CONTRETEMPS – REVUE DE CRITIQUE COMMUNISTE

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  • Nous avons besoin d’une renaissance de l’analyse marxiste des classes sociales | David W. Livingstone
    https://www.contretemps.eu/renaissance-analyse-marxiste-classes-sociales

    Sans données d’enquête solides, les discussions sur les classes et la conscience de classe ne sont souvent que des suppositions. Les études marxistes empiriques de la structure et de la conscience de classe sont inestimables pour une élaborer une robuste orientation politique socialiste : nous avons besoin de davantage d’enquêtes.

    La contribution la plus importante de Karl Marx à l’analyse moderne des classes sociales a été de documenter la manière dont les propriétaires capitalistes extraient continuellement du travail non rémunéré des travailleurs.ses salarié.es dans le cadre du processus de production, ce qui constitue la principale source de leurs profits.

    Après sa mort, de nombreux analystes ont négligé l’importance qu’il accordait à cette « antre secrète » de la production dans le processus de travail capitaliste, se concentrant plutôt sur la distribution inéquitable des marchandises. Plus tard, des intellectuels marxistes et d’autres ont analysé avec perspicacité d’autres effets généraux dévastateurs du développement capitaliste. Mais l’accent mis sur le processus du travail a été ressuscité dans le sillage des manifestations d’étudiant.es et des travailleurs.ses des années 1960, notamment par l’ouvrage de Harry Braverman (1920-1976) intitulé Travail et capitalisme monopoliste, publié en 1974. Une série d’études ont suivi pour identifier la structure de classe des sociétés capitalistes avancées sur la base des relations de travail rémunéré entre les propriétaires et les employés embauchés.

    L’intérêt initial de Marx pour l’identification des conditions dans lesquelles les travailleurs.ses salarié.es développeraient une conscience de classe s’opposant au capitalisme a connu un parcours similaire : de nombreuses affirmations sur la nécessité d’une conscience de classe, mais peu d’enquêtes empiriques sur son existence – jusqu’à ce que les protestations des années 1960 déclenchent une série d’études, telles que Consciousness and Action Among the Western Working Class, (Conscience et action parmi la classe ouvrière occidentale ) de Michael Mann (1942 -). Ces études spécifiques sur la structure et la conscience de classe ont eu lieu alors que les organisations syndicales atteignaient des niveaux d’adhésion historiques et que la part de la main-d’œuvre menaçait les marges bénéficiaires normales dans de nombreuses économies capitalistes. Ces développements ont conduit la contre-attaque néolibérale du capital.

    Cette offensive capitaliste s’est déroulée à des moments différents et avec des degrés de coordination variables dans les pays capitalistes avancés. Cependant, dès les années 1990, ses effets sont devenus évidents, se manifestant par des réductions importantes de l’impôt sur les sociétés, la déréglementation des entreprises, des réductions dans le financement de l’éducation, de la santé et de la protection sociale, la privatisation des services publics, et des efforts soutenus pour affaiblir et démanteler les syndicats. Cette attaque a eu pour conséquence une diminution de l’intérêt et du financement de la recherche sur les études marxistes des rapports de classe, coïncidant avec l’attention croissante portée à la diversité raciale et sexuelle de la main-d’œuvre. Depuis le début des années 1980, lorsque Erik Olin Wright (1947 – 2019) a coordonné des enquêtes nationales dans plusieurs pays capitalistes avancés, il n’y a pratiquement plus eu d’études marxistes empiriques majeures sur la structure des classes et la conscience de classe dans le Nord global.

    Point de bascule

    Nous vivons probablement l’époque la plus dangereuse pour l’espèce humaine depuis ses origines. Les nombreux incendies de forêt qui ont détruit de vastes étendues de terre dans de nombreux pays durant l’été 2023 sont un signe parmi d’autres que nous ne sommes plus qu’à quelques années d’une dégradation irréversible de l’environnement. Les preuves scientifiques sont désormais irréfutables : ces conditions exigent une action humaine immédiate. La guerre en Ukraine et la guerre d’Israël contre Gaza nous rappellent que nous pourrions à nouveau être confrontés à la perspective d’un hiver nucléaire.

    Nous assistons à des pics historiques d’inégalité des richesses et à des baisses historiques de la confiance du public dans la capacité des gouvernements élus à remédier aux inégalités. La COP28 – la conférence des Nations unies sur le changement climatique de 2023 – s’est achevée sans qu’aucun mécanisme réel n’ait été mis en place pour garantir une action environnementale, tandis que les entreprises de combustibles fossiles déclarent des bénéfices et des plans de production records avec une opposition publique minimale de la part des élu.es. Ces dernières années ont été marquées par les plus grandes manifestations sociales de l’histoire sur les questions d’environnement et de justice sociale. Aujourd’hui plus que jamais, l’identification des forces de classe et la mobilisation des travailleurs.ses sont essentielles dans la lutte pour un avenir durable.

    Les années 1980 ont vu fleurir d’importantes études sur la manière dont les rapports de classe imprègnent les tâches ménagères et le travail communautaire non rémunéré, et interagissent avec les rapports entre les hommes et les femmes et les relations raciales. Mais les recherches récentes axées sur la structure des classes professionnelles et la conscience de classe ont été très rares. Il existe toutefois une exception significative. Wallace Clement et John Myles, de l’université de Carleton, ont mené l’enquête sur la structure des classes au Canada en 1982, contribuant ainsi à la série internationale d’enquêtes sur les classes et la conscience de classe menée par Erik O. Wright.

    À partir de 1998, j’ai pu mener une série d’enquêtes similaires grâce aux réseaux de recherche générale que je dirigeais. Ces enquêtes ont eu lieu en 1998, 2004, 2010 et 2016. Elles permettent de mieux comprendre les relations de travail en faisant la distinction entre les employeurs, les cadres et les travailleurs non-cadres, ainsi que d’examiner les niveaux et les formes de conscience de classe. Les résultats sont documentés dans mon récent ouvrage, Tipping Point for Advanced Capitalism : Class, Class Consciousness and Activism in the Knowledge Economy (Point de bascule pour le capitalisme avancé : classe, conscience de classe et activisme dans l’économie de la connaissance). Certaines des conclusions les plus importantes sont mises en évidence dans cet article.

    Structure et conscience de classe

    La figure suivante résume la répartition des classes au Canada en 2016. Les sociétés capitalistes et les grands employeurs sont restés très peu nombreux. Une tendance notable depuis le début des années 1980 est le déclin des travailleurs industriels. Toutefois, le nombre d’employés professionnels non-cadres a considérablement augmenté, de même que le nombre de cadres moyens, qui contrôlent le travail de connaissance de plus en plus important des employés non-cadres. Les cadres ont connu une détérioration de leurs conditions de travail et un sous-emploi, tout en devenant la partie la plus organisée de la main-d’œuvre. Ces tendances basées sur le processus de travail sont confirmées au niveau international par les données sur les classes d’emploi de la base de données sur l’économie politique comparée.

    La conscience de classe émerge à trois niveaux critiques : l’identité de classe, la conscience oppositionnelle et les visions de l’avenir basées sur la classe. Ces niveaux correspondent à des questions-clés : Vous identifiez-vous à une classe spécifique ? Avez-vous des intérêts de classe opposés à ceux d’une autre classe ? Avez-vous une vision de la société future qui s’aligne sur les intérêts de votre classe ?

    Actuellement, les personnes engagées à gauche croient souvent que nombre de travailleurs s’identifient de manière erronée à la classe moyenne, qu’ils possèdent une conscience oppositionnelle confuse qui a été affaiblie par l’idéologie bourgeoise dominante et qu’ils sont incapables de concevoir une véritable alternative au capitalisme. Cela est loin d’être vrai. L’analyse comparative des enquêtes d’Erik Olin Wright des années 1980 et des enquêtes canadiennes plus récentes a révélé ce qui suit :

    –Si de nombreuses personnes s’identifient avec précision comme appartenant à la « classe moyenne » – par opposition à ceux qui sont manifestement riches ou démunis – cette auto-identification n’empêche pas un nombre important de personnes (les métallurgistes, par exemple) de développer une conscience de classe progressiste et oppositionnelle.

    –Les personnes ayant une conscience progressiste d’opposition pro-travail (soutenant le droit de grève et s’opposant à la maximisation du profit) sont nettement plus nombreuses que celles ayant une conscience de classe pro-capital (s’opposant au droit de grève et soutenant la maximisation du profit), et le nombre de partisans pro-travail semble augmenter.

    –Un nombre important et croissant de personnes expriment leur soutien aux visions d’une future démocratie économique caractérisée par des motifs non lucratifs et l’autogestion des travailleurs.

    –Les personnes ayant une conscience ouvrière révolutionnaire, qui combine une conscience oppositionnelle pro-ouvrière et un soutien à la démocratie économique, constituent un groupe restreint mais croissant. Ce groupe est beaucoup plus important que les travailleurs dont les points de vue défendent clairement les conditions capitalistes existantes.

    –Les non-cadres organisés, tels que les infirmières ou les enseignants, comptent parmi les militants les plus progressistes des réseaux actuels du mouvement syndical et social, résistant activement aux empiètements sur les droits économiques, sociaux et environnementaux.

    Un militantisme de classe

    Dans les pays capitalistes avancés, de nombreux travailleurs non-cadres expriment un mélange pragmatique d’espoirs et de craintes. Mais peu de travailleurs défendent un capitalisme obsédé par le profit qui donne la priorité à l’autorité managériale, alors que beaucoup préfèrent nettement une transformation vers une économie durable, sans but lucratif et gérée par les travailleurs. Parmi ceux qui ont une conscience de classe progressiste, il y a un soutien presque unanime à l’action contre le réchauffement climatique et à la réduction de la pauvreté.

    C’est parmi les travailleurs non-cadres appartenant à des minorités visibles que le soutien est le plus fort. Le nombre croissant de travailleurs ayant une conscience révolutionnaire bien développée était encore faible en 2016 (moins de 10 %). Mais l’histoire a démontré que de petits groupes organisés peuvent provoquer des changements transformateurs lorsqu’ils répondent à de véritables préoccupations démocratiques.

    Ces récentes enquêtes canadiennes sur les classes sociales suggèrent que les travailleurs non-cadres possèdent une conscience de classe progressiste latente bien plus importante que ne le supposent souvent les intellectuels de gauche. La conscience de l’exploitation sur les lieux de travail, ainsi que les sentiments plus larges de discrimination raciale et sexuelle, animent de fortes protestations sociales, bien qu’encore occasionnelles. Les travailleurs conscients de leur appartenance de classe sont les principaux militants de la plupart des mouvements sociaux progressistes.

    Regarder vers l’avenir

    À la suite de l’augmentation des votes et des manifestations en faveur des partis de droite au cours des dernières années, de nombreux experts ont spéculé sur la possibilité que de petits groupes non représentatifs accèdent au pouvoir politique de manière non démocratique. Les enquêtes canadiennes confirment que la majorité de ces petits groupes de capitalistes, des grands employeurs et des cadres supérieurs sont clairement enclins à soutenir les orientations politiques et les partis de droite. Cependant, le poids de cette enquête, ainsi que quelques autres enquêtes récentes – sensibles aux classes objectives définies par les rapports de travail rémunéré dans les pays capitalistes avancés – indiquent que les employés sont, dans l’ensemble, fortement favorables à des politiques sociales progressistes et à des partis politiques orientés à gauche.

    Les travailleurs syndiqués de l’industrie et des services ont généralement maintenu une position politique progressiste. Toutefois, dans les pays où les mouvements syndicaux sont plus faibles, même certains travailleurs non-cadres bien établis – distincts des travailleurs des minorités visibles confrontés à la discrimination et à l’exploitation – se sont trouvés de plus en plus attirés par les mouvements anti-immigration et anti-diversité en raison de la précarité matérielle croissante.

    Les idéologues réactionnaires et les partis de la droite radicale ont souvent utilisé les insécurités matérielles et psychiques chroniques pour faire appel à une plus grande gloire nationaliste et attiser les peurs racistes et les actions coercitives, en particulier parmi les classes relativement aisées et les groupes ethniques inquiets de perdre leurs privilèges. C’est aussi vrai pour l’insurrection du 6 janvier aux États-Unis que pour la montée du nazisme dans l’Allemagne de Weimar. Des preuves empiriques limitées provenant d’une rare enquête d’opinion dans l’Allemagne de Weimar suggèrent qu’une majorité d’employés et de travailleurs qualifiés ont continué à soutenir les opinions politiques de gauche et à rejeter les sentiments autoritaires. Mais seule une petite minorité de partisans des partis de gauche s’est montrée suffisamment attachée aux droits démocratiques pour résister au nazisme.

    La différence la plus significative aujourd’hui est que dans la plupart des pays capitalistes avancés, la majorité des travailleurs non-cadres, en particulier ceux qui ont une forte conscience de classe, protègent davantage les droits démocratiques fondamentaux qu’ils ont durement acquis. Ils sont mieux préparés à les défendre lorsqu’ils sont sérieusement remis en question – comme le seront les travailleurs.ses aux États-Unis si Donald Trump gagne en novembre et que les plans du Projet 2025 deviennent opérationnels.

    Les limites des enquêtes sur des échantillons de population pour prédire le comportement réel sont bien connues. Mais les enquêtes fondées sur les classes sociales, comme celles menées au Canada, permettent de suivre avec une grande précision l’évolution de la structure des classes et les liens avec les sentiments des classes sociales sur les questions politiques. Depuis la dernière enquête en 2016, des événements importants se sont produits, notamment la pandémie, l’aggravation des inégalités économiques et des revendications raciales, la multiplication des événements liés au réchauffement climatique et les guerres qui touchent plus directement les pays capitalistes avancés.

    Une enquête partielle réalisée en 2020 au Canada, avant la pandémie, a révélé un soutien croissant à la transformation vers une démocratie économique durable. Il est urgent de réaliser des enquêtes complètes sur les classes et la conscience de classe dans tous les pays capitalistes avancés. Ces enquêtes sont cruciales pour aider les forces progressistes à mobiliser les sentiments anticapitalistes qui semblent être plus répandus et plus intenses qu’en 2016. Les questions de l’enquête du réseau Wright des années 1980 et des enquêtes canadiennes ultérieures sont désormais accessibles au public.

    L’accès quasi-universel aux médias sociaux, la disponibilité de nombreux chercheurs qualifiés, ainsi que l’essor des mouvements sociaux axés sur des questions précises, qui ont besoin d’une telle intelligence de terrain, rendent les enquêtes représentatives des classes actuelles et de leur conscience politique plus pratiques que jamais. Les chercheurs pourraient facilement entreprendre une nouvelle enquête suédoise pour la comparer aux enquêtes Wright menées au début des années 1980, qui ont montré un fort soutien des travailleurs au plan Meidner, qui représentait une menace significative pour la propriété capitaliste de l’économie. De même, une enquête étatsunienne pourrait apporter des informations précieuses en comparant les résultats actuels avec ceux de l’enquête de 1980, d’autant plus que le mouvement syndical semble plus actif aujourd’hui qu’à l’époque. De telles enquêtes pourraient contribuer de manière significative aux efforts de mobilisation stratégique.

    Les enquêtes fondées sur le processus de travail sont aujourd’hui beaucoup plus faciles et rapides à réaliser que lorsque Marx a tenté d’en réaliser une auprès des travailleurs français en 1880.

    Les récentes enquêtes expérimentales menées aux États-Unis par la revue Jacobin sont prometteuses, car elles mettent en évidence des liens significatifs entre les politiques économiques progressistes, les candidats aux élections et certaines des divisions et identités de classe de Wright. Les chercheurs devraient poursuivre ces études et les relier plus étroitement aux structures de classe marxistes et à la conscience de classe. Ne pas saisir ces opportunités actuelles pour que les analyses marxistes de classe soutiennent l’action politique progressiste, alors que nous approchons du point de bascule entre le néant capitaliste et une alternative durable, serait une profonde erreur.

