième accusation contre Dilma était son rejet de tout accord avec Cunha pour se préserver de la destitution, ce que Lula jugeait nécessaire. Pour Singer, c’est la différence de caractère cruciale. Politiquement, remarque-t-il, Lula se plierait, mais ne casserait pas ; Dilma casserait plutôt que de se plier. Les maîtres chanteurs ne sont jamais satisfaits, a-t-elle dit : cédez, et ils reviendront toujours pour plus. Sans le dire si souvent, Singer est aux côtés de Lula. Max Weber a écrit que la politique en tant que vocation nécessite l’acceptation de « paradoxes éthiques ». En le citant, Singer suggère qu’il s’agissait d’une "obligation" que Dilma a refusée. C’était vrai, car les conséquences de ne pas se plier étaient si graves. Résistant obstinément à un accord, elle a ouvert la porte à une "régression de la nation aux proportions imprévisibles".

    Dans une reconstruction par ailleurs magistrale de la chute de Dilma, ces jugements finaux semblent discutables. On peut dire que Singer est à la fois une touche trop critique et trop critique de Dilma. Ce qui l’oppose à l’attribution d’un républicanisme évident, en tout cas au début, ce sont les deux conseillers principaux qu’elle a choisis lorsqu’elle a été candidate à la présidence et installés à ses côtés lorsqu’elle a gagné. Son chef de campagne, puis son chef de cabinet à Brasilia (l’équivalent du Premier ministre), était le politicien célibataire le plus notoirement corrompu des rangs du PT, Antonio Palocci, le porte-parole des grandes entreprises lorsqu’il était ministre des Finances de Lula, avant forcé de démissionner à la suite d’un scandale particulièrement odieux en 2006. Sa réapparition en 2010 a été accueillie avec joie par l’ économiste., mais il est vite apparu que, dans l’intervalle, il avait acquis une énorme fortune inexpliquée dans les activités de conseil et les opérations immobilières et que Dilma devait se débarrasser de lui. De manière prévisible, cette figure abjecte serait le seul chef de file du PT à se détacher de Lava Jato. Après son départ, João Santana est restée à ses côtés : son conseiller le plus intime et, selon de nombreux témoignages, une influence déterminante sur ses décisions. Musicien dans un groupe de soutien de Caetano Veloso, plus tard reporter d’investigation, avant de devenir le meilleur payeur- directeur de campagne commerciale et fabricant de marque polyvalent - dans le pays, Santana a été mis en orbite marketing par Palocci dans sa ville natale et a exercé ses services à l’échelle internationale ; Parmi ses clients figurait le lootard présidentiel milliardaire angolais, Eduardo Santos. Il a passé six ans chez Dilma avant que Lava Jato ne le rejoigne pour un pot-de-vin de 10 millions de dollars qu’il avait salé aux Antilles. Naturellement, en tant que mercenaire, il a également acheté la clémence avec délation. Dans les deux cas, le jugement de Dilma était moins que républicain. N’étant pas elle-même un produit du PT, dont elle n’avait jamais été membre avant de rejoindre le personnel de Lula, elle n’a pas pu échapper si facilement à son habitus.

    D’autre part, les critiques selon lesquelles elle aurait blessé le parti en ne passant pas le flambeau à Lula en 2014 et mis en danger le pays en refusant le pacte avec Cunha en 2016 impliquent deux contrefactuels contre lesquels parle la logique de la situation historique. Si Lula, plutôt que Dilma, avait couru en 2014, il l’aurait certainement emporté par une marge plus large et aurait vraisemblablement été moins enclin à prendre un virage aussi abrupt et maladroit vers l’austérité, aliénant les pauvres. Mais la conjoncture économique ne lui a pas permis de répéter les mesures de relance qui lui ont permis de surmonter la crise financière mondiale de 2008 comme une simple « vague » au Brésil. Le super cycle des produits de base était terminé, tous les signaux économiques étaient dirigés vers le bas : les pilules empoisonnées laissées par son règne étaient en train d’être consommées. En outre, la tempête de Lava Jato aurait frappé sa présidence avec une force encore plus grande que celle de Dilma. Personnellement, il était beaucoup plus exposé à son attaque. Il n’y aurait pas eu besoin de recourir à des techniques budgétaires pour une mise en accusation : c’était beaucoup plus large, avec une clameur encore plus assourdissante dans les rues et les écrans du pays. Ses compétences politiques traditionnelles en matière de gestion du Congrès auraient peut-être encore permis d’éviter un destin auquel il s’était échappé une fois auparavant, au moment demensalão crise, dans le meilleur des cas lui permettant peut-être de boiter jusqu’à la fin de son mandat. Mais cela aurait coûté trois ans à Cunha dans un tel odium moral-politique commun que, selon toute vraisemblance, le châtiment lors des élections de 2018 aurait été encore plus dévastateur. Il y avait de bonnes raisons pour lesquelles non seulement Dilma, mais aussi le PT lui-même, ont rejeté la collusion avec Cunha. Le prix de la crédibilité, qui était déjà si abîmé, était trop élevé et la rentabilité trop fugace.

    Les juges eux-mêmes n’avaient guère plus scrupuleux à tolérer Cunha, tant qu’il détenait les clés de la mise en accusation, que le politicien qu’ils avaient en vue. Le récit de Singer sur les perspectives et l’impact des magistrats de Lava Jato est un modèle d’analyse par tête. Pourtant, il reste deux questions ouvertes. Républicain mais factieux, oui : mais quel serait l’équilibre ultime entre les deux - juste d’effet égal ? S’agit-il, en outre, des deux seuls éléments dans la composition de la justice brésilienne ? La chanteuse se concentre sur la piscine à Curitiba. Mais il fonctionnait dans le cadre d’un système juridique qui l’avait précédé et dépassé. La relation entre la police, les procureurs et les juges était d’une importance décisive. Formellement parlant, chacun est un organe indépendant de l’autre. La police rassemble des preuves, les procureurs portent des accusations, les juges prononcent des verdicts (au Brésil, les jurés n’existent que pour les cas d’homicide). Toutefois, dans la pratique, Lava Jato a fusionné ces trois fonctions en un seul, composé de procureurs et de policiers travaillant sous la supervision du juge, qui a contrôlé les enquêtes, déterminé les actes d’accusation et prononcé des peines. La négation des principes de justice ordinaires dans un tel système, même sans que la présomption d’innocence ait été rejetée par Moro, est claire : les pouvoirs d’accusation et de condamnation ne sont plus distingués.

    À ceux-ci ont été ajoutés trois autres pouvoirs. Delacão Premiada- informer pour une récompense - a introduit la pratique, étendue des juges aux procureurs, consistant à menacer les personnes en état d’arrestation de leur imposer des peines sévères sauf si elles impliquaient des tiers : en réalité, du chantage judiciaire. L’ampleur des abus générés par ce pouvoir peut être lue à partir du traitement accordé au magnat le plus riche que Lava Jato a rémunéré. Marcelo Odebrecht a été condamné à 19 ans de prison pour corruption à hauteur de 35 millions de dollars. Une fois devenu informateur, il a été réduit à deux ans et demi et il est sorti de prison sans plus de cérémonie. L’incitation à fournir toutes les créances qui pourraient être utiles pour d’autres affaires que le magistrat cherche à poursuivre est évidente. Les juges peuvent même offrir des pardons.

    Le dernier mais non le moindre a été l’adoption, datant essentiellement du procès mensalão , de la notion de domínio de fato - condamnation en l’absence de preuve directe de la participation à un crime, au motif que l’accusé devait en avoir la charge . C’est sur cette base que le chef de cabinet de Lula a été condamné pour sa position hiérarchique en tant que chef de l’administration politique à Brasilia. La notion a été empruntée au principe de Tatherrschaft, développé par le juriste allemand Claus Roxin pour les crimes de guerre nazis. Roxin, cependant, a protesté contre les abus brésiliens : la position de l’organisation ne suffisait pas pour le crime tel qu’il le définissait - il devait y avoir une preuve de commandement. Moro, cependant, a même renoncé à la hiérarchie organisationnelle en déployant domínio de fato pour convaincre Lula de vouloir recevoir un appartement d’Odebrecht. La valeur de la propriété s’élevait à 600 000 dollars, pour lesquels il fut emprisonné pendant 12 ans : plus des deux tiers de la peine infligée à Odebrecht, pour moins de 2% du montant pour lequel il était accusé. Les ratios parlent d’eux-mêmes.

    Dans de tels cas , tels qu’ils ont été traités à Curitiba, le zèle républicain et le parti pris factieux identifiés par Singer s’appliquent. En gravissant les échelons judiciaires à Brasilia, sous la présidence de la Cour suprême, on ne peut pas en dire autant. Ici, ni rigueur éthique ni ferveur idéologique ne sont visibles : les motivations sont d’un ordre tout à fait différent, plus sordide. Contrairement à ses homologues du monde entier, la Cour suprême brésilienne combine trois fonctions : elle interprète la Constitution, constitue la dernière instance d’appel en matière civile et pénale et, à la base, elle est seule habilitée à juger les fonctionnaires - membres du Congrès et ministres - qui jouissent autrement de l’immunité de poursuites, communément appelé foro privilegiado, dans tous les autres tribunaux du pays. Ses 11 membres sont nommés par l’exécutif ; leur confirmation par le législateur, à la différence des États-Unis, n’est que pro forma. Une expérience préalable sur le terrain n’est pas nécessaire : seuls trois des juges actuels en ont. La pratique habituelle en tant qu’avocat ou procureur, avec une poignée de diplômes universitaires, est le fond habituel.

    La sélection à la Cour suprême a traditionnellement été basée non pas tant sur une affinité idéologique que sur un lien personnel : parmi les membres actuels du groupe, il y a un ancien avocat de Lula, un autre un ami de Cardoso, un troisième cousin de son prédécesseur déshonoré, Fernando Collor de Mello. . La charge de travail de la cour est grotesque : plus de cinq cents personnes chaque année sont attribuées pour examen préliminaire à des juges individuels, chacun d’entre eux étant investi - aucune autre cour suprême du monde ne dispose de cela - avec un pouvoir arbitraire de bloquer ou d’accélérer le procès à leur guise, en retardant les uns pendant des années, en expédiant les autres après la hâte. En pratique, il n’y a pas de délais. Lorsqu’une affaire est jugée recevable par l’assemblée plénière, les audiences ne sont pas seulement publiques, mais une autre caractéristique unique est la diffusion télévisée en direct, si le président en exercice du tribunal, qui siège à tour de rôle, juge utile.

    Au moment où la pression pour la destitution a commencé à augmenter, huit des onze membres du tribunal avaient été choisis par Lula ou Dilma. Mais comme les nominations avaient rarement été très politiques au sens politique du terme, un seul membre du tribunal, l’intimé Gilmar Gilmar de Cardoso, avait un profil idéologique bien défini, en tant que faucon pour le PSDB. Les autres n’étaient pas d’une couleur particulière, l’égoïsme et l’opportunisme comptant généralement plus que tout autre isme. Mais une fois que la troisième fonction du tribunal, le procès des hommes politiques, a acquis une saillance qu’il avait jamais connu auparavant, du mensalãoÀ partir du scandale, ceux qui devaient leur nomination à Lula et à Dilma étaient prêts à montrer leur indépendance à l’égard du PT. C’était le premier membre noir du tribunal, Joaquim Barbosa, mis en place par Lula, qui avait prononcé des peines d’une dureté sans précédent contre les cadres du PT lors du procès de mensalão . Mais comme les événements devaient le montrer, il ne s’agissait pas tant d’une indépendance au sens d’une justice impartiale que de remplacer une dépendance plutôt nominale vis-à-vis des clients par une soumission plus éloquente aux médias.

