CONTRETEMPS – REVUE DE CRITIQUE COMMUNISTE

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    ATSEM : des grèves de femmes à la grève féministe ?
    Thomas Vaïsse 7 décembre 2023 ATSEM : des grèves de femmes à la grève féministe ?2023-12-07T11:13:40+01:00

    La situation des personnels non-enseignants est souvent occultée dans les débats sur l’École. Pourtant, leur rôle est crucial et créer l’unité entre l’ensemble des travailleurs-ses de l’école, qu’ils ou elles soient enseignant-es ou non, est incontournable pour parvenir à une mobilisation victorieuse contre les politiques néolibérales qui rendent le système scolaire toujours plus inégalitaire.

    Dans cet article, Thomas Vaïsse revient sur la situation spécifique et les grèves des #ATSEM, grèves de femmes qui ne se revendiquent généralement pas du féminisme mais qui posent la question du travail immatériel indispensable au fonctionnement de l’institution scolaire et, plus largement, de la société capitaliste.

    *

    La rentrée scolaire 2023 a été un moment de surexposition médiatique et politique de l’école. Mais alors que les articles et les polémiques se multipliaient à son sujet, des métiers, pourtant indispensables à son fonctionnement quotidien, ont encore brillé par leur invisibilité dans l’espace public : celles et ceux qui composent le personnel non-enseignant, majoritairement féminin.

    Cette « autre femme derrière la porte », pour reprendre les termes de Naïké Desquesnes au sujet des Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), se pare d’une multitude de masques différents[1]. Elle est une ATSEM, chargée d’aider les enseignantes des écoles maternelles, une agente d’entretien ou de restauration, une Accompagnante d’élève en situation d’handicap (AESH), une animatrice du périscolaire. Leur recrutement et leur institution de rattachement posent d’entrée une difficulté pour élaborer un discours général, puisqu’elles sont recrutées par les mairies. Leurs conditions de travail et même l’étendue de leurs tâches peuvent donc largement varier.
    Des corps en colère

    Malgré tout, certains éléments se retrouvent partout sur le territoire et ouvrent à une analyse intersectionnelle puisque les caractéristiques sociales de ces travailleuses les placent dans des rapports multiples de domination ou d’exploitation, et nécessitent d’être pensées ensemble pour comprendre les raisons de leur colère et leurs formes de luttes. Car elles sont en colère, beaucoup d’entre elles en tout cas, comme l’automne 2022 nous l’a rappelé.

    Cette période a été l’occasion pour des syndicats d’ATSEM d’impulser un mouvement de grève nationale en vue de récupérer la prime prévue pour d’autres corps de métier lors du Ségur de la santé, mais aussi et surtout de revendiquer le passage en catégorie B de la fonction publique et d’obtenir la reconnaissance de la pénibilité de leur travail. Cet enjeu de reconnaissance de la technicité et de la pénibilité est un élément central dans les mobilisations collectives qui surgissent dans l’espace public. Celles-ci prennent régulièrement la forme de grèves, qui, au-delà de leurs conséquences sur le quotidien des familles, et donc sur leurs interactions avec les travailleuses et les institutions publiques, sont (quasiment) invisibilisées dans les débats politiques, dans l’actualité médiatique et dans les recherches académiques.

    Même dans l’univers politique de gauche, elles ne sont que peu mises en avant comme un acte de militantisme pensé et actif de la part d’un corps de métier central dans la société française. Pourtant, l’ampleur et l’efficacité de leur action militante pourraient être mises en exergue pour contredire deux discours très en vogue, l’un concernant la dépolitisation des classes populaires et l’autre la faiblesse inhérente de l’action syndicale, d’autant plus dans un secteur qui n’est pas un bastion historique du syndicalisme comme la pétrochimie ou l’énergie.
    Des ouvrières de l’usine sociale

    Vous avez sans doute noté la féminisation que j’apporte à chaque énonciation de métiers ; loin d’être une erreur, cette écriture vise à mettre en avant la présence quasiment exclusive de femmes dans l’école. En France, l’enseignement, qui est pourtant un corps de métier d’encadrement, donc potentiellement plus voué à attirer des hommes, est composé à 85,6 % de femmes. Les ATSEM, sur l’ensemble du pays, sont à 99,6 % des femmes, et le reste du personnel non-enseignant dans les écoles est composé très majoritairement de femmes (bien qu’il puisse y avoir une mixité plus importante dans la restauration ou l’animation).

    Ceci n’est guère étonnant au regard des pratiques et des qualités attendues dans cet espace qui sont encore largement assignées au genre féminin, c’est-à-dire pensées socialement comme relevant de l’activité des femmes. Elles consistent dans la grande majorité de leur activité quotidienne à reproduire dans un cadre professionnel des tâches qu’on retrouve dans la sphère domestique. S’occuper des enfants, les amener aux toilettes ou les changer, les faire manger, les surveiller, les mettre au lit et les endormir, les réconforter et faire le ménage : voici un ensemble de tâches pensées comme maternelles et ménagères qui inscrivent clairement l’étude de cette profession dans la lignée des débats et des réflexions portés par les travaux féministes sur la reproduction sociale, le care et le travail gratuit[2].