    *

    Publié initialement par Jacobin. Traduction par Christian Dubucq pour Contretemps.

    D. W. Livingstone est professeur émérite à l’Université de Toronto et auteur de Tipping Point for Advanced Capitalism : Class, Class Consciousness and Activism in the Knowledge Economy. (Point de bascule du capitalisme avancé, classe, conscience de classe et militantisme dans l’économie de la connaissance)

    #capitalisme, #classes-sociales, #conscience-de-classe, #exploitation, #marxisme, #sociologie, #travailleurs

  • Grèce : la deuxième mort de Syriza, ou de la tragédie à la farce - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/grece-deuxieme-mort-syriza-tsipras-kasselakis

    Syriza traverse actuellement ce qui pourrait bien être sa crise finale après l’élection à sa tête d’un ancien trader : Stefanos Kasselakis. Celui-ci a pris la succession d’Alexis Tsipras après la déroute électorale récente du parti, en bénéficiant d’un large soutien des médias dominants et d’un système de « primaire interne » qui permet à toute personne s’inscrivant en ligne et payant la somme de deux euros de participer à l’élection du chef du parti.

    Stathis Kouvélakis analyse dans cet article ce qui apparaît d’ores et déjà comme la « deuxième mort » de Syriza, la première renvoyant à la capitulation en rase campagne de l’été 2015 face à la Troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Commission européenne). Celle-ci conduisit Tsipras à mener une politique d’une extrême brutalité pour les classes populaires et, ainsi, à transformer Syriza de parti de la gauche radicale en parti de l’austérité néolibérale.

  • Grèce : la deuxième mort de Syriza, ou de la tragédie à la farce
    https://www.contretemps.eu/grece-deuxieme-mort-syriza-tsipras-kasselakis

    Syriza traverse actuellement ce qui pourrait bien être sa crise finale après l’élection à sa tête d’un ancien trader : Stefanos Kasselakis. Celui-ci a pris la succession d’Alexis Tsipras après la déroute électorale récente du parti, en bénéficiant d’un large soutien des médias dominants et d’un système de « primaire interne » qui permet à toute personne s’inscrivant en ligne et payant la somme de deux euros de participer à l’élection du chef du parti.
    Stathis Kouvélakis analyse dans cet article ce qui apparaît d’ores et déjà comme la « deuxième mort » de Syriza, la première renvoyant à la capitulation en rase campagne de l’été 2015 face à la Troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Commission européenne). Celle-ci conduisit Tsipras à mener une politique d’une extrême brutalité pour les classes populaires et, ainsi, à transformer Syriza de parti de la gauche radicale en parti de l’austérité néolibérale.

    On connait sans doute les phrases par lesquelles commence le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte de Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l’histoire surgissent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».

    Ce « quelque part » fait référence à un passage des Leçons sur la philosophie de l’histoire qui établit un parallèle, d’une part, entre le passage de Rome de la république à l’empire et celui de la France de la monarchie à la république, et, de l’autre, entre le destin de César, celui de Napoléon et celui de la dynastie des Bourbons. Selon Hegel, le meurtre de César est censé ramener la république, en mettant fin au pouvoir personnel, mais il aboutit à sa fin irrévocable et à l’instauration du régime impérial, d’un césarisme sans César que le meurtre de celui-ci a rendu possible. Napoléon et les Bourbons sont chassés deux fois du pouvoir, et ce n’est qu’au terme de cette réitération que l’irréversibilité de la fin du pouvoir qu’ils ont incarné est véritablement actée.

    Hegel en tire une sorte de loi de l’histoire selon laquelle « la répétition réalise et confirme ce qui au début paraissait seulement contingent et possible »[1]. Un événement n’est définitivement enregistré que lorsque, par sa répétition, sa nécessité, c’est-à-dire son caractère irréversible, est reconnue. Cette répétition n’est en fait jamais une répétition à l’identique, elle s’effectue toujours sous une forme déplacée.

    Toutefois, l’idée d’un passage de la tragédie à la farce est, pace Marx, déjà bien présente chez Hegel, qui caractérise la « Restauration » des Bourbons de « farce qui a duré 15 ans »[2]. La normalité propre à l’ère bourgeoise tend à refouler les moments troubles qui ont scandé son émergence. Pour autant, si toute idée de retour en arrière s’avère illusoire, cette illusion fait elle-même partie du processus qui, par le jeu de la répétition, enregistre la césure de l’événement.

    Le désastre que vit la Grèce, et en particulier la gauche grecque, depuis le terrible été 2015 apparaît comme un cas d’école de cette « ruse de la raison historique »...

  • La lutte pour les droits des travailleurs·ses handicapé·es est encore devant nous - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/travailleurs-handicapes-cgt-egalite-droit-esat

    En effet, comme le rappelle ce communiqué, à l’heure actuelle ces travailleurs ont le statut d’usagers et dépendent du Code de l’Action Sociale et des Familles et non pas du Code du Travail, à l’exception des normes relatives à la santé et à la sécurité. Sous couvert d’action sociale, le travail de ces ouvrières et ouvriers est considéré non pas comme un moyen d’obtenir un revenu décent comme pour n’importe quel travailleur valide, mais comme une « aide » pour laquelle, en leur qualité d’« usagers », ils ne perçoivent pas un salaire mais une rémunération complémentaire à l’Allocation Adulte Handicapé. Cette rémunération équivalait en moyenne à 715 € mensuels net pour 35 heures de travail hebdomadaire en 2015 d’après un rapport rendu au Sénat[2].

    Ce communiqué feint d’ignorer que c’est sur la base d’une si faible rémunération que sont calculées les cotisations pour la retraite et les indemnités en cas d’accident du travail, alors même que la durée moyenne de « séjour » en ESAT, rappelée par la mission IGAS-IGF dans son rapport de 2019 est de 13 ans.

    La privation d’un salaire minimum, l’absence de cotisation à l’assurance chômage et d’indemnités de licenciement, des durées de contrat réduites à un an renouvelable condamnent donc les travailleurs d’ESAT à la précarité durant toute leur vie active. Une fois qu’ils atteignent l’âge de la retraite, la plupart d’entre elles et eux dépendent de l’allocation de solidarité aux personnes âgées[3]. Et l’absence de contrat de travail, de conventions collectives, de la possibilité de se pourvoir aux prud’hommes qu’implique la condition d’usager d’ESAT leur ôte tout moyen de s’organiser collectivement pour défendre leurs droits en tant que travailleurs.

  • Daniel Bensaïd fut l’un des grands rénovateurs du marxisme | Darren Roso
    https://www.contretemps.eu/daniel-bensaid-renovateurs-marxisme

    Daniel Bensaïd rejetait l’idée de l’inéluctabilité historique, considérant l’histoire comme une série de carrefours et non comme un chemin unique. Pour Bensaïd, la lutte des classes restera centrale tant que le capitalisme existera, mais son issue est toujours imprévisible.

    Daniel Bensaïd sera tôt ou tard reconnu comme l’un des rénovateurs les plus inventifs et les plus brillants de la théorie marxiste révolutionnaire de notre époque. Solidement enraciné dans le marxisme classique, et même dans le trotskisme classique, il a su aller au-delà, vers de nouveaux domaines, de nouvelles problématiques, de nouvelles idées, de nouvelles illuminations.

    Il était également un écrivain remarquablement doué. Si ses livres peuvent être lus avec un tel plaisir, c’est qu’ils sont écrits avec la plume acérée d’un véritable auteur, qui a le don du trait : un trait qui peut être assassin, ironique, enragé, ou poétique, mais qui va toujours droit au but. Ce style littéraire, propre à l’auteur et impossible à imiter, n’était pas gratuit, mais au service d’une idée, d’un message, d’un appel : refuser la conformité, refuser la résignation, refuser la réconciliation avec les vainqueurs.

    Sa pensée philosophique n’est pas un exercice académique : d’un bout à l’autre, elle est traversée par le courant brûlant de l’indignation, un courant, comme il l’écrit, qui ne peut se dissoudre dans les eaux tièdes de la résignation consensuelle. D’où son mépris pour ceux qu’il appelait les « Homo resignatus« , ces intellectuels ou hommes politiques que l’on reconnaît de loin à leur impassibilité de crapauds face à l’impitoyable ordre établi.

    Pour Bensaïd, « L’indignation est un commencement. Une manière de se lever et de se mettre en route. On s’indigne, on s’insurge, et puis on voit. » Parmi toutes les contributions « hérétiques » de Bensaïd au renouveau du marxisme et de la théorie révolutionnaire, la plus importante, à mes yeux, est sa rupture radicale avec l’idéologie positiviste, déterministe et fataliste du Progrès inéluctable qui a tant pesé sur le marxisme « orthodoxe », notamment en France.

    Sa relecture de Marx, avec l’aide d’Auguste Blanqui et de Walter Benjamin, l’a amené à comprendre l’histoire comme une série de carrefours et de bifurcations ; un champ de possibilités dont l’issue est imprévisible. La lutte des classes est au cœur du processus historique, mais son résultat est incertain.

  • La lutte pour les droits des travailleurs·ses handicapé·es est encore devant nous | Cécile Morin, Lili Guigueno et Elena Chamorro
    https://www.contretemps.eu/travailleurs-handicapes-cgt-egalite-droit-esat

    Militantes anti-validistes, Cécile Morin, Lili Guigueno et Elena Chamorro proposent une analyse critique d’une position prise récemment par l’Union Fédérale d’Action sociale de la CGT à propos des ESAT (Établissements et services d’aide par le travail), posant la question des droits des travailleurs·ses handicapé·es. Source : Contretemps

  • Pourquoi Glucksmann ? - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/pourquoi-glucksmann-parti-socialiste-gauche-strategie-palombarini

    Raphaël Glucksmann semble l’enfant chéri de la presse mainstream, qui voit en lui – dans la perspective des élections européennes à venir – un antidote utile à la gauche de rupture, incarnée depuis plusieurs années par Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise. Son profil politique ne laisse effectivement guère place au doute : il s’agit d’une version vaguement rafistolée de l’orientation d’accompagnement du capitalisme néolibéral qui a plongé la gauche dans une crise historique, partout dans le monde.

    Mais qu’est-ce que cela dit des batailles qui se jouent à gauche actuellement et des stratégies des différents partis qui s’étaient unis dans le cadre de la NUPES, en particulier du PS ? L’économiste Stefano Palombarini, auteur notamment (avec Bruno Amable) de L’Illusion du bloc bourgeois, avance quelques pistes.

    #Politique #NUPES #Stratégie

  • Pourquoi Glucksmann ? | Stefano Palombarini
    https://www.contretemps.eu/pourquoi-glucksmann-parti-socialiste-gauche-strategie-palombarini

    Raphaël Glucksmann semble l’enfant chéri de la presse mainstream, qui voit en lui – dans la perspective des élections européennes à venir – un antidote utile à la gauche de rupture, incarnée depuis plusieurs années par Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise. Son profil politique ne laisse effectivement guère place au doute : il s’agit d’une version vaguement rafistolée de l’orientation d’accompagnement du capitalisme néolibéral qui a plongé la gauche dans une crise historique, partout dans le monde.

    Mais qu’est-ce que cela dit des batailles qui se jouent à gauche actuellement et des stratégies des différents partis qui s’étaient unis dans le cadre de la NUPES, en particulier du PS ? L’économiste Stefano Palombarini, auteur notamment (avec Bruno Amable) de L’Illusion du bloc bourgeois, avance quelques pistes.

    Beaucoup a été dit sur la candidature de Raphaël Glucksmann aux élections européennes, de son choix d’en faire une occasion de propagande des positions ultra-atlantistes sur la politique internationale tout en minorant les thèmes de politique économique et sociale. On sait qu’il parle peu volontiers de la situation à Gaza, pour laquelle il refuse d’utiliser le terme génocide pourtant validé par la Cour Internationale de Justice dans son verdict à la suite de la plainte déposée par l’Afrique du Sud. On sait qu’il va bien au-delà de la volonté de soutenir militairement l’Ukraine, une volonté partagée aussi par ceux qui pensent qu’une aide de ce type est nécessaire pour établir un rapport de force suffisamment équilibré, et laisser ainsi une chance à une solution négociée du conflit. Non, pour lui aucun accord de paix n’est possible avec Poutine, un tyran qui menace nos démocraties : la seule possibilité est de le « défaire totalement », de « l’humilier ». En bon néoconservateur, il va même plus loin : les démocraties occidentales ne sont pas simplement menacées par Poutine, mais par « l’alliance entre la Russie et la Chine […]. Ce n’est pas une alliance conjoncturelle, mais une alliance idéologique, dont le ciment est le ressentiment à notre égard », où évidemment le « notre » ne fait pas référence seulement à la France, mais à l’Occident[1].

    Ces positions ne sont guère étonnantes pour qui connaît son parcours : contributeur regulier de la revue Les meilleurs des mondes, qui a été un soutien indéfectible de la politique étrangère de George Bush ; membre du cercle de l’Oratoire, think tank atlantiste et néoconservateur ; sous l’impulsion de Bernard-Henri Levy[2], conseiller de Mikheïl Saakachvili pendant que celui-ci présidait la Géorgie sur une ligne atlantiste et libérale. En 2007, d’abord candidat pour Alternative Libérale, Glucksmann décida finalement d’apporter un soutien enthousiaste à Sarkozy, qu’il considérait comme « l’héritier rebelle » de 1968[3]. Dix ans plus tard, il accueillait avec ces mots le résultat de la présidentielle :

    « Emmanuel Macron s’adresse à des individus empêchés dans leur quête d’épanouissement par des blocages culturels, des structures sociales ossifiées, des « assignations à résidence » géographiques, identitaires ou économiques, qu’il promet de dépasser. Il est structurellement antiraciste et ouvert sur le monde. Il entend donner à chacun d’entre nous les moyens de se réaliser, rendre la société moins rigide, plus fluide. Il incarne une pensée centrée sur les libertés individuelles, à laquelle la France fut longtemps rétive. Voilà pourquoi il a séduit tant d’anciens soixante-huitards : le président Macron est, de ce point de vue, leur fils spirituel »[4].

    Macron comme Sarkozy, les héritiers de 1968… Si, depuis, Glucksmann dit avoir viré à gauche (une gauche qui s’identifie, comme dans la meilleure tradition du Parti socialiste, avec la toujours très hypothétique construction d’une « Europe sociale »), ses positions sur la politique internationale n’ont pas changé d’un iota, et correspondent toujours à celles du néoconservatisme le plus aveugle.

    Si le profil de Glucksmann ne laisse place à aucun doute, on peut en revanche s’interroger sur les raisons qui ont conduit le Parti socialiste à le désigner pour la deuxième fois comme tête de liste, en renonçant de nouveau à attribuer le rôle à l’un de ses dirigeants. Bien évidemment, il s’agit d’une candidature qui peut se révéler efficace dans une élection qu’on prévoit largement boudée par les jeunes et les classes populaires : selon un sondage Ipsos publié début mars[5], qu’il faut considérer plus solide que d’autres en raison de la taille importante de l’échantillon, le taux d’abstention se situerait à 65% pour les employés et les ouvriers, et dépasserait le 70% pour les moins de 35 ans. Mais la question ouverte porte sur ce que cette candidature dit des perspectives stratégiques d’un parti qui, sorti en miettes de la présidentielle, avait décidé de s’engager dans la NUPES avant de « suspendre » sa participation au mois d’octobre 2023.

    Une première hypothèse, souvent évoquée, est celle d’une volonté de renégocier la NUPES sur la base du résultat des européennes, ce qui permettrait au PS, si les sondages devaient se confirmer, de jouer un rôle majeur dans la désignation du candidat commun à la présidentielle. Mais cette interprétation apparaît plus que fragile : le PS a choisi non seulement de refuser une liste unique, mais aussi de mener campagne sur des thèmes très clivants à gauche, qui l’éloignent radicalement non seulement de la France insoumise, mais aussi du Parti communiste et d’une fraction non négligeable des écologistes. De ce point de vue, le résultat des européennes n’a guère d’importance : si la perspective était toujours celle d’un rassemblement de l’ensemble de la gauche, le PS n’aurait pas désigné Glucksmann, ni décidé d’axer sa campagne sur la guerre comme unique instrument de solution du conflit ukrainien. Il l’a fait, et l’enseignement qu’on doit en tirer est que pour les socialistes, la NUPES est définitivement enterrée.