    Dès le début, le pool de Curitiba a utilisé des fuites et des articles dans la presse pour court-circuiter le procès en justice, condamnant des cibles avant le procès dans l’opinion publique, conformément à la sagesse brésilienne - valable dans le monde entier - selon laquelle publié. ’ De telles fuites sont juridiquement interdites. Moro les employa systématiquement, sans scrupule. Il pouvait le faire, car les médias qu’il utilisait comme porte-voix intimidaient les juges de la Cour suprême, qui craignaient d’être dénoncés s’ils le faisaient. Lorsqu’un juge a ordonné à Moro, pour des raisons d’habeas corpus, de libérer un directeur de Petrobras qu’il détenait en prison, il s’est adressé aux médias pour lui expliquer qu’il devait également libérer les trafiquants de drogue. Son supérieur a immédiatement reculé.

    Craven pour couvrir les illégalités ci-dessous, la Cour suprême n’était pas meilleure - conciliation de la servilité et de l’intérêt personnel - dans l’exécution de ses tâches susmentionnées. Si le procureur général porte des accusations contre un membre du Congrès ou le gouvernement, le tribunal détermine s’il y a lieu de tenir un procès, décision qui doit être ratifiée par le Congrès. Des accusations ont été portées contre Cunha dès que ses comptes en banque suisses ont été révélés. Le tribunal n’a pas bougé pendant six mois, jusqu’à ce qu’il déclenche la destitution de Dilma. Ensuite, non seulement il a accepté l’acte d’accusation du jour au lendemain, mais - désireux de dissimuler son inaction - a ordonné de façon péremptoire son renvoi à la présidence, ce qu’il n’avait aucun pouvoir constitutionnel de faire. Comme Cunha le remarqua avec une précision cynique : "Si c’était urgent, pourquoi leur a-t-il fallu six mois ?" Quand Delcídio do Amaral, un PT - ancien PSDB - sénateur, Ayant été filmé sur une cassette en train de discuter des moyens de faire sortir un chef de Petrobras de sa prison, le tribunal a agi à la vitesse de la lumière, l’arrêtant dans les 24 heures. Il avait laissé échapper qu’il était en bons termes avec les juges et les sondait au sujet de l’affaire. Une fois qu’il a présenté sa requête, les accusations ont été discrètement abandonnées et il a été renvoyé au Sénat. Comme l’a souligné le critique Conrado Hübner Mendes, le tribunal, qui était censé être un pouvoir modérateur en matière de tension dans la constitution, était devenu - un mot plus fort que le sien - un abcès les générant. et il a été restauré au Sénat. Comme l’a souligné le critique Conrado Hübner Mendes, le tribunal, qui était censé être un pouvoir modérateur en matière de tension dans la constitution, était devenu - un mot plus fort que le sien - un abcès les générant. et il a été restauré au Sénat. Comme l’a souligné le critique Conrado Hübner Mendes, le tribunal, qui était censé être un pouvoir modérateur en matière de tension dans la constitution, était devenu - un mot plus fort que le sien - un abcès les générant.3

    Tenirmoins de 18 mois avant son expulsion du palais présidentiel, le second mandat de Dilma était stérile. Son annexion, qui a duré deux fois plus longtemps, était tout à fait plus conséquente. Agissant avec une rapidité et une détermination qui ont permis de clarifier la profondeur de la planification derrière la mise en accusation, le nouveau régime a adopté rapidement trois pièces classiques de l’État néolibéral, modifiant la constitution économique du pays. En un mois, le Congrès a été saisi par une législation gelant les dépenses sociales pendant vingt ans - aucune augmentation au-delà du taux d’inflation -. A peine a-t-il été adopté à la majorité des deux tiers que le code du travail a été complètement abrogé : la limite légale d’une journée de travail est passée de huit à 12 heures ; les pauses déjeuner autorisées sont coupées d’une heure à trente minutes ; protection des employés, à temps plein ou à temps partiel, réduite ; le prélèvement des cotisations syndicales aboli ; ainsi que diverses autres dérégulations du marché du travail. Une troisième loi a donné un feu vert généralisé à la sous-traitance des contrats de travail et des contrats zéro heure. La prochaine étape a été la réforme radicale des retraites, l’augmentation des cotisations et l’augmentation de l’âge de la retraite, afin de réduire les coûts de la sécurité sociale imposée par la Constitution au nom de la réduction de la dette nationale. Étant donné que les bénéficiaires des paiements les plus somptueux dans le système existant proviennent des plus hauts rangs de la bureaucratie et de la classe politique, la proposition était un peu plus délicate. La prochaine étape a été la réforme radicale des retraites, l’augmentation des cotisations et l’augmentation de l’âge de la retraite, afin de réduire les coûts de la sécurité sociale imposée par la Constitution au nom de la réduction de la dette nationale. Étant donné que les bénéficiaires des paiements les plus somptueux dans le système existant proviennent des plus hauts rangs de la bureaucratie et de la classe politique, la proposition était un peu plus délicate. La prochaine étape a été la réforme radicale des retraites, l’augmentation des cotisations et l’augmentation de l’âge de la retraite, afin de réduire les coûts de la sécurité sociale imposée par la Constitution au nom de la réduction de la dette nationale. Étant donné que les bénéficiaires des paiements les plus somptueux dans le système existant proviennent des plus hauts rangs de la bureaucratie et de la classe politique, la proposition était un peu plus délicate.

    Mais avant qu’il ne puisse être mis aux voix, Temer cherchait à suivre Dilma dans ses fonctions. Au printemps 2017, il a été filmé lors d’une réunion secrète avec Joesley Batista, responsable de la société de transformation de la viande JBS, dans le garage du palais présidentiel, discutant de l’argent caché pour Cunha - qui venait d’être condamné et pouvait l’impliquer de n’importe quelle manière. corrompu - ignorant que son interlocuteur collaborait avec la police. La bande a été immédiatement diffusée à la télévision nationale, à un tumulte sans précédent. Quinze jours plus tard, l’un des collaborateurs de Temer a été filmé alors qu’il recevait une valise contenant 500 000 reais d’un émissaire de Batista. Pour que la Cour suprême puisse donner suite aux accusations immédiatement portées contre lui par le procureur général, la Chambre devait autoriser la procédure par un vote des deux tiers. Au-delà de la honte,

    Deux mois plus tard, le procureur général émettait une accusation beaucoup plus large contre Temer, ainsi que six autres dirigeants de la PMDB, dont trois déjà sous clef - l’un avec le plus gros trésor d’argent de l’histoire, des billets de banque d’une valeur de 55 millions de dollars. Une fois encore, la Chambre a bloqué toute action. Un an plus tard, en octobre 2018, un troisième scandale majeur a éclaté. La police fédérale a porté des accusations de corruption de longue date sur les docks de Santos contre Temer. À ce moment-là, paralysé politiquement depuis plus d’un an, bien qu’il ait survécu à toutes les révélations, il ne lui restait plus aucun agenda. Le plan de stabilisation conventionnel accompagnant ses premières mesures néolibérales avait mis fin à la récession de Dilma, mais la reprise était faible - croissance asthmatique, niveau de vie abaissé, 13 millions de chômeurs. La crédibilité de Temer est inférieure à zéro, Son parti dirigeait le ministre des Finances qui présidait cette reprise, Henrique Meirelles, à la présidence en 2018. Il a obtenu 1% des voix. Pourtant, cette transition en sourdine avait tout de même ouvert la voie à un obbligato haut perché.

    II : Bolsonaro
    Au milieu2016, la détérioration de l’économie et la corruption politique ont fait sombrer la règle du PT. Mais fin 2017, son successeur, le PMDB, avait encore baissé dans les sondages, pour les deux mêmes raisons. Depuis que la PSDB faisait partie du système de soutien de Temer, avec des membres éminents du parti au gouvernement, elle ne pouvait échapper à la puanteur. Son président, Aécio, avait également été filmé pour réclamer un important évité un procès grâce à la protection d’un congrès rempli de confédérés. Dans ce paysage dévasté, Lula - toujours en appel - reste de loin le politicien le plus populaire du pays et, si rien n’est fait, le vainqueur le plus probable de la prochaine élection présidentielle.Un vencerá de verdade . 4 Le titre ( « The Truth Will Prevail) est trompeur, ce qui suggère une réfutation des accusations portées contre lui qui sont à peine mentionnés dans un mémorable, se déplaçant souvent auto-portrait d’un homme politique de l’ intuition exceptionnelle et l’ intelligence réaliste - ce qui explique pourquoi les autorités brésiliennes ont tant résisté à son retour au pouvoir.

    Jair Bolsonaro
    Jair Bolsonaro
    En tant que dirigeant, le style de fonctionnement de Lula et sa croyance politique en font partie C’est un syndicaliste qui, au début des années 80, a appris, comme il le dit si bien, à ne pas formuler de revendications du type « 80% ou rien ». De cette façon, vous vous retrouvez avec rien. En devenant président d’une société immense et complexe en 2003, il était toujours conscient du fait que "je ne pourrais jamais traiter le pays le souhaitant comme je le suis". Il en a résulté que « gouverner, c’est négocier ». En opposition, vous pourriez avoir des principes. Mais une fois que vous remportez des élections, si vous n’avez pas la majorité au Parlement, ce dont aucun président brésilien ne jouit depuis de nombreuses années, vous devez mettre vos principes sur la table pour les rendre praticables. Cela impliquait de traiter avec les adversaires et les alliés, qui souhaitaient quid pro quo - des fonctions politiques avant tout. Chaque prédécesseur avait dû faire la même chose. ’Vous faites un accord avec qui est là, au congrès. S’ils sont des voleurs, mais ont des votes, vous avez le courage de les demander ou vous perdez. Selon ce raisonnement, Dilma aurait dû conclure un accord avec Cunha. Il n’y avait pas d’alternative possible.

    Mais la négociation était une chose, la conciliation une autre. « Un gouvernement de conciliation est un gouvernement où vous pouvez faire plus et que vous ne voulez pas faire. Quand on ne peut que faire moins et finir par faire plus, c’est presque le début d’une révolution - et c’est ce que nous avons fait dans ce pays. ’ Lula n’avait fait que les concessions nécessaires. Le PT avait moins d’un cinquième du Congrès. S’il avait jamais contrôlé les gouvernorats de 23 États et de la majorité à l’Assemblée constituante, comme l’avait fait le PMDB en 1988, il aurait moins concédé et accompli beaucoup plus. Malgré tout, "nous avons donné à la population un niveau de vie que de nombreuses révolutions armées n’ont jamais atteint - et en seulement huit ans". Il avait terminé avec des sondages d’opinion dans les cieux. Mais cela en soi n’était pas une source de fierté. "Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir changé la relation entre l’État et la société, et du gouvernement avec la société. Ce que je voulais réaliser en tant que président, c’était que les plus pauvres du pays puissent s’imaginer à ma place. C’est ce que j’ai fait.

