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  • http://triptyquefilms.chez.com/la_liberte.html

    Guillaume Massart présente son dernier film La Liberté au Méliès à Montreuil, le vendredi 12 octobre à 20H15, présence obligatoire.

    le vendredi 12 octobre 2018 à 20h15
    Cinéma Georges Méliès
    12, Place Jean Jaurès

    (Métro : Mairie de Montreuil)

    dans le cadre des Rencontres du Cinéma Documentaire

    http://www.peripherie.asso.fr/rencontres-du-cinema-documentaire/films-de-la-thematique

  • Levé en sursaut
    Zoé qui buque ad’batinse
    Rêves envolés si rêves six rêves

    Home office aujourd’hui
    Open space à la maison
    Meilleur café et free jazz

    En revanche je m’étonne
    Que la hargne du boulot
    Puisse pénétrer jusque chez moi

    Et c’est essentiellement
    Ma hargne
    Je ne suis pas fier

    Je change de disque
    Je change d’ordinateur
    Ça va déjà mieux

    Je retourne au récit
    De ma rencontre brève
    Avec une jeune Laurence Ostolaza

    N’écoutant que son courage
    Virgule, un petit projectionniste
    Démarche au bas de chez lui

    Et si on rejouait Apnées ?
    Et si je lisais, je ne me souviens plus ?
    Et si je commençais à être qui je suis ?

    Hier nous avions entamé une partie d’échecs
    Circonspecte avec Émile
    Nous la finissons dans un déluge d’échanges

    Tu ne rentres pas pour écouter les discours ?
    Non, je suis anarchiste
    Tête de cet ami parent d’élève

    Tu es anarchiste vraiment ?
    Non j’étais anarchiste quand j’avais 25 ans
    Depuis je me suis radicalisé sur Internet

    Pendant que sénateur, conseillers et maires
    Se saluent cérémonieusement
    Je discute dehors avec Émile, je préfère

    C’est assez facile pour des hommes politiques
    De faire oublier leurs retards de responsabilités
    Il suffit de noyer l’opposition sous des petits fours

    Je me demande combien coûtent des petits fours
    Pour deux ou trois cent personnes
    Et ce que l’on pourrait faire d’autre avec pareil argent ?

    Je dépose Emile et Zoé à la maison
    Epuisés et je file au Comptoir
    Concert de Sylvain Kassap

    Sylvain Kassap
    Octobres
    Fameux programme

    Hélène Labarrière
    S’entend très bien avec Sylvain Darrifourcq
    Derrière les fûts

    Sylvain Kassap
    Compte les mesures sur ses doigts
    Pour rentrer dans un passage bien free

    http://www.desordre.net/musique/ayler.mp3

    Ils finissent par un morceau
    D’Albert Ayler
    Une armoire à glace s’effondre

    Fin d’ Octobres
    Et maintenant le rappel
    C’est à vous de le faire dans la rue

    Les concerts au Comptoir
    C’est aller et retour
    A pied, quel pied !

    Il est tard
    Mais j’ai encore envie
    D’écrire

    http://www.desordre.net/musique/monk_midnight.mp3

    Il est à peu près minuit
    J’écoute Monk qui cherche
    Autour de minuit

    J’aimerais bien parvenir
    À tordre le cou à Laurence Ostolaza
    Je veux dire à réussir ce passage de Fantômes

    Une intuition me dit
    Que c’est le nœud du texte
    Mais je ne parviens à le dénouer

    Cela fait trois jours
    Que j’écris et réécris ce passage
    Et toujours le sentiment qu’il m’échappe

    Et tout d’un coup
    Je trouve la bonne formulation :
    C’étaient les mêmes mains !

    #mon_oiseau_bleu

  • Mon inconscient
    N’a rien foutu
    Cette nuit

    Petit-déjeuner
    Silencieux
    Émile songeur

    Une fois par an, le dimanche matin
    On entend la rumeur d’un rassemblement
    À Vincennes comme dans Une journée particulière

    Je n’aime pas cette rumeur
    Je n’aime pas qu’on hurle avec les loups
    J’ai peur de cette tumeur

    De retour du marché
    Mes mains sèches
    Déballent les fruits

    Un butternut, des kakis
    Un potimarron
    Automne

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/images/sophie/sons/bill_evans_i_fall_in_love_too_easily.mp3

    Café
    Bill Evans
    Autumn leaves

    Dimanche matin
    Refais du café
    Et fais un peu de ménage

    Au milieu du rap des filles
    Sur l’autoradio, pour me faire plaisir
    Sarah glisse Yesterday des Beatles

    Sarah tu savais que cette chanson
    Est sortie avant ma naissance
    Non ? Si, 1964

    La cité dans laquelle j’ai grandi
    Est grillagée depuis vingt ans
    Mais je ne m’y habitue pas

    Qui voudrait vivre
    Derrière un grillage
    Et pour se protéger de quoi ?

    Je n’arrive jamais tout à fait
    À comprendre qu’il faille badger
    Là où on fonçait à vélo en descente

    Et je ne voudrais pas avoir l’air du type
    Né à l’époque de Yesterday , mais où sont les enfants
    De cette cité ? Chez eux et pas dehors

    Yesterday
    All my troubles
    Seem so far away

    And now
    I long for
    Yesterday

    Emile tient une forme spectaculaire
    Aux échecs et ne fait qu’une bouchée
    De son père puis de son grand-père

    Je fais une partie de Monopoly
    Avec ma mère et Zoé, et je gagne
    Grâce à la rue de Wazemmes (Lecourbe)

    Au retour je traduis à la volée
    Les paroles de je ne sais plus
    Quel rappeur états-unien : on rit bien

    Quenelles aux morilles
    Cêpes de Bordeaux au beurre
    Poires et prunes, c’est l’automne

    Cèpes de Proust : des cèpes au beurre
    Un dimanche soir, comme au retour
    D’un dimanche à Rambouillet

    Sarah et Émile discutent
    Dans le garage
    Zoé fait la vaisselle, dimanche soir

    Les enfants vivent leur vie
    Dans ma chambre au calme
    J’écris. Nous serons couchés tôt

    Tandis que je tente de me renseigner
    A propos du référendum catalan
    Mon téléphone de poche vibre

    José, en pleurs
    Phil Rahmy
    Est parti

    Chaque fois que je pense à Phil
    J’ai mal aux bras
    De l’avoir porté, il y a quinze ans

    #mon_oiseau_bleu

  • L’impossible retranscription
    Du rêve de ce matin
    Tellement décousu (trois pages)

    Une fête dans un hôtel en Suisse
    L.L. de Mars entame un nouveau film
    D’Aurélien Fordada

    La fête ne semble jamais démarrer
    Et pourtant nous sommes saouls
    Et nous aimerions aller dormir

    Au retour crochet par une exposition
    D’une amie de Mona, Heidi
    Toutes petites œuvres à peine visibles

    Pendant tout ce temps
    J’ai laissé Émile sans surveillance
    À la maison, devant la télévision

    Petit déjeuner silencieux
    Mais pas sans tendresse avec Zoé
    Levée plus tôt pour me croiser

    Matin calme et pluvieux
    Je porte une nouvelle chemise
    J’écris dans un open space désert

    Je relis l’anguille de cette nuit
    Incapable de lui donner
    Une forme fixe, suivie

    Ce que j’écris et relis
    Imprimé sur quelques feuillets
    M’apparaît, au café, irréel

    Ce serait donc devenu cela
    Ce que je fais désormais
    De ma vie ?

    Et naturellement
    Je me demande bien
    De quel droit ?

    A quel moment de mon existence
    Vais-je comprendre que la vie
    A déjà commencé ?

    Je me fais l’effet d’un jukebox
    On remet un jeton (du café)
    Et je fais mon moulin à paroles

    Je croise l’employé municipal
    Responsable de l’arrachage de l’affichage
    Sauvage : quel artiste ! (Il ne le sait pas)

    Les gens autour de moi
    Vont comme un vendredi
    Moi je ne sais pas comment je vais

    Un échange par téléphone
    Si bref soit-il avec Dominique
    Et j’ai (de nouveau) envie de travailler !