    Une deuxième hypothèse prend ainsi corps : la décision de rompre durablement toute démarche unitaire pourrait être le produit d’une nostalgie de la longue période qui a vu le PS dominer l’espace de la gauche avec les autres mouvements réduits à la marginalité, une nostalgie qu’on sait être bien présente parmi les cadres du parti. Cette perspective interprétative laisse cependant songeurs tant elle relèverait de l’absence complète d’analyse des échecs subis en 2017 et 2022. La crise du Parti socialiste a été celle de la gauche d’accompagnement, dont le projet depuis les années 1980 était une transition vers le capitalisme néolibéral accomplie « en douceur », qui éviterait toute rupture brutale à la Thatcher, avec des réformes institutionnelles s’attachant d’abord aux domaines les moins directement connectés aux intérêts populaires, comme le système financier ou le commerce international, et menées dans une logique de compromis, à l’image du gouvernement Jospin qui a battu les records en matière de privatisations tout en concédant la réduction de la durée légale du travail à 35 heures.

    Si cette stratégie a fonctionné pendant presque quatre décennies, elle était destinée à rencontrer sa limite : au moment où la poursuite de la réforme néolibérale imposait de s’attacher à la relation salariale et à la protection sociale, le bloc de soutien au PS s’est scindé en deux, avec d’une part les groupes sociaux décidés à prolonger le mouvement qui ont rallié Macron, et d’autre part les catégories populaires définitivement dégoutées par l’action des gouvernements socialistes qui ont pris d’autres directions, principalement vers l’abstention ou vers la gauche de rupture, au cri de « jamais plus le PS ». L’impossibilité de François Hollande de se représenter et le mauvais résultat de Benoit Hamon, puis la déroute d’Anne Hidalgo ne sont pas des événements à l’intérieur d’une parenthèse qu’il s’agirait de refermer : la stratégie de la gauche d’accompagnement, à une époque gagnante, n’est aujourd’hui plus viable.

    En créditant d’un minimum d’intelligence politique les dirigeants socialistes, il faut donc douter de la pertinence de cette deuxième hypothèse et en formuler une troisième en mesure de rendre compte du choix de se ranger derrière Glucksmann. La lutte pour succéder à Macron dans la représentation du bloc bourgeois est destinée à s’ouvrir dans la période qui vient, et rien ne dit qu’elle sera réservée aux composantes de la minorité présidentielle. La dérive droitière du Président et de ses fidèles laisse d’ailleurs imaginer qu’un espace puisse s’ouvrir pour un candidat en mesure de rejouer la campagne « progressiste » du premier Macron, et il y a beaucoup de raisons pour imaginer que le profil de Glucksmann soit adapté à une telle tâche.

    Cependant, même dans les sondages sur les prochaines européennes qui lui sont les plus favorables, il n’y a pour l’instant aucun signe d’une capacité du PS d’intercepter le soutien ne serait-ce que d’une petite fraction du bloc bourgeois : celui-ci s’effrite, mais exclusivement à l’avantage de la droite et (surtout) de l’extrême-droite, alors que le total des voix pour les listes socialiste et écologiste est, dans tous les sondages, au mieux identique à celui de 2019[6]. Mais de façon plus fondamentale, il faut rappeler quels étaient les axes structurants de la première campagne macroniste : accent sur démocratie, libertés publiques, droits individuels, certes ; attachement total à la construction européenne, évidemment ; mais aussi volonté ferme d’amener à son terme la transition néolibérale, y compris au prix de réformes impopulaires sur le travail et la protection sociale.

    C’est sur ces axes que le bloc bourgeois s’est construit, et c’est la capacité d’être crédible sur les trois axes qui sera déterminante pour savoir si un autre Macron est vraiment possible[7]. Concrètement, pour le PS cela reviendrait non seulement à se payer plein de mots sur l’Europe et la démocratie, exercice qu’il maitrise parfaitement, mais aussi à réhabiliter la loi El Khomri et François Hollande, ce qui n’est pas à exclure mais qui demanderait d’effacer de la mémoire des électeurs toutes les critiques formulées par le parti à leur encontre, l’inventaire « sans concession » dressé par Olivier Faure du quinquennat de l’ancien président[8], la participation à la NUPES, l’alliance aux législatives avec la France insoumise. Bref, si l’idée est de se positionner de sorte à représenter un bloc bourgeois par ailleurs déclinant, l’éphémère virage à gauche de la période qui va de mai 2022 à octobre 2023 pourrait se révéler un handicap insurmontable.

    Même si c’est à des degrés divers, chacune de trois clés de lecture évoquées a de quoi laisser perplexe. Il y en a en revanche une quatrième qui paraît plus pertinente. Il est possible que le PS ait tiré comme enseignement de ses derniers échecs l’impossibilité de jouer de nouveau un rôle de premier plan dans le gouvernement du pays, et qu’il considère désormais comme objectif prioritaire simplement sa survie : ce qu’on pourrait appeler « le syndrome PCF ». La décision d’intégrer la NUPES, qui restera peut-être dans les mémoires comme la dernière tentative socialiste de traduire une ambition nationale dans une stratégie politique, impliquait un risque sur la viabilité d’un parti qu’elle a profondément divisé.

    Faure n’a gagné le congrès de janvier 2023 qu’avec un très faible écart, résultat d’ailleurs contesté par ses opposants ; et tout indique qu’au moins depuis octobre, il a perdu la main sur un parti aujourd’hui dominé par son ancienne minorité, une (ex)-minorité constituée très largement par des élus locaux dont les choix stratégiques sont liés bien davantage au renouveau de leurs mandats qu’à un projet de gouvernement pour la France. Il suffit de rappeler que ses figures principales s’appellent Carole Delga, présidente de la région Occitanie (ovationnée sur demande de Glucksmann au meeting toulousain du 23 mars), Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, Michaël Delafosse, maire de Montpellier, ou encore Anne Hidalgo, maire de Paris. Tous réunis aujourd’hui, avec Faure, dans le soutien à Glucksmann, dont la candidature s’explique avec la nécessité de réunifier un parti menacé de disparition à cause des mauvais résultats électoraux mais aussi de ses fractures internes.

    Ainsi, comme je l’ai indiqué, le résultat des européennes à venir, quel qu’il soit, ne jouera guère dans la renégociation d’une NUPES que le PS a décidé de dissoudre définitivement ; il pourra éventuellement donner quelques illusions, mais bien fragiles, aux nostalgiques des années glorieuses du parti ; et se révèlera très probablement inefficace pour ceux qui voient dans l’essayiste néoconservateur le successeur possible de Macron. Mais si elle ne correspond à aucun projet politique national solide et cohérent, la candidature Glucksmann permet aujourd’hui au PS de se considérer comme enfin ressoudé : l’appareil n’est pas mort, comme n’est pas morte sa capacité d’aider des notables locaux à garder leur place.

    • « Après l’adoubement de Taubira, la suite...
      Celle qui voulait le "big bang" en 2019 avec les sociaux-libéraux (avant de soutenir Mélenchon après l’échec de son truc) est bien évidemment prête à s’allier avec les sociaux-libéraux. Elle l’a fait à la marie de Paris avec Delanoë » !

      🔴⚡Info @le_Parisien L’option @Clem_Autain pour 2027 | « C’est l’une des rares à LFI avec qui on peut travailler » loue un socialiste. « Il y a quelque chose à créer » affirme un autre du PS. « Je l’aime bien, elle pourrait être une hypothèse » affirme un insoumis.

      https://twitter.com/GastonLefranc/status/1774374732932038767

    • CLÉMENTINE AUTAIN PASSE LA SECONDE

      2027 EN SECRET. Clémentine Autain a décidé d’accélérer sa stratégie, avec 2027 dans le viseur. En toute discrétion, la députée de La France Insoumise a réuni environ soixante-dix personnes dans une salle du XIXe arrondissement de Paris le 29 février, a appris Playbook.

      Objet de la réunion : “Commencer à s’organiser en vue de la présidentielle”, dans les mots de l’un de ces soutiens. Un autre rassemblement de ce type est prévu la semaine prochaine.

      En piste. La députée de Seine-Saint-Denis “a dit qu’elle se préparait pour être une possibilité pour la présidentielle, c’était très clair”, nous racontait un autre participant à cette première soirée. Devant son auditoire, elle “a expliqué pourquoi elle avait pris sa décision et pourquoi elle pensait être une solution pour rassembler la gauche”.

      “C’était la première fois qu’elle le disait comme ça”, relevait-il encore.

      Top secret. “On a assuré la confidentialité aux participants”, relatait le même, qui refusait de dévoiler le nom des présents. Parmi ces derniers, plusieurs, embêtés, n’ont pas souhaité confirmer leur présence ; d’autres ont minimisé la portée de l’initiative.

      Playbook a tout de même gratté : d’après plusieurs sources, une demi-douzaine de députés étaient là, dont Raquel Garrido, Alexis Corbière et Danielle Simonnet — tous les trois en rupture de ban avec la direction de LFI — ou encore la communiste Elsa Faucillon, une proche de longue date d’Autain. Dans la salle étaient aussi présents des maires d’Ile-de-France, des personnalités des milieux associatif, féministe, artistique, ou de la société civile.

      Il va y avoir du sport. “D’habitude ils sont cinq ou dix max, en cercle serré. Là, elle élargit aux deuxième et troisième cercles, elle change de dimension”, détaillait, enthousiaste, le soutien cité en haut. Lequel analysait : “Elle est dans une stratégie de marathonienne, elle a besoin de se compter”. “Elle se bouge, elle est dans une démarche d’unité”, louait un autre.

      Passage à la douane. Interrogée sur cette réunion hier, Clémentine Autain refusait d’en dire plus en pleine campagne des européennes : “Je n’ai rien à déclarer, si ce n’est que oui, c’est vrai, je travaille avec beaucoup de gens dans un cadre privé et dans un spectre large, et j’écoute”, évacuait-elle.

      ET APRÈS ? L’ex-adjointe à la mairie de Paris “a dit qu’elle voulait structurer quelque chose” et engager un “travail commun” avec les participants, nous assurait l’une de nos sources. Mais la démarche n’en est qu’à son commencement : “Personne n’a de rôle déterminé”. Seule une boucle WhatsApp au titre encore imprécis — “Rdv Clémentine Autain” — a été créée.

      To-do list. “Il faut travailler un récit, une personnalité, un style ; une campagne, c’est des années de labeur”, énonçait un proche, expliquant qu’Autain entendait “incarner une gauche alternative mais sans être dans ‘le bruit et la fureur’”.

      Passif. La députée remet régulièrement en cause publiquement cette stratégie de conflictualisation théorisée par Jean-Luc Mélenchon. Début février, les nouvelles critiques qu’elle avait émises ont provoqué la colère de l’Insoumis en chef qui l’a appelée à “cesser” son “sabotage” dans un message Telegram interne révélé par Le Nouvel Obs. “Partir serait mieux”, avait cinglé Mélenchon.

      Privée de micro. Signe de l’état exécrable des relations entre Autain et la direction de LFI, l’élue de Seine-Saint-Denis n’a pas été invitée à dire un mot d’accueil sur scène lors du premier meeting de Manon Aubry pour les européennes, contrairement à l’usage. Ce dernier se tenait pourtant à Villepinte, dans sa circonscription.

      Au passage, notez que Christiane Taubira, l’ancienne garde des Sceaux, interrogée hier par Libération sur les candidats potentiels pour reprendre le flambeau chez LFI, a dit sa préférence pour Clémentine Autain.

      https://www.politico.eu/newsletter/playbook-paris/4498911

    • Tous les deux jours des nouvelles de cette entreprise ultra discrète !

      https://www.liberation.fr/politique/presidentielle-2027-comment-clementine-autain-et-francois-ruffin-se-prepa

      Chacun à sa façon, Clémentine Autain et François Ruffin travaillent à une possible candidature pour 2027. En froid avec la direction de LFI, ils avancent sans entrer l’un et l’autre en confrontation.

  • Les vrais défis pour l’École sont ailleurs | Stéphane Bonnéry, 31 août 2013
    https://www.contretemps.eu/defis-ecole-inegalites

    Les promoteurs des réformes de l’École au service du capitalisme sont là devant une contradiction : comment conduire 50 % d’une génération à bac+3 tout en dépensant le moins possible ? L’une des réponses esquissées par les décideurs repose sur le couplage qui se dessine entre le lycée et la licence. Sans que cela ne soit jamais dit, le gouvernement prépare le financement de l’augmentation du nombre d’étudiants en licence notamment par la réduction du nombre de lycéens. Il s’agit, avec ce rapprochement du lycée et de la licence, de créer un tuyau dans lequel il y aura le moins de déperditions possibles en cours de route. Un jeune dont les probabilités d’aller jusqu’à la licence sont faibles n’a pas sa place au lycée dans cette vision-là. [...]

    En amont du couple lycée-licence, dans les réformes et projets de réformes précédents, cela n’a jamais été dit, mais le lien entre les choses est trop évident : pour que seuls les jeunes qui ont une chance raisonnable de ne pas sombrer au lycée général dans de telles conditions accèdent à celui-ci, cela suppose de faire le tri en amont du lycée. Et donc de couper le collège du lycée (ce qui revêt pour les décideurs l’avantage annexe d’affaiblir la force de résistance du SNES). Le collège est alors rapproché de l’élémentaire, dans le cadre du socle commun : les uns n’auront que celui-ci pour horizon, qui marquera la sortie de l’École, tandis que les autres se verront enseigner davantage. Cette logique conduit, mécaniquement, à préparer progressivement des classes officiellement de niveaux, et même des établissements de niveaux : les uns établissements du socle, les autres établissements du programme complet.

    • Education : quand l’extrême droite dicte le programme d’Emmanuel Macron | par Jean-Paul Delahaye, le 26 mars 2024
      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/education-quand-lextreme-droite-dicte-le-programme-demmanuel-macron-20240

      Les groupes constitués au collège vont nécessairement instituer une séparation des contenus et des élèves avant même la fin de la scolarité obligatoire. C’est le think tank Fondapol, ancré à droite, qui a théorisé cette sortie de scolarité commune en 2012. Partant du constat qu’il existe « de terribles contradictions entre le discours homogénéisant de l’école républicaine et les réalités d’une société désormais fragmentée et multiculturelle » il faut, et la proposition a le mérite de la clarté, « organiser la différenciation des programmes pour répondre à la différenciation sociale et culturelle », afin « de mieux assurer l’égalité des chances (sic !) ».

      Cela ressemble tout de même beaucoup aux propos entendus récemment. Les responsables de Fondapol vont plus loin et proposent en conséquence de créer de nouveaux établissements pour les élèves en difficulté, des écoles qu’ils osent appeler en utilisant de façon scandaleuse la terminologie progressiste des années 70, « écoles fondamentales ». Dans ces écoles d’un nouveau genre, les enseignants seraient payés double (ce qui ne coûterait rien, car il y aurait moins de disciplines enseignées), qui se concentreraient sur trois matières : français, mathématiques et éducation physique et sportive, en opposition au « collège général » réservé aux élèves qui vont bien. On n’en est pas encore là mais faut-il s’y préparer ?