    Cette dimension genrée de ces métiers s’articule à des relations de subordination au sein de l’institution scolaire. À la différence du personnel enseignant, ces travailleuses ne sont pas diplômées de l’enseignement supérieur. Les ATSEM possèdent un CAP petite enfance et les autres agentes n’ont pas besoin de diplôme spécifique. Cette différence participe au fait que si elles sont au contact quotidien des enfants, elles demeurent au regard des institutions et des autres membres de la « communauté éducative » comme des actrices secondaires de l’éducation. Elles sont cantonnées en fait à exécuter les projets élaborés par le personnel enseignant ou à des travaux techniques et ouvriers.

    Dans une métaphore avec le monde de l’industrie, ces femmes peuvent être déplacées tout au long de la chaîne de montage, main-d’œuvre remplaçable sans réelle distinction individuelle. Le terme de chaîne de montage, certes un peu osé lorsque l’on parle de travail auprès d’enfants au sein des écoles, peut se défendre en s’inspirant de l’idée anthropologique que l’éducation consiste en l’activité d’une société en vue de produire de nouveaux êtres humains[3] ; c’est une usine sociale, comme Kylie Jarret[4] nomme ce travail immatériel indispensable à la perpétuation de la société capitaliste.

    Penser le lieu de l’école dans ces termes permet de conceptualiser le rapport entre agentes territoriales et enseignantes comme un rapport ouvrières / cadres. Dans ces interactions hiérarchiques, les secondes élaborent tandis que les premières exécutent[5]. Nombreuses sont celles qui ressentent alors ce que Simone Weil présentait comme le propre des conditions de travail à l’usine, c’est-à-dire « un abaissement de la possibilité de penser » du fait de « l’impossibilité d’ancrer la pensée dans l’action et d’établir un pont entre l’esprit et le contact que le corps déploie dans la matière », comme l’écrivent Furukawa Marques et Pascale Devette[6].

    Cette situation provoque une humiliation, le « vide imposé à la pensée ». Enfin, cette terminologie qui renvoie à l’industrie permet aussi de prendre au sérieux les paroles exprimées par les agentes pour pointer justement l’aspect répétitif et peu « humain » de leur travail et plus globalement de la prise en compte des enfants, et le ressentiment de n’être que des pions interchangeables.
    Circuler entre passion et pénibilité pour politiser leurs actions

    C’est de cette configuration précise et des interactions qui s’y développent qu’émane un ressentiment de dévalorisation qui trouve son origine dans l’écart entre les compétences attendues et l’utilité sociale revendiquée, d’une part, et la faiblesse des rétributions symboliques et matérielles d’autre part. Cet écart s’explique par plusieurs éléments. Ces métiers pensés comme devant être effectués « au nom de l’amour », pour reprendre une expression de Maud Simonet, sont naturalisés, c’est-à-dire renvoyés à des pratiques naturellement féminines.

    Cette naturalisation, articulée au peu de diplômes requis pour pratiquer, mène à un déni des compétences et de la technicité nécessaires, et entretient une forme de mépris que l’on retrouve d’ailleurs dans certaines critiques envers les grèves, qui écartent la pénibilité du travail et sa complexité. Celui-ci ne serait ni difficile, ni pénible, mais intéressant ou enrichissant, et ces femmes, parfois dénigrées comme peu compétentes du fait de leur langage ou de leur comportement, profiteraient des grèves pour « aller chez Zara ».

    Leurs problèmes physiques ou psychiques sont également naturalisés, et seraient les conséquences de leur nature fragile, de leur désinvolture et de leur paresse. Ces travailleuses doivent affronter en permanence les soupçons de fainéantise, de grossièreté, de grève de « confort », d’hystérie, etc. Loin d’être une nouveauté, ces préjugés naturalisés et naturalisant se sont toujours attachés à dévaloriser le travail des femmes des classes populaires, en critiquant aussi bien ce qu’elles font que ce qu’elles sont.

    Les agentes des écoles vont les réutiliser, dans une démarche similaire à ce que Fanny Gallot a montré au sujet d’ouvrières dans les années 1968, pour les transformer « finalement en preuve[7] » qui visibilisent leurs mauvaises conditions de travail. En produisant des discours et des revendications qui circulent entre pénibilité et passion caractéristique du travail reproductif, les agentes syndiquées, mais aussi celles qui ne le sont pas, pointent la fatigue due aux efforts physiques et mentaux constants comme un élément faisant partie de leur métier, qu’elles peuvent accepter du fait de l’amour qu’elles portent à celui-ci et à leur attachement à l’intérêt collectif.

