• A quel moment Hollywood s’est mis à ne faire que de la merde ?

    Hier soir au Kosmos , premier film du cycle annuel, sur le thème de la paranoïa, une idée de Nicolas sans doute, on projetait Elmer Gantry de Richard Brooks, film qui date de 1960, film hollywoodien dans sa distribution, Jean Simmons, Burt Lancaster, Shirley Jones et Arthur Kennedy pour ne citer qu’eux, petit studio certes, mais musique d’André Prévin tout de même, bref des moyens économes sans doute, et une qualité de l’image vacillante, mais des moyens malgré tout, assez en tout cas pour produire un film de deux heures un quart à la tension égale pendant tout le film.

    Et pourtant le thème n’est pas porteur a priori, l’histoire de l’ascension d’un bonimenteur dans le milieu des prédicateurs, ses enjeux théologiques et psychologiques. Le genre même de sujet que l’on verrait davantage traité par un universitaire américain de philosophie, versé un semestre sur deux dans l’écriture créative — autant dire un vrai sujet poussiéreux traité par un être de poussière pour des amateurs de choses poussiéreuses —, donnez un tel sujet aux escouades de scénaristes hollywoodiens aujourd’hui, et ils vous répondront sans doute, c’est quoi un prédicateur ?, et une fois que vous le leur aurez expliqué, nul doute que ce personnage de prédicateur deviendra nécessairement un tueur en série à la poursuite duquel un policier acharné, sacrifiant beaucoup de sa vie privée, refusant même une promotion ou une mutation loin du trou perdu dans lequel sa femme s’ennuie, et elle ne le voit pas souvent parce que le boulot avant tout — c’est étonnant de voir comment des kilomètres et des kilomètres de pellicule n’ont pas été investis en vain pour nous faire accroire qu’un policier n’est que sens du devoir et abnégation et jamais violence et racisme, ce qui serait nettement plus naturaliste comme approche de la profession —, ce policier opiniâtre finira par avoir raison de tous, notamment d’un avocat général pusillanime, si ce n’est corrompu, nécessairement corrompu, le limier lui est, par définition, incorruptible — c’est même un titre de série télévisée —, les bons sentiments passeront peut-être par la case du rachat moral de je ne sais quelle prostituée sans le courage de laquelle, il ne sera pas possible de débusquer le tueur en série, par ailleurs une figure respectée de la communauté, rachat moral inescompté qui devrait permettre aux scénaristes et aux producteurs contemporains d’avoir un alibi pour avoir sauté la case des enjeux théologiques, ou alors seulement avec l’intervention d’extra-terrestres venus nous révéler qu’en plus de ne pas être tout seuls dans l’univers, nous ne descendons pas du singe, mais d’une entité infiniment plus céleste et moins poilue, forcément moins poilue.

    Et pourtant en 1960, il était possible, dans cette forêt de houx — traduction en force de Hollywood —, de produire et de réaliser des films comme Elmer Gantry , de Richard Brooks donc, avec quelques scènes dans lesquelles des questions comme l’opposition entre foi et superstition, ou encore croyance et crédulité donnaient lieu à des dialogues finement ciselés, en plus d’être délivrés par un Burt Lancaster au sommet de son art, sans parler de la finesse de jeu d’un abonné aux seconds rôles, Arthur Kennedy dans le rôle de Jim Lefferts. De même il était possible d’étaler au grand jour les fonctionnements pécuniaires de l’église et des églises, de montrer à quel point la foi est amenée à devenir un commerce et que la crédulité est l’essence même du commerce : il n’y a pas de différence fondamentale entre vendre des appareils électro ménagers et vendre du vent, vendre du vent et vendre de la présence divine. On pouvait, alors, début des années 60, imaginer un personnage d’athée dans l’Amérique triomphante de la fin des années cinquante qui soit le plus fin théologien dans ce milieu de prédicateurs, parce que lui a lu les écrits, y trouve une certaine puissance poétique et des enseignements de vie, mais ne parvient pas, en dépit d’un réel désir de foi, à être effectivement habité par cette foi fuyante, Jim Lefferts, interprété, tout en retenue et intelligence, par Arthur Kennedy — quand je lis la filmographie d’Arthur Kennedy, je suis pris de vertige. Le récit d’ Elmer Gantry , pareillement, sera construit à la façon d’une spirale vertigineuse dans laquelle aucun personnage ne sera indemne des nécessaires évolutions qui sont celles de l’existence, des changements de directions, d’opinion, de foi et la vérité s’y montrera un mirage constant, à l’image du coup monté du rendez-vous galant photographié depuis l’escalier métallique, sensé dans un premier temps servir d’objet de chantage, pour devenir un scoop et sa dénégation dans l’édition suivante.

    Et Dieu dans tout cela ?

