• J-218 : C’est finalement sur un coin de table, dans mon petit jardin que l’on ne peut pas appeler un jardin, une cour tout au plus ― en dépit de mes efforts d’y faire pousser quelques plantes, des sébums, des bambous, un lilas, des anémones du Japon, de la sauge, deux lauriers, quelques petits plantes grasses dont je ne sais plus le nom, un vieux rosier vieillissant, triste presque, et un jeune rosier que je ne parviens pas du tout à faire grimper, famélique et donc triste lui aussi, de la glycine que je domestique sévèrement au sécateur, une grande corbeille d’argent, de la lavande cévenole, donc dure à cuire, et même, même, depuis cette année, des plans de tomates dont j’espère qu’elles resteront vertes pour en faire de la confiture, certaines, malgré tout, on l’affront de mûrir, les traitres, de la ciboulette, de la menthe, du thym et du romarin ― que je me fais expliquer par un Guillaume Massart, désolé de décrire ce qui ressemble fort à un parcours du combattant, les arcanes et les conduites étroites par lesquelles un film devient un film, pensant me décourager, au contraire, il aiguise ma volonté pour ce qui est de donner une vie à la Petite fille qui sautait sur les genoux de Céline .

    J’explique à Guillaume ce sentiment ambigu qui est le mien désormais, ce-lui d’avoir été désigné pour cette déposition, comme par un immense doigt sortant d’une nuée et qui ordonnerait que ce soit moi qui prenne en charge ce projet, je tente de me débattre, d’expliquer que je ne sais pas comment il faut faire, que cela ne devrait pas être moi, mais la voix tombe de la nuée sentencieuse, c’est bien à moi de le faire, à nul autre, et le chœur est à l’unisson, toute personne à qui je parle de ce projet et dont je sais les liens, plus ou moins lâches, avec le cinéma, me répond que oui, c’est à moi de le faire, et inutile, à ses autres voix, de leur objecter mes doutes ou que sais-je, tu dois le faire, tu dois faire ce film me répond-t-on.

    Pour le moment je découvre surtout que tout est affaire de procédures à suivre et de documents écrits à produire, et du coup je me prends à me demander si malgré tout je ne vais pas savoir le faire. Je dois avoir pris des produits. Etre dopé. Ne plus me sentir. Je m’en sens capable. Prêt à en découdre avec la machine à coudre. Je ne suis plus moi-même.

    Le jardin était baigné d’obscurité, et c’est donc dans ces ténèbres relatives que nous avons, finalement, fait du cinéma.

    Exercice #3 de Henry Carroll : raconter une blague en une seule photo.

    Voilà assez typiquement le genre d’exercice sur lequel je risque de sécher. Je dois avoir été conditionné, de très bonne heure, avec ma lecture de la Chambre claire de Roland Barthes pour partager avec lui le soupçon qu’une photographie ne peut pas être humoristique. À aucun moment. Lorsque l’on travaille avec la photographie cela ressemble souvent à une manière de pacte, sur le long terme, avec la mort elle-même et, très franchement, qui aurait envie de partager une blague avec la mort, déjà une partie d’échecs, la chose est scrabreuse, alors, imaginez, une blague.

    Une blague en une seule photographie, je ne sais pas si je peux. En une seule image, si cette dernière est animée, c’est déjà nettement plus dans mes cordes, une blague sinistre en tout cas, de celles que l’on pourrait, à la rigueur, échanger avec la mort. Pour le coup c’est un peu le thème de la fin du spectacle Apnées . Va pour la blague de mon ensevelissement, pas sûr que ce soit très drôle, de toute manière, je ne suis pas un type drôle, je suis photographe, c’est dire.

    #qui_ca