    Elles déclarent aimer leurs métiers et les enfants dont elles ont la charge, mais en échange elles attendent une autre considération qui doit s’appliquer concrètement dans les conditions d’exercice de leur métier[8]. Leurs paroles insistent sur l’impossibilité de concilier le manque de gratification symbolique ou matérielle d’un travail qu’elles sont nombreuses à décrire comme pénible et fatigant, et la mise en pratique de l’amour qu’elles portent pour ce métier et pour les enfants.

    Les raisons des grèves sont alors montées en généralité à destination du bien-être de l’enfant et d’un service public de qualité. Si les grèves sont nécessaires, disent les grévistes, c’est parce que les conditions d’accueil ne sont pas adéquates aux attentes des familles et dangereuses pour les enfants.
    Valeur contre valeurs !

    Les mobilisations des ATSEM visent à revaloriser le travail reproductif en mettant en exergue ses valeurs morales au détriment d’une valeur marchande, comme bell hooks le prônait ; « on s’occupe de la prunelle de vos yeux », voilà les paroles fortes que les agentes clament régulièrement, portées par un mégaphone dans une manifestation ou dans une conversation lors d’un rassemblement.

    Elles participent ainsi à centraliser le débat public autour de la question de l’utilité sociale du travail, de ce qui est important pour la société, et à articuler la mise en visibilité et la mise en valeur du travail reproductif quotidien. Ce métier exige de prendre soin et de bien s’occuper des enfants, de fabriquer de la meilleure des façons des êtres humains. Elles articulent dans leur discours l’importance de leur métier pour la société tout en ne mettant jamais en avant une valeur monétaire et ainsi pointent le déséquilibre entre leur utilité sociale et le manque de rétributions matérielles et symboliques dont elles souffrent.

  • D’une violence génocidaire à l’autre, l’impossible destruction de la Palestine - CONTRETEMPS
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    D’une violence génocidaire à l’autre, l’impossible destruction de la Palestine
    Saree Makdisi 25 novembre 2023

    Dans cet article, l’universitaire palestinien Saree Makdisi examine les conséquences catastrophiques de la campagne de violence génocidaire contre Gaza. À travers une perspective historique, l’auteur montre en outre que l’objectif israélien d’éliminer le Hamas est sans doute vain, et que la seule issue possible au conflit israélo-palestinien est le démantèlement de l’État colonial d’Israël, soit la libération de la Palestine et le retour des réfugiés.

    Saree Makdisi est professeur d’anglais à l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA). Il est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Tolerance is a Wasteland : Palestine and the Culture of Denial (University of California Press, 2022).

    *

    J’ai grandi pendant la guerre civile au Liban. Avec mes parents et mes frères, j’ai enduré le siège israélien de Beyrouth en 1982. Je me souviens également de ce que nous pensions être la violence inégalée de l’invasion israélienne du Liban en 2006. Mais rien de ce que j’ai vu, de ce que mes proches ont vu, n’égale même de loin ce dont nous sommes les témoins impuissants à Gaza aujourd’hui.

    Depuis le 7 octobre, les Israéliens bombardent la bande de Gaza et ont tué plus de 11 000 personnes, dont près de 5 000 enfants [au 14 novembre]. L’ampleur et l’horreur de ces chiffres, l’étendue de la calamité infligée méthodiquement à toute une population aux yeux du monde entier, deviennent encore plus évidente lorsqu’on les considère en termes comparatifs. En trois semaines, Israël a tué plus de civil.es que les Russes en près de deux ans de guerre totale en Ukraine, un pays dont la population est vingt fois supérieure à celle de Gaza et dont la superficie en est plus de mille fois supérieure[1]. Save the Children a indiqué qu’Israël avait tué plus d’enfants au cours des trois premières semaines de bombardement de Gaza que le nombre d’enfants tués chaque année depuis 2019 dans toutes les zones de conflit du monde[2]. Cette déclaration date d’il y a environ deux semaines : plus de 2 000 enfants ont été tués depuis. En une journée à Gaza, Israël tue en moyenne 136 enfants. Vingt-huit mille Gazaoui.es, dont plus d’un millier d’enfants, ont été blessé.es, et d’innombrables autres sont enterré.es, vivant.es ou mort.es, sous les décombres d’immeubles d’habitation détruits. Des familles entières, de plusieurs générations, ont été anéanties : grands-parents, pères, mères, sœurs, frères, cousins, tantes, oncles et enfants. Chacun.e d’entre eux a un nom, une famille, un visage, une voix, un sourire, un rire. Que ce soit en termes absolus ou comparatifs, ces chiffres mettent à l’épreuve notre capacité à la fois intellectuelle et morale à saisir l’ampleur des pertes et des dégâts. Et nous ne sommes pas au bout du compte.

