• Hier j’aurais donc eu à découvrir que c’était la journée nationale des proches aidants. Et, une découverte n’allant pas seule, que je faisais partie de cette population, dite des aidants proches . Et j’ai appris tout cela à la faveur d’un exposé par vidéo projection ― je crois que l’on appelle cela une présentation .

    La présentation est devenue un vecteur d’information auquel je comprends de moins en moins de choses. Il existe un logiciel qui permet à tout un chacun de préparer une présentation en quelques diapositives ― c’est amusant ce terme de diapositive , les diapositives, pour moi, c’étaient de toutes petites choses de 4,5 par 4,5 centimètres, petite enveloppe de carton, plus tard de plastique, sertissant une vue en 24X36, la plupart du temps en couleur, et même que longtemps les couleurs de cette dernière étaient d’une richesse exemplaire puisque majoritairement, il s’agissait de kodachrome , sans doute le plus beau de tous les films jamais mis au point, bref quand on disait faire de la diapositive, cela vous posait là en terme de photographe sérieux et attentif à une certaine idée de la qualité et secondé par des grosses machines lumineuses et bruyantes, des projecteurs de diapositives, plus rien à voir avec les vidéo projecteurs que l’on relie à des ordinateurs de genoux qui envoient leur présentation au vidéo projecteur et ce sont désormais des placards d’exposés que l’on montre aux unes et aux autres, et pour tout dire, la qualité de l’image, on s’en moque désormais un peu puisque il devient rare que l’on fasse le noir complet pour permettre de telles projections ― qui désormais seconde l’exposant, au point même de le remplacer finalement.

    En entreprise la chose est généralisée, pas une réunion où l’on ne dégaine le cordon SVGA et qu’on y branche son ordinateur de genou, bref passage par le bureau, double-clic sur l’icône tout exprès et roulez jeunesse, page de garde et ensuite diapositives après diapositives, des éléments de texte synthétiques sont projetés sur l’écran ou sur le mur blanc et, tellement souvent, lus par la présentateur, des fois qu’on ne sache pas lire, et il n’y a plus le moindre exposé qui semble pouvoir se passer d’un tel dispositif de projection. Ce qui est amusant c’est de voir comment, à mon travail, j’ai souvent un succès fou, en ne recourant pas à de tels artifices que je prétends ne pas maîtriser, je fais admirablement mon vieux con ― si seulement mes collègues savaient ce que par ailleurs je sais produire avec un vidéo projecteur ―, et donc en utilisant force tableau magnétique, ou à grandes feuilles, et donc dessins constellés de petits rectangles reliés entre eux par un réseau se complexifiant au fur et à mesure de mon explication, à la fin on dirait le plan du Désordre (http://www.desordre.net/plan.htm ) . Mais à ma petite échelle, ma petite importance, dans la Très Grande Entreprise, je ne parviens pas encore à faire cette révolution du retour à l’exposé que tout le monde comprend, la présentation, avec vidéo projecteur et diapositives, demeure une reine indétrônable. Patience. J’y arriverais un jour.

    En attendant l’hégémonie des diapositives mord du terrain sur des territoires insoupçonnés, ainsi hier ai-je eu droit à un exposé, dans le cadre de mon travail, par une psychologue clinicienne en une trentaine de diapositives. Là j’aimerais dire qu’il m’est insupportable que la psychanalyse ne résiste pas, tout comme on reproche à la musique de n’avoir pas résisté dans les camps de concentration ― j’exagère à peine, bientôt la psychanalyse sera procédurée.

