• En finir avec l’homogénéité d’une pensée « maternaliste »

    Dans la polémique sur le burkini qui a agité la France cet été, ce n’est finalement pas tant la radicalisation du discours qui frappe que la posture qui l’accompagne. Force est de constater le changement à l’œuvre dans le positionnement des tenants de la laïcité de combat et, plus particulièrement, des féministes dites laïques ou blanches comme Elisabeth Badinter, laquelle considère le port du burkini sur les plages niçoises comme une « provocation dégoûtante », ou Caroline Fourest, qui explique dans le Huffington Post que « toute personne inquiète du radicalisme » « se sentirait mal à l’aise à l’idée de se baigner à côté d’une femme ou d’un groupe de femmes en burkini ».

    Il ne s’agit plus de sauver des femmes opprimées par un mâle basané qui, peu ou prou, imposerait une tenue vestimentaire humiliante et rétrograde à un sexe qui, en plus d’être faible, se trouverait là affaibli : la « rhétorique du salut » et le sentiment de compassion, plus ou moins réel, qui l’accompagnait, ont vécu. Non, il est bien plutôt question d’une volonté formulée de mise à l’écart pure et simple de cet « alter et go » qu’on aimerait ne plus voir, qu’elle rejoigne une fois pour toutes la terre « indigène » censée être la sienne.

    A considérer ce type de réaction pour le moins extrême, l’on ne peut que s’interroger sur ce sentiment d’incompréhension qui parfois se mue en rejet à ce point hystérique qu’il tue toute velléité d’apporter la contradictoire chez l’interlocuteur pourtant patient. Et de fait, terrible et tout aussi révélatrice est cette question qui ne manque pas de vous être posée à un moment ou à un autre alors que vous espériez, car vous espérez toujours, sortir de l’argumentation ad hominem : « oui mais alors tu es pour le burkini ? » ; avec la variante : « tu travailles sur le féminisme, et tu trouves que c’est une attitude féministe de défendre un accoutrement qui dénie toute féminité ? »

    Deux points méritent d’être relevés ici. D’abord, la difficulté qu’il y a à comprendre que l’on puisse être personnellement sceptique au sens strict du terme et vouloir suspendre son jugement : ne pas prendre parti, affirmer que là n’est pas le propos, est d’emblée suspect. Sentiment de suspicion d’autant plus étrange que l’on est toujours invité, par ailleurs, à « vivre et laisser vivre » et à « s’occuper de ses affaires ». Il semble tout aussi clair, second point, que le féminisme continue, quoi qu’on fasse, à se donner à voir comme une pensée « blanche », prônant l’uniformité des attitudes et des femmes, sorte de fractal idéologique qui appelle à l’itération infinie, ne défendant la différence qu’à l’intérieur du cercle restreint de l’homogénéité. D’ailleurs, à la question boomerang que l’on est tenté de lancer en réponse à l’alternative « pour ou contre » - « dans le fond, en quoi le burkini à la plage te dérange-t-il, toi ? » -, c’est, le plus souvent, l’étranger et l’étrangeté qui sont mis en avant, variations sur le thème de la différence qui dérange : « on n’a jamais vu ça », « ce n’est pas nous », « ça ne nous ressemble pas ».

    Mais être féministe, n’est-ce pas se poster à la frontière des loyautés, des appartenances, des vécus ? Essayer de trouver le moyen de vivre avec ce qui ne nous « ressemble pas » en comprenant bien que « ça ne nous ressemblera jamais », que ça n’a pas à nous ressembler et que nous n’avons pas à faire que ça nous ressemble ? Que d’énergie perdue à vouloir assimiler ! N’est-il pas temps d’envisager une déconstruction d’un certain nombre de lignes de force qui organisent notre imaginaire et qui, en dernière instance, participent, de proche en proche, à ces attitudes de rejet et d’hystérie ?

    Qu’on ne s’y méprenne pas. Il n’est pas question d’inviter à un optimisme niais sur les vertus d’une différence toujours enrichissante pour peu qu’on sache la comprendre, ni même d’appeler à une « dynamique de la sororité », dont le caractère par définition sectaire et clanique n’est qu’une variation sur le thème de l’uniformité. Il s’agit bien plutôt d’une triple tâche. La volonté, d’abord, d’en finir avec un certain « maternalisme » qui refait surface à l’occasion, par lequel il faut entendre la propension, classiquement manifestée par une certaine élite féminine mainstream, à prendre en charge les « pauvres femmes » ignorantes de leur condition et de leurs droits et à s’ériger en porte-parole de la cause (à noter le constat fait par le New York Times dans son édition du 2 septembre, selon lequel « les voix des femmes musulmanes ont quasiment été noyées » dans le débat sur le burkini). La nécessité, ensuite, de penser en amont un empowerment, qui donne la parole aux concernées et n’envisage pas l’engagement citoyen ou associatif sur le mode du fair-play à la Coubertin : non, l’essentiel n’est pas de participer, mais d’être entendue. L’exigence, enfin, de penser le féminisme comme une approche transculturelle, qui croise sans chercher à recouper, dans une perspective non consensuelle : nous n’avons pas de raison de nous retrouver, si j’ose dire, les unes dans les autres. Nous avons simplement besoin qu’on nous laisse, toutes autant que nous sommes, nous trouver.

    Soumaya Mestiri

    #feminisme
    #ethnocentrisme