    C’est une réclamation impressionnante. La grandeur de l’esprit et des sentiments de Lula, ainsi que sa rapidité, transparaissent de manière frappante au cours des échanges. Autocritique, ils ne le sont pas. A-t-il choisi le mauvais successeur ? Il a choisi Dilma parce qu’elle était un chef de cabinet solide et efficace qui lui a procuré un peu de paix et de tranquillité au palais présidentiel. Il savait qu’elle était politiquement inexpérimentée mais, sachant qu’elle était mieux éduquée que lui, croyait qu’elle allait apprendre. ce n’est que plus tard qu’il s’est rendu compte qu’elle n’aimait pas vraiment la politique. Mais il n’avait pas tort de l’avoir choisie. Ce que l’on ignore dans les entretiens est la supposition probable que précisément parce qu’elle était novice, Lula pouvait la contrôler mieux que n’importe quel cadre expérimenté du PT. Ni, plus important encore, Le Congrès a-t-il le sentiment que le fait d’acquérir un soutien mercenaire au Congrès impose non seulement des limites à ce qu’il peut faire (ce qu’il admet), mais aussi des coûts pour son parti, qui l’a infecté à son tour (ce qu’il ne fait pas). Projeté sur le plan de la politique nationale, le modèle de négociation économique qu’il a introduit dans son passé syndical a perdu de son innocence et créé une illusion. Les accords salariaux n’impliquent pas de revers pour les employeurs. Encore moins, là où le pouvoir est en jeu, on peut compter sur les adversaires pour ne pas y allerva banque .

    Dans un dernier échange poignant, lorsque Lula a déclaré que s’il revenait au pouvoir, il ferait plus - irait plus loin - qu’il ne l’avait fait plus tôt, et ses adversaires le savaient, on lui a demandé s’il pensait qu’un retour était possible. Il était dans un mois du début de sa peine. C’était sa réponse nostalgique :

    Oh, je veux revenir. Cela dépend si Dieu me donne la santé, me maintient en vie ; et cela dépend de la compréhension des membres du pouvoir judiciaire qui vont voter, s’ils prennent la peine de lire les procès-verbaux de l’affaire et de voir les mauvais tours qu’on y joue.

    Jusqu’au bout, Lula pensait pouvoir conclure un accord lui permettant de se représenter : c’est ainsi que se sont terminées les négociations. Il avait fatalement sous-estimé ses ennemis. Ils étaient déterminés à l’éliminer. En avril 2018, un recours ultime en faveur de l’habeas corpus, qui lui aurait permis de se présenter à la présidence, a été porté devant la Cour suprême. La constitution brésilienne stipule qu’aucune condamnation pénale ne peut être exécutée tant qu’elle n’est pas définitive, c’est-à-dire tant que tous les recours ne sont pas épuisés. Le chef de l’armée a averti que lui donner l’habeas corpus mettrait en péril la stabilité du pays, qu’il incombait aux forces armées de défendre. Les juges ont fait leur devoir avec empressement, renversant le principe constitutionnel par un vote de six voix contre cinq afin d’empêcher la candidature de Lula.

    Dans l’arène ainsi défrichée, le candidat présumé à la présidence est devenu le candidat du PSDB, Geraldo Alckmin, gouverneur de longue date de São Paulo. Personnage en bois sans charisme, il avait perdu contre Lula en 2006, mais était moins compromis par le soutien à Temer que ses rivaux du parti et bénéficiait d’un solide soutien des entreprises. Le PT était paralysé, incapable d’entrer sur le ring puisqu’il insistait toujours, malgré l’impossibilité évidente, pour que Lula en reste le candidat. Jair Bolsonaro, un député loup solitaire si isolé qu’il n’avait recueilli que quatre voix sur 513, se présentait devant la grille de départ avec un soutien modeste de 15% des suffrages. Il s’est présenté à la présidence après la chute de Cunha. La marginalité au Congrès n’était toutefois pas nécessairement un inconvénient pour se porter candidat à la présidence. N’ayant jamais appartenu à aucun des principaux partis - errant entre sept plus petits - ni occupé aucun poste au gouvernement, Bolsonaro n’a pas été accusé de difficultés économiques ni exposé de corruption, et libre de l’attribuer à ces derniers, assaillant toute la classe politique. pour les deux. Mais ses éloges pour la dictature de 1964-1985 et ses bourreaux, ainsi que pour ses vexations au sens large, parurent des handicaps si criants qu’il était généralement présumé qu’une fois la campagne entamée, il serait relégué aux rangs des habitants.

    Alckmin, en revanche, avait non seulement la PSDB derrière lui, mais aussi tout le soi-disant centre, le marais de partis de taille moyenne dont se plaint Lula, lui donnant la moitié du temps de télévision attribué aux publicités des partis - un atout inestimable dans le passé. Avec cela, il devait largement submerger Bolsonaro et d’autres rivaux potentiels. Sept débats télévisés, mettant en vedette tous les candidats, étaient programmés une fois la campagne commencée. À partir du mois d’août, ils ont mis au jour le désavantage de Bolsonaro dans le milieu : mal préparé et mal à l’aise, il était inefficace. Plus il y était exposé, plus il était susceptible de regarder. Dans la première semaine de septembre, cependant, ce danger a été soudainement levé. Frappé par un homme souffrant de maladie mentale lors d’un rassemblement provincial et précipité à l’hôpital pour une opération d’urgence, il a passé le reste de l’élection en toute quiétude, au réveil au lit, protégé non seulement des débats ou des entretiens,

    Pendant ce temps, le PT perdait des mois dans de vaines protestations selon lesquelles Lula était toujours son candidat, sans même une présence symbolique dans les premiers débats. Ce n’est que cinq jours après le coup de poignard de Bolsonaro que le parti a accepté la réalité et a présenté un candidat capable de se porter candidat. Son choix a été dicté par Lula. Fernando Haddad était ministre de l’Education depuis six ans et était largement considéré comme un succès. Il était responsable de l’une des réalisations majeures de la règle du PT, de l’expansion du système universitaire et de l’accès de ce dernier aux pauvres. Jeune et sympathique, il aurait pu faire un successeur bien meilleur et plus logique en 2010 que Dilma. Mais il a eu trois grèves contre lui : il était originaire de São Paulo, où dominaient les poids lourds plus âgés et plus puissants du PT, qui protégeaient leur préséance ; il venait de la gauche du parti ;

    En 2012, Haddad a été élu maire de São Paulo. Il a rapidement été pris en défaut par Dilma, qui a refusé d’écouter son appel à la hausse des prix de l’essence plutôt que d’infliger des tarifs plus élevés en bus à la ville, déclenchant ainsi les manifestations de 2013 qui ont commencé à la défaire et ont mis fin à ses perspectives de réélection. Il a continué de manquer de toute base significative au sein du PT, dont les fonctionnaires se méfiaient de lui. Dès 2003, dans un article prophétique écrit au moment de la prise du pouvoir par le PT, il avait mis en garde contre le risque que le parti, au lieu de déraciner le patrimonialisme profondément enraciné de l’État brésilien, soit capturé par ce parti. Le Brésil n’était pas, contrairement à ce que pensaient Cardoso et d’autres, un lieu dans lequel le capitalisme moderne utilisait les archaïsmes d’une ancienne société esclavagiste, mais l’inverse : un système oligarchique archaïque s’appropriant un capitalisme moderne pour préserver le modèle de pouvoir traditionnel en saturant l’autorité publique de ses intérêts privés. En 2018, au milieu du naufrage patrimonial qui avait emporté le PT, la clairvoyance et l’honnêteté de Haddad se démarquèrent et, se sachant pur et imaginatif, Lula l’imposa au parti.

    La campagne qui a suivi était étrangement asymétrique. Partant en retard, Haddad était à l’écart des circonstances de son rendez-vous. À moins d’un mois du premier tour des élections, il devait établir son propre profil national, accusant d’être un simple mannequin pour Lula, tout en s’inspirant aussi efficacement que possible de la persistance de Lula. popularité et prestige. Il est rapidement devenu évident que Bolsonaro et lui s’affronteraient au deuxième tour, mais il n’y a pas eu de confrontation entre les deux. Haddad a visité le pays, s’adressant à la foule, pendant que Bolsonaro restait chez lui en train de tweeter. À deux semaines du premier tour, ils étaient sur le point de prédire le second tour. Puis, ces derniers jours, Bolsonaro a soudainement pris de l’avance, avec une avance de 46 à 29%. Avec un écart aussi grand que cela, le second tour était couru d’avance. L’establishment brésilien a fermé les rangs derrière le futur vainqueur. Haddad s’est battu vaillamment, finissant par réduire de moitié l’écart. Mais le résultat final ne laisse aucun doute sur l’ampleur du triomphe de Bolsonaro. Gagnant de 55 à 45%, il a pris tous les États en dehors de la redoute nord-est du PT ; toutes les grandes villes du pays ; toutes les classes sociales, à l’exception des personnes les plus défavorisées, vivant avec des revenus inférieurs à deux salaires minima ; chaque groupe d’âge ; et les deux sexes - ce n’est que parmi la cohorte des 18 à 24 ans qu’il n’a pas réussi à obtenir la majorité des voix des femmes. À travers le pays, la droite jubilait dans les rues. Mais il n’y avait pas eu de grande hâte aux urnes. Le vote est obligatoire au Brésil, mais près du tiers de l’électorat - 42 millions d’électeurs - s’est désisté, ce qui représente la proportion la plus élevée en vingt ans.