      L’Ifrap, think tank ultralibéral, ne disait pas autre chose en 2015 en parlant « d’échec massif » du collège unique : « Par aveuglement et par confusion idéologiques, nous avons collectivement refusé d’admettre qu’à des élèves différents les uns des autres, il ne faut pas, au nom de l’égalité des chances, proposer les mêmes choses (même accommodées à la “sauce” interdisciplinaire ou transdisciplinaire ou artistico-culturelle) mais bien des contenus, des méthodes et des perspectives de formation différenciés. » On retrouve là les propos séparatistes d’Alfred Fouillée à la fin du XIXe siècle qui pouvait déclarer : « Il est douteux qu’à vouloir tout mêler, on puisse tout élever. »

      Le Rassemblement national n’est pas en reste et a fourni au gouvernement des éléments de la boîte à outils destinés à démolir le projet d’école démocratique. Pour le RN, la « baisse constante du niveau » a une cause : le mérite et l’exigence auraient « laissé la place au nivellement par le bas ». Le « bas », si on comprend bien, c’est le peuple, quel mépris… [...]

      La labellisation des manuels scolaires voulue par Gabriel Attal ? C’est une proposition du RN : « Reprendre en main le contenu et les modalités des enseignements. Le détail des programmes et les labels validant les manuels scolaires relèveront du ministre de l’Education nationale. »

      Le diplôme du brevet qui devient un examen d’orientation ? C’est encore une proposition du RN : « Pour redonner au collège une place centrale dans la réussite des élèves, le diplôme national du brevet deviendra donc un examen d’orientation post-3e : en fonction des résultats de l’élève et de ses bulletins scolaires, celui-ci sera orienté vers l’enseignement général et technologique, vers l’enseignement professionnel ou vers l’enseignement des métiers par l’apprentissage. » Notons que le gouvernement va plus loin en décidant que le diplôme du brevet devienne obligatoire pour passer en seconde, quelle qu’elle soit.

      Le port d’un uniforme par les élèves ? C’est toujours le RN : « Port d’un uniforme à l’école primaire et au collège. »

      Finalement, l’extrême droite est déjà à la manœuvre dans le domaine éducatif comme elle l’est sur d’autres sujets.

      En conduisant cette politique de restauration pas très républicaine, les actuels gouvernants disent aux enfants issus des milieux populaires que le collège ne sera jamais pensé pour eux et qu’en conséquence, ils doivent aller voir ailleurs. Pour eux, le collège, qui devrait pourtant être le bien commun de tous les citoyens, n’a pas à s’adapter à tous les élèves. Propriété, de fait, des élites intellectuelles et économiques qui en ont fait un petit lycée général, le collège doit accomplir la mission dans laquelle on l’a enfermé : trier et « orienter » les élèves non conformes.

  • En défense de Judith Butler - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/en-defense-de-judith-butler

    Je dois rester naïve malgré les années, car je n’aurais jamais imaginé que Judith Butler, la « papesse du genre », comme nous la surnommons affectueusement entre féministes, qui a formé des décennies d’étudiant·e·s en étude de genre dans des disciplines variées à travers le monde, pourrait un jour être attaquée en tant qu’universitaire et chercheuse suite à ses prises de position sur la Palestine lors du meeting « Contre l’antisémitisme et son instrumentalisation. Pour la paix révolutionnaire en Palestine ». Je la pensais intouchable en raison de sa contribution fondamentale aux études de genre. Mais dans des périodes réactionnaires, où la désorientation est la norme dans toutes les sphères sociales, où tous les verrous sautent les uns après les autres, ce qui semblait acquis ne l’est plus. Il semble donc aujourd’hui nécessaire de rappeler plusieurs évidences concernant Judith Butler.

  • L’extraction minière, dévastatrice, est nécessaire au maintien de CETTE société
    https://ricochets.cc/L-extraction-miniere-devastatrice-est-necessaire-au-maintien-de-CETTE-soci

    Toujours plus de mines, et donc d’énergies, de pollutions, de déforestation et de dépossessions. Toujours plus de minerais pour alimenter la soif insatiable d’argent du capitalisme. Toujour plus d’extractivisme pour assurer le besoin de puissance des Etats. Deux articles explorent l’arnaque de la (pseudo) transition « verte », qui sert de justification à la continuation de la civilisation industrielle et des désastres écocidaires associés. Des mines il en faut pour développer la 5G et le (...) #Les_Articles

    / #Catastrophes_climatiques_et_destructions_écologiques, #Le_monde_de_L'Economie

    https://reporterre.net/Le-mouvement-climat-doit-renoncer-a-la-fable-des-mines-ecolos
    https://www.contretemps.eu/entretien-celia-izoard-ruee-miniere

  • Il fait sombre avant l’aube, mais le colonialisme israélien touche à sa fin | Ilan Pappé
    https://www.contretemps.eu/colonialisme-israel-sionisme-palestine-pappe

    Dans ce texte, Ilan Pappé analyse la difficulté croissante de légitimation de la logique d’extermination et de déshumanisation inhérente au colonialisme de peuplement mis en œuvre par le projet sioniste. Il la situe dans le cadre de la crise interne de la société israélienne et conclut à la fin de ce projet en tant qu’il s’incarne dans un État juif qui se veut à la fois démocratique et colonisateur. Mais la fin de ce projet est aussi un moment de danger maximal, qui voit se combiner une guerre génocidaire à Gaza et une escalade de violence en Cisjordanie. Face à cette catastrophe, l’auteur en appelle à l’élaboration de visions alternatives pour l’avenir de la Palestine, différentes du modèle occidental d’État-nation.

    Le sionisme comme colonialisme de peuplement

    L’idée que le sionisme est un colonialisme de peuplement n’est pas nouvelle. Dans les années 1960, les universitaires palestiniens qui travaillaient à Beyrouth au centre de recherche de l’OLP avaient déjà compris que ce à quoi ils étaient confrontés en Palestine n’était pas un projet colonial classique. Ils ne considéraient pas Israël comme une simple colonie britannique ou américaine, mais comme un phénomène existant dans d’autres parties du monde, défini comme un colonialisme de peuplement.

    Il est intéressant de noter que pendant 20 à 30 ans, la notion de sionisme en tant que colonialisme de peuplement a disparu du discours politique et universitaire. Elle est réapparue lorsque des universitaires d’autres régions du monde, notamment d’Afrique du Sud, d’Australie et d’Amérique du Nord, ont reconnu que le sionisme était un phénomène similaire au mouvement des Européens qui ont créé les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. Cette idée nous aide à mieux comprendre la nature du projet sioniste en Palestine depuis la fin du 19e siècle jusqu’à aujourd’hui, et nous donne une idée de ce à quoi il faut s’attendre à l’avenir.

    Je pense que cette idée particulière des années 1990, qui reliait si clairement les actions des colons européens, en particulier dans des endroits tels que l’Amérique du Nord et l’Australie, aux actions des colons venus en Palestine à la fin du 19e siècle, a permis d’élucider clairement les intentions des colons juifs qui ont colonisé la Palestine et la nature de la résistance palestinienne locale à cette colonisation. Les colons ont suivi la logique la plus importante adoptée par les mouvements coloniaux, à savoir que pour créer une communauté coloniale réussie en dehors de l’Europe, il faut éliminer les indigènes du pays où l’on s’est installé. Cela signifie que la résistance indigène à cette logique était une lutte contre l’élimination, et pas seulement une libération. Ce point est important si l’on pense à l’opération du Hamas et aux autres opérations de résistance palestinienne depuis 1948.

    Les colons eux-mêmes, comme c’est le cas de nombreux Européens venus en Amérique du Nord, en Amérique centrale ou en Australie, étaient des réfugiés et des victimes de persécutions. Certains d’entre eux étaient moins malchanceux et cherchaient simplement une vie meilleure et de meilleures opportunités. Mais la plupart d’entre eux étaient des parias en Europe et cherchaient à créer une Europe dans un autre endroit, une nouvelle Europe, au lieu de l’Europe qui ne voulait pas d’eux. Dans la plupart des cas, ils ont choisi un endroit où quelqu’un d’autre vivait déjà, les peuples indigènes. Ainsi, le noyau le plus important parmi eux était constitué par leurs dirigeants et idéologues, qui ont fourni des justifications religieuses et culturelles à la colonisation de la terre d’autrui.

    On peut ajouter à cela la nécessité de s’appuyer sur un empire pour commencer la colonisation et la maintenir, même si, à l’époque, les colons se sont rebellés contre l’empire qui les avait aidés et ont exigé et obtenu l’indépendance, qu’ils ont souvent obtenue et ont ensuite renouvelé leur alliance avec l’empire. La relation anglo-sioniste qui s’est transformée en alliance anglo-israélienne en est un exemple.

    L’idée que l’on peut expulser par la force les habitants du pays que l’on veut est probablement plus compréhensible – et non justifiée – dans le contexte des 16e, 17e, et 18e siècles, parce qu’elle allait de pair avec une approbation totale de l’impérialisme et du colonialisme. Elle a été alimentée par la déshumanisation commune des autres peuples non occidentaux et non européens. Si vous déshumanisez les gens, vous pouvez plus facilement les éliminer.

    La particularité du sionisme en tant que mouvement colonial de peuplement est qu’il est apparu sur la scène internationale à une époque où, partout dans le monde, on commençait à s’interroger sur le droit de supprimer les peuples indigènes, d’éliminer les indigènes et les peuples autochtones, et de ne pas se préoccuper de leurs droits. Nous pouvons donc comprendre les efforts et l’énergie déployés par les sionistes et, plus tard, par l’État d’Israël pour tenter de dissimuler le véritable objectif d’un mouvement de colonisation tel que le sionisme, à savoir l’élimination de la population autochtone...

  • Procédure lancée par l’Afrique du Sud contre Israël : un appel à se libérer de l’Occident impérial - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/afrique-du-sud-israel-genocide-gaza-occident-imperialisme

    Tony Karon 17 janvier 2024 Procédure lancée par l’Afrique du Sud contre Israël : un appel à se libérer de l’Occident impérial

    2024-01-17T07:35:56+01:00

    L’Afrique du Sud ne conteste pas seulement la guerre génocidaire menée Israël contre les Palestinien·nes de Gaza ; elle tente de briser l’emprise de l’hégémonie américaine. C’est ce que montre Tony Karon dans un article d’abord publié en anglais par The Nation.

    *

    Malheureusement pour les Palestinien·nes qui souffrent depuis longtemps, la « nécessité » de la violence organisée au service du massacre de civil·es par milliers est une affaire de point de vue. Et Israël fait le pari que sa guerre contre Gaza est conforme à ce qui est jugé acceptable dans les coulisses du pouvoir de l’Occident impérial, où des termes comme « dommages collatéraux » aseptisent la version actuelle des massacres de l’ère coloniale de personnes de couleur dans le cadre de campagnes de « pacification ».

    La brutalité « nécessaire » est un principe séculaire dans la poursuite et le maintien du pouvoir occidental, qu’il s’agisse de colonisateurs européens, de colons américains décimant les populations autochtones, de l’armée états-unienne anéantissant les Vietnamiens, d’Afghans ou d’Irakiens contraints de se plier à la volonté de Washington, ou de la secrétaire d’État de l’époque, Condoleezza Rice, disant au Liban de se résigner à la mort et à la destruction massives provoquées par l’invasion israélienne de 2006 alors présentée comme « affres de la mise au monde d’un nouveau Moyen-Orient ».

    L’idéologue patenté de la puissance occidentale, Samuel P. Huntington, théoricien du « choc des civilisations » ne dit pas autre chose, d’ailleurs :

    « L’Occident ne doit pas sa conquête du monde à la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion (à laquelle peu de membres d’autres civilisations ont été convertis), mais plutôt à sa supériorité dans l’application de la violence organisée. C’est un fait que les Occidentaux oublient souvent ; les non-Occidentaux, eux, jamais. »

    Vladimir Ze’ev Jabotinsky, fondateur du mouvement sioniste révisionniste, mouvement devenu hégémonique dans la politique israélienne pendant la majeure partie des cinq dernières décennies [depuis l’accession au pouvoir de Menahem Beging et du Likoud en 1977], semblait bien conscient de l’argument avancé par Huntington un demi-siècle plus tard. L’influent pamphlet de Jabotinsky de 1923, Le mur de fer, était un appel aux armes dépourvu de toute sensiblerie, adressé à ceux qui visaient l’édification et la perpétuation d’un État ethnique juif en Palestine :

    « Nous cherchons à coloniser un pays contre la volonté de sa population, en d’autres termes, par la force. Voilà la racine dont proviennent toutes sortes d’incidences néfastes avec une inévitabilité axiomatique ».

    La violence qu’Israël déchaîne est du même type que celle qui a fait de l’Occident la force dominante du système international. Et c’est l’ancrage d’Israël dans un ordre colonial occidental qui est utilisé pour justifier la sauvagerie qui s’abat sur Gaza. La violence, regrettable mais nécessaire pour défendre les frontières de la « civilisation » contre la « barbarie », est un vieux principe des puissances occidentales. Et c’est en vertu de ce principe qu’Israël exige un soutien à sa campagne à Gaza.

    Selon le New York Times, au cours d’échanges diplomatiques et dans des déclarations publiques, les responsables israéliens « ont cité les actions militaires occidentales passées en zones urbaines, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux guerres contre le terrorisme qui ont suivi le 11 septembre… pour aider à justifier une campagne contre le Hamas qui coûte la vie à des milliers de Palestiniens ».

    Mais l’accusation de génocide portée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ) dans l’espoir de mettre un terme à l’opération militaire d’Israël rappelle l’observation de Huntington selon laquelle les non-Occidentaux n’ont jamais oublié comment l’Occident a été créé et ne sont pas non plus disposés à accepter ses prérogatives. De nombreux pays du Sud voient dans la violence d’Israël un écho de leur propre brutalisation et humiliation historiques aux mains de la puissance occidentale.

    L’Afrique du Sud ne se contente pas d’affronter Israël ; elle met en cause, de fait, les États-Unis, principal soutien d’Israël, qui bloquent agressivement toute tentative d’obliger Israël à rendre des comptes au regard du droit international. En saisissant la CIJ, l’Afrique du Sud dit au monde qu’on ne peut pas faire confiance aux États-Unis et à leurs alliés pour mettre un terme à la campagne génocidaire d’Israël.

    Le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud a été l’âme sœur idéologique et l’allié le plus proche d’Israël ; l’Afrique du Sud post-apartheid honore désormais l’obligation morale énoncée par Nelson Mandela, de ne pas trouver le repos tant que la Palestine ne sera pas libre. Son action implique également l’héritage de la responsabilité morale de conduire la société civile mondiale à agir contre l’apartheid, responsabilité qui découle de sa propre expérience de lutte soutenue par la solidarité internationale.

    Les millions de personnes qui défilent dans les rues du monde entier nous disent qu’une grande partie de la société civile est aux côtés des Palestiniens. Pourtant, la plupart des gouvernements qui ne soutiennent pas directement les agissements criminels d’Israël n’ont pas agi. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Israël bombarde et affame les civils, détruisant délibérément leurs moyens de survie. Et il agit avec la certitude inébranlable que les munitions états-uniennes qu’il largue sur les mères et les enfants de Gaza continueront d’affluer tandis que Washington assurera une couverture politique. L’Afrique du Sud a tenté de briser la passivité imposée par les États-Unis, offrant un exemple d’action indépendante du Sud pour mettre fin aux crimes de guerre approuvés par l’Occident.

    Lorsque Mandela, libéré de prison en 1990, a été mis en cause aux États-Unis pour ses relations avec Yasser Arafat, leader de l’Organisation de libération de la Palestine, il a poliment mais fermement fait comprendre à l’establishment américain que « vos ennemis ne sont pas nos ennemis », principe de non-alignement que ses héritiers poursuivent aujourd’hui.

    Bien sûr, il y a toujours eu des limites à la capacité des gouvernements du Tiers monde à s’opposer aux États-Unis et à l’Europe, la principale étant le rôle central joué par les marchés financiers mondiaux contrôlés par l’Occident dans la capacité de ces gouvernements à gouverner. L’économie mondiale grotesquement inégale créée par le pillage colonial de l’Occident a été maintenue, après la décolonisation politique, sous la forme de relations codifiées de propriété privée qui ont essentiellement donné aux États-Unis et à l’Europe un droit de veto sur l’indépendance politique des anciennes colonies. Aujourd’hui encore, nous constatons que l’Égypte subit des pressions pour accueillir des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens victimes du nettoyage ethnique de Gaza, en échange de l’annulation de 160 milliards de dollars de sa dette nationale.