    N’empêche, j’avais beau faire intérieurement mon malin à propos du dis-cours psychanalytique par diapositives ― par projection m’amusai-je de penser ― au bout d’un moment, j’ai fini par prendre conscience que j’étais on ne peut plus concerné par l’exposé en question. Un exposé à propos des proches aidants par une psychologue clinicienne ayant longtemps travaillé dans des institutions accueillant, notamment, des patients atteints des différentes formes infamantes de la sénilité, et ayant donc eu à prendre en charge les proches de ces patients, notamment ceux très impliqués dans toutes formes d’accompagnement de leur proche, on appelle de telles personnes des proches aidants. Et des proches aidants il y en a de toutes sortes. Que ce soit celles et ceux qui viennent en aide à leurs parents dont la fin de vie tient du naufrage, celles et ceux qui viennent désormais en aide à leur conjoint désormais affligé d’une forme ou l’autre de handicap, que ce soit celles et ceux qui viennent en aide à leur enfant handicapé, mineur ou majeur, ça c’est moi me suis-je dit en ces termes pas très fins, pas très malins, ce qui m’a paru être une alerte, je ne pouvais pas penser la chose de cette manière, ça c’est moi et ça c’est pas moi.

    Sauf que dans cet exposé que normalement je n’aurais pas écouté, en général je ne parviens pas à écouter de tels exposés, mon attention n’y est pas, la faute à un contenu écrit synthétique, trop, écrit et relu par le présentateur à un rythme qui est pratiquement jamais le mien ― je lis avec lenteur, je déteste lire, mais je préfère lire que de subir une présentation ―, dans cet exposé, donc, j’étais stupéfait, et cela commençait à sérieusement m’emmerder, de pouvoir me compter dans tous les pourcentages majoritaires et toutes les descriptions des attributs de ces populations à propos de ces personnes proches aidantes.

    Le ton de voix de l’exposante, la psychologue clinicienne, était monocorde, doux, fluide, en fait, même enveloppant, et je le sentais tout autour de moi littérale-ment me prendre dans ses bras et me dire gentiment que oui, j’étais une de ces per-sonnes proches aidantes qui finit par s’oublier, se négliger même, qui entretenait une relation avec la personne que j’aidais dans laquelle les rôles étaient mal définis ― encore que, si je voyais bien comment les choses pouvaient évoluer entre des enfants et leurs parents désormais fort démunis, la relation à son enfant handicapé définissait de façon irréfragable, une mauvaise fois pour toutes, les rôles ― on pouvait remarquer des difficultés au sommeil ― sans rire ― des prises de poids ― ah oui ?, vous êtes sûre ? ― des temps de cicatrisation anormalement longs ― sic ― un état général de fatigue, d’épuisement qui pouvaient mener à l’effondrement, vous ne seriez pas loin de la réalité en imaginant le Gros Célibataire de plus en plus envahi par ses émotions au point d’être sur le point de pleurer, mais non je suis tout de même parvenu à me contenir parce que je voyais bien, je n’étais pas tout à fait anesthésié, qu’il s’agissait d’une construction visant justement à l’identification.
    Et du coup, je suis passé d’une certaine forme d’abattement à la colère.

    Et nous n’en n’étions encore qu’à la partie théorique de cette succession d’exposés, bientôt monteraient sur le podium une assistance sociale de la Très Grande Entreprise, qui remercierait la psychologue clinicienne pour son remarquable exposé, elle-même expliquerait rapidement quelles étaient ses missions au sein de la Très Grande Entreprise ― ici je dois dire que je suis entièrement hermétique à tout discours de cette profession, celle des assistantes sociales, parce que je dois dire qu’en plus de treize ans désormais de leur fréquentation souvent contrainte, pas une fois l’une d’elles est parvenue à dire quelque chose que je ne savais pas déjà et encore moins à me venir en aide d’une manière ou d’une autre ― avant de laisser la parole à une représentante de notre mutuelle et là on a commencé à rentrer un peu dans le dur.