    Selon cette dernière réponse, selon toute vraisemblance, la clé du succès de Bolsonaro. La récession avait certainement joué un rôle crucial dans la réduction du soutien au PT depuis 2014, et la corruption, qui n’avait pas compté pour les pauvres lorsque leur niveau de vie augmentait, diminuait quand ils s’effondraient. Les deux pourraient être directement connectés dans des représentations nocturnes à la télévision d’énormes égouts remplis de billets de banque - dans le discours de Lava Jato, de l’argent volé dans des hôpitaux, des écoles et des terrains de jeux. Mais les réactions populaires sous-jacentes étaient l’insécurité, physique et existentielle. Il est notoire que la violence quotidienne - traditionnelle dans le nord-est du pays féodal, moderne depuis l’arrivée du trafic de drogue dans le sud-est - fait soixante mille victimes par an, un taux d’homicides supérieur à celui du Mexique. La police est responsable de 20 à 25% de ces décès. Moins de 10% des meurtres font l’objet d’une enquête. Pourtant, les prisons grouillent de monde : 720 000 personnes en prison. Les deux cinquièmes des détenus en détention provisoire attendent un procès qui peut prendre deux, trois ans ou plus pour être entendu. Près de la moitié de la population du pays est blanche ; 70% des personnes assassinées et 70% des personnes emprisonnées ne le sont pas. Avec la drogue sont venus des gangs, parmi les plus puissants du monde. En 2006, le plus important d’entre eux, Primeiro Comando da Capital (PCC), a réprimé certaines parties de São Paulo lors d’un soulèvement dirigé contre la police à partir des cellules de la prison de ses dirigeants. Mais avec la propagation de la drogue, la criminalité de rue artisanale plutôt qu’organisationnelle a également proliféré. Peu de ménages de la classe moyenne n’ont jamais eu recours à une forme quelconque. Mais ils sont mieux protégés : là où les agressions au pistolet ou aux couteaux sont les plus courantes,

    Dans Dans cette jungle, la police est le plus impitoyable des prédateurs : pas de crime majeur sans prise. Divisées en branches "militaires" et "civiles" séparées, dans un rapport d’environ trois pour un, elles sont des forces étatiques et non fédérales. À leurs côtés, des « milices » informelles composées d’anciens policiers jouant le rôle de gardes de sécurité ou se battant contre le trafic de drogue. Le petit corps de la police fédérale - un dixième de la taille de la police militaire à la disposition des gouverneurs de São Paulo et de Rio de Janeiro - est réservé en grande partie au contrôle des frontières et à la criminalité en col blanc. La promotion dépend des taux d’arrestation, qui sont assistés par des lois qui ne font plus la distinction entre la vente et la consommation de drogue, ni exigent des témoins d’appréhension sur place, offrant ainsi un moyen rapide de criminaliser la pauvreté, en tant que jeune et noir -pardo (’race mixte’) et preto(« noirs ») à peine distingués - sont enlevés pour être envoyés dans des prisons où il y a deux fois plus de prisonniers que de lieux. Le métissage étant historiquement si répandu, rendant impossible une ligne de couleur « une goutte », le racisme au Brésil diffère de la tendance américaine, mais n’en est pas moins brutal. Associée à une urbanisation très rapide, entraînée autant par la poussée des paysans de la terre que par l’attrait des lumières de la ville, créant un cadre de grande inégalité avec peu ou pas de structures d’accueil, elle a pour effet de déplacer le conflit social en une violence anomique. Pour les jeunes Noirs, le crime peut être une tentative désespérée de reconnaissance, une arme, un passeport pour la dignité : des armes à feu, louées pendant quelques heures et montrées à la tête d’un conducteur ou d’un passant, devenant aussi un moyen de forcer les gens à regarder plutôt que loin de ceux qui sont autrement traités comme invisibles. Les présidents successifs, dégagés de toute responsabilité en matière de sécurité publique, qui reste du ressort des gouverneurs, ont été peu incités à changer le contenu de ce qui constitue un mandat commode pour l’inaction. Ils peuvent tout au plus déclarer une urgence et envoyer des troupes occuper des taudis, comme exercice temporaire de relations publiques, ne laissant que peu de traces.

    La désintégration des normes de la coutume, de la famille et de la vie sexuelle, alimentée non seulement par la diffusion de drogues, mais aussi par les médias - la télévision - se conforme aux modèles nord-américains. , jetant plus tôt des contraintes aux vents. Les femmes sont les principales victimes. Le viol est aussi courant qu’un meurtre au Brésil : plus de soixante mille par an, environ 175 par jour - le nombre signalé a doublé au cours des cinq dernières années. Au milieu de tout cela, les angoisses économiques sont les plus permanentes et les plus intenses - l’insécurité à son niveau le plus fondamental, la nourriture et le logement. Dans ces conditions, la religion pentecôtiste a de plus en plus suscité un désir désespéré d’ordre, ses églises offrant un cadre ontologique permettant de donner un sens à une vie en marge de l’existence. Leur marque de fabrique est une théologie non pas de la libération, mais de la « prospérité » en tant que moyen de salut terrestre. Par le travail acharné, l’autodiscipline, un comportement correct et le soutien de la communauté, les croyants peuvent s’améliorer - et payer la dîme à l’aide de l’organisation pastorale. En règle générale, les églises néo-protestantes sont également des sociétés financières douteuses, qui font des millionnaires des ministres en chef. En 2014, les troupeaux évangéliques au Brésil comptaient environ quatre-vingts millions. Les entreprises pentecôtistes étaient un pouvoir dans le pays ; un cinquième des députés du Congrès ont jugé avantageux de déclarer leur affiliation. Quatre ans plus tard, cependant, les conditions de leur suivi avaient changé. Le succès de la théologie de la prospérité a coïncidé avec les années prospères de la présidence de Lula, donnant de la crédibilité à son optimisme quant à la hausse matérielle. En 2018, la promesse d’amélioration constante avait disparu. Pour beaucoup, tout semblait en train de s’effondrer.

    Nulle part ces tensions n’ont été aussi aiguës que dans la deuxième ville du Brésil. Rio, avec la moitié de la population de São Paulo, a un taux de meurtres deux fois plus élevé. Cela tient en grande partie au degré de contrôle inégalé exercé sur São Paulo - une ville bâtie sur un plateau - exercée par le paulista dominant.gang, le PCC. Là, il est en mesure de décourager les petites agressions - ce qui complique la gestion ordonnée du trafic de drogue de haute valeur - avec les armes lourdes à sa disposition. La topographie de Rio - une bande côtière sinueuse et sinueuse segmentée par des montagnes couvertes de forêts menant à des plages, des favelas entassées dans leurs interstices, souvent jouxtant des quartiers riches - empêche un tel pouvoir centralisé. Les gangs rivaux mènent une guerre territoriale acharnée sans se soucier des victimes, et dans un contexte de pauvreté accrue, un commerce d’armes plus dense décuple le chaos aléatoire provoqué par des affrontements individuels. Au début de 2018, pour mettre fin à la violence, Temer a envoyé l’armée - et cela n’a eu aucun effet durable, comme par le passé. Dans cet environnement, le PT n’a jamais été en mesure de prendre racine, encore moins la PSDB, ni aucune configuration partisane stable. Les trois derniers gouverneurs sont en prison ou incarcérés pour corruption. Ce sont les églises évangéliques qui ont eu une influence politique plus grande que dans toute autre grande ville. Cunha, longtemps politicien dominant de Rio, était un prédicateur laïque lié à l’Assemblée de Dieu, la plus grande confession pentecôtiste. Son maire actuel est un évêque de l’Eglise universelle rivale du Royaume de Dieu et neveu de son capo, Edir Macedo, la réponse du Brésil (beaucoup plus puissante) au révérend Moon.

    Bolsonaro est un produit de cette boîte de Pétri. Il est né en 1955 dans l’intérieur d’une petite ville de l’état de São Paulo, mais sa carrière s’est entièrement déroulée à Rio. À 18 ans, à l’époque de la dictature, il entra dans une académie militaire proche de la ville. en tant que parachutiste. Elevé dans les dix ans au grade de capitaine, il publie en 1986 un article se plaignant de bas salaires dans l’armée et est arrêté pour indiscipline. À sa libération, il a planifié une série d’explosions mineures dans diverses casernes afin de dissiper le mécontentement matériel dans les rangs. Probablement parce qu’il jouissait d’une certaine protection vis-à-vis des officiers supérieurs sympathiques à ses objectifs, sinon à ses méthodes, une enquête a conclu que les éléments de preuve à son encontre - y compris des cartes dessinées à la main - étaient peu concluants. Mais il a été contraint de prendre sa retraite à l’âge de 33 ans. Cinq mois plus tard, il se fit élire au conseil municipal de Rio. Deux ans plus tard, il s’était rendu devant le Congrès sur les votes de la Vila Militar, une zone à l’ouest de la ville construite pour les soldats et leurs familles et contenant la plus grande concentration de troupes en Amérique latine, ainsi que de la zone autour de l’académie militaire. au sud de la ville où il avait été cadet.

    À Brasilia, Bolsonaro a rapidement réclamé un régime d’exception et la fermeture temporaire du Congrès. L’année suivante (1994), il a déclaré qu’il préférait « survivre dans un régime militaire que de mourir dans cette démocratie ». Au cours des deux décennies suivantes, sa carrière parlementaire consista principalement en des discours vantant la dictature militaire et les forces armées ; appelant à la peine de mort, à la réduction de l’âge de la responsabilité pénale et à l’accès plus facile aux armes à feu ; et attaquer les gauchistes, les homosexuels et d’autres ennemis de la société. Il a été réintégré six fois, sa base électorale à la caserne et leur circonscription se maintenant à peu près au même niveau - environ 100 000 voix - jusqu’en 2014, année où elle a soudainement quadruplé. Le saut, peu remarqué à l’époque, était plus qu’un effet général de la crise économique, bien que manifestement levé par celle-ci. Aversion du PT -antipetismo - avait longtemps été une souche puissante dans la culture politique brésilienne en contrepoint de la classe moyenne à l’ ascendant PT, intensifié que les médias (surtout Veja, le principal magazine d’information du pays) a suscité l’indignation de la corruption afin de renforcer les campagnes du PSDB visant à conquérir la présidence. Mais personne ne pouvait rivaliser avec Bolsonaro pour la virulence sur ce front. Le soulèvement urbain de 2013 lui avait appris quelque chose que le PSDB n’avait pas appris. Ensuite, de jeunes militants d’une nouvelle droite à São Paulo - loin devant leurs aînés ou la classe politique en général - ont été les premiers à utiliser les médias sociaux pour mobiliser ce qui est devenu de vastes manifestations anti-gouvernementales. Ils étaient des néolibéraux radicaux, ce que Bolsonaro n’était pas, et il y avait peu de contact entre les deux. Mais il pouvait voir ce qu’ils avaient accompli et mettre en place sa propre opération personnelle à Rio avant tout concurrent. À la fin de 2017, il avait une longueur d’avance sur le peloton, avec sept millions d’adeptes sur Facebook, soit le double du nombre de journaux de premier plan du pays.

    Le succès de l’image qu’il a projetée sur ce support n’est pas uniquement le reflet de la violence de ses déclarations. L’impression de Bolsonaro donnée par la couverture de la presse à l’étranger, d’un fanatisme farouche, est trompeuse. La personnalité publique est plus ambiguë que cela : brutale et violente certes, mais avec un côté enfantin et enjoué, capable d’une bonne humeur populaire, parfois même auto-dévalorisante, loin de la mine lugubre de Trump, avec qui il est maintenant souvent comparé. Ses antécédents étaient moins pauvres que ceux de Lula - son père, un dentiste sans licence, exerçant son métier d’une petite ville à l’autre - mais suffisamment plébéien selon les critères de l’élite brésilienne. Bien qu’il soit maintenant aisé (propriétaire de cinq propriétés), une touche commune vient naturellement. Son charisme voyage particulièrement parmi les jeunes, populaires et plus instruits.

    Marié trois fois, Bolsonaro a quatre fils avec ses deux premières femmes et une fille ("un moment de faiblesse", il aime plaisanter) avec sa troisième, Michelle, volontaire pour une branche dérivée de l’Assemblée de Dieu, dont La leader des télévangélistes, troisième pasteur le plus riche du Brésil (d’une valeur estimée à 150 millions de dollars), a épousé le couple. Après une enquête de la police fédérale, elle s’est rendue dans une église baptiste « Attitude baptiste » près de leur appartement. Bien que catholique d’origine, Bolsonaro s’est assuré des meilleures références évangéliques, voyageant avec un pasteur pour se faire baptiser en Israël. La famille est sa forteresse politique. Contrairement à la famille Trump, les trois fils aînés de Bolsonaro ont tous connu une carrière électorale réussie : l’un est député à l’Assemblée de Rio ; un autre, à São Paulo, député le plus voté de l’histoire du Brésil ; le troisième conseiller à Rio. Ils sont souvent perçus comme un mélange de confiance de cerveau et de garde du corps autour de lui, tandis que Michelle est la gardienne du monde extérieur.