    Je prends le point
    Je reviens vers toi
    Merci de ta compréhension

    Nés avant 1967 ?
    Ces aides auditives
    Vont changer votre vie

    Parfois
    Je tombe sur le mot juste
    Draisine

    L’armée chinoise
    Veut limiter la masturbation
    Chez ses recrues

    Le député El Guerrab, mis en examen,
    [Pour coups et blessures NDLR], devient membre
    De la commission de la défense de l’Assemblée

    Dîner
    Avec Julien
    Et Sarah

    Gaspacho et avocat
    Lasagnes aux épinards
    Comté, gâteau de châtaignes

    Julien et moi livrons
    Sarah de son Cosidor
    Je goûte le rouge des joues de Sarah

    http://www.desordre.net/musique/comelade.mp3

    Périphérique
    Nocturne
    Pascal Comelade

    Vendredi soir
    Un yaourt
    Aux airelles et au lit

    #mon_oiseau_bleu

  • J’ai rêvé de Bart Parker cette nuit
    J’ai rêvé de sa barbe
    Et de sa voiture de sport

    J’ai rêvé d’un virage qu’il a pris
    À toute berzingue tout en m’expliquant
    Un truc qu’il venait de trouver dans le labo

    J’ai rêvé du homard
    Qu’il m’avait offert
    Mon premier homard

    J’ai rêvé d’une pince de homard
    Posée sur la tombe de Lovecraft
    Et de l’étreinte de Bart, au revoir

    J’ai rêvé de lire son
    A Close Brush With Reality
    Et ce matin je ne retrouve pas ce livre

    J’ai rêvé qu’il m’apportait un café
    Pour me réveiller de mon sac de couchage
    En travers du banc de repro

    J’ai rêvé qu’il mettait sous presse
    Mes tirages de la nuit
    Pendant que je buvais son mauvais café

    J’ai rêvé qu’il ramassait la spire
    Que j’avais jetée à terre de colère
    You should fix it anyway

    Ce jour-là
    J’en ai compris
    Des choses !

    J’ai rêvé de la quantité
    Astronomique de ketchup
    Qu’il a versée sur nos frites

    Et son air contrit
    Quand je lui ai dit
    Que je n’aimais pas le ketchup

    Et son empressement
    À sauvegarder toutes les frites
    Du fond du plat, indemnes

    J’ai rêvé que nous étions dos-à-dos
    Sur Monroe avenue à Chicago
    Photographiant les commuters

    J’ai rêvé que j’emmenais Bart
    Photographier la démolition
    D’un pâté de maison sur Grant Avenue

    J’ai rêvé aux premières photographies
    Que j’ai vues de Robert Heinecken
    Que Bart me montrait dans l’Illinois Center

    J’ai rêvé que Bart regardait les étoiles
    Du toit ouvert de la voiture de sport
    Tout en conduisant à toute berzingue

    J’ai aimé cuisiner
    Des cailles aux raisins
    Pour Bart et Rita

    J’ai aimé la distinction admirable
    De Bart quand il a ôté son chapeau
    Quand je lui présentais mes parents



    J’aimais les gestes très vifs
    Et très précis de Bart
    Notamment avec son couteau

    J’ai aimé comme cet homme
    Incarnait à lui seul
    Tout ce que j’aime dans la photographie

    J’ai aimé, par-dessus tout,
    La nuit que nous avons passée
    De concert dans le labo

    Cette nuit-là
    J’en ai appris
    Des choses !

    Il paraît que
    Bart Parker est mort
    Je n’en crois rien

    Hommage à Bart Parker, à qui je dois tant.

    #bart_parker

  • http://inthemorningmag.com/wp-content/uploads/2016/09/Nick-Cave.jpeg

    Sur la table de la cuisine
    Au réveil, tu retrouves
    Ton manuscrit, le ventre ouvert

    Le dimanche matin
    Tu voudrais qu’il soit entre 7 et 8 heures
    Toute la journée

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/nick_cave.mp3

    Piscine
    Café
    Nick Cave

    Mon amie Sarah
    Me conseille de faire du ménage
    Pour l’inspiration

    Le groupe djihadiste Etat islamique
    Revendique l’attaque
    Contre un bus transportant des coptes

    Des mendiants se succédaient dans la rame
    De plus en plus nombreux
    De plus en plus agressifs

    L’insoutenable agression
    D’un mendiant dans le métro
    Qui me crie avoir faim

    Accueil de Dominique
    Étreinte fraternelle
    Dominique, mon grand frère

    Il va m’en vouloir
    Mais quand Dominique monte sur scène
    Les autres musiciens serrent les fesses

    À propos d’Une Fuite en Égypte
    Dominique me dit
    Tu ne dois pas le lire comme c’est écrit

    Plaisir d’un ruban d’autoroute
    Un soir
    De canicule

    Un mendiant agressif
    Trois morceaux de vraie musique
    Je ne dois pas le lire comme c’est écrit

    #mon_oiseau_bleu

  • Quand est-ce que
    Demain
    Sera un autre jour ?

    Les rêves érotiques
    D’un vieil homme
    Quelle misère !

    Certains matins
    Tu ne penses plus
    À elle

    Quand tu ne penses plus à elle
    Tu as le sentiment d’être infidèle
    Tu es bien seul à t’en préoccuper

    L’Humanité
    Emet-elle
    Moins de CO2 ?

    Tu relis ton tapuscrit
    À la terrasse d’un café
    C’est vendredi, déjà !

    Et si tu l’oubliais
    Entièrement
    Faire comme si. Essayer

    D’ailleurs, bénéfice de l’âge
    Tu vois bien que tu ne te souviens
    Plus bien de tout, plus si bien

    Discussion avec Tiffanie
    A propos de L’Étreinte
    Tu es si vieux dans tes vues

    Ton collègue, parti à la retraite
    L’année dernière, tellement heureux
    T’appelle aujourd’hui, cancer

    Et si plutôt que
    De remonter au bureau
    Tu passais la journée au café

    Souvenir d’un bulletin de notes
    Sèche parfois le café
    Pour venir en cours

    Tu
    La
    Détestes

    Tiens !
    C’est
    Nouveau

    Es
    Tu
    Fou ?

    Tu la détestes
    Tiens c’est nouveau !
    Es-tu fou ?

    Vent de liberté
    Qui souffle sur le café
    C’est vendredi

    Même les serveuses
    Ont l’air heureuses
    Elles, pourtant au travail

    Treize poèmes
    Écrits
    Au café

    Je vois mon reflet
    Massif dans une devanture
    Qui pourrait avoir envie de m’étreindre ?

    J’écris une longue lettre
    À Adrien Genoudet
    Qu’il lira peut-être

    J’écris une longue lettre
    À Adrien Genoudet
    La comprendra-t-il ?

    J’entame la lecture
    De Reniement
    D’Alain Spiess

    Que n’ai-je connu
    Alain Spiess
    De son vivant !

    C’est vendredi soir
    J’écoute Count Basie.
    Contre elle !

    Finalement, je ne vais pas au cinéma
    Je fais beaucoup mieux
    Je passe chez Éric et Daphna

    Lettre à Adrien Genoudet
    Count Basie
    Daphna et le cidre !

    #mon_oiseau_bleu

  • Alors-là je suis sur le cul. Ce matin, en arrivant péniblement au travail, je constate que l’embouteillage qui remonte presque jusqu’à la place de la Croix de chavaux, est en fait provoqué par la file d’attente d’accès à la station-service que surplombe mon open space . Il y aurait donc une pénurie d’essence. En arrivant au travail, je me connecte au site du Monde et bien croyez-le si vous voulez, je n’ai pas trouvé un seul lien depuis leur pléthorique portail vers la moindr epetite manchette de rien du tout qui parlerait d’un conflit social en cours avec blocage des approvisionnements d’essence. Donc pendant que Le Monde est fort occupé à lécher le cul de Macron (Le néophyte Macron fait un sans-faute sur la scène internationale ), pas la moindre note discordante, le conflit social en cours passe entièrement à la trappe !

    L’année dernière, plus ou moins à la même époque, j’avais décrit les choses de cette manière, depuis les mêmes fenêtres de mon open space, dans un texte en cours

    Dans mon dos, mon collègue Julien regardait en contrebas au travers des grandes baies vitrées de notre open space. Une queue de plus en plus longue se formait en amont de l’accès à la station-service que nous surplombions depuis nos bureaux, mon collègue Julien s’en félicitait, s’amusant que ce comportement, à la fois sans recul et très autocentré, allait provoquer, plus rapidement que prévu encore, la pénurie de carburant redoutée par le gouvernement et que les syndicats cherchaient à créer et, grâce à elle, forcer le retrait de la récente loi relative aux conditions de travail, dans laquelle nombreux étaient les articles, force était de le constater, qui paraissaient avoir été écrits sous la dictée d’un patronat devenu hystérique depuis quelques années, autant de nouvelles dispositions dont je voyais bien qu’elles n’étaient pas sans rapport avec ma petite situation personnelle, constatant, sans surprise, que Maman savait parfaitement anticiper là même où elle pourrait espérer quelques bénéfices conjoncturels, dans le cas présent, une plus grande facilité au licenciement. Il était frappant de constater que j’avais, littéralement sous les yeux, une manifestation réelle et avérée de l’actualité, vue du cinquième étage de cet immeuble de bureaux qui en comptait six, ce qui habituellement revêtait de l’irréalité, c’est-à-dire l’actualité, à la fois parce que cette dernière était souvent lointaine ou très abstraite, pour laquelle il n’était pas toujours aisé de tisser des liens vraiment agissant vers soi ou, mieux encore, partant de soi, cette actualité connaissait, ici, des atours à la fois concrets et indéniable d’un très sympathique désordre, des klaxons signalaient l’impatience des unes et des autres, le flux des véhicules paraissait à la fois dense et immobile, un réseau sanguin sur le point de causer un infarctus. À vrai dire tout était à la fois sale et sans ordre, ce qui était en contraste fracassant d’avec le visage de la classe politique, du pouvoir, du gouvernement qui vitupéraient contre ces dérangements et ces obstacles à la fluidité, depuis des parquets lambrissés, en minimisaient la portée, le Premier Ministre depuis l’état d’Israël ― les parquets en Israël sont-ils lambrissés ? j’avoue être mal documenté sur le sujet ―, le Président depuis le Japon ― même question à propos du lambrissage au Japon, même réponse ignorante et embarrassée de ma part ―, au point que non seulement les discours martiaux étaient contredits dans les faits-mêmes mais qu’en plus, les visages autoritaires qui les proféraient ne paraissaient même plus se rendre compte de ce décalage pourtant alarmant entre l’image et le son, entre le récit et le réel.