    Le gouvernement israélien publie de manière quotidienne un décompte des « installations terroristes », des « infrastructures terroristes », des « positions terroristes » et des « cellules terroristes » qu’il prétend avoir « éliminées ». Ces déclarations sont prises pour argent comptant et répétées par les salles de presse anglophones du monde entier, dans un contexte où les médias sont limités par la censure des grands patrons qui en sont souvent propriétaires et par celle qu’exercent les gouvernements, et où l’information est rendue difficile par les conditions de terrain, à savoir les bombardements, l’état de siège et le harcèlement des journalistes à Gaza. Par ailleurs, tous les reportages en provenance d’Israël sont soumis à la censure militaire, qui contrôle strictement ce qui peut et ne peut pas être dit.[3] En parallèle, le gouvernement américain a demandé à plusieurs reprises à Al Jazeera de « modérer » sa couverture jugée trop crûe de ce qui se déroule à Gaza, où trente-cinq journalistes ont été tué.es par des tirs à l’aveugle israéliens.[4]

    Malgré les censures, les images provenant en direct des ruines dans les quartiers détruits de Gaza révèlent la réalité dans toute son horreur. Ce ne sont pas seulement des immeubles d’habitation, mais des voisinages entiers qui ont été réduits à l’état de décombres. On y voit des cratères de vingt mètres de diamètre et de dix mètres de profondeur, d’où les survivant.es s’efforcent désespérément de sauver des personnes piégées sous des morceaux de ciment. Vidéo après vidéo, des équipes de civil.es non formé.es et sans équipement tentent d’aider les ambulanciers à récupérer les blessé.es dans les ruines de ce qui était, il y a à peine quelques semaines, leurs maisons. Parmi ces blessé.es, des enfants terrifiés, ensanglantés, hurlant, le visage recouvert de cendres, pleurent leurs parents à présent disparus.[5]

    Le 31 octobre, des bombardiers israéliens ont largué une série de bombes soigneusement calibrées, de plus de 900 kilogrammes chacune, au milieu du camp de réfugié.es de Jabalia, détruisant en un seul instant un pâté de maisons entier et blessant ou tuant des centaines de civil.es. Israël a déclaré que la cible visée était un responsable spécifique du Hamas, dont la présence n’avait même pas été confirmée, et que ces centaines de personnes se trouvaient simplement au mauvais endroit.[6] « Quand bien même ce commandant du Hamas se trouvait-il au milieu de toustes ces réfugié.es palestinien.nes dans le camp de Jabalia, comment Israël a-t-il décidé de bombarder cet endroit tout en sachant que de nombreux civil.es innocent.es, hommes, femmes et enfants, seraient vraisemblablement tué.es ? », a demandé sur CNN Wolf Blitzer, incrédule, à un porte-parole militaire israélien. « C’est la tragédie de la guerre, Wolf », lui a répondu le porte-parole. « Comme nous le disons depuis des jours, les populations doivent partir vers le sud ». Même pour Blitzer, c’en était trop : « Donc vous saviez qu’il y avait des réfugié.es, toutes sortes de réfugié.es, mais vous avez quand même largué une bombe sur ce camp pour tenter de tuer le commandant du Hamas ».[7]

    La justification des responsables israéliens est que tout homme, femme ou enfant parmi les quelque 300 000 personnes restées dans le nord de Gaza peut être considéré.e comme « complice des terroristes », justifiant ainsi leur assassinat.[8]En suivant cette logique, le bombardement de Jabalia du 31 octobre a été répété le lendemain sur ce qui restait de Jabalia. Le surlendemain, fut pris pour cible le camp de réfugié.es de Bureij, et le surlendemain celui de Maghazi… et ainsi de suite dans tout Gaza, que ce soit dans les zones dites « sûres » (au sud et au centre) ou dans le nord de l’enclave. Israël a beau évoquer à tout bout de champ des « cibles terroristes », les vidéos ne montrent que les corps brisés et ensanglantés de pères, mères et enfants.[9] D’une scène de carnage et de dévastation à l’autre, d’une soi-disant « cible terroriste » à l’autre, les caméras montrent aussi quelques survivant.es émergeant des débris et demandant ce qu’ielles avaient fait pour mériter d’être bombardé.es sans avertissement. « Nous étions chez nous, disent-ielles ; nous étions en famille, nous fêtions l’anniversaire d’un enfant, nous prenions le thé, nous célébrions une nouvelle naissance ». (Car, guerre ou pas, 150 bébés naissent chaque jour à Gaza[10] : chaque naissance apporte une brève lueur de joie et de vie aux nouveaux parents, même si, comme cela s’est produit à maintes reprises, ces nouvelles vies s’éteignent souvent trop vite).

    Plus que les séquences vidéo, ce sont les enregistrements audios des suites de ces bombardements qui viennent marquer au fer chaud nos consciences : les cris des blessé.es, d’hommes demandant du matériel – « tirez avec moi, allez, un, deux, trois, tirons ensemble » – suivis des gémissements des survivant.es qui, à l’agonie, appellent les mort.es, les démembré.es, les disparu.es : « Où est ma femme ? Ma fille ? Mon fils ? Où sont mes parents ? Où sont mes enfants ? ». L’autre jour, j’ai vu dans un reportage un adolescent qui pleurait en répétant doucement « baba, baba, baba » (papa, papa, papa) alors qu’un infirmier plaçait les parties démembrées du corps de son père sur une civière. Même s’il survit physiquement, comment cet enfant pourra-t-il se remettre émotionnellement du traumatisme auquel il est soumis sans aucun ménagement, comme un million d’autres enfants à Gaza ?

    Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies souligne que les deux tiers des personnes tuées par Israël à Gaza sont des femmes et des enfants, et que les personnes âgées constituent également un pourcentage important des victimes. Cela prouve la nature aveugle des bombardements israéliens et le prix si élevé que paient les quartiers résidentiels qui en sont les cibles principales. Étant donné la pénurie alarmante de nourriture à Gaza (selon l’ONU, les stocks de riz, de sucre et de légumineuses sont réduits à zéro, et le pain est très rare), les pères, les maris et les fils passent la majeure partie de la journée à chercher des vivres ou à rassembler les maigres provisions qu’ils peuvent trouver : lorsqu’il y en a, l’attente pour une demi-ration de pain peut durer jusqu’à six heures et implique fréquemment des bousculades, voire pire. Les mères et les enfants restent à la maison. « J’envoie mes fils à la boulangerie et huit heures plus tard, ils reviennent avec des bleus et parfois sans pain », a déclaré une femme.[11] Ainsi, lorsque les pilotes israéliens lancent « avec précaution » leurs bombes de « haute technologie » sur les immeubles d’habitation, ce sont généralement les femmes et les enfants qui subissent le plus gros des dégâts.

    Les bombardiers israéliens ont attaqué des mosquées, des églises, des écoles et des universités (279 établissements d’enseignement ont été endommagés ou détruits)[12] ; ils ont frappé des ambulances aux portes même des hôpitaux, et ont visé les hôpitaux eux-mêmes. Les 9 et 10 novembre, cinq grands hôpitaux ont été les cibles de tirs israéliens directs : l’hôpital pour enfants al-Rantissi, l’hôpital turc, l’hôpital indonésien, l’hôpital al-Quds et le centre médical al-Shifa. Le 10 novembre, un opérateur de drone israélien a tiré un missile Hellfire RX9 sur la cour de l’hôpital al-Shifa : il s’agit d’une variante du missile, qui ne porte non pas une ogive explosive mais une série d’imposantes lames (proches de celle d’une épée de samouraï) qui se déploient à l’explosion. Elles tuent et démembrent toute personne sur leur passage, et ont éparpillés sur le parvis de l’hôpital des membres et des torses ensanglantés.[13]

    Le même jour, à la tombée de la nuit, tous les hôpitaux du nord de Gaza ont déclaré être sous le feu de l’artillerie et des missiles israéliens : averses de phosphore incendiaire à l’extérieur, bâtiments secoués par des explosions successives et recouverts à l’intérieur de poussière et de débris et, dans certains cas, d’éclats et de douilles d’obus. Médecins Sans Frontières a rapporté que des tireurs d’élite israéliens visaient les hôpitaux. Des dizaines de milliers de réfugié.es terrifié.es s’étaient mis à l’abri dans les hôpitaux, et celleux qui ont tenté de quitter l’hôpital Rantissi et al-Shifa ce jour-là ont essuyé des tirs des troupes israéliennes et ont dû rentrer dans les établissements sous le feu. Les deux hôpitaux ont signalé des corps éparpillés à l’extérieur, hors de portée des médecins, lesquels ont également été visés par des tirs lorsqu’ils ont tenté de les secourir.

    Au matin du 11 novembre, le centre médical al-Shifa, la plus ancienne et la plus grande institution médicale de Gaza, s’est déclaré hors service en raison des tirs israéliens : il n’y avait plus d’eau, d’électricité ou de lumière. Six cents patient.es gravement blessé.es ne pouvaient plus être soigné.es. En l’absence d’électricité, le personnel a tenté des réanimations manuelles pour les trente-neuf bébés prématurés en couveuse et les autres patient.es en soins intensifs sous respirateur, mais il savait que, sans oxygène, il y avait peu de chance de survie. Les bébés ont commencé à mourir un par un. Les médecins de l’hôpital pédiatrique Nasr, qui fait partie du complexe Rantissi, ont pris les enfants qu’ils pouvaient sauver alors qu’ils s’enfuyaient pour échapper aux tirs d’obus israéliens, mais ils n’ont pas eu d’autre choix que de laisser derrière eux cinq bébés, livrés à eux-mêmes dans les couveuses qui clignotaient. « Voilà la situation : laisser les bébés seuls sur les ventilateurs », a déclaré un médecin en état de choc. Dans le grand hôpital al-Shifa, les médecins semblaient déterminés à rester sur place. Le directeur, Muhammad abu Salmiya, a promis que le personnel médical resterait auprès de ses patient.es jusqu’à la fin : « Nous ne partirons pas, car nous savons que si nous quittons l’hôpital, des dizaines de patient.es mourront », a-t-il déclaré à Al Jazeera.[14]

    Mais tout cela remonte au 10 novembre. Depuis lors, les hôpitaux du nord de Gaza sont restés silencieux, entièrement coupés du monde extérieur. Pour l’instant, personne ne connaît le sort des médecins, des patient.es et des milliers de réfugié.es qui y sont hébergé.es. Sous les bombardements incessants, la ville de Gaza est désormais privée de services médicaux. L’armée israélienne n’autorise aucune ambulance à pénétrer dans la zone depuis le sud : toutes les personnes blessées par les incessants bombardements israéliens vont très certainement mourir, même si leurs blessures auraient pu être soignées. Il ne reste plus aucun journaliste et toutes les lignes de communication ont été coupées. Quelles que soient les horreurs qui s’y déroulent, elles ont lieu dans l’obscurité, à l’abri des regards du monde.