    Malgré sa position subordonnée dans le système financier mondial, l’Afrique du Sud a commencé à résister aux exigences géopolitiques des États-Unis, en refusant notamment, de concert avec la plupart des pays du Sud, de prendre le parti de l’OTAN dans la guerre en Ukraine. Cela peut refléter le déclin de la puissance étatsunienne par rapport aux autres et l’indépendance économique croissante des puissances moyennes. Mais l’action de l’Afrique du Sud devant la CIJ constitue un nouveau défi géopolitique pour les États-Unis. Parce qu’en accusant Israël de génocide, inévitablement, même si de manière implicite, ce sont les États-Unis que l’on accuse de complicité.

    Le corollaire de la remarque de Huntington sur la mémoire non-occidentale renvoie aussi à une histoire de moments de violence organisée par des peuples non occidentaux dont les succès contre des puissances occidentales prétendument invincibles ont parfois inspiré une résistance dans l’ensemble du Sud. Pankaj Mishra a mis en lumière ce type de dynamique dans l’impact de la défaite infligée par le Japon à la Russie impériale en 1905 sur des intellectuels allant de Sun Yat-Sen à Jawaharlal Nehru, en passant par Mustafa Kemal Ataturk et W.E.B. Du Bois : « Ils ont tous tiré la même leçon de la victoire du Japon : les hommes blancs, conquérants du monde, n’étaient plus invincibles ».

    Un frisson d’inspiration comparable a parcouru l’ensemble du Sud lorsque les révolutionnaires vietnamiens ont vaincu l’armée coloniale française à Dien Bien Phu en 1954. Et de nouveau lorsqu’ils ont vaincu les États-Unis qui avaient remplacé la France. Ou encore lorsque des révolutionnaires cubains ont éjecté un dictateur soutenu par les États-Unis et repoussé les tentatives de restauration de l’ancien régime.

    La génération sud-africaine qui a mené le soulèvement de Soweto en 1976 contre le gouvernement de l’apartheid a été enhardie par le spectacle, quelques mois plus tôt, de l’armée prétendument invincible de Pretoria contrainte de battre en retraite de l’Angola par les forces cubaines et celles du MPLA [Mouvement pour la Libération de l’Angola]. La victoire du Hezbollah en 1999, après 15 ans de guérilla pour forcer le retrait d’Israël du Sud-Liban, de la même manière, a été source d’inspiration pour les Palestiniens et leurs voisins. Et ainsi de suite.

    Beaucoup noteront que si Israël a pulvérisé une grande partie de Gaza et continue de tuer des centaines de civils chaque jour, il ne parvient pas à détruire la capacité de combat CONTRETEMPS

    REVUE DE CRITIQUE COMMUNISTE
    Procédure lancée par l’Afrique du Sud contre Israël : un appel à se libérer de l’Occident impérialdu Hamas. « Le scepticisme grandit quant à la capacité d’Israël à démanteler le Hamas », a averti le New York Times. Loin de marginaliser le Hamas, les actions d’Israël ont rendu le mouvement plus populaire que jamais parmi les Palestiniens et dans toute la région arabe, tout en affaiblissant les dirigeants alignés sur Israël et les États-Unis.

    Le militant de la société civile palestinienne Fadi Quran a récemment affirmé que l’offensive d’Israël diminuait en fait son image « dissuasive » : « Nous avons constaté un changement radical dans la perception moyenne de l’armée israélienne dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Auparavant, elle était considérée comme une force sophistiquée et dissuasive avec laquelle il fallait compter, et dont la suprématie était inébranlable », écrit-il. « Aujourd’hui, elle est perçue comme extrêmement faible et fragile. Plus précisément, la perspective actuelle est qu’elle serait facilement vaincue si elle ne bénéficiait pas du soutien illimité des États-Unis.

    La dépendance d’Israël à l’égard des bombardements aériens et du pilonnage des centres urbains est perçue comme la tactique la plus lâche d’une armée qui a peur du face à face avec une milice qui est dix fois moins nombreuse qu’elle, qui dispose d’un pour cent de ses ressources et qui est assiégée depuis dix-sept ans. Les incursions terrestres d’Israël se font à travers des chars fortifiés après des bombardements aériens et d’artillerie massifs, mais sans parvenir à tenir efficacement ses positions ».

    Les tactiques israéliennes de punition collective ainsi que l’ampleur et la nature de la violence que les puissances occidentales sont prêtes à tolérer contre un peuple captif et colonisé à Gaza rappellent également aux anciens peuples colonisés et à leurs descendants comment l’Occident a été créé.

    Israël s’attend à être compris dans les capitales occidentales en raison des traditions de « violence nécessaire » de la domination impériale occidentale, ce qui laisse entendre qu’il pourrait être antisémite de refuser à Israël le droit de se comporter, au début du 21e siècle, comme l’ont fait les puissances européennes et les États-Unis aux 19e et 20e siècles.

    Il convient ici de rappeler une observation de feu l’historien britannique Tony Judt sur les conséquences de l’arrivée tardive d’Israël dans le jeu de la colonisation :

    « En bref, le problème d’Israël n’est pas, comme on le laisse parfois entendre, qu’il s’agit d’une « enclave » européenne dans le monde arabe, mais plutôt qu’il est arrivé trop tard. Il a importé un projet séparatiste caractéristique de la fin du19e siècle dans un monde qui a évolué, un monde de droits individuels, de frontières ouvertes et de droit international. L’idée même d’un « État juif » – un État dans lequel les Juifs et la religion juive jouissent de privilèges exclusifs dont les citoyens non juifs sont à jamais exclus – est enracinée dans un autre temps et un autre lieu. En bref, Israël est un anachronisme ».

    L’historien Adam Tooze, dans sa chronique au Financial Times, ajoute quant à lui :

    « Les Israéliens sont le dernier groupe d’Européens (en majorité) à se lancer dans l’accaparement de terres non-européennes, justifiée dans leur mission par la théologie, la revendication d’une supériorité civilisationnelle et le nationalisme. Bien sûr, les accaparements de terres se poursuivent partout dans le monde, tout le temps. Mais, à l’heure actuelle, le projet israélien s’affirme comme version particulièrement cohérente et assumée d’idéologie de colonialisme de peuplement « classique » ».

    Israël mène donc une guerre coloniale classique de pacification d’une population autochtone qui résiste à la colonisation, au moment même où une grande partie de la population mondiale présente la facture de siècles de violence et d’asservissement occidentaux, et demande justice et la réorganisation des rapports de force au niveau mondial. La défense de la Palestine est devenue l’emblème de cette lutte globale pour un autre gouvernement des affaires du monde.

    Gaza a mis à nu l’hypocrisie fondamentale de « l’ordre international fondé sur des règles » de Biden – un système hypocrite qui légitime et permet la violence contre les Palestiniens colonisés et les violations systématiques du droit international par Israël. La campagne militaire d’Israël et son système d’apartheid peuvent être tolérés par les puissances occidentales, mais ils sont intolérables pour les citoyens du Sud.

    Dans sa période de domination unipolaire de l’après-guerre froide, Washington a exigé le contrôle exclusif du dossier israélo-palestinien contre la communauté internationale. Le résultat a été un « processus de paix » dans lequel Israël a étendu et approfondi sans relâche son occupation d’apartheid, tandis que les responsables américains ont fermé toute discussion sur la limitation d’Israël en entonnant des mantras vides d’une « solution à deux États » qui pourrait être mise en péril si Israël était contraint de se conformer au droit international. Ce moment est révolu.

    Par le biais de la procédure engagée devant la CIJ, l’Afrique du Sud envoie un message selon lequel accepter le leadership des États-Unis sur les affaires mondiales signifie accepter le massacre de dizaines de milliers de Palestiniens et le nettoyage ethnique de centaines de milliers d’autres.

    Les États-Unis s’opposent agressivement à des initiatives telles que la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la CIJ, tout comme ils opposent systématiquement leur veto à tout effort du Conseil de sécurité des Nations unies visant à limiter les violations systématiques du droit international par Israël. L’action en justice de l’Afrique du Sud rompt l’emprise de l’hégémonie américaine qui paralyse une grande partie de la communauté mondiale et l’empêche de prendre des mesures pour demander des comptes aux génocidaires. C’est un appel au Sud pour qu’il défie les limites à la participation internationale fixées par Washington. Si les pays du Sud veulent que le bain de sang et le nettoyage ethnique cessent, ils ne peuvent pas compter sur le complice américain d’Israël pour y parvenir.

    L’occasion pour déclencher ce défi géopolitique peut être l’urgence cataclysmique de mettre fin aux crimes d’Israël, mais qu’elle réussisse ou non, l’affaire de la CIJ peut marquer un nouveau chapitre dans la remise en cause de l’hégémonie américaine et d’un monde géré selon des règles qui légitiment les crimes de guerre commis par les États-Unis ou leurs alliés.

  • « Pulsations pour le vivant » : EELV veut incarner une alternative New Age à la NUPES - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/ecologie-tondelier-toussaint-eelv-new-age-nupes

    [...]
    Le parti Les Écologistes – EELV voulait tourner la page de la NUPES en lançant sa campagne pour les élections européennes au plus vite. C’est chose faite, avec un premier événement début décembre intitulé « Pulsations – meeting pour le vivant ». Difficile d’intéresser aux enjeux européens dans la période, alors les médias ont été invités avec une promesse : il y aurait « de nombreuses surprises ».

    La surprise qui a marqué le plus grand nombre, c’était une séance de booty therapy, dont la définition proposée par le site Booty Therapy est la suivante : « une pratique qui mêle sport, danse et développement personnel ». Créée par Maïmouna Coulibaly, la booty therapy permettrait aux participant·es de « relâcher leurs émotions et guérir une partie de leurs traumas et épreuves, à travers des exercices collectifs ». La pratique ciblerait notamment les femmes victimes de violences et les encouragerait à assumer leur physique et leur histoire, à travers des danses qui mobilisent le bassin.

    Invisibilisant totalement le reste de l’événement, ce cours de danse de 20 minutes au milieu du meeting n’a pas laissé indifférent. Dans le meilleur des cas, il a été jugé gênant, hilarant, pas à la hauteur des enjeux ou encore déconnecté des attentes des citoyen·nes. Dans le pire des cas, il a été attaqué par l’extrême droite. Les performeuses ont en effet subi un cyberharcèlement intolérable à l’issue de leur prestation, en raison de leur physique et de leur couleur de peau.

    Pour justifier cette animation et tenter de réparer les dégâts, les cadres du parti se sont mis en ordre de bataille. Première défense : nous n’aurions « rien compris ». Chacun·e jugera de la pertinence de qualifier d’ignorant·es la majorité des potentiel·les électeur·rices à l’occasion d’un lancement de campagne. Deuxième défense : si nous émettons des réserves quant à la booty therapy, c’est que nous serions sexistes et racistes. Défense totalement légitime lorsque les attaques visaient les intervenantes ou leurs danses, mais qui ne peut pas être un argument d’autorité suffisant pour éviter tout débat contradictoire.

    Mais c’est un autre argument des cadres écologistes, passé un peu inaperçu médiatiquement, qui nous intéresse ici. Il s’agissait d’expliquer que la pratique de la booty therapy était politique, car elle permettait de mettre en avant les méthodes de développement personnel et leurs bienfaits supposés pour les victimes de violence. C’est sans doute là l’argument le plus problématique.

    Booty Therapy propose des stages mettant en avant le concept de « féminin sacré » et les intervenantes ont évoqué le « pouvoir thérapeutique » de cette pratique, qui permettrait de « rallumer la puissance de vie ». Ces éléments de langage sont classiques de la mouvance spirituelle et ésotérique New Age, qui défend l’idée d’un lien intime entre corps, âme, esprit et cosmos. Il s’agissait, là, de leur donner place dans un meeting politique. Nous sommes donc ici bien loin d’un simple cours de twerk.
    [...]
    Une dépolitisation et un projet libéral difficiles à cacher
    Il s’agit d’abord d’affirmer qu’un parti politique devrait se garder de mettre en avant les pseudo-sciences ou les pratiques ésotériques. Il s’agit ensuite et surtout d’affirmer que le « développement personnel » n’a pas sa place en politique.

    La politique vise à organiser la vie du pays et à améliorer le quotidien des gens via l’action collective. À l’inverse, le développement personnel se fonde sur l’idée que la solution est « à l’intérieure de chacun·e » et que « nous sommes les seul·es responsables de notre bonheur ». Il nous apprend à « manager nos vies », comme une entreprise capitaliste qu’on devrait amener à être rentable. Vous êtes pauvre ? C’est parce que vous n’avez pas encore développé votre plein potentiel, faites davantage d’efforts ! Vous êtes déprimé·e ? C’est parce que vous n’avez pas investi dans la nouvelle application mobile thérapeutique, qui vous apprend la méditation pour 10 € par mois !

    Il s’agit en réalité d’une approche individualiste et néolibérale, qui pousse à faire un travail constant sur « soi-même », pour mieux invisibiliser le caractère structurel des inégalités ou de nos « difficultés quotidiennes ». C’est l’exact inverse de ce que devrait porter un parti écologiste ancré à gauche. Car si la solution est intérieure, si aucun facteur extérieur ne peut permettre d’améliorer nos vies, pourquoi devrions-nous militer pour changer la société ? Lorsqu’on porte un projet écologiste, notre rôle doit être au contraire de dénoncer les logiques libérales et capitalistes. Au lieu de miser sur des solutions individualistes, nous devrions démontrer le caractère systémique des atteintes aux humains et à la nature, et rendre possible l’action collective, seul moyen d’instaurer le rapport de force nécessaire à la transformation de nos sociétés.

    La booty therapy rejoint également cette idée de travail sur soi, où l’autonomisation passerait par la conscience de « la puissance féminine de vie » et la guérison des traumatismes par l’éveil du corps. La défense de ce féminisme individualiste par EELV est le reflet d’une forme de dépolitisation des combats féministes au sein du parti. Cela est d’autant plus visible lorsque sur 3h30 de meeting, aucune proposition politique n’a en revanche été émise sur ces questions. Marie Toussaint a défendu la booty therapy en reprenant l’affirmation : « le corps des femmes est politique ». C’est vrai. Mais cela n’exonère pas de proposer un contenu programmatique ambitieux pour les droits des femmes, sans quoi cela donne l’impression d’un purplewashing.

    Certes, l’absence de projet politique dans ce meeting ne se limitait pas à la lutte contre les discriminations. De toute la soirée, une seule et unique proposition a été présentée : le droit de veto social. Le reste du meeting était consacré au constat des problèmes auxquels nous faisons face, à l’énumération des valeurs du parti, et à la présentation du parcours des candidat·es. Seul Gaspard Koenig se risquera à présenter une solution, en conclusion de son intervention : « Pourquoi ne serait-il pas légitime d’utiliser des mécanismes de marché qui sont efficients quand ils sont utilisés à des fins vertueuses ? ».

    L’invitation de ce libéral-libertaire au meeting est un indice de plus quant à l’orientation politique retenue par Les Écologistes – EELV. Sa présence, couplée à la mise en avant de pratiques libérales individualisantes dessine une ligne claire : celle d’une campagne qui tente de séduire l’électorat déçu du macronisme. Un air de déjà-vu, une énième version de « l’écologie au centre », qui aura eu le mérite de provoquer les seules « Pulsations » du meeting : les pulsations de rejet, ou de déception, de celles et ceux qui espéraient y trouver une écologie radicale et anticapitaliste.

