• MM. Guéant et Ferry, attention au détournement de l’ethnologie | Rue89 Présidentielle
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    Mais c’est bien plus que cela : de même que la droite de Sarkozy a affiché un rapport « décomplexé » à l’argent, elle affiche aussi un rapport tout aussi décomplexé aux idées humanistes et républicaines françaises, dont certaines ont été forgées par l’ethnologie.

    En effet, cette polémique, qui s’inscrit à la suite des tristement célèbres discours de Dakar et de Grenoble, remet au goût du jour et présente comme acceptables de vieilles antiennes racistes. Et cela revient à mettre au placard tous les apports de l’anthropologie sociale, tout en brandissant la figure de Lévi-Strauss pour brouiller les cartes.

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    Contre l’idée d’une civilisation européenne détentrice de la raison, de la morale et du progrès, [Lévi-Strauss] a en effet inlassablement rappelé, depuis « Tristes tropiques » (1955) jusqu’à « Saudades do Brasil » (1994), que celle-ci contenait en son sein l’idée qu’il était possible d’instrumentaliser et de détruire la vie, ce qui commence avec la colonisation du Nouveau monde, et trouvera son expression exacerbée dans l’extermination des juifs, des Tziganes, des homosexuels et des handicapés mentaux et physiques dans les camps nazis (le régime d’Hitler étant advenu, rappelons-le, au cœur même de la « civilisation » occidentale, au sein d’un pays porteur d’une grande culture).Cette idée reçue résulte d’une idéologie ethnocentriste privilégiant la technique comme critère exclusif de jugement des cultures.

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    C’est oublier la richesse et la grande complexité des cultures autres, de leurs langues ou leurs systèmes de parenté, qu’un chercheur en anthropologie n’arrive à comprendre un tant soit peu qu’après plusieurs années de patientes recherches.C’est oublier enfin, n’en déplaise à M. Ferry pourtant féru de culture, que la musique des « sauvages » n’est pas ni plus ni moins compliquée ou profonde que la musique savante occidentale, comme le montrent les travaux d’une discipline essentielle et pourtant mal connue du grand public, l’ethnomusicologie.

    Depuis les travaux de Gilbert Rouget ou Simha Arom, on sait que les musiques traditionnelles d’Afrique de l’Ouest par exemple sont largement aussi complexes que la musique de Bach ou Mozart. Mais leur complexité se situe sur un autre plan : Bach a poussé l’art du contrepoint à son acmé, dans un contexte musical polyphonique et tonal ; alors que les musiques africaines, essentiellement modales et polyryhtmiques, sont d’un tel raffinement, avec ou sans « flûtiau », que les spécialistes sont bien en peine de pouvoir les écrire sur des partitions.

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    Pour toutes ces raisons, il convient de rester vigilants : quand une certaine droite « décomplexée » détourne les acquis de l’ethnologie, elle réhabilite à pas plus ou moins feutrés la pensée raciste, alors que les représentants de l’Etat doivent se garder, comme il a été bien dit, d’attiser le feu.