• J – 211

    Chères toutes et tous

    J’ai envoyé le courriel en question, en me retenant jusqu’au bout d’en modifier un passage pour le durcir.

    Je me rends compte avec le recul que C. et les autres personnes ayant contribué à cette rédaction, qui est fort juste, pourraient me penser ingrat à la lecture de ce que j’ai écrit cet après-midi, ce serait entièrement dénaturer ma pensée sur le sujet, je suis, au contraire, très reconnaissant de C. et des personnes qui l’ont aidée dans cette tâche.

    En revanche j’aimerais répondre sur le fond.

    Quand je parle d’aimable séquestration et d’aimable contrainte, je ne voudrais pas que cela passe pour de la blague. De même quand je parle des méthodes dilatoires de Monsieur Auber, de sa comptabilité ou encore de désengagement de l’état, je suis on ne peut plus sérieux.

    Cela fait plus de dix ans maintenant qu’une pente douce est celle des différents gouvernements qui se suivent, avec les succès que l’on sait aux affaires, et qui consiste à déshabiller progressivement le service public pour mieux satisfaire les intérêts de grands groupes financiers, et je tâche de rester neutre en le formulant de la sorte. La façon qui est utilisée pour ce désengagement de l’état de ses missions est celle de la pente douce, chaque année on retire quelques lignes du budget, pas grand chose, c’est même parfois invisible du plus grand nombre. On comprend bien qu’une bonne dizaine d’années de ce genre de politique budgétaire finit par créer une marche à la fin, sur laquelle on ne peut plus regrimper, elle est devenue trop haute.

    Pour frapper les esprits, je vous donne un exemple de pente douce, si vous retirez trois heures par ci par là d’AVS par enfant qui en a besoin, l’année d’après, vous devriez pouvoir en retirer encore deux, et avec un peu d’adresse encore une heure. Et si vous êtes inspecteur d’académie, en vous y prenant bien vous saurez prendre à Jennifer ou Kevin pour combler le manque de Jean-Gontran ou Marie-Albertine. Ce sera invisible du plus grand nombre et sur trois ans, vous aurez très bien réussi à réduire d’un tiers les dotations d’AVS. Magique.

    Ca c’est pour la partie chiffrée du raisonnement. Ce qu’il faut savoir c’est que cette pente douce des chiffres est inconsciemment accompagnée d’une pente douce dans la manière dont on perçoit les choses. Aujourd’hui il nous manque la moitié des heures de cours d’allemand pour l’ensemble des collégiens qui étudient cette merveilleuse langue fut même un temps on expliquait aux jeunes gens que l’allemand ce serait une langue majeure de l’union européenne, ce qui n’est pas la meilleure des raisons pour l’étudier, mais en tout cas cela aurait été impensable que ce soit des heures d’allemand qu’il manque, avant cela aurait été, avant l’allemand, la musique et les Arts plats. Et cela depuis plus d’un mois, puisque les cours d’allemand n’ont commencé, de mémoire, que mi septembre. Alors on écrit une lettre à l’inspection académique. Il y a dix ans, cela n’aurait même pas été envisageable pour l’inspection académique de ne pas pourvoir les cours de LV2 dans un collège : on s’est habitué à ce désengagement, on estime même que notre démarche est dans l’ordre des trucs à faire à chaque rentrée, au même titre que le certificat médical pour le club de rugby et de racheter quelques vêtements pour la rentrée, de même les fournitures scolaires, et toutes ces sortes de choses qui font le délice des rentrées scolaires. Cela fait désormais partie de la routine, du climat et du décor.

    Cette habitude n’est pas saine.

    Voilà ce qu’il se passe à l’inspection académique. Il est effectivement prévu qu’il manque des heures. Dans toute l’académie. C’est ce que mathématiquement implique la restriction budgétaire. Alors on va en retirer, de fait, là où ce sera le moins visible. Les petits collèges. On va sans doute recevoir quelques courriers courroucés de parents d’élèves, on va même peut-être les recevoir à l’académie, leur expliquer que oui, messieurs dames, on vous entend, on va faire le maximum, mais vous savez nous avons de telles restrictions budgétaires. Avec cela on peut tenir jusqu’en novembre, le ton va monter un peu mais en décembre, approche des vacances de Noël oblige, les parents vont un peu baisser les bras, on va tenir, en janvier, on joue encore un peu la montre et quand enfin fin janvier les budgets arrivent dans les caisses des administrations, les situations se débloquent et vous allez entendre le ton triomphal du sieur Auber vous expliquer : « vous avez vu j’ai tenu mes engagements ». Un véritbale héros des causes budgétaires.

    Il y a un autre versant du désengagement, c’est celui de la cible. Si vous retirez le moindre crédit à un collège comme Macé ou Offenbach, c’est-à-dire à des collèges de beaux quartiers, ce sera l’agression complète, les cris d’orfraie, alors que Decroly, petit collège, facile. C’est le même raisonnement qui conduit l’état au désengagement social vis-à-vis de populations qui ont plus de mal à se défendre, parmi lesquelles, les personnes âgées avec des petits moyens, ou encore les personnes handicapées (et pour ces dernières, je peux vous dire que le désengagement budgétaire c’est pas d’hier), les chômeurs de longue durée, les personnes bénéficiant (le verbe est mal choisi) des minimas sociaux, les précaires de toutes sortes.

    Quand je parle de séquestrer aimablement la professeure d’allemand et de la contraindre (tout aussi aimablement) à faire cours chez nous sur ses heures où elle est affectée à Macé, c’est évidemment dans le respect de cette personne que par ailleurs on bichonnerait. On irait la chercher chez elle, et on la raccompagnerait chez elle, on lui ferait le café, et nous prendrions collectivement la responsabilité de sa désaffection à Macé. En faisant un truc de ce genre on inverserait le rapport de forces, la rentrée prochaine ce serait à Macé qu’il manquerait des heures, pas à nous.

    Il faut arrêter de se comporter en personnes bien élevées avec des voleurs.

    Voilà, c’était ma minute pas forcément nécessaire.

    Amicalement à toutes et tous

    Phil

    Exercice #7 de Henry Carroll : montrez la beauté dans la banalité

    Ce qui est à peu de choses près le principe directeur de la série de la Vie (http://www.desordre.net/bloc/vie/reprise/avalanche.htm )

    #qui_ca