    Tourner la page de la NUPES pour conquérir les « déçus du macronisme »

    Enfin, c’est le timing qui interroge. Les Écologistes – EELV est le premier parti à organiser un meeting de campagne, avant même d’avoir établi l’ordre de ses premier·es de liste, et visiblement avant d’avoir produit un contenu programmatique. Pourquoi donc vouloir organiser un meeting, six mois avant l’élection, sans avoir plus d’une proposition à présenter ? Rien ne semblait presser : à ce stade, les autres partis se posent à peine la question de la composition de leur liste et le contexte politique au Proche-Orient comme en France ne laisse aucun espace médiatique à l’échéance électorale de juin prochain. Une seule explication : l’objectif était de tourner, au plus vite, la page de la NUPES.

    Sortir de l’alliance à l’occasion des européennes était déjà, en réalité, au cœur du dernier congrès du parti, près de 2 ans avant l’élection. Ainsi, on comprend que, dès les premiers mois de la NUPES, la direction d’EELV n’avait qu’une hâte : y mettre un terme. Le parti perçoit en effet les européennes comme une sorte de sondage en conditions réelles, une occasion de revanche pour établir un nouvel équilibre des forces à gauche.

    Triste stratégie en réalité, qui consiste à espérer que la très faible participation des classes populaires aux élections européennes sera favorable à EELV. EELV pense ainsi pouvoir gagner sa place de leader parmi « ceux qui vont voter », plutôt que d’essayer de convaincre tous·tes les autres. Cela explique d’autant plus l’orientation de campagne, qui vise à attirer les déçus du macronisme.
    [...]

    Sur le même sujet, transmis par @mad_meg :
    LE MARCHÉ DU « BONHEUR » : la nocivité du développement personnel et des nouvelles spiritualités
    https://seenthis.net/messages/1036282

  • Pop-culture, politique et militantisme en ligne. Entretien avec Benjamin Patinaud - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/syndrome-magneto-patinaud-youtube-gauche

    Anthony Galluzzo -Tu évoques dans ton livre l’opposition habituelle entre un héros conservateur et un méchant révolutionnaire : le méchant agit, le héros réagit…

    Benjamin Patinaud – C’est un trope connu, que tu peux retrouver sur certains sites les référençant, comme Tvtropespar exemple. C’est une opposition qui revient souvent dans des œuvres super héroïques manichéennes opposant des « gentils » et des « méchants ». C’est davantage une habitude narrative qu’un élément foncièrement idéologique : l’élément perturbateur va souvent être amené par le méchant et le héros va être là pour contrer son projet souvent hyper alambiqué. Fatalement, le héros va essayer de rétablir un statu quo ante, un état antérieur, contre un mec qui est venu tout perturber. Le héros est donc souvent un conservateur, voire un réactionnaire au sens où il réagit à ce que fait le méchant. Le ressort est d’abord narratif, mais il a une conséquence idéologique et politique : le personnage qui se rebelle contre un ordre établi et essaye d’amener un nouveau modèle de société est en général présenté comme le méchant. La position révolutionnaire est très rarement portée par le héros. Les auteurs vont donc attribuer à l’antagoniste tout un ensemble d’idées radicales. Les scénarios intègrent souvent les enjeux politiques actuels et vont faire porter la critique au méchant. Cela a un impact sur la façon dont l’œuvre va traiter la légitimité des actions des personnages. Les seules fois où le héros s’oppose de façon radicale à l’ordre existant, c’est dans un cadre dystopique. Dans ce cadre-là, le statu quo est présenté comme injuste, et le héros peut alors s’y opposer de façon violente. En revanche, si l’univers de la fiction nous est présenté comme normal, dans la continuité du nôtre, les oppositions violentes sont discréditées. Elles sont l’apanage du méchant. Le héros va reconnaitre le problème tout en s’opposant aux destructions de son adversaire. C’est la conséquence politique de la structure narrative habituelle de récits manichéens qu’on retrouve beaucoup chez les super héros. Et comme le dit Alan Moore, il ne faut pas oublier que ce sont des schémas narratifs qui ont été mis en place pour plaire à des petits garçons dans les années 1930. Ce qui est intéressant, c’est ceux qui comme Alan Moore transgressent ce schéma naïf, de justice immanente. Mais ça reste tout de même un schéma inévitable qui contraint la narration.

  • Les tâches principales d’un mouvement révolutionnaire, selon Luc Boltanski

    Dans cette perspective, les tâches principales d’un mouvement révolutionnaire sont, d’une part, de susciter des événements propres à mettre à l’épreuve la réalité et, ce faisant, à en dévoiler la fragilité. Et, d’autre part, de rendre possible cette mise en commun des expériences individuelles. De lui donner un langage et des lieux d’expression. Cela de façon à tirer parti des situations favorables qui peuvent se présenter, c’est-à-dire des situations où la réalité existante perd de sa robustesse apparente, soit sous l’action d’un mouvement de protestation (par exemple une grève), soit pour des raisons intrinsèques, qui tiennent aux contradictions du capitalisme. Il faut que les acteurs puissent alors trouver des ressources pour mettre en partage celles de leurs expériences qui s’enracinent dans le monde et prendre appui sur elles pour contester ce que l’on peut appeler la réalité de la réalité, et, par là, pour rendre la réalité telle qu’elle est inacceptable et en construire une autre.

    Il demeure néanmoins important, à mon sens, que ces mouvements révolutionnaires, d’un côté contribuent à la mise en place de revendications collectives, mais aussi que, de l’autre, ils n’écrasent jamais sous le poids de la revendication collective la dimension individuelle des expériences qui sont celles des acteurs.

    La seule prise en compte des singularités individuelles s’épuise dans le psychologisme et dans l’aide sociale personnalisée. Mais l’insistance mise uniquement sur la dimension collective des processus dont les acteurs subissent la contrainte enferme un autre risque qui est celui de la « langue de bois ». C’est-à-dire d’un discours tout fait, supposé valable pour toutes les situations, quelles qu’elles soient, au prix d’un écrasement ou d’un déni des conditions et des expériences singulières. Lorsque cela devient le cas – et on l’a vu dans le cas des Partis communistes occidentaux des années 1950-1980 –, les acteurs tendent à déserter les arènes politiques et à douter de langages politiques dans lesquels ils ne reconnaissent plus rien de leur propre expérience, en tant précisément qu’elle est la leur et non celle d’un autre. Se tenir entre la construction de systèmes d’équivalences, qui est absolument nécessaire pour résorber la fragmentation, et le respect des situations singulières, est, à mon sens, l’une des difficultés principales qu’un mouvement révolutionnaire doit savoir affronter. Ne jamais oublier que les gens, quand ils se révoltent, ont toujours une longueur d’avance non seulement sur les sociologues mais aussi sur les politiques.

    https://www.contretemps.eu/pourquoi-ne-se-revolte-t-on-pas-pourquoi-se-revolte-t-on

    #révolution

  • Judéité, sionisme, colonialisme : sur une cécité - Elie Duprey
    https://www.contretemps.eu/judeite-sionisme-colonialisme-cecite

    L’une des principales causes de la montée de l’#antisémitisme aujourd’hui en France, c’est ainsi le deux poids deux mesures auquel se livre la quasi-totalité des #médias dominants, et que chacun peut constater. L’indignation légitime qu’il suscite provoque le basculement des esprits les moins structurés politiquement. Car l’antisémitisme est l’#anticolonialisme des imbéciles, ou plutôt de ceux dont l’imbécilité est socialement construite par la dépolitisation dans laquelle la bourgeoisie a tout intérêt à voir maintenue tout ce qui n’est pas elle. Expliquer c’est excuser, nous dit-elle. Le valsisme nourrit le soralisme, qui le légitime en retour. A ce titre, espérer lutter contre le racisme avec des racistes est illusoire.

    La situation ne prête guère à l’optimisme. En #Palestine, d’abord et avant tout, où le soutien inconditionnel apporté à #Israël par les puissances occidentales rend difficile d’imaginer autre chose que l’approfondissement des dynamiques actuelles : nettoyage ethnique, apartheid, fascisation toujours plus poussée de la société israélienne, indignation générale – de l’#Occident – face aux explosions de violence les plus spectaculaires, indifférence générale – de l’Occident – face aux violences quotidiennes de la colonisation. L’histoire des Etats-Unis démontre que certains processus coloniaux peuvent triompher, et certains peuples disparaître. Peut-être qu’un jour quelque touriste entrant dans un casino de #Gaza versera une larme en souvenir des crimes passés, avant de retourner jouir des bienfaits de la civilisation. Peut-être pas.

    #sionisme

  • Le colonialisme israélien se déploie aussi sur le terrain économique - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/economie-palestinienne-colonialisme

    Taher Labadi 20 décembre 2023

    En éclairant les mécanismes de pouvoir multiples qui opèrent dans le champ de l’économie, #Taher_Labadi montre dans cet article que le colonialisme israélien est un système global qui oscille entre expulsion de la population palestinienne, oppression politique et surexploitation, et que l’économie est un terrain privilégié où se déploient les rapports coloniaux.

    Taher Labadi est chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), à Jérusalem. Ses recherches portent sur l’économie politique de la Palestine, et plus généralement sur l’économie en situation coloniale.

    *
    Penser l’économie palestinienne dans son contexte colonial

    La Palestine aura certainement fait couler beaucoup d’encre ces deux derniers mois. Prise entre l’émotion et les injonctions politico-médiatiques, la recherche universitaire s’invitait aussi aux débats pour apporter son éclairage sur une actualité dense et tragique. Moins présente, l’analyse économique aurait dû pourtant retenir notre attention, à la condition toutefois de savoir informer utilement le sujet. La théorie économique dominante, en effet, continue d’appréhender les phénomènes qu’elle étudie en recourant à la seule grammaire du marché, et se trouve par conséquent bien démunie pour penser les conflits et les pouvoirs qui se nouent jusque dans l’économie, où à ses abords immédiats. Tout au plus, ses données agrégées et autres formalismes abstraits nous donnent-ils une estimation des coûts du conflit, ou de l’occupation militaire, et l’on comprend finalement bien trop peu ce que sont l’activité et les processus économiques dans la guerre, et en contexte palestinien.

    Or d’importantes controverses parcourent, depuis plus d’une décennie désormais, le champ des études palestiniennes, notamment liées à la mise au point et au choix des outils théoriques et méthodologiques permettant de lire et de dire ce contexte particulier. Cela est aussi vrai de la recherche en économie où l’on a assisté à un retour en force de l’économie politique, dont l’objet n’a plus été le marché ou la croissance mais les rapports de dominations qui se logent et se créent dans l’économie. Cette secousse disciplinaire va ici de pair avec une critique de plus en plus étendue du régime économique établi à la suite des accords d’Oslo en 1993 ainsi que du modèle conceptuel (néolibéral) qui lui est sous-jacent. Une critique qui fait à la fois écho à l’impasse dans laquelle se trouve le projet national palestinien et à l’échec de la « solution à deux États », et se traduisant par une quête de nouveaux cadres d’analyse[1].

    Parmi ceux-là, les Settler Colonial Studies (études du colonialisme de peuplement) nous invitent à mettre en cohérence les diverses dominations et violences produites dans les relations du mouvement sioniste, et plus tard d’Israël, à la société palestinienne[2]. Ce cadre a pour avantage notable de remédier à la fragmentation des études palestiniennes qui résulte des ruptures historiques (1948, 1967, 1993) et du morcellement géographique (Cisjordanie, Gaza, Israël, Jérusalem). La comparaison des expériences américaines, sud-africaine, australienne, algérienne et palestinienne a aussi d’intéressant qu’elle tempère le traitement d’exception souvent appliqué à cette dernière. La prise en compte du rapport colonial, enfin, permet de compenser une approche marxiste exclusive qui tend à rabattre tout antagonisme au conflit entre classes sociales. L’examen ici des mécanismes de pouvoir multiples qui opèrent sur le terrain même de l’économie se veut une contribution à la compréhension de la guerre en cours.

    L’économie comme terrain de l’élimination et du remplacement

    Sur le terrain de l’économie en effet, différentes logiques d’action sont à l’œuvre. La première est une élimination et un remplacement justement caractéristiques des #colonialismes_de_peuplement. Dès la fin du 19ème siècle, le mouvement sioniste entreprend de s’approprier des terres en Palestine pour y installer une nouvelle population de colons. Un processus qui s’accélère avec l’occupation britannique du pays en 1917 puis la mise en place du mandat de la Société des nations. La conquête de l’économie est alors un moyen décisif pour renforcer la démographie juive et s’assurer du contrôle des territoires. Elle s’avère aussi un moyen puissant de déstabilisation de la société arabe palestinienne.

    Cette conquête de l’économie trouve son expression très pratique dans l’adoption du mot d’ordre de #Jewish_Land (terre juive) et la création de différents fonds sionistes dédiés à l’achat de terres, dont le Fonds national juif. Appropriées de manière marchande et privée, ces terres sont néanmoins retirées du marché et considérées comme propriétés inaliénables du « peuple juif », ce qui constitue un premier pas vers l’institution d’une souveraineté proprement politique. Plusieurs dizaines de localités palestiniennes disparaissent ainsi avant même l’épisode de la Nakba sous l’effet de la colonisation.

    Un second mot d’ordre est celui de #Jewish_Labor (travail juif), lequel consiste à encourager les coopératives agricoles tenues par le mouvement sioniste, puis par extension l’ensemble des employeurs juifs ou britanniques, à prioriser l’emploi de travailleurs juifs. Ces derniers trouvent en effet des difficultés à se faire embaucher, y compris par les patrons juifs qui préfèrent recourir à une main-d’œuvre arabe moins couteuse et plus expérimentée dans le travail de la terre. Le chômage devient un défi majeur et de nombreux colons finissent par repartir en Europe.

    Ainsi contrairement à l’idée reçue, la formation des #kibboutz durant la première moitié du 20ème siècle ne doit pas grand-chose à l’importation des idéaux socialistes et bien plus aux impératifs de la colonisation en cours. L’organisation collective et la mise en commun des ressources répondent d’abord à la nécessité de réduire le coût du travail juif face à la concurrence du travail arabe[3]. Les kibboutz sont à cet égard plutôt inspirés des artels russes, des coopératives de vie formées entre travailleurs originaires d’un même lieu afin d’améliorer les chances de survie dans un environnement concurrentiel. Il n’est pas question ici d’opposition, ni même de défection face au capitalisme.

    Soutenus par l’Organisation sioniste, les kibboutz permettent une meilleure absorption des colons en même temps qu’une complète exclusion des travailleurs arabes. Et ce n’est que plus tard, une fois les contours coloniaux du kibboutz bien définis et son efficacité économique assurée, que le #mythe_de_communautés_autogérées répondant à un idéal socialiste s’est développé, nourrissant l’imaginaire des nouvelles vagues de colons venus d’Europe. Il reste que les kibboutz ont toujours fourni un contingent plus élevé que la moyenne de combattants et de commandants dans les rangs des organisations paramilitaires sionistes durant toute la période du mandat britannique.

    Le syndicat juif de l’#Histadrout créé en 1920 est un autre acteur majeur de cette première conquête de l’économie. Celui-ci est à la tête d’un empire économique colossal composé de colonies agricoles, de coopératives de transport, d’établissements industriels, commerciaux et financiers lesquels sont employés dans la constitution d’enclaves économiques exclusivement juives[4]. Le syndicat va même jusqu’à recruter des « gardiens du travail » qui se rendent sur les chantiers et dans les usines pour intimider les employeurs et les travailleurs et exiger par la menace le débauchage des ouvriers arabes et le recrutement de colons juifs[5]. Cette conquête est donc loin d’être sans violences.

    Les mots d’ordre de Jewish Land et de Jewish Labor prévalent encore après la Nakba, puis à la suite de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, dans une économie israélienne mobilisée par la colonisation et que structure toujours la prévalence accordée à la population juive. A la différence que l’élimination de la population palestinienne autochtone est désormais soutenue par un appareil étatique, et se voit systématisée par un ensemble de politiques et de lois. Or la spoliation des terres et la ségrégation des habitants n’exclut pas pour autant une politique d’intégration économique visant à tirer parti d’une présence palestinienne inévitable, en même temps qu’elle sert à la contrôler.