  • J – 18 : Retrouvailles avec Laurence, revenue de Down Under Mate .

    Moment d’une rare complicité entre nous, tandis que je me plains d’avoir mal au cou depuis quelques jours, elle me propose de mettre à profit ses récents apprentissages de massage. Assis au bas d’un fauteuil, elle assise sur le fauteuil, je suis très touché, c’est le cas de le dire par toute cette science, cette énergie et cette forme de gentillesse dont elle me fait cadeau, voyant bien par ailleurs que sa dextérité en la matière a fait un bond depuis l’automne dernier, graduellement je sens comme elle resserre son étau autour du point névralgique jusqu’à l’atteindre et ce dernier cède progressivement de cette tension qui me faisait tant souffrir depuis quelques temps. De temps à autre, Laurence fait céder d’autres points de tension notamment dans le milieu du dos, pour la faire sourire, je lui dis qu’elle me touche à des endroits qui n’ont jamais été atteints par la psychanalyse. Et nous rions également de concert à l’évocation rétrospective de l’évolution de nos rapports, et à qui d’autre pourrais-je, un jour, faire pareillement confiance et me laisser tirer sur une épaule, désaxé, tout le poids de Laurence sur son coude planté dans mon omoplate.

    D’ailleurs il paraît que j’ai de toutes petites omoplates, on dirait pas comme ça, on ne pourrait pas dire, comme ça, en me voyant, mais j’ai de toutes petites omoplates, un peu comme mon ami Franck, dentiste de son état, qui me fait toujours la remarque que je suis un gros monsieur avec de toutes petites dents.

    Pendant que je suis enveloppé par cette science de Laurence dont je vois bien qu’elle pénètre en moi selon des parcours et des canaux dont je ne dirais qu’ils furent jamais mis à jour, mais il y a un peu de ça quand même, je pense au visage de Laurence, ce qu’il porte en lui de la très voyageuse qu’elle est, de tous ces paysages qu’elle a traversés, de cette connaissance désormais intime qu’elle a d’une région immense, le Pacifique, je pense au cadeau qu’elle est en train de me faire en injectant de cette connaissance rapportée du bout du monde à l’intérieur même de moi, endroits de notre monde dans lesquels il est très peu probable qu’un jour j’aille me promener et pourtant en moi, désormais un de ces lieux.

    Et tout comme je le décrivais dans Arthrose ( http://www.desordre.net/bloc/ursula/arthrose/laurence.htm ) à propos de cette amie, je repense à cette première fois où j’ai pris mon courage à deux mains pour m’asseoir à côté d’elle et engager timidement la conversation, et ce jour-là j’accomplissais quelque chose, sans le savoir, sans pouvoir le savoir qui serait déterminant pour le reste de mon existence. Et nul doute dans mon esprit désormais que ce n’est pas entièrement un hasard que je me sois trouvé en sa compagnie le soir du 13 novembre 2015 auquel nous avons entièrement échappé, mais la force du lien qui nous unit désormais !

    Et c’est à tout cela que je pensais et dont nous discutions, sans avoir beaucoup besoin de préciser les choses, notre compréhension est mutuelle, tandis que Laurence me massait, et me guérissait.

    #qui_ca

  • J – 19 : C’est dimanche soir dans le monde, une lumière orgiaque de fin de journée dessine de très belles lumières sur le haut des immeubles de la place de la mairie. Sophie Agnel traverse devant moi sans s’en rendre compte, je me porte à sa hauteur, descend mon carreau et fait mine de lui demander le chemin du cinéma, tête de Sophie Agnel qui reprend rapidement ses esprits, un certain talent pour l’improvisation sans doute, et qui me renseigne, le cinéma c’est plus loin. Seul à la maison en ce dimanche soir, j’ai eu envie d’aller voir un film, le seul pas encore vu, et qui faisait un peu envie, sorte de cinéma du dimanche soir, c’était le dernier film d’Arnaud des Pallières, Orpheline .

    Film laborieux. Film prétentieux. Film ennuyeux.

    Laborieux, il faut quasiment une heure à Arnaud des Pallières pour installer véritablement son intrigue - est-ce qu’il n’essaierait pas de nous faire faussement croire à une inexistante complexité de son récit, je suis sans doute bien soupçonneux, peut-être est-il juste pas très fort pour raconter un récit ? -, il faut dire il lui aura fallu beaucoup de temps pour détacher son regard (et le nôtre) des poitrines de ses trois jolies actrices sensées incarner le personnage de Karine/Sandra/Renée, puisque finalement c’est à se demander si ce n’est pas à cela que lui sert ce recours à trois actrices différentes pour interpréter la même femme aux âges de 15, 20 et 30 ans (Solène Bigot, Adèle Exarchopoulos, et Adèle Haenel). On aurait un peu envie de lui offrir une copie téléchargée de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche pour lui montrer que dans ce trio d’actrices, il y en a une qui a déjà fait cela, la traversée des âges, très bien - mais une telle leçon de cinéma ne serait pas très charitable. Quant à l’enchâssement des flashbacks , c’est une véritable montagne qui accouche d’une souris, d’une toute petite souris de rien du tout : une petite fille de sept ou huit ans est témoin, plus ou moins tenue à distance, de la disparition de deux autres enfants disparus lors d’une partie de cache-cache, ses parents immatures ne sauront pas la protéger de cet épisode, la mère abandonnera le foyer, sans doute pour se soustraire à l’alcoolisme et à la violence de son compagnon, la petite fille va grandir, apparemment à l’adolescence cela va être très tumultueux - étonnant non ? -, le début de la jeunesse hyper rock’n’roll - les surprises de la vie sans doute -, au point que, plus tard, elle ne parviendra pas vraiment à se ranger des voitures, poursuivie, et rattrapée, qu’elle sera par une affaire ancienne. Et c’est à peu près aussi complexe que cela, alors vous dire pourquoi cela doit prendre deux heures, je ne saurais pas vous dire, pas plus que de vous expliquer pourquoi pour les personnages masculins on peut n’employer qu’un seul acteur pour plusieurs périodes, mais pas pour le personnage féminin aux si jolies poitrines - je m’excuse pour ce bilan un peu comptable, mais dans le film on pourra voir, en pleine lumière, les poitrines des trois jeunes femmes interprétant le rôle principal, plus celle du personnage de Tara, et sans compter celle de la doublure d’Adèle Haenel, les fesses nues d’Adèle Exarchopoulos, et par deux fois Solène Rigot aura l’immense honneur, une distinction sans doute dans une carrière de comédienne, de mimer une fellation, la contrepartie comptable masculine est plus maigre, un demi-fessier et un entrejambe éclair dans une pénombre à couper au couteau.

    Prétentieux, non content d’accoucher narrativement d’une souris, toute petite souris de rien du tout, Orpheline est un film esthétisant, dont tous les plans et leurs lumières sont léchés, avec force bourrage dans les côtes, vous avez vu comme on est forts, et tel effet de faible profondeur de champ, et telle composition de cadrage, et tel effet de contrejour difracté, une véritable panoplie, par ailleurs coupable de glamorisation des bas-fonds, de la violence aussi, si possible envers les femmes parce que quand même c’est nettement plus photogénique - un parieur endetté reçoit la visite d’un de ses créanciers mafieux, et ce n’est qu’affaire de regards, la jeune femme aux prises avec le même homme s’en prend deux en plein visage (et naturellement elle en redemande et tout aussi naturellement se rue sur la braguette de l’homme qui vient de la frapper deux fois au visage, les femmes, c’est bien connu, aiment, par-dessus tout, qu’on les frappe, ça les rend folles, après vous en faites ce que vous voulez). Naturellement, il y a foison de gros plans avec cadrages à l’avenant, notamment sur les poitrines des jeunes actrices. Je présume que l’emploi des trois actrices pour le même personnage, quatre avec la petite fille, mais là, tout de même, on peut comprendre le recours à une véritable enfant de six-sept ans, a la volonté de nous montrer à quel point les différentes périodes d’une existence sont autant de moi aux formes méconnaissables - j’ai lu quelque part une critique cinématographique officielle qui, sur ce point, prêtait à Arnaud des Pallières des intentions proustiennes, rien que cela, Arnaud des Pallières ne doit plus se sentir, cela aura eu le mérite de me faire pouffer, en ce moment ce n’est pas tous les jours que je pouffe à la lecture de la presse, Marcel Proust et Arnaud des Pallières, les deux grands conteurs du récit interne, François Mauriac lui-même ne s’y serait pas trompé, les critiques officielles des fois.

