• Le pot entre collègues, une pratique sexiste ? - Culture / Next
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    Le pot entre collègues, une pratique sexiste ? C’est en tout cas ce que pense le controversé leader du parti travailliste britannique Jeremy Corbyn. A l’occasion d’un discours dévoilant ses mesures pour l’égalité hommes-femmes début septembre, l’ascétique leader de la gauche anglaise (il est végétarien et boude les bars subventionnés de Westminster, où sévit, selon les parlementaires eux-mêmes, « une culture malsaine de la boisson ») a déclaré que la « socialisation de début de soirée » autour d’un verre dans le milieu du travail « favorise les hommes qui ne sentent pas le besoin de rentrer chez eux pour s’occuper de leurs enfants, et discrimine les femmes qui veulent, évidemment, être auprès des enfants ». Face à la bronca suscitée par les propos de l’élu, un porte-parole du Labour a précisé dans la foulée que Corbyn n’appelait pas une interdiction des pots entre collègues (ouf), mais cherchait à « souligner l’inquiétude de nombreux groupes de femmes [qui considèrent] dans certaines entreprises que la culture du networking après le travail, dominée par les hommes, peut être un frein à l’évolution professionnelle de leurs collègues féminines qui peuvent s’en sentir exclues, et notamment celles qui ont des responsabilités familiales ».

    L’importance de l’alcoolisation confraternelle, plus ou moins contrainte selon les secteurs, est un phénomène bien connu des sociologues et des médecins du travail dans tous les pays occidentaux. Il peut atteindre des proportions assez spectaculaires, comme au Japon, où la sortie au bar à la demande d’un supérieur est non-négociable, quitte à finir ivre mort au karaoké ou sur un banc de métro. Un rituel intériorisé par tous, y compris et surtout les politiques, qui ne se risquent pas à questionner l’inoffensif (en apparence) pot entre collègues de bureau. Jusqu’à Corbyn donc.

    #alcool #privilège_masculin #travail #discrimination

    • les propos du patron du Labour ont trouvé un certain écho aux Etats-Unis (la patrie de l’alcoolisme sexy en entreprise à la Don Draper, pour rappel) où, selon une étude de 2006 déterrée par The Atlantic, la consommation d’alcool a un impact positif sur le salaire des cadres : un bonus d’environ 10% pour les hommes qui lèvent le coude et 14% pour les femmes qui font de même. Auxquels s’ajoutent 7% supplémentaires pour ceux qui fréquentent un bar au moins une fois par mois. Une illustration de la théorie répandue selon laquelle les vrais deals dans le milieu des cols blancs se nouent toujours hors du cadre institutionnel - autour d’un Martini ou à l’occasion d’une pause cigarette prolongée (voir le mémorable épisode de Friends, où Rachel se mettait à cloper pour grimper dans l’organigramme de sa boîte).

      Dans le New Yorker, la journaliste Lauren Collins note toutefois que le problème n’est pas vraiment l’alcool mais la question des horaires - soit le fond de la pensée de Corbyn, accusé un peu vite d’hygiénisme. « Les "after-work" sont, juste après les petits-déjeuners de travail, une des pires corvées de la vie de bureau, écrit-elle. […] Ils constituent une extension non-rétribuée de la journée de travail, et empiètent sur la vie de famille et le temps que l’on pourrait passer à boire avec des gens avec qui on ne partage pas une photocopieuse. » Surtout, note-t-elle, deux ou trois pintes après le boulot pour un célibataire ou un père de famille capable de déléguer la garde des enfants, n’ont généralement aucun impact sur sa vie quotidienne, alors que pour une mère de famille, un pot de départ est bien souvent synonyme de frais de baby-sitting et autres arrangements plus ou moins complexes.