/surnatural_orchestra_pauvre_paris.mp3

  • https://www.youtube.com/watch?v=j90wXnECKiw

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/surnatural_orchestra_pauvre_paris.mp3

    On va encore dire que je mélange tout.

    La France est en guerre, déclare un président de la république dont force est de constater qu’il ne fait peur à personne, non d’ailleurs que ce soit ce que l’on attende de lui, c’est juste que c’est un peu court et un peu improvisé comme déclaration de guerre, les deux pieds dans la poussière et les gravats du Bataclan . Et on pourrait facilement pardonner ce manque d’assise, ce côté déclaration de guerre sur un coin de table de bistro, si en plus d’être improvisé, cette déclaration n’était pas complétement stupide. En fait monsieur le président pas très assuré, vous êtes assez con pour ne pas savoir, ou mal faire semblant de ne pas le savoir, ou pire encore, de penser que nous ne le savons pas, nous, que nous sommes assez cons pour ne pas le savoir, mais la France, notre petit pays gris, poussiéreux et peureux, est en guerre depuis le 8 mai 1945, depuis les massacres de Setif en Algérie, et je ne suis pas certain que si on cumule, depuis cette date de la fin de la Seconde guerre mondiale, et donc du début de la Troisième guerre mondiale, tous les jours, toutes les périodes, pendant lesquelles la France n’a pas été en guerre quelque part dans le Monde, on parvienne à quelques années de paix. Ainsi du 8 mai 1945 jusqu’à la fin de la guerre d’Indochine, cela aura été la guerre sans discontinuer. Puis ce furent les années septante, celles des ingérences giscardiennes, la légion qui saute un peu partout en Afrique, missions d’ingérence qui furent plus ou moins tacitement reconduites dans les années 80, en 1991, la première guerre d’Irak, celle du Père ― puisque nous ferons cette remarquable exception de ne pas participer à la guerre du Fils ―, la Bosnie-Herzégovie, en 1995, l’Afghanistan à partir de 2001, la Lybie en 2012 et désormais la Syrie, où on peut dire que l’engagement de la France aura été particulièrement anisochrone, nous n’y sommes pas allés quand il fallait et nous y sommes allés quand ce n’était plus le moment d’y aller ― au rugby on dirait arriver en retard au soutien ce que vos coéquipiers auront du mal à vous pardonner tant c’est l’essence même du jeu.

    Bref, ce n’est pas très brillant Monsieur le Président. Ni très rassurant. Tant l’intelligence ne semble pas être de votre côté, ni de celui de votre clique, à la fois les vôtres et à la fois vos faux ennemis, parce qu’avec la droite, dont vous êtes, c’est très pratique, que ce soit la droite de la droite, la droite droite ou la gauche de la droite, cela reste et cela restera toujours la droite.

    Et nous, que nous reste-t-il pour faire face aux dangers dont vous-mêmes ne serez jamais frappé, mais pour nous ce sont autant de dangers qui peuvent nous frapper à tout moment, pour tout vous dire, il ne s’en est pas fallu de grand-chose pour vous ayez à prononcer mon nom parmi une liste de personnes ayant laissé la vie ce fameux soir de novembre l’année dernière, dangers dont on doit sans doute remercier votre incompétence crasse, votre absence de courage et in fine votre manque constant d’intelligence, de vision sur le long terme, de nous faire pleuvoir ces dangers sur la tête, que nous reste-t-il face à ces ciels sombres ?, eh bien il nous reste la poésie, la musique aussi, la beauté sans doute, mais aussi le courage, le courage que nous donne notre fragilité.

    Tout cela, la poésie, la musique, la beauté, le courage et la fragilité, je l’ai vu sur scène, sur la scène d’un chapiteau, samedi soir, lors d’un spectacle intitulé l’Esquif , rencontre prodigieuse entre la compagnie Inextremiste Basinga et le Surnatural Orchestra et j’en aurais pleuré. Surtout à la fin.

    J’imagine qu’il faudrait que je fasse la chronique de ce qui m’a tant plu, tant ému, dans ce spectacle, ce serait très difficile tant chaque moment de ce spectacle m’a enchanté à la fois par sa beauté, pour les risques aussi bien physiques qu’esthétiques qui étaient encourus par tous, et cette manière de solidarité qui était une évidence et à laquelle le public s’est même, contre son gré, retrouvé mêlé. Pour ce faire il faudrait presque que je commence par la fin. Essayons.