    Ennuyeux au point de me pousser à regarder ma montre de temps en temps, c’est comme cela que j’ai compris qu’il avait fallu un peu plus d’une heure à Arnaud des Pallières d’installer son intrigue, et d’en faire, finalement, si peu : une femme en proie à des sentiments abandonniques, dont on peut raisonnablement penser qu’ils sont dus à la désertion du foyer par sa mère, à l’âge de six-sept ans, reconduit cette logique d’abandon, heureusement qu’il y a des réalisateurs d’avant-garde comme Arnaud des Pallières pour nous fournir des œuvres de vulgarisation freudienne, sans ça c’est sûr, on comprendrait mal, c’est, j’imagine, pour cette raison aussi que de nombreux passages du récit sont soulignés trois fois en rouge pour être sûr qu’on capte bien, qu’on repère bien les signes avant-coureurs de ce récit tellement maigre au point d’être famélique.

    Et je m’excuse d’en remettre une couche, mais, quand même, est-ce normal que tous les personnages de femmes, les trois âges adultes notamment du personnage principal, soient entièrement dépendantes des hommes et qu’elles soient aussi systématiquement contraintes à faire commerce de leurs corps et de leurs caresses pour pouvoir passer à t’étape suivante de l’existence ? Non, parce que je demande cela dans le but de tenter de faire la différence entre ce film-là et un film érotique des années septante, dans lequel on voit bien que la psychologie des personnages n’a pas été aussi fouillée que les recherches formelles sur le galbe des poitrines des actrices. Et, à vrai dire, j’ai bien du mal à opérer un distinguo.

    Film laborieux. Film prétentieux. Film ennuyeux et, donc, vaguement pornographique. Un enchantement. Vraiment. Si j’osais je dirais que c’est bien un film de dimanche soir que je suis allé voir, mais de deuxième partie de soirée.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/images/sophie/sons/bill_evans_i_fall_in_love_too_easily.mp3

    J – 20 : Une bonne partie du week-end passée à lire le manuscrit de mon ami Daniel jusqu’à rêver d’aires d’autoroute la nuit, c’est qu’elles ont leur importance ces dernières dans ce relevé géographique fictif contemporain. Lecture studieuse dans le but de donner quelques éléments de recul à Daniel. Lecture interrompue sans vergogne dimanche après-midi par A. venue boire un ristretto . Lecture ponctuée par l’écoute de quelques disques magnifiques, Polka Dots And Moonbeans de Bill Evans, John Coltrane avec Duke Ellington, A Love Supreme de John Coltrane - une éternité que je ne l’avais plus écouté et on ne devrait jamais rester aussi longtemps sans l’écouter - , Capcizing moments de Sophie Agnel, Mysterioso de Thelonious Monk, Non-Bias organic de Jean-Luc Guionnet, The Montreal Tapes de Charlie Haden (Gonzalo Rubbalcaba au piano et Paul Motian derrière les futs) et Abbey Road des Beatles. Du café comme s’il en pleuvait pendant ces deux jours au soleil radieux. Et la musique toutes fenêtres ouvertes très rarement abimée par le passage extrêmement rare de quelques voitures, le quartier est désert, la fin du monde pourrait avoir ses avantages si l’on dispose encore d’électricité pour jouer ses disques ou encore de musiciens pour nous jouer de la musique, débarrassés, les musiciens de la chambre d’écho que doit représenter pour eux un enregistrement.

    Traversant dans les clous,
    Pieds nus
    J’ai eu envie d’écouter Abbey Road

    Bill Evans
    Thelonious Monk
    Sophie Agnel

    Février 2005 – suite. 50 km/h. Sortir de Strasbourg. La conduite de Gisse, une mélodie souple, soyeuse. En direction de Reims. 350 kilomètres environ. Sur autoroute. A4. La voiture est lancée, vitesse de croisière, un concentré de paysages aboutés. Un besoin de voix, pour nettoyer les substrats mélancoliques.
    - Yves ?
    - Oui.
    - Parle-moi de toi.

    Elle double, sereine, une suite de semi-remorques. Se rabat. Les panneaux : Sarrebourg, Haguenau, Wissembourg.

    - J’ai passé mes années lycée à Troyes. Trois ans. Le lycée était excentré en périphérie, entre un LEP et un IUT. Suis sorti par la petite porte. Sans mon baccalauréat. A défaut de pouvoir prendre le train des études supérieures, je mesuis dirigé vers l’arrêt de bus. Un bus s’est arrêté, je suis monté et me suis retrouvé au centre-ville. Un appart avec un copain. Le théâtre. Une place dans une librairie de livres anciens. Des liens tissés dès la seconde année de lycée. Dès la fin de la seconde, viré de l’internat. Sur le bulletin : Trop asocial pour s’assumer en collectivité. Je n’en tire aucune gloriole. Je ne savais même pas ce que c’était l’asociabilité. Autour de moi, ce qui avait teneur de liens, de gens, c’était de la subjectivité broyée. Je n’avais ni les moyens ni le temps de faire une
    introspection pour savoir ce qu’il y avait de périmé, de périssable en moi. Supposes que je revois certains profs aujourd’hui, je ne vais pas leur bouffer la trogne. J’ai laissé filer. Ils ont laissé filer. D’autres chats à fouetter. A partir de la première, quelqu’un du village m’emmenait le matin. Il travaillait dans un garage. Trente kilomètres en voiture. Mesure concise d’une nationale dans un décor de champs, de villages. Le soir je rentrais en stop, une fantastique galerie de portraits de la France de l’époque. Deux soirs par semaine, des cours de théâtre. Le matin, ce quelqu’un du village me déposait à un arrêt de bus. Direction le lycée. Dans le bus, parmi les passagers, des lycéens, des lycéennes. Un transport commun de tics, de cartables. De regards. Ses yeux, mes yeux. Des regards qui se croisent. Des attirances. J’étais en terminal, elle en première. Dans la classe d’un copain. Les heures de permanence, certaines pauses après le déjeuner, on les passait dans un bar, à quelques rues du lycée. Elle était longue, haute, d’apparence filandreuse. Yeux sombres, cheveux noirs. Issue de la bourgeoisie locale. Elle était avec ce copain. J’ai parlé. Littérature, musique, philosophie. Ce copain s’embarquait pour les Beaux-arts, laissant des croquis partout derrière lui. Nous en étions à partager à l’époque ce qui tenait lieu d’avant-garde musicale entre jeunes. Un rock des confins, industriel, froid. Un fort écho des lézardes en cours dans le champ industriel de l’époque. Par notes et voix interposées. Les délocalisations, la mise au pilori de centaines et de centaines d’emplois. L’industrie textile locale opérant un virage sous forme de ventes directes en usines plantées comme des décors dans des marques avenues. Les vraies usines démontées, pièces par pièces. Remontées en Tunisie, en Turquie. Optimiser les profits, réduire les conflits. Elle était issue de cette bourgeoisie textile. Je me disais souvent que si elle avait été d’un milieu modeste, elle aurait été quelconque. Quoi que sans doute avec toujours ce fond abrasif, délirant. Elle me plaisait. Une beauté décalée. Des échanges convulsifs et posés. Plus grande que moi. Je n’avais que mon bagou, une gueule attirante.

    Double file. Se déporter. Un camion en double un autre. Voie de gauche. Les voitures derrières qui ralentissent. Gisse se rabat. Appels de phare. Elle n’en a cure. Une conduite assumée.

    Extrait de Les Oscillations incertaines des échelles de temps de Daniel Van de Velde

    #qui_ca

  • J – 21 : Certes il faisait beau, certes c’était un samedi après-midi de vacances et la ville renvoie depuis deux ou trois jours une sonorité fort plaisante de rues désertes, certes, mais nous n’étions que cinq personnes, deux mères et leurs petites filles, et moi donc, à la séance de Fiancées en folie de Buster Keaton - Seven chances -, copie restaurée, les quatre premiers plans en couleurs quasi autochromes, Buster Keaton en couleurs ! (fussent-elles pâlottes, aussi pâlottes que son teint maquillé de céruse)

    Un ami poète me dit avoir vendu UN seul exemplaire de son dernier recueil.

