Quand Messieurs Cahuc et Zylberberg découvrent la science | André Orléan | 12/09/2016
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LA GRANDE CONFUSION DES MÉTHODES
Peut-on, pour autant, concernant le développement récent des expérimentations aléatoires parler d’une révolution qui aurait transformé l’économie en science expérimentale, comme se plaisent à le soutenir nos deux auteurs ? Si les mots ont un sens, on s’attendrait à un certain retentissement, au moins chez les premiers intéressés, à savoir les économistes. Quant au fait que le public n’en ait rien su jusqu’à la parution de ce livre, cela peut aisément être mis sur le compte du négationnisme ambiant qui a su étouffer l’affaire ! Pour évaluer l’impact de cette nouvelle méthodologie en économie, j’ai consulté le journal de l’American Economic Association qui est, aux dires mêmes de nos auteurs, « au cœur de la production de la connaissance la plus orthodoxe qui soit ». Faute de temps, je me suis limité aux 187 articles de l’année 2013. Le résultat est sans appel : sur les 187 articles publiés au cours de cette année, j’en ai compté au plus 7 pouvant être considérés comme utilisant – ou étant en lien – avec l’expérimentation aléatoire, soit 4%. Il est clair que cette méthode est loin d’avoir révolutionné la discipline.
Pour relever ce score si pitoyable, je me suis tourné vers les travaux d’un économiste dont j’étais, par ailleurs, certain qu’il était pleinement conscient du caractère révolutionnaire de cette approche, à savoir Pierre Cahuc lui-même. J’ai consulté ses quinze derniers articles, de 2002 à aujourd’hui, et j’ai eu la surprise de constater que jamais il n’a employé cette méthode révolutionnaire ! Pour en savoir plus, j’ai regardé de plus près les 5 articles les plus récents qu’il a publiés dans la Revue économique (novembre 2007, mai 2004, novembre 2002, mai 2002 et mai 2001). Quatre de ceux-ci sont consacrés à un modèle purement théorique, sans application empirique .
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Cependant, du fait même que ces études sont fort rares et qu’elles portent sur des objets très spécifiques, dans la suite du texte, ils sont conduits à prendre appui sur des études empiriques d’une tout autre nature, en les assimilant aux premières, toutes mises également dans un grand sac nommé la « méthode expérimentale ».
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LES ENNEMIS IMAGINAIRES
La suite du livre est des plus étonnantes. Il s’agit essentiellement pour nos auteurs de faire savoir que l’économie orthodoxe n’ignore pas la détresse sociale et qu’elle n’est pas du côté des nantis. S’ensuit une fastidieuse compilation de travaux qu’ils qualifient d’orthodoxes intéressés au logement des familles pauvres, à leur éducation, et au salaire minimum, censés nous persuader de quoi ?
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Il faut dire que le débat est affreusement mal posé, ne serait-ce que parce que nos auteurs confondent les travaux économiques à proprement parler et les travaux des autres disciplines portant sur l’économie en tant qu’institution sociale. Il est clair que nos auteurs ne voient pas ces derniers d’un bon œil.
DES CHOIX IDÉOLOGIQUES
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Il semble bien que nos auteurs aient des préférences et qu’elles tombent du côté des vertus de la finance, injustement brocardée par les négationnistes et le Pape, nous disent-ils.
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ASSUMONS LE DIVORCE ENTRE LES ÉCONOMISTES
Nos deux auteurs soulignent que le fonctionnement des communautés scientifiques repose sur des « procédures d’évaluation par les pairs ». Ils accusent les économistes regroupés dans l’AFEP de vouloir la création d’une nouvelle section au Conseil national des universités (CNU) aux fins de se soustraire à cette évaluation. Il n’en est rien. C’est un mensonge. Nous sommes également pour l’évaluation par les pairs. Mais la question est celle de savoir qui sont nos pairs.