    Bien que longtemps solitaire au Congrès sans amis, Bolsonaro a compris la nécessité pour les alliés d’accéder à la présidence et a montré qu’il avait les compétences nécessaires pour les acquérir. Pour son second, il a choisi un général cinq étoiles, Hamilton Mourão, qui venait de prendre sa retraite après être devenu trop franc : il avait ouvertement attaqué le gouvernement de Dilma ; a déclaré que si le pouvoir judiciaire ne rétablissait pas l’ordre au Brésil, les militaires devaient intervenir pour le faire ; et a lancé l’idée d’un "coup d’Etat" par un président par intérim, si cela était nécessaire. (En outre, il a fait remarquer que le pays devait améliorer son stock, les Indiens étant paresseux, les Noirs trompeurs et les Portugais gâtés.) Étant donné que la base politique principale de Bolsonaro avait toujours été militaire, le choix de Mourão était logique et bien accueilli par l’armée . Mais il avait aussi besoin de rassurer les entreprises, se méfier de lui non seulement en tant que joker, mais en tant que membre du Congrès avec un bilan électoral toujours « étatique », un opposant aux privatisations et à la rancune des investissements étrangers. Alors, avec un sourire engageant, il s’avoua ignorant de l’économie, bien qu’il soit capable d’apprendre de ceux qui le savaient mieux, et trouva son mentor chez un économiste plus tard.

    Paulo Guedes avait été formé à Chicago, avait enseigné au Chili sous Pinochet et était rentré à Rio comme financier. Il n’était pas très apprécié par ses collègues économistes et n’avait jamais obtenu un poste universitaire au Brésil, mais il avait cofondé la plus grande banque d’investissement privée du pays, BTG Pactual, et en avait tiré une fortune, partant bien avant d’autres entreprises. il a été pris dans les enquêtes de Lava Jato. Un pur chan néolibéralSes principaux recours contre les problèmes économiques du Brésil sont la privatisation de toutes les entreprises et de tous les actifs de l’État pour rembourser la dette publique et la déréglementation de chaque transaction en vue. Avec de telles promesses - même si certains étaient sceptiques, elles pouvaient si facilement être tenues - la capitale avait peu à se plaindre. Les marchés financiers étaient au carré ; sécurité et économie pris en charge : qui a laissé la corruption. En route pour la victoire après le premier tour de l’élection, Bolsonaro a envoyé Guedes chercher Moro à bord. Il avait besoin de peu de persuasion : quelques jours après le second tour, Bolsonaro a annoncé que Moro avait accepté son invitation à devenir ministre de la Justice dans le prochain gouvernement. Les magistrats de Mani Pulite ayant l’intention de mettre de l’ordre dans le système politique italien, mis aux mains des partis au pouvoir de la Première République et ont été consternés de constater qu’ils avaient inauguré Berlusconi. Au Brésil, le juge vedette de Lava Jato, après avoir obtenu à peu près la même chose, était heureux de rejoindre un fouler analogique, peu importe la mesure.

    installée En janvier, le nouveau régime marque une rupture plus radicale avec l’ère du PT que les dirigeants du limogeage de Dilma, leurs propres partis gravement épuisés aux urnes, n’auraient jamais imaginé. Le retour des forces armées sur le devant de la scène politique, trente ans après la fin de la dictature militaire, est au cœur de sa composition. Aucun ajustement institutionnel n’était requis. Dans les années 1980, la démocratie brésilienne n’a pas été envahie par la révolte populaire des généraux, mais renvoyée au parlement par les généraux une fois qu’ils ont estimé que leur mission - éradiquer toute menace pour l’ordre social - était accomplie. Il n’ya pas eu de règlement des comptes avec les conspirateurs et les bourreaux de 1964-1985. Non seulement ils étaient assurés de l’immunité de poursuites ni absous par la loi de tout ce qu’ils avaient fait, mais leur renversement de la Deuxième République a été sanctionné par la Constitution avec la légalisation de leurs dirigeants en tant que présidents réguliers du Brésil et l’acceptation de la législation qu’ils ont présentée comme une continuité juridique normale avec le passé. Dans tous les cas, les tyrannies sud-américaines des années 1960 et 1970 imposaient l’amnistie de leurs crimes comme une condition préalable pour se retirer dans les casernes. Dans tous les autres pays, ils ont été partiellement ou totalement annulés une fois la démocratie consolidée. Unique, pas au Brésil. Dans tous les autres pays, une commission vérité a été créée en un à cinq ans pour examiner le passé. Au Brésil, il a fallu 23 ans pour que l’un d’entre eux soit approuvé par la Chambre des députés et aucune mesure n’a été prise à l’encontre des auteurs nommés par elle. Effectivement, En 2010, la Cour suprême a déclaré que la loi d’amnistie était un "fondement de la démocratie brésilienne". Huit ans plus tard, dans un discours commémorant le trentième anniversaire de la constitution promulguée après le départ des généraux, le président de la Cour suprême, Dias Toffoli - ancien garçon de course légal du PT et sans doute le personnage le plus ignoble du paysage politique actuel - a officiellement béni la prise du pouvoir en disant à son auditoire : « Aujourd’hui, je ne parle plus d’un coup d’État ni d’une révolution. Je me réfère au mouvement de 1964. ’ Dias Toffoli, ancien conseiller juridique du PT et probablement le personnage le plus méprisable du paysage politique actuel, a officiellement béni leur prise du pouvoir en déclarant à son auditoire : ’Aujourd’hui, je ne parle plus de coup d’État ni de révolution. Je me réfère au mouvement de 1964. ’ Dias Toffoli, ancien conseiller juridique du PT et probablement le personnage le plus méprisable du paysage politique actuel, a officiellement béni leur prise du pouvoir en déclarant à son auditoire : ’Aujourd’hui, je ne parle plus de coup d’État ni de révolution. Je me réfère au mouvement de 1964. ’

    L’armée avait son mot à dire au début de l’année 2018. En avril, le commandant en chef, Eduardo Villas Bôas, a mis en garde contre toute concession d’habeas corpus à Lula, au nom, comme il l’a expliqué par la suite, de la plus haute valeur chérie par les forces armées, la stabilité du pays. Bolsonaro ayant été bien élu, Villas Bôas a salué la victoire du nouveau président comme une libération bienvenue de l’énergie nationale et l’a remercié en janvier pour sa « libération des chaînes idéologiques qui séquestraient la libre pensée » au Brésil. Discuter de 1964 aujourd’hui était ridicule, a-t-il déclaré, et la Commission de la vérité, un mauvais service rendu au pays. Les questions de sécurité publique sont également des questions de sécurité nationale. Villas Bôas avait pris part à l’une des interventions militaires périodiques visant à rétablir l’ordre dans les bidonvilles de Rio et avait constaté à quel point l’incompétence des civils avait été vaine. En cela, elles ressemblaient à l’intervention militaire brésilienne en Haïti en 2004, qui avait été beaucoup trop courte, selon Villas Bôas, le chaos revenant dès le départ de ses troupes. Pas de leçon perdue sur Bolsonaro, dont la première nomination clé était le général Augusto Heleno, commandant des forces brésiliennes dépêchées en Haïti - à sa honte, sous Lula, pour faire plaisir à Washington - pour mettre un terme à l’expulsion d’Aristide. Heleno a été installé en tant que chef de la « sécurité institutionnelle » - une sorte de super chef d’état-major - au palais présidentiel, où un autre général, Santos Cruz, également vétéran d’Haïti, est chargé des relations avec le Congrès, aux côtés de deux autres officiers. dans les ministères de la défense, de la science et de la technologie. Heleno, le plus puissant du groupe, n’a pas caché ses convictions, exprimée dans le dictum ’direitos humanos são para humanos direitos’ (’les droits de l’homme sont pour les justes’) - pas pour personne d’autre. Sa première déclaration au gouvernement a été de comparer les armes à feu aux voitures comme quelque chose que chaque citoyen a le droit de posséder.

    L’aile économique du gouvernement, qui concerne beaucoup plus les marchés financiers, est plus friable. Guedes a réuni autour de lui une équipe composée en majorité de néolibéraux radicaux aux vues similaires, accueillis avec enthousiasme par les entreprises et capables de s’appuyer sur la dérégulation déjà livrée par Temer. Le démantèlement du système de pension existant est au premier plan des préoccupations. Indéfendables pour toute mesure de justice sociale, absorbant un tiers des recettes fiscales, plus de la moitié de ses versements totaux - qui commencent à un âge moyen de 55 ans pour les hommes - sont absorbés par le cinquième le plus riche de la population (juges, officiers et bureaucrates dans leurs rangs), moins de 3% par les plus démunis. Naturellement, toutefois, les inégalités ne sont pas le moteur des régimes classiques de réforme des retraites, dont la priorité au Brésil, comme ailleurs, ne consiste pas à y remédier, mais à réduire le coût des retraites dans le budget, tandis que d’autres réductions des dépenses publiques attendent. Les privatisations sont annoncées comme le moyen de rembourser la dette. Une centaine d’exploitations d’État, d’un type ou d’un autre - les prunes étant dans l’infrastructure : autoroutes, ports, aérodromes - doivent être éliminées ou fermées, bien entendu aussi au nom de l’efficacité et du meilleur service, sous la direction d’un ingénieur militaire, d’Haïti. Comme sous Cardoso, nombre des cueillettes les plus riches iront sans doute aux investisseurs étrangers. La réaction exaltée du les aérodromes - sont prévus pour l’élimination ou la fermeture, naturellement aussi au nom de l’efficacité et du meilleur service, sous la direction d’un ingénieur militaire, un autre vétéran d’Haïti. Comme sous Cardoso, nombre des cueillettes les plus riches iront sans doute aux investisseurs étrangers. La réaction exaltée du les aérodromes - sont prévus pour l’élimination ou la fermeture, naturellement aussi au nom de l’efficacité et du meilleur service, sous la direction d’un ingénieur militaire, un autre vétéran d’Haïti. Comme sous Cardoso, nombre des cueillettes les plus riches iront sans doute aux investisseurs étrangers. La réaction exaltée duLe Financial Times au paquet économique en perspective est compréhensible. Pourquoi s’inquiéter de quelques gaffes politiques ? "López Obrador est une menace plus grande pour la démocratie libérale que Bolsonaro", a décidé son éditeur latino-américain.

    La refonte austérité de l’économie à la pointe de la technologie exige, bien entendu, son adoption par le Congrès. Là-bas, de nombreux commentaires brésiliens s’attendent à de la résistance, compte tenu de la dépendance de tant de membres du Congrès sur l’octroi d’un financement fédéral à leurs localités, que l’austérité saperait. La privatisation, elle aussi, est souvent perçue comme étant en contradiction avec le nationalisme étatique de l’armée brésilienne - en tant que député, Bolsonaro lui-même s’y est farouchement opposé - qu’il est probable qu’elle sera diluée dans la pratique. Sur les deux points, un certain scepticisme est justifié. Sous les présidences du PT, le pouvoir législatif constituait un obstacle fondamental à la volonté de l’exécutif, limitant ce qu’il pouvait faire et le compromettant dans ce qu’il faisait, avec des résultats notoires. Mais c’était le produit prévisible de tensions entre un parti radical contrôlant une branche de la constitution et un salmagundi de partis conservateurs contrôlant une autre. Là où il n’existait aucune tension comparable entre le président et le Congrès, comme ce fut le cas sous l’administration de centre-droit de Cardoso, l’exécutif était rarement frustré - les privatisations, par exemple, avaient bien fonctionné. Le néolibéralisme de Bolsonaro promet d’être nettement plus radical, mais son mandat populaire de changement est beaucoup plus grand et son opposition au Congrès est nettement plus faible.