    Israël est convaincu que le Hamas avait des quartiers généraux souterrains sous les hôpitaux, une affirmation réfutée non seulement par le Hamas et les hôpitaux eux-mêmes, mais aussi par des médecins étrangers qui les connaissent bien. Mads Gilbert, un médecin norvégien qui a travaillé à Gaza pendant des années et qui est actuellement bloqué en Égypte, pour essayer, à l’âge de 76 ans, de retourner à Gaza pour apporter son aide, a réfuté catégoriquement l’affirmation israélienne concernant al-Shifa. « Pendant seize ans, je me suis promené librement à l’intérieur du complexe hospitalier. Nous entendons ces affirmations depuis 2009 et ils [les Israéliens] menacent de bombarder al-Shifa depuis lors, sans fournir aucune preuve ».[15] Ils ont finalement réussi à bombarder l’hôpital.

    En d’autres termes, ce à quoi nous assistons à Gaza n’est pas de l’autodéfense, c’est une grande offensive opportuniste. Il ne s’agit pas d’une « guerre », mot utilisé de manière mensongère et trompeuse par la plupart des grands médias occidentaux, mais d’une campagne de violence génocidaire. En effet, il s’agit d’un « cas d’école de génocide », comme l’a dit Craig Mokhiber dans la lettre de démission de son poste de directeur du bureau de New York du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.[16] Ses propos ont été repris par de nombreux.ses spécialistes des génocides et de l’Holocauste. Après tout, le génocide est le terme utilisé par le droit international pour désigner une situation dans laquelle un groupe impose à un autre « une soumission intentionnelle (..) à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle », en plus d’« atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ».[17]

    Outre les 11 000 civil.es tué.es, l’ONU a estimé que 262 000 unités résidentielles avaient été endommagées ou détruites, soit environ la moitié de l’ensemble des logements de Gaza, et que 1,7 million de personnes avaient été déplacées de leur domicile. Les infrastructures de base du territoire, à savoir les réseaux d’électricité, d’eau et d’égouts, maintes fois malmenées lors des précédents assauts israéliens, ont été abimées au point d’être irréparables. Les panneaux solaires nouvellement installés ont été délibérément pris pour cible et détruits. Israël a détruit onze boulangeries produisant l’aliment de base dont la population dépend pour sa survie ; il a bombardé les bateaux de pêcheurs qui sont, ou étaient, une autre source potentielle d’alimentation ; il a bombardé les champs qui assurent la survie de l’agriculture de Gaza ; il a bombardé les conduites d’eau et les réservoirs. Les habitant.es sont contraint.es de boire de l’eau sale, polluée, contaminée ou saumâtre, ce qui entraîne inévitablement des diarrhées et des maladies. Des centaines de cadavres pourrissent sous les décombres. Les survivant.es des bombardements devront boire de l’eau de mer et manger du blé non cuit, s’ielles ne meurent pas de faim ou des maladies qui prolifèrent déjà à cause des eaux usées qui s’écoulent dans les rues. Et ielles n’auront nulle part où vivre.

    Depuis des années, les Israéliens parlent ouvertement d’éliminer Gaza ou de pousser sa population dans le désert, voire dans la mer. Aujourd’hui, ils semblent avoir l’occasion de le faire, avec la bénédiction sans réserve des capitales occidentales. Les gouvernements occidentaux, ne semblent avoir aucun scrupule, se précipitent pour apporter leur soutien financier et fournir davantage de bombes à Israël – se rendant ainsi complices de toutes ces atrocités et des violations grotesques du droit humanitaire international commises par Israël. A la question de savoir s’il y a une limite au nombre de victimes civiles que les Etats-Unis accepteraient à Gaza, le sénateur Lindsay Graham a répondu catégoriquement : « Non ».[18] Le porte-parole de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, John Kirby, a déclaré que l’administration Biden ne fixerait aucune ligne rouge pour Israël, ce qui signifie qu’en ce qui les concerne, aucune atrocité ne va trop loin. Il en va de même à Londres, Paris, Berlin et Bruxelles qu’à Washington. Tout cela, nous dit la classe politique occidentale d’un ton moralisateur, revient au droit d’Israël à « l’autodéfense ».[19]

