1. Nous vivons dans le temps de la subjectivation des guerres civiles. Nous ne sortons pas de la période du triomphe du marché, des automatismes de la gouvernementalité et de la dépolitisation de l’économie de la dette pour retrouver l’époque des « conceptions du monde » et de leurs affrontements mais pour entrer dans l’ère de la construction des nouvelles machines de guerre.
2. Le capitalisme et le libéralisme portent les guerres en leur sein comme les nuages portent la tempête. Si la financiarisation de la fin du xixe siècle et du début du xxe a conduit à la guerre totale et à la Révolution russe, à la crise de 1929 et aux guerres civiles européennes, la financiarisation contemporaine pilote la guerre civile globale en commandant à toutes ses polarisations.
3. Depuis 2011, ce sont les multiples formes de subjectivation des guerres civiles qui modifient profondément à la fois la sémiologie du capital et la pragmatique des luttes s’opposant aux mille pouvoirs de la guerre comme cadre permanent de la vie. Du côté des expérimentations des machines anticapitalistes, Occupy Wall Street aux USA, les Indignés en Espagne, les luttes étudiantes au Chili et au Québec, la Grèce en 2015 se battent à armes inégales contre l’économie de la dette et les politiques d’austérité. Les « printemps arabes », les grandes manifestations de 2013 au Brésil et les affrontements autour du parc Gezi en Turquie font circuler les mêmes mots d’ordre et de désordre dans tous les Suds. Nuit Debout en France est le dernier rebondissement d’un cycle de luttes et d’occupations qui avait peut-être commencé sur la place Tiananmen en 1989. Du côté du pouvoir, le néolibéralisme, pour mieux pousser les feux de ses politiques économiques prédatrices, promeut une postdémocratie autoritaire et policière gérée par les techniciens du marché, tandis que les nouvelles droites (ou « droites fortes ») déclarent la guerre à l’étranger, à l’immigré, au musulman et aux underclass au seul profit des extrêmes-droites « dédiabolisées ». C’est à celles-ci qu’il revient de s’installer ouvertement sur le terrain des guerres civiles qu’elles subjectivent en relançant une guerre raciale de classe. L’hégémonie néofasciste sur les processus de subjectivation est encore confirmée par la reprise de la guerre contre l’autonomie des femmes et les devenirs-mineur de la sexualité (en France, la « Manif pour tous ») comme extension du domaine endocolonial de la guerre civile.
À l’ère de la déterritorialisation sans limite de Thatcher et Reagan succède la reterritorialisation raciste, nationaliste, sexiste et xéno- phobe de Trump qui a d’ores et déjà pris la tête de tous les nouveaux fascismes. Le Rêve américain s’est transformé en cauchemar d’une planète insomniaque.