    Le dernier morceau du dernier album du Surnatural Orchestra , Ronde , s’intitule Pauvre Paris , c’est un morceau lent, triste, avec un passage de chœur au milieu du morceau, il y a dans ce morceau une évidence, c’est la musique que les attentats du 13 novembre ont inspirée aux musiciens du Surnatural Orchestra , c’est triste comme des rues sombres, désertes et pluvieuses au milieu d’une nuit d’errance, c’est triste et c’est beau et les chœurs disent assez bien que la grande faucheuse est passée par là, c’est en mode mineur de chez mineur, impossible d’écouter ce morceau sans sentir la tristesse vous prendre aux tripes, le chœur décroit, la musique avec lui, et puis c’est une relance terrible, un riff rageur de guitare électrique et une envolée à la Surnatural , c’est free , extrêmement free , free de chez-free-en-face, tendance free , les saxophones hurlent, après la tristesse, le refus, à la fois le refus de la tristesse et le refus de se laisser enterrer, l’envie de vivre, on ne peut pas continuer, il faut continuer, on va continuer. C’est poignant et, de fait, on a, aussi, envie de continuer. Et maintenant imaginez la vingtaine de musiciens du Surnatural jouer cette folie, cette beauté d’abord triste et chaloupée, puis cette hargne pleine de défi, ces vingt musiciens, batteur et percussionniste compris, en équilibre sur trois madrillets qui ploient sous le poids des musiciens, de leurs instruments et de leur danse, les trois madrillets en équilibre sur trois bouteilles de gaz, à tout moment ils peuvent tous tomber, tous ensemble, et ils jouent et comme ils jouent ! Mieux, les trois acrobates équilibristes installent un quatrième côté, un madrillet en équilibre sur une bouteille de gaz et vont chercher quelques personnes dans le public et les emmènent en équilibre sur ce si tellement frêle esquif, et c’est tout le public qui est relié à cette précarité : tout est dit, notre fragilité, le courage qui peut être le nôtre en étant collectif, solidaire, la beauté, la poésie et la musique. Enfin. Enfin un peu d’intelligence et de la beauté. Comme réponse.

    Je maintiens ce que j’ai déjà écrit ici, ce que j’avais échangé avec mon ami poète Laurent Grisel, à Autun, après Apnées : nos agissements ont tellement plus de portée que ceux des sinistres que nous tentons de marquer à la culotte .

    En vrac quelques descriptions des moments parfois sublimes de ce spectacle. La femme funambule fait son numéro sur un filin qui est maintenu tendu au-dessus du vide par la traction d’une vingtaine de spectateurs qui tirent sur ce filin, ce sont ces vingt et quelques spectateurs qui sont responsables de son équilibre.

    Avant même que le spectacle commence, on est déjà sollicité, le tromboniste distribue des hélices aux spectateurs tels des messages que ces spectateurs doivent aller apporter à d’autres spectateurs, l’autre spectateur c’est un étranger, le message un poème, et le poème donné, l’étranger est un semblable. Le tromboniste est par ailleurs prisonnier de la longueur limitée de la planche qui se trouve en équilibre sur deux bouteilles de gaz. C’est donc en engageant les spectateurs qu’il peut en atteindre d’autres.

    Constamment les trois équilibristes sont les anges gardiens des musiciens qui sont presque agis par eux, à quelques expressions près, on voit à peine les équili-bristes, c’est une manière de spectacle d’équilibre par procuration.

    À aucun moment l’équilibre des musiciens ne paraît très assuré, la fragilité est non feinte, elle est avérée et elle est sans cesse menacée, souvent par le même équilibriste un peu fou, en costume colonial, qui représente, à lui seul, le danger.

    Lorsque le tromboniste, encore lui, va recruter des spectateurs pour tirer sur le câble de la funambule, il crée sciemment de l’inconfort et de la gêne, il faudra un jour que nous réalisions que nous ne sommes plus garantis de rien et que nous de-vons lever notre cul et descendre dans l’arène.

    Après les applaudissements, le saxophone alto explique la nécessité d’une quête en faveur de la CIMADE du plateau des Mille vaches qui vient en aide aux réfugiés et leur donner cet asile que les sinistres refusent en notre nom.

    Je ne résiste pas à la tentation et au plaisir de pointer vers cette chronique :

    La Suède connaît un boom économique inattendu.
    Les économistes suédois n’en reviennent pas : ils ont dû revoir en urgence leurs modèles pour tenter de comprendre ce qu’il se passait avec leur pays. Imaginez : au quatrième trimestre 2015, c’est-à-dire l’hiver dernier, la Suède a connu un taux de croissance de 4,5%.
    Il a bien fallu trouver une explication. Les économistes distingués du royaume se sont réunis en congrès, ont passé des jours entiers à trifouiller les statistiques et, enfin, après des heures de discussions et de controverses, ils sont arrivé à un consensus scandinave.
    La raison de cette croissance aussi époustouflante que soudaine tient en un mot : les migrants. La Suède est, en proportion, le pays d’Europe qui, en 2014 et 2015, a accueilli le plus de réfugiés en Europe : 160 000 personnes pour 9 millions et demi d’habitants.

    https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-10-octobre-2016 (https://seenthis.net/messages/531955 )

    Que les sinistres démissionnent et que l’on donne le pouvoir au Surnatural Orchestra , ils ne pourront jamais faire pire que les sinistres. Ce serait la seule chose responsable à faire.

    #qui_ca