    Là, son parti social-libéral (PSL) fougueux, réuni quelques semaines après les élections, constituera la plus grande force de la chambre basse, une fois complété, comme il le sera, avec des désertions depuis l’immense marais de petits groupes vénaux. Le PSDB et le PMDB, autrefois puissants, ont été réduits à l’ombre de leur personnalité, leur représentation au Congrès a été réduite de moitié. La débâcle du PSDB et de son patriarche a été particulièrement frappante. Après avoir échoué à convaincre un présentateur de télévision vacant de se présenter à la présidence, voyant que le candidat de son parti obtenait moins de 5% du vote national, et refusant de soutenir Haddad contre Bolsonaro au second tour, Cardoso s’est retrouvé avec le PSDB à São Paulo - et sans doute bientôt au niveau national - entre les mains de João Doria, un autre animateur de télévision et entrepreneur, animateur d’une émission inspirée de celle de TrumpApprenti. Cette figure reptilienne a couru sur un billet se jumelant sans vergogne au vainqueur de la présidentielle en tant que "Bolsodoria". Justice poétique. Au Congrès, le train en marche est susceptible de rouler tout aussi vite, les députés grimpant à bord dans l’avidité ou la peur pour donner à l’exécutif, au moins pour commencer, les majorités dont il a besoin. En ce qui concerne la résistance militaire à la privatisation ou aux prises de contrôle étrangères, le premier des généraux brésiliens à diriger le pays après l’arrivée au pouvoir en 1964, Castelo Branco, n’était pas leur ennemi. Son ministre du Plan, puis ambassadeur à Londres, était le célèbre défenseur des marchés libres et du capital étranger, Roberto Campos. Bolsonaro vient de nommer le petit-fils de Campos à la tête de la Banque centrale. Croire que la vente d’actifs publics creusera un fossé entre Bolsonaro et ses prétoriens pourrait être un vœu pieux.

    Le nouveau régime présente un risque plus grave, celui des travaux non terminés de Lava Jato. Comme l’ancien, le nouveau Congrès regorge de destinataires de pots-de-vin, de distributeurs de backhanders, d’engendreurs de fortunes mal acquises, de ceux qui ont passé leur vie dans une corruption assidue - en fait, il est devenu un sanctuaire pour ceux qui sont déjà dans la ligne de mire du gouvernement. la police, qui s’est fait élire député simplement pour obtenir l’immunité de poursuites. Parmi eux figure Aécio, avec de nombreuses accusations portées contre lui. Bolsonaro et sa famille ne sont pas non plus au clair, les enquêteurs ayant - après les élections - découvert des transactions suspectes dans les comptes de son fils Flávio, mais, de manière encore plus explosive, des liens avec un ancien capitaine de la police militaire à Rio détenu pour meurtre à la milice, qui pourrait être impliqué dans l’assassinat de Marielle Franco, le législateur noir et activiste dont la mort l’année dernière a provoqué un tollé international. Moro, en tant que ministre de la Justice, peut-il maintenant passer une éponge à propos de délits auxquels il devait sa réputation de magistrat sans pitié ? Il a déjà expliqué que les dix mesures contre la corruption, pour lesquelles il avait insisté pendant des années, devaient être adoptées si l’on voulait nettoyer le pays, il fallait « repenser » : elles ne sont plus toutes aussi importantes. Pourtant, se détendre complètement la dynamique de Lava Jato détruirait sa position. Si le Congrès tentait de faire voter une amnistie générale pour les cas de corruption, une initiative proposée par Temer, la table serait mise pour un conflit de pouvoirs total - comme ce serait également le cas si, à l’inverse, Moro exhortait la Cour suprême à lever le immunité de trop de députés.

    En portant Ces divers segments du régime constituent le cercle composé de Bolsonaro lui-même, de ses descendants et de son entourage immédiat. Leur arrivée au sommet de l’État marque un changement important dans la géographie du pouvoir au Brésil. Après que le président Getúlio Vargas se soit tiré une balle dans le palais de Catete en 1954, Rio - la capitale du pays pendant environ deux cents ans - a perdu sa position de centre de la politique nationale. La construction de Brasilia a commencé en 1956 et a été achevée en 1960. Par la suite, les présidents sont venus de São Paulo (Janio, Cardoso, Lula), du Rio Grande do Sul (Jango), de Minas (Itamar, Dilma) ou du nord-est (Sarney, Collor). Rétrogradé politiquement, Rio a décliné - à des moments, dirait certains, pourri - sur les plans économique, social et physique. Ni le PT ni la PSDB n’ont jamais vraiment pris pied dans la ville, pendant longtemps s’étend un no man’s land idéologique, avec peu d’achat pour la politique nationale. Cela a commencé à changer avec la montée de Cunha à la barre du Congrès, un archétype de Rio -carioca - figure avec un groupe de députés monétisés à sa disposition. Le nouveau régime a consommé le changement. Après six décennies de marginalisation de Rio, le pouvoir a reculé. Les trois postes les plus importants de l’administration sont occupés par ses produits : Bolsonaro à la présidence, Guedes au Ministère des Finances et le fixateur rotond Rodrigo Maia à l’ancien siège de Cunha en tant que Président de la Chambre. Dans le cabinet qui, pour la première fois dans l’histoire de la république, ne compte aucun ministre du nord ou du nord-est, tous issus de seulement six des 26 états du Brésil, le plus grand contingent - un quart - est originaire du Rio. C’est un changement de signal.

    Comment alors classer Bolsonaro ? Au Brésil, et dans la presse libérale en Europe, on entend souvent dire que son ascension représente une version contemporaine du fascisme. La même chose, bien sûr, est une représentation standard de Trump dans les cercles libéraux et de gauche en Amérique et dans l’Atlantique Nord dans son ensemble, si elle est généralement assortie de clauses de sauvegarde - est un peu plus invectives paresseux. 5L’étiquette n’est plus plausible au Brésil. Le fascisme était une réaction au danger de la révolution sociale en période de dislocation économique ou de dépression. Elle commandait des cadres dévoués, organisait des mouvements de masse et possédait une idéologie articulée. Le Brésil avait sa version dans les années 1930, les Integralistas en maillot vert, qui comptaient plus d’un million de membres, dirigés par un dirigeant bien articulé, Plínio Salgado, une vaste presse, un programme d’édition et un ensemble d’organisations culturelles, le pouvoir en 1938, après l’échec d’une insurrection communiste en 1935. Au Brésil, rien de comparable, qu’il s’agisse d’un danger pour l’ordre établi de la gauche ou d’une force de masse disciplinée à la droite, n’existe aujourd’hui. En 1964, il existait encore un parti communiste important, influant au sein des forces armées, un mouvement syndical militant et une agitation croissante dans les campagnes, sous un président faible appelant à des réformes radicales. Cela suffisait pour provoquer non pas le fascisme mais une dictature militaire conventionnelle. En 2018, le parti communiste ancien avait disparu depuis longtemps, les syndicats combatifs constituaient un contre-poids, les pauvres passifs et dispersés, le PT un parti modérément réformateur, pendant de nombreuses années en bons termes avec les grandes entreprises. Soufflant de feu, Bolsonaro pourrait gagner une élection. Mais il ne dispose pratiquement d’aucune infrastructure organisationnelle et aucune répression de masse n’est nécessaire puisqu’il n’y a pas d’opposition massive à l’écrasement. Les syndicats combatifs étaient un numéro en retrait, les pauvres, passifs et dispersés, le PT, un parti modérément réformateur, pendant de nombreuses années en bons termes avec les grandes entreprises. Soufflant de feu, Bolsonaro pourrait gagner une élection. Mais il ne dispose pratiquement d’aucune infrastructure organisationnelle et aucune répression de masse n’est nécessaire puisqu’il n’y a pas d’opposition massive à l’écrasement. Les syndicats combatifs étaient un numéro en retrait, les pauvres, passifs et dispersés, le PT, un parti modérément réformateur, pendant de nombreuses années en bons termes avec les grandes entreprises. Soufflant de feu, Bolsonaro pourrait gagner une élection. Mais il ne dispose pratiquement d’aucune infrastructure organisationnelle et aucune répression de masse n’est nécessaire puisqu’il n’y a pas d’opposition massive à l’écrasement.

    Bolsonaro est-il mieux classé comme populiste ? Le terme souffre maintenant d’une inflation telle que l’engin polyvalent du média bien pensant que son utilité a diminué. Sans aucun doute, sa posture en tant que vaillant ennemi de l’établissement et son style d’homme brutal appartiennent au répertoire de ce que l’on considère généralement comme du populisme. Se modelant sur le président des États-Unis, il surpasse Trump en se drapant dans le drapeau national et en diffusant un fil Twitter - 70% plus de tweets que ce dernier lors de sa première semaine au pouvoir. Mais dans la tribune des populistes de droite aujourd’hui, Bolsonaro ne correspond pas au projet de loi standard à au moins deux égards. L’immigration n’est pas un problème au Brésil, où seulement 600 000 des 204 millions d’habitants sont nés à l’étranger - 0,3%, contre environ 14% aux États-Unis et au Royaume-Uni, ou 15% en Allemagne. Le racisme, bien sûr, est une question à laquelle Bolsonaro, comme Trump, a lancé des appels secrets et dont il encouragera la violence dans les pratiques de la police. Mais contrairement à Trump, il a remporté un grand noir etPardo circonscription électorale dans les sondages, et il est peu probable que cela risque de se produire de la sorte, par un discours proche de la rhétorique xénophobe anti-immigrés de l’Atlantique Nord. Un tiers de son parti au Parlement, en effet, n’est pas blanc - un pourcentage plus élevé que dans le contingent démocratique progressiste tant vanté du 116ème Congrès américain.

    Une deuxième différence significative réside dans le caractère du nationalisme de Bolsonaro. Le Brésil n’est pas un pays touché ou menacé de perte de souveraineté comme dans l’UE ou de déclin impérial comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les deux moteurs du populisme de droite dans le Nord. Son battement de poitrine patriotique est plus factice. Aujourd’hui, il n’est pas un ennemi du capital étranger. Son nationalisme, dans une expression assez hyperbolique, prend essentiellement la forme de tropes virulentes d’antisocialisme, d’antiféminisme et d’homophobie, excroissances étrangères à l’âme brésilienne. Mais il n’a aucun problème avec les marchés libres. Dans le langage local, il offre le paradoxe d’un populismo entreguista , un populisme « en sueur » - en principe du moins, parfaitement disposé à remettre les actifs nationaux à des banques et à des sociétés mondiales.