    Il éprouve durement ses fidèles selon son habitude. S’agissant d’éprouver les fidèles, je ne résiste pas au plaisir de cette citation d’Edouardo Mendoza, tirée des Aventures miraculeuses de Pomponius Flatus

    Si étrange et si mesquin que cela puisse paraître, les Juifs croient en un seul dieu, qu’ils appellent Yahvé. Jadis, ils étaient convaincus que ce dieu était supérieur à ceux des autres peuples, ce qui les a poussés à entreprendre les expéditions militaires les plus insensées, persuadés que la protection de leur divinité leur donnerait toujours la victoire. C’est ainsi qu’ils ont dû, à plusieurs reprises, subir la captivité en Egypte et à Babylone. S’ils étaient dans leur bon sens, ils comprendraient l’inutilité de leur obstination et l’erreur sur laquelle elle se fonde, mais, au contraire, ils sont parvenus à la conviction que leur dieu n’est pas seulement le meilleur, mais l’unique qui existe. Si bien qu’aucun autre dieu ne peut rivaliser avec lui en force et en raison, et qu’en conséquence il agit suivant son caprice ou, comme disent les Juifs, suivant son sens de la justice : implacable pour ceux qui croient en lui, l’adorent et le servent, et très indulgent pour ceux qui ignorent ou nient son existence, l’attaquent et ricanent dans leur barbe. Chaque fois que le sort leur est contraire, c’est-à-dire toujours, les Juifs allèguent que c’est Yahvé qui les a punis, soit pour leur impiété, soit pour avoir enfreint les lois qu’il leur a données. A l’origine, ces lois étaient peu nombreuses, faites de quelques préceptes simples : ne pas tuer, ne pas voler, etc. Mais, avec le temps, leur dieu a été pris d’une véritable manie législatrice, et aujourd’hui le corpus juridique constitue un galimatias tellement inextricable et si minutieux que c’est impossible de ne pas être continuellement en faute. En raison de quoi les Juifs sont toujours en train de se repentir de ce qu’ils ont fait ou de ce qu’ils vont faire, sans que cette attitude les rende moins irréfléchis au moment d’agir, ni plus honnêtes, ni moins contradictoires que le reste des mortels. Ils sont seulement, comparés à d’autres peuples, plus modérés dans leurs mœurs. Ils refusent beaucoup d’aliments, réprouvent l’abus du vin et des substances toxiques, et, si étrange que cela paraisse, sont peu enclins à l’amour socratique, même entre amis.

    Et l’un des outils destinés à éprouver les fidèles est de souffler alternativement le froid et le chaud, donner à sa prédicatrice un pouvoir surnaturel éphémère et la punir finalement en la brûlant vive au milieu du temple sur l’air de Tu n’évoqueras pas le nom de Dieu en vain . Il est remarquable que cette construction scénaristique infernale prenne sans cesse à témoin le personnage incrédule duel par excellence, l’association en amitié d’Elmer Gantry et de Jim Leffert, l’un comme l’autre vacillant et oscillant sans cesse dans la polarité de leur foi ou de leur absence de foi, malgré le désir de cette foi.

    Chose admirablement étonnante dans ce film, cette polarité est celle de tous les personnages, même secondaires, où elle est sciemment placée à des niveaux de dilution disparates, et où elle évolue sans cesse, pas le moindre personnage, même secondaire, qui soit fait d’une seule pièce, d’un seul tenant et pas un personnage qui n’évolue pas dans un sens puis dans l’autre, ce qui fait de ce film un diamant d’intelligence, un film à propos de la foi et de la religion qui laisse entièrement ouverte la question qui ne peut jamais être fermée de l’existence, ou non, de Dieu.

    Finalement, je ne suis pas un très grand connaisseur de cinéma, même pas un cinéphile éclairé, je m’amuse que posant la question ce midi à mon ami Guillaume qui lui en connaît un rayon sur le cinéma, à savoir à quel moment cela a commencé à sérieusement merder le cinéma à Hollywood, il me réponde, d’instinct, que sans doute, comme pour tout le reste, avec les années 80. C’est bien simple, les années 80 c’est la fin de tout. Surtout après les années septante. Je ne sais pas si c’était mieux avant, mais ce qui est sûr c’est que c’était mieux avant les années 80.

    Exercice #7 de Henry Carroll : photographiez la dernière chose qui vous a fait rire

    La salle d’attente du psychologue de mon fils Nathan était déjà pas très conventionnelle, ce dernier recevant dans un petit cabanon au fond de son jardin fort désordre, cette salle d’attente s’est désormais enrichie d’une piscine gonflable installée ici cet été par ses enfants. Ceci est donc la salle d’attente d’un psychanalyste, l’antichambre de la psychanalyse. (Je n’aurais jamais cru que je me tire si facilement de cet exercice)

    #qui_ca

    Et j’ai dans l’idée que le film Elmer Gantry de Richard Brooks pourrait susciter l’intérêt de @baroug