    Et, toutes proportions mal gardées, Une Fuite en Égypte est en train de magistralement passer inaperçu de toute la presse, pas la plus petite des manchettes nulle part - pourtant toutes les personnes l’ayant lu m’en ont dit du bien - et si Une Fuite en Égypte avait surtout eu l’importance de m’apporter une lectrice amoureuse ? et quelle !

    Dans dix ans, plus personne ne saura qui était Buster Keaton, la dernière personne ayant acheté le recueil de mon ami sera morte, et moi, où serais-je ? proche de la retraite sans doute. Enfin. Mais trop tard.

    #qui_ca

  • J – 22

    Quel drôle d’effet tout de même que de regarder les copies numériques entièrement restaurées de films que l’on connaissait perclus de rayures noires, de poils tremblotant dans les coins de l’images et d’une multitude d’autres parasites, sans parler d’un son qui crachote par endroits, qui sature souvent et dont les contrastes mal assurés rendent certaines paroles à peine audibles. Films vus, revus, sus, archi connus. Comme Masculin Féminin de Jean-Luc Godard qui passait donc vendredi soir au Mélies .

    Plaisir admirable que de constater, après coup, l’incroyable intelligence de Godard pour, dès la moitié des années 60, comprendre et mettre à jour les ressorts entre le masculin et le féminin, dire sans tabou, et sans doute au travers d’une censure que l’on imagine compacte à l’époque, au travers de ce plan séquence remarquable de l’interview sociologique de Miss 19 ans - et dans bien d’autres scènes -, qu’il y a un enjeu majeur de l’époque, celui de la contraception. Que c’en est même l’enjeu quasi principal des rapports entre le masculin et le féminin.

    Génie de Godard au montage notamment au montage sonore, en 1965, ce dernier pose, déjà, les bases de ce que sera son travail au début des années 80, notamment avec Prénom Carmen .

    Liberté de ton d’un cinéma qui entrevoit déjà la domination de la pornographie et la marchandisation des rapports masculin/féminin.

    Beauté de certains mouvements de caméra qui épousent le déplacement des personnages comme si ceux-ci dansaient.

    Perméabilité remarquable des trajectoires des personnages repris dans le mouvement plus ample de toute une société, de consommation notamment, avec les quelques plans de centres commerciaux, de grands magasins qui viennent interrompre les dialogues.

    Cinéma performance, usure par le dialogue, usure par la longueur des plans-séquences, des plans fixes (encore une fois la scène d’interview sociologique de Miss 19 ans est un morceau de bravoure, d’après vous quelles sont les guerres en cours dans le monde ? ).

    Cinéma documentaire presque, en tout cas document remarquable, et paradoxal, à propos des années 60, de la vie sociale encore existante, notamment dans les cafés, et des premières captations du public, dans des sphères plus personnelles, par des artefacts de distraction solitaire, jeux électriques, premiers appareils destinés à faire de toutes et tous de faux créateurs de nos destinées - notamment l’appareil à graver sur disque 45 tours une minute et demie que l’on enregistre dans une cabine telle un photomaton, et pour n’en ire qu’une chose, le ressassement de slogans publicitaires, on nous donne de quoi être un artiste, on annone une réclame -, Chantal Goya qui rejoint, inaugure, la galerie des chanteurs de variété auxquels Jean-Luc Godard a donné une impulsion décisive, aux côté donc des Rolling Stones dans One + One et des Rita Mitsouko avec Soigne ta droite , la confusion des prix entre anciens francs et nouveaux francs - aurons-nous un jour des anciens euros ? -, des transports en commun désuets et le célèbre

    que l’on retrouve à la dernière page de Je me souviens de Georges Perec. Et tout cela parfaitement retouché, image par image sans doute, dans ce remarquable travail de restauration d’un absolu chef d’œuvre, et dont on peut dire, sans se tromper que le film, oui, n’a pas pris une ride.

    #qui_ca

  • J – 23 : Valérie Mréjen réussit un admirable tour de force avec son dernier livre, Troisième personne , succession de notes concises à propos de l’arrivée d’un enfant dans un foyer, deux jeunes parents découvrant ensemble la parentalité. Non seulement les notes sont concises, mais elles sont écrites dans une langue d’une simplicité redoutable, pas le moindre détour syntaxique pour dire telle ou telle part de mystère, pas le moindre mot qui ne ferait pas partie de l’acceptation la plus courante de la langue et, in fine , le mystère décrit avec minutie. Par quel prodige ?

    Par quel prodige la justesse dans la description de phénomènes comme la dilation du temps. Par quel prodige la description juste de l’engourdissement, de la fatigue, de l’exaspération ressentis à la seule lecture de quelques phrases sans mystère, sans détour ?

    Par quel prodige, la beauté de quelque jouet que l’on retrouve incongrument dans la mallette de l’ordinateur de genou et le mélange d’attendrissement et d’envahissement mêlés ?

    Par quel prodige, le sentiment, pour les jeunes parents, de ne plus s’appartenir et de repenser avec humilité, et reconnaissance, à ses parents d’avoir été de tels êtres perclus de fatigue, pour soi, petit, enfant ?

    Par quel prodige tant de description à propos de la manière tyrannique des enfants d’être au monde et de l’impuissance des parents à les sortir de telles ornières ?

    Par quel prodige la justesse de l’interrogation à propos du détachement au moment de l’adolescence, comment on s’est détaché soi-même des parents et comment, devenus parents, ce détachement parait impossible, inconcevable, en dépit de la connaissance qu’il adviendra ?

    L’écriture (prodigieuse) de Valérie Mréjen est blanche seulement en apparence, elle a surtout la vertu de dessiner d’un trait juste, d’épure, immédiat, une silhouette très ressemblante et elle laisse le dessin des formes intérieures au lecteur. Et nombreux devraient être les auteurs s’astreignant à une telle justesse. Très peu qui y parviendraient.

    #qui_ca

  • J – 25 : Daniel,

    Admettons, pour commencer, que quand je dis Désordre , avec un D majuscule et en italique, je parle de mon travail, que quand j’écris « désordre » sans italique et sans majuscule, je parle d’une situation désordonnée et que quand j’écris « desordre » (sans accent et tout en minuscules), généralement à l’intérieur d’une graphie de ce genre http://www.desordre.net , je donne le chemin de quelques vérifications possibles en ligne. Le Désordre est curieusement affaire d’appeler les choses par leur nom, d’appeler un chat un chat.html.

    Daniel, tu me demandes un texte de quelques pages à propos du Désordre . Cela arrive de temps en temps que l’on me demande un telle chose, la dernière fois c’était pour le Festival de littérature de Solothurn en Suisse, d’où j’avais rapporté un très mauvais livre à propos de Proust, quelques secondes de films d’animation réalisées avec de la pâte à modeler dans le cadre luxueux de ma chambre d’hôtel dans laquelle je me suis ennuyé ferme pendant deux jours, et dans laquelle j’ai hérité d’une colonie de punaises de lit qui auront empoisonné mon existence pendant presque six mois. La Suisse. La semaine dernière j’ai reçu deux textes d’un jeune universitaire qui a décidé, il y a deux ans, d’étudier le Désordre , je pourrais être sans vergogne et tout pomper sur de telles études sérieuses, mais voilà elles sont exprimées dans une langue que ni toi ni moi ne parlons. Et puis ce serait ignorer que la générosité est le sentiment qui a le plus cours entre nous deux. Le Désordre est un flux, il se modifie sans cesse, il s’augmente sans cesse.

    Je pourrais, j’en suis sûr, écrire une fiction à propos de ce site, une sorte de nouvelle à tiroirs et il y en a quelques-uns, des tiroirs, dans ce site et dans son histoire périphérique, celle de mon existence finalement, quelques rebondissements ont connu leurs premières secousses à l’intérieur même du site, en les agençant un peu différemment de la façon dont ils se sont produits, je parviendrais bien à quelque chose, mais j’ai compris que ce n’était pas ce que tu attendais. Pourtant le Désordre est une fiction. La mienne.

    Je pourrais, je finirais par en trouver le moyen, créer une manière de site dans le site qui permettrait de canaliser, fixer, un parcours dans le site et qui serait, de ce fait, une sorte de fiction aussi, mais alors j’aurais le sentiment de trahir quelques-unes de mes intentions premières dès le début de la construction du site, à savoir rendre le parcours aussi chaotique, désordonné et aléatoire que possible, au point que, désormais, plus personne ne peut vraiment faire le même parcours dans ce fichu site et lorsque des personnes échangent à son propos, je ris sous cape qu’ils ne savent pas qu’ils ne peuvent pas parler de la même chose, qu’ils n’ont pas vu la même chose et pourtant ils semblent s’entendre. Ce sont les visiteurs du Désordre qui font le Désordre .