    Les politiciens israéliens, en ce qui les concerne, utilisent pourtant un langage tout à fait différent pour décrire leurs actions. Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, l’a exprimé avec sa franchise caractéristique, sans sophistication, dès le 9 octobre : « Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agirons en conséquence ». S’il subsistait un doute quant aux intentions d’Israël, il a été dissipé par le rappel de Benjamin Netanyahou au public israélien et à l’armée : « la Bible nous appelle à nous souvenir d’Amalek ». Son allusion biblique, sans équivoque, réfère au passage suivant : « Maintenant, allez frapper Amalek, et détruisez tout ce qu’ils possèdent, sans les épargner ; tuez hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes » (1 Samuel 15:3). Netanyahou n’est pas le seul à faire des déclarations génocidaires. Il a lui-même dû retenir l’un des membres de son gouvernement, Amichai Eliyahu, qui a déclaré que l’utilisation d’armes nucléaires sur Gaza « est l’une des possibilités ».[20]

    Israël a l’habitude de tuer aveuglément des habitants de Gaza (1 400 en 2008 et 2009 ; 2 100 en 2014 ; et 260 en 2021)[21], utilisant l’expression obscène de « tondre la pelouse » pour désigner ces punitions périodiques. Aussi désastreux qu’aient été ces épisodes précédents, ce qu’Israël fait aujourd’hui est une punition collective d’une toute nouvelle ampleur. Il s’agit de la mise en œuvre de la doctrine israélienne dite de Dahieh, en référence à la banlieue sud de Beyrouth, que l’armée de l’air israélienne a pratiquement rayée de la surface de la terre par des bombardements intensifs au cours de l’été 2006. Après la guerre de 2006 au Liban, l’armée israélienne a élaboré un plan visant à infliger un niveau de dommages similaire aux zones civiles lors de futurs conflits : « Nous déploierons une puissance disproportionnée contre chaque village d’où des coups de feu sont tirés sur Israël, et nous causerons d’immenses dégâts et destructions », s’est vanté un général israélien de haut rang, Gadi Eisenkot, en exposant la doctrine au journal Ha’aretz. « Il ne s’agit pas d’une suggestion, a-t-il ajouté, mais d’un plan qui a déjà été autorisé ».[22] Le plan est maintenant en cours de mise en œuvre : comme l’a dit un responsable militaire israélien en décrivant l’offensive actuelle, « l’accent est mis sur les dégâts et non sur la précision ». En d’autres termes, l’abandon total des principes de proportionnalité et de distinction qui sous-tendent le droit international humanitaire est désormais au cœur de la stratégie militaire israélienne.[23] Ce à quoi nous assistons à Gaza est une série de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité prémédités et assumés en direct à la télévision, sous les yeux du monde entier.

    Mais dans quel but ? Le 17 octobre, l’Institut Misgav pour la sécurité nationale et la stratégie sioniste, qui entretient des liens étroits avec le gouvernement israélien actuel, a publié un document de synthèse appelant à la « relocalisation et la réinstallation définitives de l’ensemble de la population de Gaza ».[24] Le moment actuel offre « une occasion unique et rare d’évacuer l’ensemble de la bande de Gaza en coordination avec le gouvernement égyptien », indique le document. Il décrit plusieurs scénarios dans lesquels l’ensemble de la population de Gaza – plus de deux millions de personnes, dont la moitié sont des enfants – peut être transférée (pour utiliser un terme sioniste dont l’héritage remonte aux années 1920) en Égypte. Le gouvernement israélien n’a pas officiellement approuvé ce plan, mais ses actions vont certainement dans ce sens. « En ce moment, un seul objectif : la Nakba », a déclaré le député israélien Ariel Kallner. « Une Nakba qui éclipsera la Nakba de 1948. Une Nakba à Gaza, une Nakba pour tous ceux qui osent en redemander ! », a-t-il ajouté.[25] « S’ils sont déjà réfugié.es, il vaut mieux être réfugié.e au Canada qu’à Gaza », a déclaré Ram Ben Barak, l’ancien directeur adjoint du Mossad. « Répartissons donc les Gazaoui.es dans le monde entier. Ils sont 2,5 millions. Chaque pays en accueille 25 000. Cent pays. C’est humain et c’est ce qu’il faut faire ».[26]

    Bien que les États-Unis affirment qu’ils ne soutiennent pas le nettoyage ethnique de Gaza et qu’ils s’opposent aux attaques israéliennes contre les civil.es de Gaza, ils ne font rien pour les arrêter et, en fait, les encouragent activement. Selon certaines informations, les soutiens occidentaux d’Israël, en particulier les États-Unis, ont fait pression sur l’Égypte pour qu’elle déverrouille le point de passage de Rafah, à la frontière égyptienne, afin de permettre à la population de Gaza d’affluer dans le Sinaï, en promettant notamment au pays une remise de sa dette. La question de savoir si les Égyptiens céderont et laisseront entrer une partie ou la totalité de la population de Gaza est réelle. Quant à savoir si les habitant.es de Gaza elleux-mêmes accepteront ce nettoyage ethnique (alors que 80 % des habitant.es de Gaza sont déjà des survivant.es de la Nakba de 1948, ou leurs descendant.es), c’est une toute autre question.

