Souvenirs d’un préfet de police. [Volume 1] / par L. Andrieux

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  • Où l’on apprend, au détour de quelque recherches historique, que le premier journal anarchiste français, dans lequel écrivait Louise Michel, étaient financé et dirigé en sous-main par le préfet de police de Paris.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/La_R%C3%A9volution_sociale

    Le préfet Louis Andrieux le raconte avec délectation dans ses mémoires :

    On ne supprime pas les doctrines en les empêchant de se produire, et celles dont il s’agit ne gagnent pas à être connues.

    Donner un journal aux anarchistes, c’était d’ailleurs placer un téléphone entre la salle des conspirations et le cabinet du préfet de police. On n’a pas de secrets pour un bailleur de fonds, et j’allais connaître, jour par jour, les plus mystérieux desseins. Le Palais-Bourbon allait être sauvé ; les représentants du peuple pouvaient délibérer en paix.

    Ne croyez pas, d’ailleurs, que j’offris brutalement aux anarchistes les encouragements du préfet de police.

    J’envoyai un bourgeois, bien vêtu, trouver un des plus actifs et des plus intelligents d’entre eux. Il expliqua qu’ayant acquis quelque fortune dans le commerce de la droguerie, il désirait consacrer une partie de ses revenus à favoriser la propagande socialiste.

    Ce bourgeois qui voulait être mangé n’inspira aucune suspicion aux compagnons. Par ses mains, je déposai un cautionnement dans les caisses de l’État, et le journal la Révolution sociale fit son apparition.

    C’était un journal hebdomadaire, ma générosité de droguiste n’allant pas jusqu’à faire les frais d’un journal quotidien.

    Mme Louise Michel était l’étoile de ma rédaction. Je n’ai pas besoin do dire que « la grande citoyenne » était inconsciente du rôle qu’on lui faisait jouer, et je n’avoue pas sans quelque confusion le piège que nous avions tendu à l’innocence de quelques compagnons des deux sexes.

    Tous les jours, autour d’une table de rédaction, se réunissaient les représentants les plus autorisés du parti de l’action on dépouillait en commun la correspondance internationale on délibérait sur les mesures à prendre pour en finir avec « l’exploitation de l’homme par l’homme » ; on se communiquait les recettes que la science met au service de la révolution.

    J’étais toujours représenté dans les conseils, et je donnais au besoin mon avis.

    Mon but était surtout de surveiller plus facilement les honorables compagnons, en les groupant autour d’un journal.

    Cependant la Révolution sociale me rendait encore quelques petits services accessoires. Vous croyez que j’y attaquais les adversaires de mon administration ? En vérité, puisque je
    fais une œuvre de bonne foi et puisque les erreurs qui s’y peuvent glisser ne sont jamais volontaires, j’en fais l’aveu je n’ai pas été étranger aux articles publiés contre M. Yves Guyot et contre ses amis au moment des élections municipales. J’aurais certainement préféré avoir pour conseillers municipaux les rédacteurs du Prolétaire plutôt que ceux de la Lanterne.

    De tous temps, l’administration, dans les questions électorales, a été du côté des candidatures socialistes, quand elle a dû choisir entre celles-ci et les candidatures radicales.

    Ma tâche eût été certainement plus facile si j’avais eu au pavillon de Flore une douzaine de bons anarchistes traitant les radicaux de réactionnaires et discréditant leurs collègues par leurs propres excentricités.

    Mais la Révolution sociale faisait mieux que d’attaquer mes adversaires et de prêcher l’abstention au profit des candidatures les plus modérées elle m’adressait à moi-même les outrages les plus véhéments.

    Je le rappelle, en passant, afin de montrer à mes adversaires combien ils perdent leur temps, leur encre, leur imagination et leur peine quand ils croient m’être désagréables en inventant sur mon compte des anecdotes bien innocentes, si on les compare à celles que j’ai payées à la ligne. Ici doit se placer le récit d’une aventure dont je ris encore.

    Le héros s’appelle Clauzel ou Clozel. Je ne me rappelle pas très exactement l’orthographe de
    son nom.

    Quant à lui, il n’avait jamais oublié l’orthographe, par cette bonne raison qu’il ne l’avait jamais sue.

    Il était d’ailleurs officier d’académie s’il eût été complètement ignorant en l’art de lire et d’écrire, on l’eût fait officier de l’Université. Clauzel était un personnage important de ma circonscription électorale c’était un politicien de village, comme tous les députés en ont connu un borgne parmi les aveugles.

    Ce brave homme avait porté ses armes et ses bagages à un conseiller général, appartenant au grand parti des « remplaçants ».

    Donc, il occupait ses loisirs à démolir le crédit du député à Tassin-la-Demi-Lune, à l’Arbreale, et dans les autres lieux circonvoisins.

    La population électorale de nos cantons ruraux, dans le département du Rhône, est très
    radicale mais elle n’est pas partageuse et l’anarchie y compte peu de partisans.

    J’envoyai à Clauzel un journaliste qui avait envers moi quelques obligations. On lui récita quelque chose comme la fable du Renard et du Corbeau

    Eh bonjour, monsieur du Corbeau,
    Que vous êtes joli, que vous me semblez beau !

    Eh ! bonjour, monsieur l’officier d’académie, comme ce ruban violet sied bien à votre boutonnière, et comme vous êtes éloquent lorsque vous vous écriez, dans les réunions privées « Jusques à quand, ô Catilina, abuseras-tu de notre patience ? » Mais pourquoi vos catilinaires contre le député Andrieux ne se produisent-elles que sur un théâtre de province ? Je suis à votre service pour livrer votre éloquence à tous les échos de la presse parisienne.

    A ces mots, le corbeau Clauzel ne se sent pas de joie.

    Il ouvre un large bec et laisse tomber plusieurs pages de diatribes contre le député-préfet de police.

    Je fis insérer l’article, signé Clauzel, dans la Révolution sociale, entre un morceau oratoire de Mme Louise Michel et une recette pour la fabrication de la dynamite.

    Je fis envoyer le numéro à tous les maires de ma circonscription.

    Comment dirent-ils, Clauzel écrit dans le journal de Louise Michel ? Il veut faire sauter le Palais-Bourbon ? Il veut nationaliser la propriété ? Ah ah nous le connaissons maintenant ; qu’il vienne nous dire du mal de notre député, il verra comme il sera reçu !

    Pauvre Clauzel je lui fais ici mes excuses, et je souhaite bien sincèrement qu’il trouve dans l’estime de son conseiller général la réparation du tort que je lui ai causé.

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65129d

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