• j-226 : Les deux rêves de cette nuit. Je ne sais plus lequel est le premier.

    #1 Je rêve que j’accompagne un groupe d’enfants le long d’un petit cours d’eau, comme ceux du bois de Vincennes. Les enfants jouent dans les cours d’eau qui ne sont pas aussi vaseux que ceux du Bois de Vincennes. Une des petites filles joue à retenir sa respiration le plus longtemps possible ― de cette façon idiote que je mentionne dans le spectacle Apnées ― jusqu’à ce que je réalise qu’en fait, elle est bloquée au fond de l’eau, retenue au cou par une racine ou un élément végétal, je me jette à l’eau, comme il m’est arrivé, une fois, de le faire, au Bois de Vincennes, quand Nathan, en crise, avait jeté Adèle, qui devait avoir trois ans, dans un de ces petites canaux d’irrigation du bois, et je parviens sans mal à dégager le cou de cette petite fille, qui ne ressemble à aucune petite fille que je connaisse, avec le même sentiment de mollesse, de viscosité et la libération du cordon qui lui passe autour du cou, que dans la scène d’accouchement dans Rester vertical d’Alain Garaudie, les choses auxquelles on rêve parfois, mais je suis incapable de redonner vie à cette petite fille, même en lui faisant du bouche à bouche, en demandant à Adèle, qui m’accompagne, de souffler dans la bouche de cette petite fille, comme il est recommandé de procéder lorsqu’il faut faire du bouche à bouche à un enfant, demander à un autre enfant, à la moindre capacité pulmonaire, plus en rapport avec celle de la victime, de souffler. Les choses auxquelles on repense en rêve, comme des cours de secourisme tellement lointains, au lycée, pensez. Réveil, en suffocant, comme de remonter à la surface.

    #2 Je rêve de me rendre à la synagogue pour ma Bahr Mizdah , puisque, en effet, j’ai décidé d’épouser la religion juive. En entrant dans le temple, je suis désespéré de trouver sur les bancs, presque dans les premiers rangs, de cette ancienne synagogue de Prague ― la seule synagogue dans laquelle j’ai un jour pénétré ― la mère de mes enfants, à laquelle j’adresse un signe qui veut dire que même ici, dans une synagogue, elle tient à ce point à en être ― à se mêler de mes affaires, en somme, t’es juif maintenant toi ? ― et que, de toute manière, avant qu’elle ne pose la question, les enfants sont à l’école, c’est un samedi matin et je dois faire ma Bahr Mizdah pendant qu’ils sont à l’école, ainsi va l’organisation de mon existence, pas un moment de répit, pas un moment de blanc, et ainsi vont les rapports avec la mère de mes enfants. Entre le rabbin qui doit, en tout premier lieu vérifier que les cadeaux qui ont été envoyés pour les enfants ― dans mon cas il s’agit d’une Bahr Mizdah tardive, dite de reconversion ― qui font ce jour-là aussi leur Bahr Mizdah ― à la réflexion, je vois bien comme je transpose ce que je sais, intimement, du culte catholique à la religion juive, à savoir la première communion pour une vingtaine d’enfants à la fois, pas sûr que l’on fasse des Bahr Mizdah à la chaîne, les lecteurs juifs corrigeront d’eux-mêmes ― pour vérifier que ces cadeaux sont bien kasher, il tique beaucoup sur les deux livres de bandes dessinées que m’a envoyés mon ami L.L. de Mars (http://www.le-terrier.net), Quelques prières d’urgence à réciter en cas de fin des temps et les Vies de la mort , pourtant, à mon sens, les deux meilleurs cadeaux qu’il pouvait me faire pour ma Bahr Mizdah , et je suis contraint d’expliquer au rabbin que ce sont bien deux ouvrages strictement religieux, que ce n’est pas parce que c’est de la bande dessinée que ce n’est pas religieux, au contraire, les choses qu’on est parfois contraint, en rêve, d’expliquer à un rabbin, le jour de sa Bahr Mizdah , dite de conversion. La petite réception qui fait suite à ma Bahr Mizdah , dans une manière d’antichambre de la synagogue, est l’occasion pour L.L. de Mars de me donner ma première leçon d’exégèse religieuse où il est question, pour chaque juif, de retrouver, dans sa propre chevelure, le cheveu que l’on tient de son père, généralement dans la nuque, c’est d’ailleurs pour cela qu’un rite de tonte de la nuque est souvent proposé pour les plus fervents, et que c’est à cette seule condition, celle de retrouver le cheveu de son père, que l’on devient vraiment juif. Et encore je simplifie.

    Je dois modifier ma façon d’entrer le matin dans le café le Marceau pour notre café du matin avec mon collègue Julien, en effet, chaque fois que je m’approche du bar, je tombe nez-à-nez avec le téléviseur connecté, comme on l’est à une perfusion, aux informations en continu, comme le sont les perfusions, au goutte à goutte, en continu. Ce matin, l’image est quasi inoffensive, on y voit les premiers de notre république corrompue et malade, réunis autour de ce qui semble être une cérémonie commémorative ― un 19 septembre ? ―, ou un enterrement, ou je ne sais quoi de pas spécialement folichon auquel les hommes et les femmes politiques de la droite et de la droite dure se réunissent avec des mines d’occasion et des costumes sombres, la Maire de Paris fait la tête en arrière-plan du Président de la République, mine de circonstance oblige, la Maire, elle, n’a pas du tout aujourd’hui cette prestance courageuse, et même cette beauté, que je lui trouve d’ordinaire, l’ancien président des otaries de droite, semble piaffer dans des rangs seconds de cette assemblée, comme à son habitude, ravagé par autant de tics qui disent sans équivoque son impatience maladive. Je n’ai aucune idée des raisons d’un tel rassemblement, je présume que je pourrais m’en informer, sur le coup en m’approchant du téléviseur pour en recevoir le son en sourdine, soit en rentrant au bureau et en me connectant au site du Monde , je sens bien comment travaille en moi un désir de savoir et la lutte que je mène intérieurement pour barrer le chemin de cette curiosité, dont je sais que l’objet est empoisonné. J’y vois un enjeu de taille, une raison de lutter, de discipline intérieure, de se gendarmer. Comme dans les vignettes des albums de Tintin , il y a un Milou satanique qui m’encourage avec des arguments fielleux, je suis encore éloigné de la catastrophe dont je veux tout ignorer, un bref regard sur l’actualité intérieure, nationale, ne m’apprendra rien, ne me fera aucun mal, et un Milou angélique, habillé de bleu azur et auréolé, qui me signifie qu’entre cela et une drogue ou un alcool forts, il n’y pas de différence de danger. C’est le Milou angélique qui gagne ce matin.

    #qui_ca