    La comparaison avec Trump, l’analogue politique le plus proche de Bolsonaro, révèle un ensemble différent de forces et de faiblesses. Bien qu’il vienne d’un milieu beaucoup plus modeste, Bolsonaro est moins analphabète. L’éducation dans une académie militaire y veillait : les livres ne sont pas un mystère complet pour lui. Conscient de certaines de ses limites, il manque le degré d’égomanie de Trump. La confiance démesurée de Trump en lui-même ne découle pas seulement de sa famille millionnaire, mais d’une longue carrière de succès dans la spéculation immobilière et le showbusiness. Bolsonaro, qui n’a jamais rien dirigé de sa vie, n’a pas de construction existentielle de ce type. Il est beaucoup moins en sécurité. Étant donné, comme Trump, à chaque type d’explosion intempérée, contrairement à Trump, il reculera rapidement si les réactions deviennent trop négatives.

    Ce n’est pas seulement par son caractère, mais par circonstances, que Bolsonaro est un personnage plus fragile. Trump et lui ont été propulsés presque toute la nuit au pouvoir, contre toute attente. Trump a accédé à la présidence avec un pourcentage de voix nettement inférieur - 46% - à la majorité de 55% obtenue par Bolsonaro. Mais ses partisans sont idéologiquement fervents et solidement derrière lui, alors que le soutien de Bolsonaro est peut-être plus large, mais moins profond, comme le montrent les sondages post-électoraux, qui montrent le rejet de bon nombre de ses politiques proposées. En outre, Trump est arrivé au pouvoir en reprenant l’un des deux grands partis du pays, où Bolsonaro a remporté le pouvoir de manière efficace, sans aucun soutien institutionnel lors des scrutins. Une fois élu, en revanche, il ne pourra pas, car il ne peut pas, gouverner sans tenir compte des institutions qui l’entourent, comme l’a tenté Trump. Cela ne veut pas dire qu’il sera moins brutal, car au Brésil beaucoup de ces institutions sont plus autoritaires qu’aux États-Unis. Les peuples indigènes d’Amazonie sont des victimes sûres : contrairement aux Noirs, les bureaux de vote occupent une place négligeable dans les bureaux de vote, alors que les éleveurs de bétail élèvent leur habitat (avec des conséquences à long terme qui ne seront pas apaisées par les gestes lamentables du Nord mondial pour enrayer le changement climatique) , ils seront les premiers à souffrir. De même, il est facile d’imaginer - surtout si l’économie ne parvient pas à se redresser et qu’il doit distraire son attention - Bolsonaro s’attaquant violemment aux manifestations étudiantes ; rassemblement des militants du Mouvement des travailleurs sans terre (MST) ou de son équivalent urbain, le MTST, et interdiction de leurs organisations ; briser les grèves, le cas échéant. Mais dans la jungle à part, une telle répression est susceptible de concerner la vente au détail, pas la vente en gros.

    Où cela laissera-t-il le PT ? Loin d’être florissant, mais jusqu’à présent survivant. Avec 10% des voix et 11% des sièges à la Chambre des députés, il a évité la déroute de la PSDB et de la PMDB. Avec Lula en prison, que va-t-il en devenir ? Ici l’opinion qualifiée se divise. Pour Singer, la réalité centrale des années PT était, comme l’ indiquent clairement les titres de ses deux livres, le lulismo - la personne qui éclipse la fête. Pour le meilleur chercheur américain sur le Brésil contemporain, David Samuels, c’est l’inverse : le phénomène le plus profond et le plus durable était le petismo- la fête plutôt que la personne. Lula, à son avis, n’était pas un dirigeant charismatique comme Vargas, ni ses héritiers du Rio Grande do Sul, João Goulart ou Leonel Brizola, des politiciens sans véritables racines dans un parti. D’ailleurs, contrairement à ces chiffres, il n’était pas populiste. Financièrement orthodoxe, respectueux des institutions démocratiques, il n’a pas créé de système politique autour de lui-même, ni cédé la place à une rhétorique incendiaire manichéenne du "eux" et du "nous". Dans la lecture de Samuels, lulismoelle-même ne représentait jamais plus qu’un "attachement psychologique mince", comparée à la force organisationnelle du PT et à sa forte racination au sein de la société civile. Singer a eu tort à la fois d’exagérer l’importance de Lula et d’attribuer aux pauvres une vision généralement conservatrice, contrebalancée par un investissement spécial. En 2014, Samuels et son collègue brésilien Cesar Zucco pourraient écrire : « En regardant dans notre boule de cristal, nous considérons le PT comme le pivot du système de partis brésilien. Sans elle, la gouvernance sera difficile. 6

    Les prédictions de la chanteuse se portent mieux. Les événements ont montré que son sens de la mentalité des dépossédés, leur peur du désordre et leur désir anxieux de stabilité, étaient justes. Dans leur voyance, de nombreuses pages de son Os Sentidos do lulismo(2012), notant les précédents de Collor et Jânio Quadros, se lit comme un scénario du triomphe de Bolsonaro dans les zones populaires du Brésil six ans plus tard. Qu’est-ce que cela signifie pour les relations entre le PT et son chef depuis ? À la veille de son incarcération, un intervieweur a fait remarquer à Lula : "Certains disent que le problème au Brésil est qu’il n’a jamais connu de guerre, de rupture." Sa réponse fut : ’Je suis d’accord. C’est drôle comme à chaque fois que le Brésil était au bord d’une rupture, il y avait un accord. Un accord conclu d’en haut. Ceux qui sont dessus ne veulent jamais partir. La réponse est révélatrice : elle exclut la possibilité que ceux qui se trouvent en haut puissent vouloir une rupture - une rupture de la droite, pas de la gauche. Pourtant, c’est effectivement ce qui a frappé le PT en 2016-2018, avec lequel il n’a pas encore abouti. Au pouvoir, tant que les choses allaient bien, le PT a profité aux pauvres ; mais il ne les a ni éduqués ni mobilisés. Entre-temps, ses ennemis se sont non seulement mobilisés, mais se sont éduqués, conformément aux normes postmodernes les plus récentes. Le résultat fut une guerre de classe unilatérale. Les énormes manifestations qui ont fini par renverser Dilma ont été le résultat d’une galvanisation de la classe moyenne comme le Brésil n’avait jamais assisté à celle-ci. rendue possible par une maîtrise des médias sociaux, transmise de sa jeunesse à Bolsonaro, reflétant une transformation du pays proche d’une révolution sociale. Entre 2014 et 2018, malgré la récession, le nombre de smartphones a dépassé le nombre d’habitants et leur utilisation en mettrait tout autre déploiement politique, en Europe ou en Amérique, à l’ombre. non seulement mobilisés mais éduqués eux-mêmes, selon les dernières normes postmodernes. Le résultat fut une guerre de classe unilatérale. Les énormes manifestations qui ont fini par renverser Dilma ont été le résultat d’une galvanisation de la classe moyenne comme le Brésil n’avait jamais assisté à celle-ci. rendue possible par une maîtrise des médias sociaux, transmise de sa jeunesse à Bolsonaro, reflétant une transformation du pays proche d’une révolution sociale. Entre 2014 et 2018, malgré la récession, le nombre de smartphones a dépassé le nombre d’habitants et leur utilisation en mettrait tout autre déploiement politique, en Europe ou en Amérique, à l’ombre. non seulement mobilisés mais éduqués eux-mêmes, selon les dernières normes postmodernes. Le résultat fut une guerre de classe unilatérale. Les énormes manifestations qui ont fini par renverser Dilma ont été le résultat d’une galvanisation de la classe moyenne comme le Brésil n’avait jamais assisté à celle-ci. rendue possible par une maîtrise des médias sociaux, transmise de sa jeunesse à Bolsonaro, reflétant une transformation du pays proche d’une révolution sociale. Entre 2014 et 2018, malgré la récession, le nombre de smartphones a dépassé le nombre d’habitants et leur utilisation en mettrait tout autre déploiement politique, en Europe ou en Amérique, à l’ombre. rendue possible par une maîtrise des médias sociaux, transmise de sa jeunesse à Bolsonaro, reflétant une transformation du pays proche d’une révolution sociale. Entre 2014 et 2018, malgré la récession, le nombre de smartphones a dépassé le nombre d’habitants et leur utilisation en mettrait tout autre déploiement politique, en Europe ou en Amérique, à l’ombre. rendue possible par une maîtrise des médias sociaux, transmise de sa jeunesse à Bolsonaro, reflétant une transformation du pays proche d’une révolution sociale. Entre 2014 et 2018, malgré la récession, le nombre de smartphones a dépassé le nombre d’habitants et leur utilisation en mettrait tout autre déploiement politique, en Europe ou en Amérique, à l’ombre.

    Ce n’est bien sûr pas la seule réalité mortelle que le PT n’a pas reconnue. Au pouvoir, il avait rejeté la mobilisation en faveur de la cooptation ; et la cooptation - de la classe politique et du monde des affaires brésiliens - signifiait la corruption. C’était dans la logique de son choix stratégique dans le bureau. Gramsci a écrit : « Entre le consentement et la force, il y a la corruption, ce qui est caractéristique des situations dans lesquelles il est difficile d’exercer la fonction hégémonique et où le recours à la force est trop risqué ». Renonçant à l’hégémonie, qui nécessitait un effort soutenu d’illumination populaire et d’organisation collective, et refusant la contrainte, pour laquelle il n’a jamais ressenti de tentation, le parti s’est retrouvé avec la corruption. Pour ses dirigeants, tout le reste semblait trop dur ou trop risqué. La corruption était le prix de son « réformisme faible », selon l’expression de Singer, et des avantages réels qu’elle permettait. Mais une fois qu’il a été exposé, le parti n’a pu trouver aucun mot pour nommer et critiquer ce qu’il avait fait. Au lieu de cela, dans un euphémisme trop révélateur - à sa manière, d’une précision désastreuse -, le PT a expliqué qu’il lui fallait « surmonter son adaptation au modus vivendi de la politique brésilienne traditionnelle ».Modus vivendi : une façon de vivre ensemble, c’est tout.

    Le recours aux euphémismes ne permet pas d’échapper à un passé dans lequel le PT reste enchaîné, de la manière la plus douloureuse et la plus paralysante. Lava Jato est loin d’en finir avec sa victime vedette. La peine de 12 ans d’emprisonnement prononcée contre Lula pour son inspection d’un condominium en bord de mer n’est que le début. Un deuxième procès pour une accusation similaire - employant une entreprise de construction ayant passé des contrats avec le gouvernement alors qu’il était en poste pour améliorer la retraite rurale d’un ami - est sur le point de se terminer, avec un verdict similaire en vue. Au total, ces accusations restent relativement triviales, bien que les phrases ne le soient pas. Descendre le brochet, cependant, sont des accusations beaucoup plus graves, pas de négligence privée, mais malversation d’énormes sommes d’argent public - des centaines de millions de dollars à la disposition de Petrobras lorsque Lula était président - sur la base du témoignage récompensé du principal judas du parti, son ancien bras droit, son ancien ministre des Finances Antonio Palocci, qui se vend actuellement comme témoin dans de nouvelles affaires à poursuivre. Le gouvernement assurera une publicité maximale aux mégaprocès à venir. Il faut en finir avec Lula.

