Quelques citations choisies tirées du livre l’Analphabète :
« J’ai laissé en Hongrie mon journal à l’écriture secrète, et aussi mes premiers poèmes. J’y ai laissé mes frères, mes parents, sans prévenir, sans leur dire adieu ou au revoir. Mais surtout, ce jour-là, ce jour de fin novembre 1956, j’ai perdu définitivement mon appartenance à un peuple »
Agota Kristof, L’Analphabète, Zoé, 2004, p.35.
« Noël approche quand nous prenons le train pour la Suisse. Il y a des branches de sapin sur la tablette devant la fenêtre, du chocolat et des oranges. C’est un train spécial. A part les accompagnateurs, il n’y a que des Hongrois dedans, et ce train ne s’arrête qu’à la frontière suisse. Là, une fanfare nous accueille, et de gentilles dames nous passent par la fenêtre des gobelets de thé chaud, du chocolat et des oranges »
Agota Kristof, L’Analphabète, Zoé, 2004, pp. 38-39.
« Le dimanche, après le match de football, les spectateurs viennent nous voir derrière la barrière de la caserne. Ils nous offrent du chocolat et des oranges, naturellement, mais aussi des cigarettes et même de l’argent. Cela ne nous rappelle plus les camps de concentration, mais plutôt le jardin zoologique. Les plus pudiques d’entre nous s’abstiennent de sortir dans la cour, d’autres par contre passent leur temps à tendre la main à travers la barrière et à comparer leur butin »
Agota Kristof, L’Analphabète, Zoé, 2004, pp.39-40.
« Quelle aurait été ma vie si je n’avais pas quitté mon pays ? Plus dure, plus pauvre, je pense, mais aussi moins solitaire, moins déchirée, heureuse peut-être »
Agota Kristof, L’Analphabète, Zoé, 2004, p.40
« C’est ici que commence le désert. Désert social, désert culturel. A l’exaltation des jours de la révolution et de la fuite se succèdent le silence, le vide, la nostalgie des jours où nous avions l’impression de participer à quelque chose d’important, d’historique peut-être, le mal du pays, le manque de la famille et des amis.
Nous attendions quelque chose en arrivant ici. Nous ne savions pas ce que nous attendions, mais certainement pas cela : ces journées de travail mornes, ces soirées silencieuses, cette vie figée, sans changement, sans surprise, sans espoir.
Matériellement, on vit un peu mieux qu’avant. Nous avons deux chambres au lieu d’une. Nous avons assez de charbon et une nourriture suffisante. Mais par rapport à ce que nous avons perdu, c’est trop cher payé ».
Agota Kristof, L’Analphabète, Zoé, 2004, pp.42-43.
« Comment lui expliquer, sans le vexer, et avec le peu de mots que je connais en français, que son beau pays n’est qu’un désert pour nous, les réfugiés, un désert qu’il nous faut traverser pour arriver à ce qu’on appelle ’intégration’, ’l’assimilation’. A ce moment-là, je ne sais pas encore que certains n’y arriveront jamais »
Agota Kristof, L’Analphabète, Zoé, 2004, p.44.
« Cinq ans après être arrivée en Suisse, je parle le français, mais je ne le lis pas. Je suis redevenue une analphabète. Moi, qui savais lire à l’âge de quatre ans.
Je connais les mots. Quand je lis, je ne les reconnais pas. Les lettres ne correspondent à rien. Le hongrois est une langue phonétique, le français, tout le contraire »
Agota Kristof, L’Analphabète, Zoé, 2004, pp.52.