    Je pourrais à l’inverse, j’en ai les moyens, en programmation, rien de plus facile, ajouter du désordre au Désordre , donner à l’aléatoire une plus grande part encore, mais alors cela pourrait très bien être en vain, le nombre de possibilités existantes est déjà très grand, on parle de nombre gogol et de nombre gogolplex qui sont des nombres qui tutoient l’infini (un gogol est égale à 10 puissance 100, et un gogolplex est égale à 10 puissance gogol), en fait pour tout te dire, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, le nombre de combinaisons possibles dans l’agencement des presque 300.000 fichiers du Désordre est pour ainsi dire aussi grand que le nombre d’atomes que l’on pourrait serrer dans l’univers connu. Personne ne s’apercevrait de cette aggravation du Désordre . C’est si grave que cela. Le Désordre est au-delà du vaste, il n’est pas infini, bien sûr, mais il est asymptotique à l’infini. Chuck Norris a compté jusqu’à l’infini. Deux fois.

    Je pourrais aussi, avec force copies d’écran te décrire le Désordre vu de l’intérieur et te montrer comment pour atteindre une telle dimension de Désordre , en donner le sentiment, il convient, pour moi, pour m’y retrouver, d’ordonner les choses avec un soin maniaque quand ce n’est pas totalitaire, il y a là un paradoxe très étonnant, bien que facile à comprendre, je pense que tu en as eu un aperçu quand nous avons travaillé ensemble dans le garage pour ton recueil du poèmes visuels dans le Désordre , sans doute l’une des plus belles réalisations du Désordre et quel plaisir c’était, pour moi, de t’offrir de telles possibilités, dans une confiance désormais acquise et mutuelle, même si de haute lutte par le passé. J’ai fait du chemin depuis Barjavel, non ? http://www.desordre.net est parfaitement rangé et ordonné, pour mieux donner une impression de désordre, laquelle est grandement obtenue par des effets de programmation. Le désordre est un programme en soi. Et il est paradoxal.

    Je pourrais, je vais le faire, c’est désormais un peu de cette manière que je procède en toutes chose, inclure ce texte, que tu me demandes, à l’intérieur même d’un projet en cours, qui est lui-même un projet qui surplombe le Désordre , Qui ça ? sorte de chronique de la catastrophe en cours et pour laquelle je refuse désormais d’avoir le moindre regard, elle est inévitable, avant qu’elle ne se produise, agissons et prenons l’habitude désormais d’agir selon notre guise, tout comme je le dédicace à cet ami poète, Laurent Grisel, nos agissements sont tellement plus précieux que les actes misérables qui nous gouvernent, et alors ce serait un tel plaisir de tisser depuis ce texte que je suis en train d’écrire le faisceau abondant des liens hypertextes qu’il suscite, et tu serais bien embêté plus tard pour tâcher de trouver le moyen d’accueillir tout cela dans la cadre restreint d’une revue papier, NUIRe. Plus j’y pense et plus je me dis que c’est ce que je devrais faire, rien que pour te mettre un peu dans l’embarras, pour t’embêter gentiment. Le Désordre n’est pas plat, il compte des épaisseurs, une profondeur qui doivent concourir au sentiment de désordre. Le Désordre est une mise en abyme. http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/index_186.htm

    Je pourrais, je dois le faire, rappeler utilement que je ne suis pas le seul contributeur du Désordre , par exemple il est important de savoir que j’ai commencé à travailler au Désordre en 1999, mais qu’à partir de 2003 j’ai reçu de temps en temps, à ma demande, l’aide précieuse de mon ami Julien Kirch - @archiloque - qui a su fabriquer pour moi des outils remarquables pour mieux semer le désordre. Que tout au long de la construction j’ai reçu les avis éclairés et avisés d’autres personnes, notamment L.L. de Mars, que j’ai fait partie de collectifs qui ont nourri mon travail, le Terrier , remue.net, Le Portillon , seenthis.net et que le Désordre m’a permis aussi de travailler (et de les rencontrer) avec des musiciens d’exception, Dominique Pifarély et Michele Rabbia, que le Désordre a connu un développement inattendu dans le numéro 109 de Manière de voir et quel plaisir cela a été de rencontrer et de travailler avec @fil, @mona et Alice, que d’une façon plus ou moins directe il m’a permis de trouver un éditeur, grâce soit rendue à Sarah Cillaire, Hélène Gaudy et Mathieu Larnaudie, les parrain et marraines d’ Une Fuite en Egypte et enfin, et surtout, que le Désordre accueille aussi en son sein les travaux remarquables d’amis, parmi lesquels, Jacky Chriqui, Hanno Baumfelder, L.L. de Mars, Martin Bruneau, Isa Bordat, Karen Sarvage, Ray Martin, Barbara Crane et Robert Heinecken, Thomas Deschamps (qui a composé l’une des plus belles pages du Désordre), Eric Loillieux, Vincent Matyn, Pierre Masseau, Jean-Luc Guionnet, Stéphane Rives, Lotus Edde Khouri et, donc, toi, Daniel, Daniel Van de Velde, devande. Le Désordre c’est aussi une histoire de mes amitiés et de ce qu’elles m’ont apporté d’immenses richesses et de communes préoccupations, regarde, en tête de ce texte, qui passait par l’infini, je n’ai pas hésité longtemps pour ce qui est du choix d’une image, pouvait-il y avoir de plus remarquable illustration, le mot est mal choisi, qu’une photographie de l’une de tes merveilleuses sculptures au travers desquelles on jurerait voir l’infini.

    Je pourrais rappeler que l’une des dimensions supérieures du Désordre c’est une manière de sauvegarde des joies et des beautés du quotidien. Tu as dit à propos de ce texte, que tu me demandes, que tu pourrais m’aider à y contribuer, je pense que sur le sujet de ce quotidien, de son ressassement heureux, enchanté par moments, et d’un certain arbre du bois de Vincennes, tu sauras dire quelques très belles choses, je laisse donc quelques lignes blanches pour toi.



















    Je pourrais faire la liste des erreurs et des ratages du Désordre , il y en a eu quelques-unes, et même quelques errements, et des obstinations de ma part qui ont parfois fait courir de grands périls à l’ensemble, des fois je suis allé trop loin, d’ailleurs rien ne m’assure que cela ne soit pas déjà le cas. En fait chaque fois que je travaille au Désordre je cours le risque de tout faire échouer ou encore d’ajouter des éléments faibles qui ne rendent pas justice aux autres réalisations, plus réussies, du Désordre et cela fait presque dix-huit ans maintenant que le Désordre menace presque tous les jours de s’effondrer. Le Désordre est fragile. Et il aura une fin. Elle ne sera pas nécessairement heureuse, ni réussie.

    Je pourrais écrire n’importe quoi, dire du Désordre des choses qui ne seraient pas vraies, qui ne seraient pas entièrement fausses non plus, en quelque sorte des choses qui ne me concerneraient pas. Et cela permettrait, nul doute, de faire diversion, d’attirer le regard vers des directions opposées à celles qui sont en fait au cœur du site, notamment le combat, le combat pour la vie, pour la survie, le combat pour Nathan, le combat pour les enfants, le combat pour faire accepter certaines manières de faire les choses, de voir le monde, d’y participer, le combat politique en somme, le combat ce n’est pas la partie la plus visible du Désordre et pourtant elle est là, jamais très loin, et jamais en grattant beaucoup, on y voit mon corps et mon cœur fatigués tous les deux par le combat, mais mon corps et mon cœur heureux, cela oui aussi. Le Désordre est un combat perdu d’avance, mais qu’on ne peut pas refuser. C’est mon côté Don Quichotte du Val-de-Marne.

    En tout cas c’est un combat qui me laisse désormais sans force. Un jour que des lycéens, dans le cadre de je ne sais plus quelle expérience de leur cursus - guidés en cela par leur excellent professeur de philosophie, mon ami Alain Poirson, qui a été, aussi, pour moi, un professeur de philosophie, et quel ! -, m’avaient soumis au questionnaire de Proust, à la question comment est-ce que j’aimerais mourir, j’avais répondu sans hésiter : épuisé. Ça finira par arriver un jour, c’est sûr.

