David Graeber : Occupy Saturne

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  • David Graeber : Occupy Saturne
    Par Renaud Garcia
    In CQFD n°145 (juillet-août 2016)
    http://cqfd-journal.org/David-Graeber-Occupy-Saturne

    Lecteur attentif de Graeber depuis assez longtemps maintenant, dès sa période « underground », pourrais-je dire, il m’a fallu revenir plusieurs fois sur ce livre, constitué principalement de trois articles datés de 2012, pour me rendre à cette fâcheuse évidence : notre « anthropologue-anarchiste » peut désormais tout se permettre, y compris exhumer ses fonds de tiroir de façon éhontée. Entendons-nous bien cependant : Bureaucratie contient dans son premier article des développements intéressants qui manient le paradoxe avec goût. On pense d’ordinaire une opposition entre l’État et le marché ? Il n’en est rien : la rationalité marchande se coule parfaitement dans le principe d’efficacité de la bureaucratie. Efficacité seulement prétendue, car dans une société entièrement régie par des contrats (un rêve libertarien !), la nécessité de recourir à des rapports bureaucratiques serait multipliée et non limitée, segmentant les relations collectives entre dépôt de projets et réponse à des contrôles. Voilà des éléments indéniablement intéressants et bien tournés. Ils ne doivent pas pour autant occulter l’inanité du deuxième article reproduit dans ce recueil, « Des voitures volantes et de la baisse du taux de profit », qui ne s’est guère attiré de commentaires critiques alors qu’il enchaîne énormités sur énormités.

    • Sur le point de me laisser embarquer par cet optimisme technologique sans faille, une malheureuse citation est revenue doucher ma naissante euphorie : « Durant un siècle, l’humanité s’est livrée à une expérience fondée sur l’hypothèse suivante : l’outil peut remplacer l’esclave. Or, il est manifeste qu’employé à de tels desseins, c’est l’outil qui de l’homme fait son esclave. La dictature du prolétariat et la civilisation des loisirs sont deux variantes politiques de la même domination par un outillage industriel en constante expansion. » Ces lignes d’Ivan Illich, dans La Convivialité, datent de 1973, lorsque le jeune Graeber devait dévorer tout Asimov en rêvant de laisser un androïde sur Mars. Or, des réflexions de cet acabit n’existent tout bonnement pas dans la galaxie de notre anthropologue-anarchiste. À ses yeux, il est au contraire étonnant que nous n’ayons pas déjà perçu à quel point le capitalisme freine l’innovation, au lieu de favoriser précisément sa constante expansion. L’iPhone, objet révéré de notre époque, ne serait ainsi qu’une « modeste amélioration » conçue pour amuser la galerie. Qu’il soit utile, incidemment, pour tracer, géolocaliser, conserver le salarié sous pression perpétuelle et exploiter par consentement les dynamiques auto-entrepreneurs de la nouvelle économie : de tout cela, pas un mot.

      #David_Graeber #Renaud_Garcia #critique_techno #progressime #techno-béat