    Cette représentante de la mutuelle ― ici je précise cette chose pas toujours facile à comprendre que dans la Très Grande Entreprise qui m’emploie, la mutuelle santé c’est la Très Grande Entreprise qui m’emploie, même si ce n’est pas exacte-ment le commerce dont elle ressort ― nous a expliqué en seulement trois diapositives ― Dieu soit loué ― quels étaient donc les services dont nous pourrions bénéficier prochainement si nous nous déclarions prochainement en tant que proche aidant, parmi lesquels ce premier service dont nous pouvions bénéficier, à savoir une assistance à la prise de décision de devenir un proche aidant ― je n’invente rien, et j’ai à peine déstabilisé la personne représentante de la mutuelle en tentant de lui faire remarquer que c’était difficilement un service qui pouvait être mis en avant si justement pour en bénéficier, si tant est que ce soit intéressant, il était prérequis d’avoir déjà entrepris la démarche administrative pour en bénéficier. De même il était assez manifeste que les mérites de l’implication de la mutuelle à fournir des services étaient majorés, la visite gratuite, entièrement prise en charge, d’un ergothérapeute au domicile de la personne handicapée, et les limites d’une telle couverture minorées, la mutuelle ne prendra aucun frais, malheureusement aucun, mais cela se comprend, a assuré la personne représentante de la mutuelle, des travaux pourtant nécessaires et recommandés par l’ergothérapeute, lequel, c’est dit sans rire, est à la fois partenaire de la mutuelle et de la société spécialisée dans de tels travaux, de là à penser que cela ne coûte rigoureusement rien à la mutuelle et que même il est possible qu’une certaine forme de rétro commission permette quelques menus bénéfices, faut vraiment avoir l’esprit tordu comme le mien pour nourrir de tels soupçons.

    Pour parachever cette succession d’exposés, nous allions nous montrer un petit film de cinq minutes, dans lequel, de nouveau, de cette manière qui est celle de la télévision sans doute, je ne sais pas bien, je n’ai pas la télévision, nous avons été de nouveau enveloppés par une sorte de reportage sur une conférence et des ateliers qui avaient été organisés pour faire prendre conscience à tous les potentiels aidants que nous étions, la psychologue clinicienne y apparaissait de nouveau, disant plus ou moins les mêmes choses qu’elle nous avait dites précédemment, mais avec une autre coupe de cheveux.

    Parfois je me dis que dans le cadre de mon travail je vis des moments curieux, parmi lesquels donc, une conférence sur le rôle des proches aidants avec exposé de psychologue clinicienne avec une trentaine de diapositives ― c’est tout moi de penser que la psychologie et la psychanalyse ont plus à voir avec la pratique dans un cabanon au fond d’un jardin de banlieue, alors qu’en fait pas du tout, la présentation est partout.

    Et pourtant à l’issue de ces deux heures fort curieuses, je ne sais pas trop quoi penser de la chose, j’ai le sentiment que l’on ne me dit pas tout, ou que ce que l’on me dit n’est pas ce que l’on devrait me dire. C’est finalement de retour dans le parking du centre commercial, où j’avais garé mon char, mettant le contact, enclenchant l’autoradio, la lecture du disque reprenant là où elle s’était interrompue, deux heures plus tôt, avec des pièces pour piano seul d’Erik Satie, loué soit Satie, que je reprends mes esprits : il y a quelque chose de terriblement visqueux dans l’institutionnalisation de ce rôle de proche aidant, quelque chose de déclaratif là-même où devraient être des sentiments infiniment plus doux, plus tendres, plus évidents que ceux tels qu’ils étaient définis et, in fine, tarifés dans les différents exposés auxquels je venais d’être exposé. Tel une diapositive. Du temps de l’argentique.

    Exercice #9 de Henry Carroll : prenez une photo pour résoudre un dilemme personnel.

    Je n’aurais jamais autant cherché que dans ce regard.

    #qui_ca

    • Si si, ici https://seenthis.net/messages/522829#message523559
      Il semble que les professionnels aiment bien l’expression aidant proche, elle met en avant la relation d’aide et pas la relation.

      Personnellement, je préfère proche aidant, car ça dit autre chose du rapport entre les personnes, être un proche avant toute chose, aider n’étant pas le centre - même si cela peut-être un poids etc. - du lien.

      Après les aidant proches, c’est aussi une catégorie de la sécurité sociale, c’est une reconnaissance par l’institution qui permet alors d’avoir droit à des vacances, où la société prend le relais pour qu’ils soufflent, mais c’est un autre sujet des aides au quotidien en fonction du % d’invalidité du proche en question. J’aurai plein de choses à dire sur ces catégories mais ça sera pour une autre fois, j’ai à mon grand malheur, peu de temps et d’énergie pour seenthis en ce moment.