    Im freundschaft, mein lieber Daniel, im Freundschaft.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/images/sophie/sons/the_world_aint_square_001.mp3

    J– 27 : Levé du bon pied. Je bricole une page secrète pour A.. J’emmène Adèle au stade où je la dépose. On se marre bien en route. Elle se fout gentiment de ma poire, elle est drôle, c’est un excellente remède. Un remède contre quoi ? Une diversion, dirons-nous. Je repasse prendre Nathan à la maison. Je l’emmène chez son psychologue, nous discutons un moment dans le jardin, qui fait office de salle d’attente, à propos de ce qui semble tout de même être du vague à l’âme chez Nathan, en ce moment, il ne parle pas beaucoup, le psychologue m’indique que Nathan ne parle pas beaucoup en séance non plus, nous évoquons la piste de déceptions récentes pour Nathan. La séance démarre, je bouquine dans le jardin, il fait frais, je ne pense décidément pas grand-chose d’Hors du charnier natal de Claro. Que j’achève malgré tout. Lorsque le psychologue ressort de sa cabane, d’un acquiescement il me signifie que nous avions vu juste, Nathan a l’air de bonne humeur, presque apaisé. Dans la voiture nous évoquons le programme de cet après-midi, j’ai notamment promis à Nathan que nous ferions des financiers dont il a rapporté une recette de son établissement. Je pars chercher Adèle au collège. J’y croise mon amie Caroline qui me présente deux parents d’une enfant pour laquelle il est question d’une orientation en Unité Locale d’Inclusion Scolaire, nous discutons sans réserve, je suis toujours frappé par les réflexes de solidarité entre parents d’enfants handicapés, c’est comme si toutes les différences d’opinion sur d’autres sujets tombaient d’un coup, je crois même que je pourrais avoir une relation d’amitié avec un couple d’électeurs de droite si par ailleurs ils étaient les parents d’un enfant handicapé. De retour à la maison, je cuisine des darnes de saumon au citron et au piment, concert de soupirs d’aise de la part des enfants. Je monte faire une sieste, lorsque je me réveille d’un somme d’un petit quart d’heure particulièrement réparateur, je reçois quelques messages tendres. Je me fais un café, je répare le vélo d’Adèle, je fais un peu de jardinage avec Nathan dont l’attention au détail dans ce domaine me surprend toujours autant. Puis nous lançons les financiers, Nathan est un peu tendu mais je parviens à bien le canaliser. Je passe un long coup de téléphone à Isa, je lui parle d’A. pour la première fois. Profonde conversation, comme souvent avec Isa. Nous recevons la visite surprise de Marie et Laurent dont c’est l’anniversaire. Laurent me dit son émotion de recevoir tous les premiers avril un coup de téléphone de Madeleine, de son ancienne élève de CM1. Nous prenons le thé, je raconte à Marie et Laurent que le dimanche dernier j’ai fait la rencontre d’Emmanuel Adely au salon du livre et qu’il vit tout près de Monsuéjouls, où séjournent souvent Laurent et Marie. Je fais quelques parties d’échecs rapides avec Nathan, qui redevient ce chouette garçon dans l’échange, ses soucis du moment un peu derrière lui, apparemment. J’ai une longue conversation avec Clémence au téléphone, elle me fait même pleurer en évoquant un de nos meilleurs souvenirs sans doute, je la traite de morue, cela la fait bien rire. Je prépare un petit dîner avec Nathan et Adèle puis ressors prendre un verre en terrasse avec A. Le soir j’écoute l’infernal quartet de 4walls avec Phil Minton qui chante l’hymne des anarchistes, c’est à pleurer tellement c’est beau. What a day !

    #qui_ca

  • J – 29 : Dans le cadre de mon travail de (petit) ingénieur informaticien (de rien du tout), il arrive que je sois consulté pour étudier une liasse de Curriculum Vitae . Et habituellement ce que l’on attend de moi c’est de déterminer quelles sont véritablement les aptitudes techniques des postulants. Mon employeur serait sans doute surpris s’il connaissait mes méthodes d’évaluation. En effet je pars d’un principe que tous les Curriculum Vitae se valent, en revanche ce qui diffère assez salement d’un candidat à un autre c’est le niveau de langue. Au début, je me suis gendarmé, je me suis dit que c’était injuste, que sans doute en procédant de la sorte je passerais à côté de personnes qui avaient probablement d’autres qualités. Ce matin dans les lettres de motivation qui accompagnent les candidatures je relève qu’un candidat nous assure de sa dévotion pour la Très Grande Entreprise. Et cela me fait réfléchir. Je présume qu’il a voulu dire qu’il nous assurait de son dévouement futur. Et je présume également que le jour de l’entretien, si je devais contribuer à retenir sa candidature, il sera habillé comme un prince d’un costume que je ne reverrai plus, même pas le premier jour. Je suis assez sceptique quant au dévouement alors imaginez la dévotion. Personne ne peut être dévoué pour une entreprise, et sûrement pas dévot. Mais l’insistance au dévouement, je me demande qui peut bien croire que ce soit un argument.

    Et pourtant je vois bien comment l’encadrement de la Très Grande Entreprise est insistant sur le sujet, il ne leur suffit donc pas d’obtenir de notre nécessité de vivre l’exécution de tâches dans lesquelles on peut difficilement rêver de se réaliser, il faut également que nous chantions leurs louanges si non dévotes, au moins dévouées.

    Pour ce qui est de ce postulant qui nous assure de sa future dévotion, je ne sais pas du tout quoi faire, d’un côté si j’applique mon barème habituel, j’écarte, sans trop y réfléchir, sa candidature au motif d’une maîtrise imparfaite, pour ainsi dire, de la langue et, l’argument qui est derrière cette façon de faire est double, pour moi il est beaucoup plus rapide d’évaluer le niveau de langue que les compétences techniques et par ailleurs si je contribue à ce que telle ou telle personnes soit embauchées, cela conduit par la suite à travailler avec elles et là je préfère m’assurer, à la source, qu’on se comprendra bien par la suite. Exit le dévot donc ?

    Je n’en suis pas si sûr. Ces derniers temps j’ai lu de nombreux articles à propos de la domination de la langue et je me suis rendu compte qu’il y avait là un véritable exercice du pouvoir, quelque chose qui me fait naturellement horreur et dont je me ferais l’exécuteur des basses œuvres si je continuais sur cette voie. J’ai donc décidé de rendre un avis favorable pour le dévot. Et que si je dois travailler avec lui par la suite, il faudra que je travaille à le guérir de cette dévotion hors de propos. C’est mon sacerdoce.

    #qui_ca

    • @aude_v Ma pensée sur le sujet, si l’on peut parler de pensée, est en constante évolution.

      Dans un premier temps j’ai été tenté de prendre une manière de revanche sur les matheux, mais je vois bien la limite de ce système.

      Ce n’est pas tant la lettre de motivation dont la rédaction pose des problèmes, elle donne, hélas aussi, des indications sur ce que sera la communication écrite de la personne, et c’est quand même souvent que dans le cadre de mon travail je peine à comprendre ce que les unes et les autres écrivent notamment par mail et je vois bien que les unes et les autres sont souvent des difficultés de compréhension avec ce que moi j’écris dans le cadre de mon travail. Récemment on m’a fait remarquer que l’expression « pis-aller » n’était pas claire. si « pis-aller » n’est pas claire, je te laisse deviner ce qui l’est.

      Et je crois que je suis rentré de plain-pied dans ce que l’on appelle la fin de carrière, parce que je finis par devenir indifférent.

      In fine, puisque je dois en mettre sur le dessus de la pile, je continue d’utiliser mon système, je me fie au niveau de langage. De toute façon personne m’écoute. Dans le cas présent j’ai donné sa chance au dévot par esprit de contradiction. J’ai cependant cru comprendre que cela ne lui a pas porté chance.

    • La lettre de motivation est parfois personnelle. Elle est aussi parfois rédigée par un tiers. Et parfois elle est juste copiée-collée. J’ai du mal à comprendre comment il est possible de l’utiliser pour juger d’une personne dans le contexte d’emploi actuel, où il y a 10000 fois plus de demandes que d’offres et où chaque personne en recherche doit réaliser des dizaines d’envois avant d’obtenir une réponse. Ceci dit, en phase de « liste courte » :-) cela peut commencer à devenir intéressant, si la rédaction de la lettre a lieu lors de l’entretien, comme un exercice qui serait demandé, au même titre que des exercices de validation technique.

      Les personnes capables d’écrire correctement, même chez les pédant•e•s et les bourgeoi•se•s, sont relativement rares. L’étape suivante étant aussi de détecter ceux qui savent lire au delà du premier paragraphe, quand tu leur envoies un mail contenant plus d’une question.

    • @aude_v Il va être difficile de s’adapter à ceci : http://www.desordre.net/bloc/contre/novembre/pages/113.htm (et la dernière fois que j’ai signalé cette tentative sur seenthis , j’ai un vague souvenir que @thibnton et @monolecte avaient renchéri avec des signalements drôlement biens, mais je ne me souviens plus du tout de quand c’était, ni où du coup).

      Et, en fait, cela ne me dérange finalement pas plus que cela de ne pas être toujours très bien compris ou de ne pas bien comprendre à mon travail, il faudrait pour cela que j’en ai quelque chose à faire.

