Laïcité ou identité ? Par Etienne Balibar, Philosophe
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Alors que le Conseil d’Etat vient d’invalider l’interdiction du burkini, il faut mettre fin au développement de la « laïcité identitaire ». Cette conception, obsédée par le communautarisme en vient à construire un « communautarisme d’Etat ».
Grâce à l’ordonnance du Conseil d’Etat, on évitera de voir en France une police des mœurs, chargée non de forcer les femmes à porter le voile, mais de les forcer à l’ôter. L’exercice des libertés doit primer dans toute la mesure du possible sur les exigences de l’ordre public, qui par définition les restreignent. En démocratie les droits des femmes relèvent de leur décision, et non d’une grille d’interprétation plaquée sur leur comportement pour les « forcer d’être libres ». La laïcité est une obligation de neutralité de l’Etat envers les citoyens et non pas une obligation idéologique des citoyens envers l’Etat.
Je considère, avec beaucoup d’autres, ces démonstrations comme fondamentales. Comme elles portent un coup d’arrêt à la tentative d’exploiter les sentiments suscités par la série des attentats perpétrés au nom de l’islam pour combiner un laïcisme intégriste avec une stratégie d’exacerbation du nationalisme, elles vont susciter une contre-offensive. Plus importante que la guérilla de certains élus contre l’ordre judiciaire sera la proposition de légiférer en franchissant un nouveau pas dans l’interdiction de l’espace public aux signes d’appartenance d’une certaine religion, mais les enjeux en seront élevés, car il devient clair qu’une telle législation ne requiert pas seulement une révision constitutionnelle, elle signifie qu’on dérive de l’Etat de droit vers l’Etat d’exception.
Tout aussi importantes sont les implications en matière de conception et d’institution de la laïcité. Mais ici une difficulté commence à surgir, qui suppose une élucidation philosophique. Il faut un travail « généalogique » sur ce qu’a été la laïcité en France, et sur ce qu’elle est en passe de devenir dans le moment actuel. Et, sur cette base, il faut débattre de ce qui doit être conservé, prolongé ou restitué, mais aussi réformé pour que la signification du principe ne se trouve pas retournée en son contraire.
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