    Une ségrégation qui facilite l’exploitation économique

    Lorsqu’en 1967 Israël s’empare de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, ses ambitions annexionnistes sont contrariées par la présence d’environ un million de Palestiniens, laquelle constitue un défi démographique, politique et sécuritaire. L’administration militaire opte alors pour une intégration de facto des nouveaux territoires conquis, tout en refusant la citoyenneté à leurs habitants. Cela lui permet d’établir un système strict de ségrégation et de hiérarchisation des relations entre les deux populations, palestinienne et israélienne. Les mesures employées alors sont à bien des égards comparables à celles qui sont à l’œuvre depuis 1948, en Israël même, face aux Palestiniens dits « de l’intérieur »[6].

    Se dégage ici une logique d’exploitation, consistant à tirer le meilleur parti des opportunités offertes par le contrôle des territoires et de leurs habitants. Outre la #mainmise_sur_les_ressources_naturelles (eau, pétrole, gaz…), Israël multiplie les politiques dans l’objectif d’accroître la dépendance économique et ainsi mieux user à son avantage des capitaux, de la force de travail ou encore des marchés de consommation palestiniens. C’est notamment l’administration israélienne qui accorde jusqu’en 1993 les autorisations nécessaires pour construire une maison, forer un puit, démarrer une entreprise, sortir ou entrer sur le territoire, importer ou exporter des marchandises.

    Des mesures sont prises pour empêcher toute concurrence palestinienne et encourager au contraire des relations de sous-traitance au profit des producteurs israéliens. L’essor de certaines branches d’activité comme la cimenterie, le textile ou la réparation automobile est de ce fait directement lié aux besoins de l’économie israélienne. De même que les cultures requises par Israël ou destinées à l’exportation vers l’Europe se substituent progressivement à celles plus diversifiées destinées aux marchés local et régional. La population palestinienne devient en retour très largement tributaire des importations en provenance d’Israël pour satisfaire ses propres besoins de consommation.

    Cette situation ne change pas fondamentalement après 1993 et la création de l’Autorité palestinienne. Les prérogatives accordées à cette dernière sont constamment remises en cause sur le terrain, et c’est l’administration israélienne qui garde la maitrise des régimes commercial, monétaire et financier, ainsi que des frontières et de la majeure partie des territoires. La zone C, directement sous contrôle militaire israélien et inaccessible au gouvernement palestinien, couvre encore 62% de la Cisjordanie. De 1972 à 2017, Israël a ainsi absorbé 79 % du total des exportations palestinienne et se trouve à l’origine de 81% de ses importations[7].

    L’emploi dans l’économie israélienne d’une main-d’œuvre en provenance de Cisjordanie et de Gaza est encore un aspect de cette exploitation coloniale. Régulée par l’administration israélienne qui délivre les permis de circulation et de travail, la présence de ces travailleurs vient compenser une pénurie de main-d’œuvre israélienne, en fonction de la conjoncture et pour des secteurs d’activité précis (principalement le bâtiment, l’agriculture, la restauration). Ainsi la récession économique israélienne entre 1973 et 1976 n’a quasiment pas d’impact sur le chômage israélien et se traduit en revanche par une réduction du nombre de travailleurs palestiniens venant des territoires occupés[8].

    Vulnérable, corvéable et révocable à tout moment, cette main-d’œuvre compte en moyenne pour un tiers de la population active palestinienne au cours des décennies 1970 et 1980. Puis le déclenchement de la Première Intifada et les actions de boycott économique engagés par la population palestinienne à la fin des années 1980 incitent l’administration israélienne à réduire drastiquement la présence de ces travailleurs. Ceux-là sont remplacés durant un temps par une main-d’œuvre migrante en provenance d’Asie. Mais le phénomène redevient majeur en Cisjordanie depuis une dizaine d’années et avait même repris ces derniers mois avec la bande de Gaza, malgré le blocus.

    En 2023, 160 000 Palestiniens de Cisjordanie – soit 20 % de la population active employée de ce territoire – travaillaient en Israël ou dans les colonies, auxquels s’ajouteraient environ 50 000 travailleurs employés sans permis. On comptait également quelques 20 000 travailleurs en provenance de la bande de Gaza[9]. Ces travailleurs perçoivent un salaire moyen qui représente entre 50 et 75 % de celui de leurs homologues israéliens. Ils sont en outre exposés à la précarité, à la #discrimination et aux abus. Le nombre d’accidents du travail et de décès sur les chantiers de construction est considéré comme l’un des plus élevés au monde[10].

    L’économie au service de la contre-insurrection

    S’il répond d’abord à une logique d’exploitation de la main-d’œuvre autochtone, l’emploi de travailleurs palestiniens s’avère aussi un excellent moyen de policer la population. Pour obtenir un permis de travail en Israël ou dans les colonies, un Palestinien de Cisjordanie ou de Gaza doit veiller à ce que son dossier soit approuvé par l’administration militaire israélienne. Il doit alors ne pas prendre part à toute activité syndicale ou politique jugée hostile à l’occupation, de même que ses proches parents. Des familles et parfois des villages entiers prennent ainsi garde à ne faire l’objet d’aucune « interdiction sécuritaire » pour ne pas se voir priver du permis de travail israélien.

    La dépendance des Palestiniens envers l’économie israélienne participe par conséquent de leur vulnérabilité politique. Une vulnérabilité d’autant plus redoutable que c’est l’administration israélienne qui régule l’accès aux territoires occupés, ou même la circulation en leur sein. La fermeture des points de passage et la restriction du trafic sont alors régulièrement employées comme un moyen de sanction, dans une logique ouvertement contre-insurrectionnelle. La population palestinienne est rapidement menée au bord de l’asphyxie économique, voire maintenue dans un état de crise humanitaire durable comme l’illustre le cas de la bande de Gaza sous blocus depuis 2007.

    L’Autorité palestinienne se trouve tout particulièrement exposée face à ce genre de pratique punitive. Ses revenus sont composés en grande partie (67 % en 2017) de taxes collectées par l’administration israélienne, notamment sur les importations palestiniennes. Or celle-ci ponctionne et suspend régulièrement ses reversements en exerçant un chantage explicite. Les recettes du gouvernement palestinien dépendent aussi de l’aide internationale, non moins discrétionnaire et politiquement conditionnée[11]. Une situation qui explique pour beaucoup son incapacité à agir en dehors du terrain balisé par Israël et les bailleurs de fonds.

    Cette ingénierie politique et sociale qui passe par l’économie touche également le secteur privé de différentes manières. Ces dernières années ont vu un nombre croissant d’entreprises en Cisjordanie requérir de manière proactive leur intégration au système de surveillance israélien dans l’objectif de bénéficier d’un régime avantageux dans l’exportation de leurs marchandises[12]. En temps normal, une cargaison est acheminée une première fois par camion jusqu’au point de contrôle israélien le plus proche. Là, elle est déchargée pour subir une inspection de plusieurs heures, avant d’être chargée sur un second camion pour être transportée à destination, en Israël même, ou vers un pays tiers.

    Les exportateurs palestiniens sont ainsi pénalisés par des coûts élevés de transport, sans parler du temps perdu et des risques de voir les marchandises endommagées par ces procédures fastidieuses. Le nombre de camions, et par conséquent le volume de marchandises transportées, est aussi fortement limité par l’engorgement qu’on observe quotidiennement sur les points de contrôle, à quoi peut s’ajouter la simple décision israélienne de mettre un frein à la circulation à tout moment et pour quelque raison que ce soit. Par contraste, la mise en place de couloirs logistiques, dits « door-to-door », vient considérablement fluidifier et réduire le coût du fret commercial.

    Moyennant le suivi d’un protocole strict établi par l’armée israélienne, des entreprises pourront acheminer leurs cargaisons à bon port en ne recourant qu’à un seul camion israélien et sans être inquiétées aux points de contrôle. Elles doivent pour cela aménager une cour fermée et sécurisée pour le chargement, équipée de caméras de surveillance reliées en fil continu au point de contrôle militaire le plus proche. Elles fournissent également des données détaillées sur leurs employés dont le dossier doit aussi être approuvé par l’administration militaire. Enfin, chaque camion est équipé d’un système de localisation GPS permettant la surveillance de l’itinéraire suivi à travers la Cisjordanie.

    L’économie palestinienne prise dans une guerre totale

    Il est certainement difficile de prendre toute la mesure du bouleversement radical que vivent actuellement les territoires occupés et avec eux, l’activité économique palestinienne. Plusieurs organismes palestiniens ou internationaux s’efforcent déjà de comptabiliser les pertes matérielles de la guerre en cours, et d’évaluer ses répercussions sur le PIB et le chômage palestiniens. Toute solution politique au conflit, dit-on, devra nécessairement s’accompagner d’un volet économique, et l’anticipation des coûts de la reconstruction et de la remise à flot de l’économie palestinienne constitue à chaque nouvelle guerre un gage de réactivité face à l’urgence pour les différentes parties concernées.

    Aux destructions en masse causées par les bombardements israéliens s’ajoutent en effet le renforcement du siège sur la bande de Gaza mais aussi sur la Cisjordanie, ainsi que la révocation de tous les permis de travail israéliens, ou encore le retard infligé dans le reversement des taxes à l’Autorité palestinienne. L’institut palestinien MAS évoque à cet égard une récession économique grave dont les effets se font déjà sentir dans le cours de la guerre et qui sera probablement amenée à se prolonger à ses lendemains. Le PIB aurait connu une perte d’au moins 25 % à la fin 2023 tandis que le chômage pourrait atteindre les 30 % de la population active en Cisjordanie, pour 90 % dans la bande de Gaza[13].

    Mais nous ne sommes pas là face à un affrontement entre deux États souverains et l’appauvrissement de la population palestinienne, de même que les risques sérieux de famine ne sont pas fortuits. Des rapports publiés à la suite des précédentes guerres confirment la volonté délibérée de l’armée israélienne de s’en prendre aux moyens matériels de subsistance[14]. Il en va de même des restrictions imposées sur le trafic de personnes et de marchandises, lesquelles ne s’appliquent pourtant pas aux agriculteurs de Cisjordanie dont les productions sont venues suppléer à l’interruption de l’activité agricole en Israël et ainsi participer à son effort de guerre.

    Cette multiplicité des mécanismes à l’œuvre et les diverses logiques de pouvoir qu’ils recouvrent montrent que l’économie n’est pas une victime collatérale de l’affrontement colonial en cours mais en constitue bien un terrain privilégié. La question dès lors n’est pas vraiment celle des coûts de la guerre et de la reconstruction, pas plus qu’elle ne devrait être celle des points de croissance à gagner pour remporter le silence des populations. Mais elle est plutôt celle des moyens à mettre en œuvre pour prémunir la société palestinienne d’une dépossession, d’un enrôlement ou encore d’un assujettissement qui se produisent dans l’économie même, et contre une guerre qui se veut plus que jamais totale.

    *

    Illustration : « Les toits de Jérusalem », 2007. Sliman Mansour, peintre palestinien.
    Notes

    [1] Taher Labadi, 2020, « Économie palestinienne : de quoi parle-t-on (encore) ? », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 147 | 2020, DOI : https://doi.org/10.4000/remmm.14298

    [2] Omar Jabary Salamanca, Mezna Qato, Kareem Rabie, Sobhi Samour (ed.), 2012, Past is Present : Settler Colonialism in Palestine, Settler colonial studies, Hawthorn.

    [3] Shafir Gershon, 1989, Land, Labor and the Origins of the Israeli-Palestinian Conflict, 1882 – 1914, Cambridge University Press, Cambridge.

    [4] Sternhell Zeev, 2004, Aux origines d’Israël : entre nationalisme et socialisme, Fayard, Paris.

    [5] George Mansour, 1936, The Arab Worker under the Palestine Mandate, Jerusalem.

    [6] Aziz Haidar, 1995, On the margins : the Arab population in the Israeli economy, New York, St. Martin’s Press.

    [7] CNUCED, 2018, Rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien : évolution de l’économie du territoire palestinien occupé, 23 juillet, Genève.

    [8] Leila Farsakh, 2005, Palestinian Labor Migration to Israel : Labor, Land and Occupation, Routlege, London.

    [9] MAS, 2023, How To Read the Economic and Social Implications of the War on Gaza, Gaza War Economy Brief Number 4, Ramallah.

    [10] CNUCED, op. cit.

    [11] Taher Labadi, 2023, Le chantage aux financements européens accable la Palestine, OrientXXI URL : https://orientxxi.info/magazine/le-chantage-aux-financements-europeens-accable-la-palestine,6886

    [12] Walid Habbas et Yael Berda, 2021, « Colonial management as a social field : The Palestinian remaking of Israel’s system of spatial control », Current Sociology, 1 –18.

    [13] MAS, op. cit.

    [14] UN, 2009, Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza.
    Bibliographie indicative

    Anaheed Al-Hardan, « Decolonizing Research on Palestinians : Towards Critical Epistemologies and Research Practices, » Qualitative Inquiry, vol. 20, no. 1 (2014), pp. 61–71

    Rana Barakat, « Writing/Righting Palestine Studies : Settler Colonialism, Indigenous Sovereignty and Resisting the Ghost(s) of History, » Settler Colonial Studies, vol. 8, no. 3 (2018), pp. 349–363 ;

    Toufic Haddad, Palestine Ltd. : Neoliberalism and Nationalism in the Occupied Territory, London/New York : I. B. Taurus and Co. Ltd., 2016.

    Adam Hanieh, « Development as Struggle : Confronting the Reality of Power in Palestine, » Journal of Palestine Studies, vol. 45, no. 4 (2016), pp. 32-47

    Nur Masalha, The Palestine Nakba : Decolonising History, Narrating the Subaltern, Reclaiming Memory, London/New York : Zed Books, 2012.

    Omar Shweiki and Mandy Turner, dirs., Decolonizing Palestinian Political Economy : De-development and Beyond, New York : Palgrave Macmillan, 2014.

    Linda Tabar [et al.], Critical Readings of Development under Colonialism : Towards a Political Economy for Liberation in the Occupied Palestinian Territories, Ramallah : Rosa Luxemburg Foundation/Center for Development Studies, 2015.

    Alaa Tartir, Tariq Dana, and Timothy Seidel, ed., Political Economy of Palestine : Critical, Interdisciplinary, and Decolonial Perspectives, Cham : Palgrave Macmillan, 2021.

    Lorenzo Veracini, « The Other Shift : Settler Colonialism, Israel, and the Occupation, » Journal of Palestine Studies, vol. 42, no. 2 (2013), pp. 26–42.

    Patrick Wolfe, « Purchase by Other Means : The Palestine Nakba and Zionism’s Conquest of Economics, » Settler Colonial Studies, vol. 2, no. 1 (2012), pp. 133-171.

    Omar Jabary Salamanca [et al.], eds., Past is Present : Settler Colonialism in Palestine, Settler Colonial Studies, vol. 2, no. 1 (2012).

    #colonialisme_israélien_terrain_économique #main-d’œuvre_palestinienne #révocation_des_permis_de_travail_en_Israël #corruption_de_l’Autorité_palestinienne

  • Gaza ou la fin de l’humanité
    https://reporterre.net/Gaza-ou-la-fin-de-l-humanite

    Décalons autrement le regard. Dans un livre marquant paru en 2009, Les guerres du climat (éd. Gallimard), l’anthropologue allemand Harald Welzer alertait sur le risque que la crise écologique conduise à une guerre généralisée. Mais l’auteur allait plus loin : alors que le chaos écologique — si on le laisse s’aggraver — créera de plus en plus de désordre géopolitique et de mouvements de population, les populations des pays riches tendront à accepter, pour protéger leur confort, l’abandon, voire la répression brutale des populations livrées à un sort misérable et leur demandant de l’aide. Comme le formule bien Pablo Servigne, « Welzer montre comment une société peut lentement et imperceptiblement repousser les limites du tolérable au point de remettre en cause ses valeurs pacifiques et humanistes, et sombrer dans ce qu’elle considérait comme inacceptable quelques années auparavant. (…) Les habitants des pays riches s’habitueront aussi probablement à des politiques de plus en plus agressives envers les réfugiés ou envers d’autres États, mais surtout ressentiront de moins en moins cette injustice que ressentent les populations touchées par les catastrophes. C’est ce décalage qui servira de terreau à de futurs conflits ». L’inhumanité avec laquelle nous acceptons des milliers de noyés en Méditerranée fait ici écho au silence que fait résonner le drame de Gaza.