    Le PT et ses sympathisants, profondément et naturellement mécontents du manque de justice commutative avec laquelle les affaires personnelles de Lula ont été gérées, risquent de devoir faire face à des preuves, aussi falsifiées soient-elles, potentiellement plus dommageables, de ce qui risque d’être prolongé indéfiniment processus visant à discréditer et à confiner, à vie, l’ancien président. Comment le parti réagit-il ? Lula, qui n’a pas été réduite en prison, reste son atout politique primordial ; mais maintenant, on risque de devenir, pour beaucoup, presque aussi un handicap. Lui faire la justice historique semble au-delà de ses pouvoirs. Le parti dépend de lui pour un leadership stable, mais risque de perdre sa crédibilité s’il ne devient pas indépendant de lui. Ancre ou albatros ? Si Lula était complètement abstraite de la scène, beaucoup de gens pensent que le PT se séparerait rapidement.

    Pendant une douzaine d’années, le Brésil a été le seul pays au monde à défier l’époque, à refuser l’approfondissement du régime néolibéral du capital et à assouplir certaines de ses rigueurs en faveur des plus pauvres. Que l’expérience doive se terminer ainsi est impondérable. Les masses n’étaient pas appelées à défendre ce qu’elles avaient gagné. Les siècles d’esclavage qui ont distingué le pays du reste de l’Amérique latine ont-ils rendu la passivité populaire insurmontable, le modus vivendi du PT, le mieux que l’on puisse faire ? Singer a parfois sous-entendu quelque chose comme cela. À d’autres, il est plus strict. Le Brésil, a-t-il écrit récemment, n’a pas réussi à réaliser l’inclusion sociale de tous ses citoyens, tâche qui incombait à la génération qui a suivi la dictature. Mais en son absence, aucun autre projet n’est viable. Dans une veine légèrement plus optimiste, un autre observateur aigu,Le lulismo ne sera pas terminé au Brésil avant que quelque chose de mieux le remplace. Il faut espérer que ces jugements tiennent. Mais les souvenirs peuvent s’effacer et, ailleurs, l’exclusion sociale ne s’est avérée que trop cruellement viable. La gauche a toujours été encline à prédire ses préférences. Ce serait une erreur de compter sur la défaite pour se corriger elle-même avec le temps.

  • Les vertus de l’inexplicable – à propos des « gilets jaunes »
    Par Jacques Rancière**

    PHILOSOPHE
    Les révoltes n’ont pas de raisons. En revanche, elles ont une logique. Et celle-ci consiste précisément à briser les cadres au sein desquels sont normalement perçues les raisons de l’ordre et du désordre et les personnes aptes à en juger. Ces cadres, ce sont d’abord des usages de l’espace et du temps. Significativement ces « apolitiques » dont on a souligné l’extrême diversité idéologique ont repris la forme d’action des jeunesses indignées du mouvement des places, une forme que les étudiants en révolte avaient eux-mêmes empruntée aux ouvriers en grève : l’occupation.

    Expliquer les « gilets jaunes » ? Qu’entend-on par expliquer ? Donner les raisons pour lesquelles advient ce qu’on n’attendait pas ? Celles-ci, de fait, manquent rarement. Et pour expliquer le mouvement des « gilets jaunes », elles viennent à foison : la vie dans des zones périphériques abandonnées par les transports et les services publics comme par les commerces de proximité, la fatigue de longs trajets quotidiens, la précarité de l’emploi, les salaires insuffisants ou les pensions indécentes, l’existence à crédit, les fins de mois difficiles…
    Il y a là assurément bien des raisons de souffrir. Mais souffrir est une chose, ne plus souffrir en est une tout autre. C’est même le contraire. Or les motifs de souffrance que l’on énumère pour expliquer la révolte sont exactement semblables à ceux par lesquels on expliquerait son absence : des individus soumis à de telles conditions d’existence n’ont en effet normalement pas le temps ni l’énergie pour se révolter.

    Le mouvement qui a surpris toutes les attentes n’a pas d’autres raisons que celles qui nourrissent l’ordre normal des choses. Il s’explique par les raisons mêmes de l’immobilité.

    L’explication des raisons pour lesquelles les gens bougent est identique à celle des raisons pour lesquelles ils ne bougent pas. Ce n’est pas une simple inconséquence. C’est la logique même de la raison explicatrice. Son rôle est de prouver qu’un mouvement qui a surpris toutes les attentes n’a pas d’autres raisons que celles qui nourrissent l’ordre normal des choses, qu’il s’explique par les raisons mêmes de l’immobilité. Elle est de prouver qu’il ne s’est rien passé qui ne soit déjà connu, d’où l’on tire, si l’on a le cœur à droite, la conclusion que ce mouvement n’avait pas de raison d’être, ou, si l’on a le cœur à gauche, qu’il est tout à fait justifié mais que, malheureusement, il a été mené au mauvais moment et de la mauvaise façon par des gens qui n’étaient pas les bons. L’essentiel est que le monde reste divisé en deux : il y a les gens qui ne savent pas pourquoi ils bougent et les gens qui le savent pour eux.

    Il faudrait parfois prendre les choses à l’envers : partir précisément du fait que ceux qui se révoltent n’ont pas plus raisons de le faire que de ne pas le faire – et souvent même un peu moins. Et à partir de là, s’interroger non sur les raisons qui permettent de mettre de l’ordre dans ce désordre mais plutôt sur ce que ce désordre nous dit sur l’ordre dominant des choses et sur l’ordre des explications qui normalement l’accompagne.

    Plus que tous ceux des années récentes, le mouvement des gilets jaunes est le fait de gens qui normalement ne bougent pas : pas des représentants de classes sociales définies ou de catégories connues pour leurs traditions de lutte. Des hommes et femmes d’âge moyen, semblables à ceux que nous croisons tous les jours dans les rues ou sur les routes, sur les chantiers et les parkings, portant pour seul signe distinctif un accessoire que tout automobiliste est tenu de posséder. Ils se sont mis en marche pour la plus terre-à-terre des préoccupations, le prix de l’essence : symbole de cette masse vouée à la consommation qui soulève le cœur des intellectuels distingués ; symbole aussi de cette normalité sur laquelle repose le sommeil tranquille de nos gouvernants : cette majorité silencieuse, faite de purs individus éparpillés, sans forme d’expression collective, sans autre « voix » que celle que comptent périodiquement les sondages d’opinion et les résultats électoraux.

    Les révoltes n’ont pas de raisons. En revanche, elles ont une logique. Et celle-ci consiste précisément à briser les cadres au sein desquels sont normalement perçues les raisons de l’ordre et du désordre et les personnes aptes à en juger. Ces cadres, ce sont d’abord des usages de l’espace et du temps. Significativement ces « apolitiques » dont on a souligné l’extrême diversité idéologique ont repris la forme d’action des jeunesses indignées du mouvement des places, une forme que les étudiants en révolte avaient eux-mêmes empruntée aux ouvriers en grève : l’occupation.

    Occuper, c’est choisir pour se manifester comme collectivité en lutte un lieu ordinaire dont on détourne l’affectation normale : production, circulation ou autre. Les « gilets jaunes » ont choisi ces ronds-points, ces non-lieux autour desquels des automobilistes anonymes tournent tous les jours. Ils y ont installé matériel de propagande et baraquements de fortune comme l’avaient fait ces dix dernières années les anonymes rassemblés sur les places occupées.

    Occuper, c’est aussi créer un temps spécifique : un temps ralenti au regard de l’activité habituelle, et donc un temps de mise à distance de l’ordre habituel des choses ; un temps accéléré, au contraire, par la dynamique d’une activité qui oblige à répondre sans cesse à des échéances pour lesquelles on n’est pas préparé. Cette double altération du temps change les vitesses normales de la pensée et de l’action. Elle transforme en même temps la visibilité des choses et le sens du possible. Ce qui était objet de souffrance prend une autre visibilité, celle de l’injustice. Le refus d’une taxe devient le sentiment de l’injustice fiscale puis le sentiment de l’injustice globale d’un ordre du monde. Quand un collectif d’égaux interrompt la marche normale du temps et commence à tirer sur un fil particulier – taxe sur l’essence, aujourd’hui, sélection universitaire, réforme des pensions ou du code du travail, hier – c’est tout le tissu serré des inégalités structurant l’ordre global d’un monde gouverné par la loi du profit qui commence à se dérouler.

    Ce n’est plus alors une demande qui demande satisfaction. Ce sont deux mondes qui s’opposent. Mais cette opposition de mondes creuse l’écart entre ce qui est demandé et la logique même du mouvement. Le négociable devient non négociable. Pour négocier on envoie des représentants. Or les « gilets jaunes », issus de ce pays profond qu’on nous dit volontiers sensible aux sirènes autoritaires du « populisme », ont repris cette revendication d’horizontalité radicale que l’on croit propre aux jeunes anarchistes romantiques des mouvements Occupy ou des ZAD. Entre les égaux assemblés et les gestionnaires du pouvoir oligarchique, il n’y a pas de négociation. Cela veut dire que la revendication triomphe par la seule peur des seconds mais aussi que sa victoire la montre dérisoire par rapport à ce que la révolte « veut » par son développement immanent : la fin du pouvoir des « représentants », de ceux qui pensent et agissent pour les autres.

    Il est vrai que cette « volonté » peut prendre elle-même la forme d’une revendication : le fameux référendum d’initiative citoyenne. Mais la formule de la revendication raisonnable cache en fait l’opposition radicale entre deux idées de la démocratie : d’un côté la conception oligarchique régnante : le décompte des voix pour et des voix contre en réponse à une question posée. De l’autre, sa conception démocratique : l’action collective qui déclare et vérifie la capacité de n’importe qui à formuler les questions elles-mêmes. Car la démocratie n’est pas le choix majoritaire des individus. C’est l’action qui met en œuvre la capacité de n’importe qui, la capacité de ceux qui n’ont aucune « compétence » pour légiférer et gouverner.

    Entre le pouvoir des égaux et celui des gens « compétents » pour gouverner, il peut toujours y avoir des affrontements, des négociations et des compromis. Mais derrière ceux-ci, il reste l’abîme du rapport non négociable entre la logique de l’égalité et celle de l’inégalité. C’est pourquoi les révoltes restent toujours au milieu du chemin, pour le grand déplaisir et la grande satisfaction des savants qui les déclarent vouées à l’échec parce que dépourvues de « stratégie ». Mais une stratégie n’est qu’une manière de régler les coups à l’intérieur d’un monde donné. Aucune n’enseigne à combler le fossé entre deux mondes. « Nous irons jusqu’au bout », dit-on à chaque fois. Mais ce bout du chemin n’est identifiable à aucun but déterminé, surtout depuis que les États dits communistes ont noyé dans le sang et la boue l’espérance révolutionnaire. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le slogan de 1968 : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat. » Les commencements n’atteignent pas leur fin. Ils restent en chemin. Cela veut dire aussi qu’ils n’en finissent pas de recommencer, quitte à changer d’acteurs. C’est le réalisme – inexplicable – de la révolte, celui qui demande l’impossible. Car le possible lui est déjà pris. C’est la formule même du pouvoir : no alternative.

    Jacques Rancière

    PHILOSOPHE, PROFESSEUR ÉMÉRITE À L’UNIVERSITÉ PARIS VIII