  • J – 30

    Dans le métropolitain, le lis Hors du chantier natal de Claro, mélange foutraque de deux biographies, celle d’un ethnologue russe du siècle précédent le siècle précédent et celle de l’auteur, à laquelle donc, s’ajoute la conversation de ma voisine dans la rame qui explique dans le détail à son compagnon comment elle souhaite que soit construite la bibliothèque du salon et j’en suis presque à lui proposer bientôt de prendre la construction en charge, parce qu’il me semble avoir compris ce qu’elle voulait, à la différence de son compagnon, et que cela fait partie des choses que je sais faire, si seulement elle accepte de raccrocher et, partant, d’enlever cette épaisseur surnuméraire qu’elle impose à ma lecture quand j’en viens à comprendre que, pas du tout, je me comprends, mais cette conversation de téléphone de poche d’une inconnue et qui me fait envisager comment je concevrais certaines coupes à mi-bois et comment je jouerais de la fausse équerre dans l’angle du mur du fond, pour lequel son compagnon et elle ne sont visiblement pas d’accord, cette conversation donc, me permet d’ancrer avec force ce récit, peut-être trop intelligent à mon goût, à un réel, à un vernaculaire, qui me rendent cette lecture plus concrète, plus intelligible. Et j’en viendrais presque à suivre cette femme dans les couloirs du métropolitain jusqu’aux dernières pages du livre. Les rayonnages de la bibliothèque construits, je ne manquerais pas de lui offrir le livre de Claro, avec une dédicace, à celle qui m’a fait lire Claro . Et ce n’est pas rien.

    Je retrouve ma voiture garée dans le bois de Vincennes. Je démarre, je profite d’un ralentissement de la circulation pour faire un demi-tour pour le moins hasardeux, je coupe une ligne continue, l’avenue est à quatre voies, vous voyez le genre. Surgit une voiture de police et je pense raisonnablement que mon heure est venue, je n’ai pas avec moi les papiers de la voiture, à vrai dire c’est rare que je les ai avec moi, j’ai perdu mon permis de conduire il y a au moins un an, je me fais chaque fois la promesse d’aller à la sous-préfecture pour m’occuper de son remplacement et je sais, Martin la dernière fois que je suis allé à Autun m’en a fait suffisamment le reproche, que mes pneus sont lisses, mon compte est bon. C’est sans compter sur le dieu des ivrognes. La voiture de police se porte à ma hauteur en roulant par ailleurs toutes sirènes hurlantes à contre sens de la voie opposée, mais ce n’est pas après moi que les policiers en ont mais à un autre citoyen qui roule, lui, dans une voiture qui a une autre apparence que la mienne, plus propre, et des pneus dont je vois bien qu’ils sont profondément gravés, eux, sans compter que lui a parfaitement indiqué par son clignotant qu’il souhaiterait tourner à gauche au prochain feu, je ne peux pas dire que je me sois embarrassé d’une tel protocole lors de mon demi-tour, un peu cavalier, et même, un peu dangereux, je le reconnais sans mal, on n’est pas toujours brillant, surtout conducteur, en revanche cet autre conducteur, plus prudent et plus civil, a, contre lui, d’être fort brun et sombre de peau.

    Du temps de mon apprentissage de la photographie, mon père a un jour eu un besoin urgent d’une photographie d’identité. Et je lui ai réglé cette affaire pendant le week-end. Le samedi matin je l’avais fait poser devant un mur blanc, j’avais réglé le flash en indirect avec rebond sur le plafond blanc, l’enfance de l’art en somme. Mon père avait besoin de cette photographie d’identité dans le cadre de son travail, aussi il avait mis une chemise, une cravate et une veste de costume, pour le reste c’était samedi matin, il sortait de sa douche, il était donc en slip. Et il aura été en slip pratiquement jusqu’à la fin de sa carrière sur tous les documents professionnels le concernant, comme par exemple son badge d’accès à certaines zones protégées dans les aéroports. Et je ne peux pas m’empêcher d’y repenser tandis que Renaud Montfourny tire mon portrait de jeune primo-romancier, atteint, en pleine prise de vue, par une crise aigüe de démangeaison du scrotum.

    #qui_ca

  • J – 35 : Présenté souvent comme un pensum, notamment pour les auteurs, singulièrement ceux en dédicace, le Salon du livre est certes une expérience fatigante mais il est aussi l’occasion de rencontrer ses petits copains d’écurie et c’est un plaisir insigne de faire la connaissance d’André Markowicz et de pouvoir lui dire sa gratitude pour ce qui est de pouvoir lire Dostoïevski, ou encore de le complimenter pour ses très beaux Partages . André aura été un excellent professeur pour ce qui est d’engager la conversation avec les lecteurs, lui sait faire cela comme personne apparemment. J’aurais tenté, sans grand succès, de reproduire de telles recettes dimanche mais cela n’aura pas produit les résultats attendus si ce n’est celui de faire rire mes camarades d’ Inculte . Parmi lesquels, Emmanuel Adely auquel j’aurais pu dire tout le bien de ce que je pensais de son dernier livre, Je paie et nous aurons pu également échanger à propos de la confluence entre le Tarn (très froid) et la Jonte (glaciale) en pays presque.

    Sinon cela donne un peu le vertige tout de même d’être assis à une table, à peine garanti par le faible bouclier d’une petite pile de ses livres, et de voir passer, l’après-midi durant, des personnes, des centaines de personnes, des milliers de personnes, dont très peu, vraiment très peu, une poignée, à peine plus d’une poignée, hésitent un peu et puis soulèvent un des livres de la pile, puis le repose comme un objet brûlant une fois qu’ils ont identifié que la personne photographiée en macaron en quatrième de couverture et le gros type assis derrière la pile de livres, et bien ce sont la même personne. De temps en temps au contraire ce sont des personnes déterminées comme mues par une timidité dont les digues ont lâché d’un coup et qui vous racontent en phrases empressées à quel point votre livre et leurs existences se superposent, que c’en est troublant, alors vous proposez gentiment, sans ironie excessive, vous aussi vous avez tué votre compagne et vos enfants ?

    Entre deux livres signés, vous envoyez quelques messages écrits et brefs par téléphone de poche, les réponses de votre correspondante de cœur vous amusent fort, bien au-delà sans doute de la bonne humeur qui est attendue de vous contractuellement.

    Puis vous retournez au charbon, il fait une chaleur moite, un bruit de fond qui par moments monte, monte et monte encore, tout pourrait normalement vous comprimer le crâne, c’est sans compter le récit déjanté qu’Emmanuel Adely fait d’un récent atelier d’écriture qu’il a animé sur les hauts versants alpins et qui tient en lui les ferments d’un roman parfaitement contemporain.

    En sortant du salon, vous échangez vos numéros de téléphones de poche, c’est au-delà du cordial, fraternel presque, il vous promet de lire la chronique que vous avez écrite à propos de Je paie et que vous lui avez remise imprimée. Douze stations plus loin vous recevez un message amical, il est touché par votre chronique, on se promet de se voir dans les Cévennes. Entretemps, vous avez repris une toute autre conversation textuelle avec votre correspondante de cœur, un peu plus, leurs noms de famille celui d’Emmanuel et de votre correspondant de cœur se ressemblant, Emmanuel a manqué de recevoir un message qui l’aurait sans doute laissé perplexe.

    La vie sur le nuage numéro neuf.

    #qui_ca

    • #salon_du_livre donc. Mon souvenir du salon, c’est que j’y trainais mes guêtres il y a... 30 ans, allez, pendant trois ou quatre ans, pour décrocher des tafs misérables avec des éditeurs requins dont le principal objectif était d’essorer vivant tout ce qui de près ou de loin ressemblait à un graphiste ou un cartographe indépendant (dans ce contexte, c’est assez marrant de se définir comme « indépendant » alors qu’on est en fait « esclave » de ce système d’externalisation). J’acceptais parce que je n’avais pas le choix. Mais bon, grâce à tous les Dieux de Norvège et de Gaule, après, je n’ai plus eu besoin de m’allonger.

      Cette expérience a laissé une forte empreinte en moi et même aujourd’hui, s’il m’arrive de parcourir les travées d’un salon de livres, n’importe où, je ne peux m’empêcher d’avoir des nausées ou de me boucher le nez en passant devant les stands de certains éditeurs : par Exemple Max Milo éditeurs, ou Autrement de l’époque Henri Dougier mais ça doit pas avoir beaucoup changé depuis, certainement les plus grosses crapules éditoriales françaises. J’ai toujours en encadré le chéque de 1,46 euros pour les droits d’auteur de mon atlas de l’eau vendu à 15 000 exemplaire :)

    • J’ai corrigé depuis 4 minutes, le vrai chiffre est 15 000, d’où la crapulerie (sinon oui, c’était logique). Bonjour le lapsus :)

      Et oui, nous sommes en train de tout mettre en ligne, mais comme on est pas beaucoup, ça prend du temps ...

    • Je ne vais plus dans les salons du livre, je trouve ça déprimant. Voir tou·tes ces aut·eurs·rices faire de la figuration pour que leurs bouquins soient vendus, un peu comme si c’était des patates m’afflige. En fait, non parce que les marchés où on vend des patates sont bien plus joyeux et vivants, et d’ailleurs je m’y rend avec plaisir.