    Mais prenons garde. Nul ne se relèvera de la barbarie où conduit l’égoïsme ou la lâcheté. Ce qui se passe en Palestine se déroule « aujourd’hui dans un contexte de fascisation mondialisée » constate le chercheur Omar Jabary Salamanca Lemire, cité par Mediapart. Accepter le massacre perpétré par l’État d’Israël, c’est préparer d’autres drames à venir, dans une course inextinguible à l’horreur menée par des monstres convaincus que la force est la seule puissance.

    Plus que jamais, la paix s’impose. Il faut le dire, calmement, sans crainte d’aucun discours de haine. La paix, maintenant. Et dire l’espoir, qui vaut pour la Palestine comme pour une humanité confrontée au destin écologique. Le mot nous en vient d’une écrivaine libanaise, Dominique Eddé : « En dehors d’une utopie, il n’y a pas de solution possible. » Nous appelons à l’utopie de la paix.

    • Soyons encore plus clair : ce qui se passe actuellement à Gaza signifie que plus aucun humain n’est en sécurité.
      Il n’y a plus de droit international, plus de droits de l’homme, il n’y a plus que la loi du plus fort, de celu qui a le plus gros gourdin et peut donc s’approprier sans peine ce qu’il veut, quand il le veut.

      Tout le monde regarde ce qui se passe et il devient clair que c’est le moment de ressortir les vieux dossiers des appétits colonisateurs.

      Qui va arrêter les Chinois s’ils envahissent Taïwan (on sait qu’ils y pensent très fort) ?
      Déjà, on laisse tomber sans vergogne les Ukrainiens qui étaient la grande cause de l’axe de bien .
      Personne n’a levé le petit doigt pour les Arméniens du Haut-Karabagh, alors qu’eux aussi sont survivants d’un génocide.

      Je pense que tout le monde est en train de sortir les couteaux.

    • Ça sourd de partout. Le dernier exemple local en date est la manière dont notre Darmanin revendique de s’asseoir sur les arrêts de la CEDH ou vante les mérites d’un projet de loi immigration qui -prometteuse amorce- permettrait l’expulsion immédiate de 4000 « délinquants étrangers ».

      Si nous avions encore des dents, ça ouvrirait de l’espace pour d’autres couteaux.

      #droit #droit_international #droit_du_travail #droit_au_séjour #droit_pénal #droits_sociaux #droits #barbarisation

    • Les suites de la première guerre d’Irak (1991) auraient pu nous mettre la puce à l’oreille (embargo). Puis la guerre de Serbie, et la façon dont l’OTAN a pris pour cible les infrastructures civiles. Puis la seconde guerre d’Irak, phosphore blanc, et uranium appauvri. Tout du long, le conflit en Palestine et au Liban a démontré notre totale inhumanité. Avec néanmoins le reste du monde qui prenait plus ou moins au sérieux la bonne volonté occidentale de mettre en oeuvre des organisations multilatérale pour encadrer ces abus. L’OMC, qui avait pour charge de réduire les barrières au commerce pourrait sans doute être qualifié par les historiens comme le cheval de troie d’un multilatéralisme fantasmé, auquel l’empire occidental n’a jamais eu l’intention honnête d’adhérer que tant qu’il en était le bénéficiaire ultime.

      Le niveau de dégueulasserie de l’Occident, qu’il s’agisse de Frontex, de la Libye, ou de l’Ukraine est insupportable. Mais apparemment, comme il est écrit dans cet article, nos populations s’en contrefoutent.

    • La Première Guerre du Golfe, nom arabe de l’article sur la Guerre Iran-Irak

      حرب الخليج الأولى - ويكيبيديا

      https://ar.wikipedia.org/wiki/%D8%AD%D8%B1%D8%A8_%D8%A7%D9%84%D8%AE%D9%84%D9%8A%D8%AC_%D8%A7%D9%84%D

      La Première Guerre du Golfe (حرب الخليج الأولى) ou La Guerre Iran-Irak, que le gouvernement irakien de l’époque appelait Qadisiyah de Saddam (قادسية صدام), tandis qu’en Iran, elle était connue sous le nom de La Sainte Défense (En persan : Défense sacrée دفاع مقدس)

      Le lien WP derrière Qadisiyah de Saddam renvoie à un article Utilisation moderne du nom Qadisiyah.

    • et donc, très logiquement,
      • la première guerre du Golfe WP[fr] se traduit en arabe par la seconde guerre du Golfe WP[ar] et en persan par guerre du Golfe Persique WP[fa]
      • la guerre d’Irak WP[fr] (ou seconde guerre du Golfe) se traduit par la guerre d’Irak WP[ar] et WP[fa]

    • Le niveau de dégueulasserie de l’Occident, qu’il s’agisse de Frontex, de la Libye, ou de l’Ukraine est insupportable. Mais apparemment, comme il est écrit dans cet article, nos populations s’en contrefoutent.

      Certes mais le problème fondamental pour les assigné·es à la misère c’est le choix entre la fin du monde ou la fin du mois. La populace (euh pardon) la population n’en a effectivement rien à carrer de la politique étrangère des nations de l’Occident.
      #nimby

    • Précision tout de même : je ne cautionne pas la passivité de la « population » par le fait qu’elle a bien trop d’autres soucis à gérer. Je rajouterai même que cette passivité (ce manque de « compassion », terme que je réprouve car beaucoup trop consensuel à mon goût) est sciemment entretenu par le discours extrêmement droitisé qui a cours depuis 2007 (Sarkozy) et qui veut nous convaincre que nous avons (nous aussi) des « valeurs » à défendre (la « civilisation »). La terminologie est d’ailleurs éloquente puisque les médias ont banalisé la notion de « Forteresse Europe ». Tout comme pour les citoyens de l’état hébreu, tout est fait pour que nous développions une mentalité d’assiégés.
      Maintenant, quand on se tourne vers « la population » qui est confrontée à des problèmes de précarité de plus en plus prégnants (comment faire bouillir la marmite jusqu’au 30 du mois sans risquer le dépôt de bilan) ne nous étonnons pas du manque d’empathie par rapport aux problèmes du Proche-Orient. C’est une illustration flagrante de ce qui est dit ici :

      « Welzer montre comment une société peut lentement et imperceptiblement repousser les limites du tolérable au point de remettre en cause ses valeurs pacifiques et humanistes, et sombrer dans ce qu’elle considérait comme inacceptable quelques années auparavant. (…) Les habitants des pays riches s’habitueront aussi probablement à des politiques de plus en plus agressives envers les réfugiés ou envers d’autres États, mais surtout ressentiront de moins en moins cette injustice que ressentent les populations touchées par les catastrophes. C’est ce décalage qui servira de terreau à de futurs conflits ».

      Donc, à mon avis, la situation créée par la crise climatique (pandémies incluses), due à une surexploitation des ressources planétaires ne va aller qu’en empirant. En attendant, observons les parties émergés des gros icebergs qui se rapprochent (inflation, effondrement des services publics, corruption en tous genres). Ça nous permettra encore un temps d’oublier que ce qui se passe là-bas risque d’arriver en Europe et beaucoup plus rapidement qu’on ne saurait l’envisager. En fait, si les gros salopards aux manettes ont dressé leurs nervis à bien fracasser du contestataire, ce n’était pas par soucis d’esthétique idéologique. Non. C’est que ça va leur servir à maintenir leurs privilèges. Cela prouvera aussi leur capacité d’anticipation sur l’avènement du #capitalisme_de_désastre.

    • Israël perd cette guerre | Tony Karon et Daniel Levy
      https://www.contretemps.eu/israel-perd-cette-guerre

      Tony Karon et Daniel Levy analysent – dans cet article d’abord publié par The Nation – les logiques politiques et militaires de l’opération du 7 octobre et de la guerre menée à Gaza, en interrogeant les effets à moyen terme sur Israël et ses soutiens, ainsi que sur la résistance palestinienne. Ils considèrent que malgré la violence déchaînée contre les Palestiniens, Israël ne parvient pas à atteindre ses objectifs politiques. Et que si les effets de la situation présente sont catastrophiques pour les vies palestiniennes, Israël ne s’oriente pas vers une victoire ni vers une stabilisation de la situation.

    • Béligh Nabli : " Cette guerre est perdue d’avance pour #Israël car :
      1/le #Hamas ne sera jamais totalement détruit ou prendra une autre forme
      2/ Avec la diffusion des images des milliers de morts de civils, le coût politique et symbolique de la guerre affecte l’image d’Israël
      https://video.twimg.com/ext_tw_video/1736452226170732544/pu/vid/avc1/640x360/wE6OokWAcazeOY99.mp4?tag=12


      https://twitter.com/Chronikfr/status/1736452816539881717

    • Il ne s’agit plus désormais de savoir qui va perdre ou gagner la guerre. L’essentiel, c’est qu’il y ait la guerre, et surtout qu’elle soit permanente, cruelle, dévastatrice en vies humaines, qu’elle crée un état d’urgence illimité et totalitaire grâce une économie administrée par les classes dominantes qui elles, absorberont la totalité des richesses produites par le travail des #surnuméraires.

  • Entre trêve et fuite en avant, un tournant dans la guerre génocidaire menée par Israël | Stathis Kouvélakis
    https://www.contretemps.eu/treve-guerre-genocidaire-israel-gaza-palestine

    La trêve n’aura donc duré qu’une semaine. Sitôt rompue, Israël a repris l’opération exterminatrice menée depuis le 7 octobre. Pourtant, il serait erroné de croire qu’elle n’aura été qu’une parenthèse sans conséquences sur la suite. En effet, la conclusion de la trêve en elle-même était un premier revers pour Israël, produit (temporaire) d’une dégradation du rapport de forces interne et externe, un revers que ses dirigeants essaient d’effacer en s’engageant dans une fuite en avant d’autant plus meurtrière et aveugle que les buts affichés par Israël (éradiquer le Hamas, et, de façon de plus en plus explicite, vider Gaza de sa population) apparaissent hors d’atteinte. (...)

    La fuite en avant exterministe… et les moyens de l’arrêter

    La trêve n’a jamais été acceptée par l’extrême droite la plus radicale du cabinet israélien mais aussi par les secteurs militaires et du renseignement les plus exposés par le désastre du 7 octobre, le tout sur fond d’affaiblissement politique de Netanyahou. Face à un Anthony Blinken venu l’implorer de mener à Gaza-Sud une guerre plus « propre » (i.e. faisant moins de victimes civiles), le ministre de la défense Yoav Gallant, « vêtu de noir de la tête au pied… a asséné le message qu’il répète depuis le début des hostilités : “C’est une guerre juste pour le futur du peuple juif, pour le futur d’Israël. Nous combattrons le Hamas jusqu’à ce que nous gagnions. Peu importe le temps que cela prendra” ». Trois jours avant la reprise de la guerre, Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité et dirigeant d’une formation radicale d’extrême droite, menaçait de quitter le gouvernement si l’assaut contre Gaza ne reprenait pas immédiatement : « Arrêter la guerre équivaut à la dissolution du gouvernement ». Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, son concurrent dans l’extrême droite radicale, déclarait de son côté que l’arrêt de la guerre en échange de la libération de tous les détenus à Gaza était un « plan visant à détruire Israël ».

    L’objectif actuel de Tsahal est d’avancer vers le sud de Gaza, d’organiser un nouveau déplacement forcé de la population vers la frontière égyptienne, vers une sorte de « zone tampon », en réalité une zone de mort et une antichambre vers une déportation massive. L’idée à peine voilée est de faire un chantage à l’Egypte et à d’autres pays arabes pour qu’ils acceptent le transfert massif de la population gazaouie. Selon « le journal Israel Hayom », rapportent les correspondants du Monde, Benyamin Nétanyahou a demandé à son conseiller Ron Dermer un plan pour « réduire la population de Gaza au niveau le plus bas possible », etautoriser l’ouverture des frontières maritimes de l’enclave, pour permettre « une fuite massive vers les pays européens et africains ».

    L’imagination génocidaire des stratèges de l’État sioniste semble ne connaître aucune limite. Comme le rapporte l’hebdomadaire britannique (de centre-gauche) The Observer, des travailleurs humanitaires ont averti qu’Israël a commencé à utiliser son nouveau système de quadrillage pour les avertissements d’évacuation, qui divise Gaza en plus de 600 blocs, et qui est accessible grâce à un QR code figurant sur les tracts et les messages diffusés sur les médias sociaux. Ce système risque de transformer la vie dans le territoire en un « macabre jeu de bataille navale », précisent-ils.

    Y a-t-il un moyen de contrer ces plans génocidaires ? Incontestablement, la force essentielle demeure la résistance palestinienne, à la fois sur le front militaire et celui de la capacité de la population civile à préserver sa vie et son courage dans cette épreuve terrifiante. Mais, l’expérience historique l’a montré, l’issue de conflits coloniaux ne se décide pas seulement, voire même pas principalement, sur le champ de bataille. La lutte de libération du Vietnam a été gagnée autant dans la métropole impériale, et grâce à l’immense mouvement mondial de solidarité, que sur le terrain.

    En ce sens, la reprise des manifestations pour la libération des otages en Israël même, qui, pour la première fois, sont rejointes par des militants anti-guerre est un signe encourageant. Il en est de même, bien entendu, de la poursuite et de l’amplification du mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien, qui, malgré la répression et une campagne incessante de diffamation, a déjà mobilisé des millions de personnes dans des centaines de villes de par le monde. La pression de ces mobilisations sur les gouvernements, y compris celui des États-Unis (où le soutien inconditionnel de Biden à Israël pourrait lui coûter sa réélection), peut s’avérer décisive pour arracher un véritable cessez-le feu, sanctionner Israël et obtenir la reconnaissance effective des droits du peuple palestinien à l’autodétermination.

    Car une partie importante se joue bien sûr au niveau des relations internationales. Au sein même du camp occidental, des voix discordantes commencent à s’élever, notamment du côté de l’Espagne et de l’Irlande. Même Emmanuel Macron s’est senti obligé d’infléchir sa ligne de soutien inconditionnel à Israël, qui a déjà détruit le peu de crédibilité qu’il restait à la France sur la scène internationale. Confirmant la fracture avec le Nord déjà manifeste lors du conflit ukrainien, le Sud global affiche des positions qui vont de la désapprobation d’Israël à l’affirmation de la solidarité avec la cause palestinienne – à l’exception notable des pays dirigés par des forces d’extrême droite ou de droite radicale (comme l’Inde de Modi, l’Argentine de Milei, le Paraguay ou le Guatemala). Des pays comme la Colombie et le Chili ont rappelé leur ambassadeur en Israël, la Bolivie et l’Afrique du Sud ont rompu les relations diplomatiques avec Tel Aviv.

    Disons-le une fois de plus. Ce qui se passe en Palestine va bien au-delà d’un conflit régional et ne concerne en rien un différend religieux. La Palestine est aujourd’hui le nom d’un lieu où se joue une part décisive de notre humanité. Un sursaut collectif peut mettre en échec la mécanique génocidaire déployée par Israël et ses soutiens et faire advenir une nouvelle conscience internationaliste. Plus que jamais, le combat du peuple palestinien est celui de la liberté et de la dignité humaines.