    Pour que les Israéliens réussissent à expulser la population palestinienne de Gaza, il faudrait non seulement poursuivre la destruction aérienne, mais aussi intervenir sur le terrain pour rassembler les gens et les forcer à partir, selon la méthode consacrée des génocides passés. Mais chaque pas que les Israéliens font dans la bande de Gaza est vivement contesté et a un coût difficilement supportable pour leur gouvernement, comme l’a montré leur histoire récente. Ainsi, lorsqu’Israël a envahi le Liban en 2006, il a infligé des dommages considérables aux infrastructures civiles libanaises et tué plus de 1 100 personnes, pour la plupart des civils ; mais les 156 décès israéliens (des militaires pour la plupart) infligés par la résistance libanaise ont suffi pour qu’Israël renonce à ses objectifs déclarés et abandonne la guerre dans une défaite amère. Aujourd’hui, à Gaza, les chars et les véhicules blindés d’Israël – complètement scellés et tirant donc en grande partie à l’aveugle – sont détruits par des attaques à bout portant de la part de combattants de la résistance palestinienne, à une distance rapprochée contre laquelle aucun blindage au monde n’est suffisant.[27] L’infanterie inefficace d’Israël, plus habituée à harceler les Palestinien.nes aux points de contrôle qu’à affronter des ennemis entrainés et qui ripostent réellement, n’est pas préparée au combat rapproché dans un paysage de ruines urbaines, ce qui, depuis la bataille de Stalingrad, a toujours donné l’avantage aux défenseurs sur les attaquants.

    « Malgré la pression exercée » par l’armée israélienne, a rapporté le correspondant militaire du Ha’aretz, Amos Harel, le 5 novembre, « il n’y a pas d’effet significatif apparent sur le commandement et le contrôle du Hamas, qui continue de fonctionner ». Quiconque a regardé les vidéos d’attaques palestiniennes contre des troupes et des blindés israéliens sur Al Jazeera Arabic aurait pu arriver à la même conclusion.[28] Depuis son incursion terrestre dans la bande de Gaza il y a deux semaines, Israël a reconnu que des centaines de soldats ont été tués ou blessés : comme l’armée impose des limites strictes à la déclaration de ces pertes, les journalistes affirment que les chiffres réels sont sans aucun doute plus élevés. Il est difficile de savoir combien de pertes supplémentaires l’armée israélienne peut supporter en son propre camp – en dépit de l’indifférence face aux victimes que son acharnement aveugle cause parmi les civil.es palestinien.nes.

    Pour parer à toute éventualité au cas où Israël ne parviendrait pas à mettre en œuvre un processus massif de nettoyage ethnique, les soutiens étasuniens d’Israël, en particulier le secrétaire d’État Anthony Blinken, ont concocté divers scénarios en partant du principe que la majeure partie de la population de Gaza resterait à Gaza et que le Hamas disparaîtrait miraculeusement d’une manière ou d’une autre. Peut-être, suggèrent-ils, les cadres politiques et militaires du Hamas peuvent-ils être persuadés d’abandonner leurs positions et leur peuple à la merci d’Israël, comme l’Organisation de libération de la Palestine a été persuadée de le faire après le siège de Beyrouth en 1982 ? De toute évidence, non : chaque Palestinien.ne vous rappellera que ce qui a immédiatement suivi le retrait de l’OLP a été le massacre, supervisé par Israël, de civil.es palestinien.nes sans défense dans les camps de réfugié.es de Sabra et Chatila. Tenant pour acquis le départ ou la défaite du Hamas – qui ne montre pourtant aucun signe de fléchissement – une force multinationale de maintien de la paix a également été proposée.[29] Les États-Unis ont manifestement oublié ce qui est arrivé à la dernière force multinationale de maintien de la paix qu’ils ont imposée pour nettoyer le chaos laissé par Israël au Liban en 1982 – par exemple, les bombardements de la caserne des Marines américains à l’aéroport de Beyrouth en 1983 [qui ont contribué au retrait de la force multinationale du Liban en 1984].[30]

    Peut-être les Nations Unies peuvent-elles gouverner Gaza ? Peut-être les États-Unis peuvent-ils faire appel à l’Autorité palestinienne de Cisjordanie, ouvertement collaborationniste et détestée, pour diriger Gaza ? Depuis début novembre, Blinken se rend d’une capitale arabe à l’autre, s’inspirant du manuel diplomatique américain des années 1970, selon lequel les États-Unis peuvent parler des Palestinien.nes à tout le monde, sauf aux Palestinien.nes. Pendant ce temps, Netanyahou – acculé et luttant pour sa survie politique – a proposé la réoccupation de Gaza. D’autres responsables israéliens ont appelé à la démolition de la ville de Gaza et au confinement de la population survivante sur la moitié du territoire de l’enclave. Un ministre, Itamar Ben-Gvir, a proposé de réoccuper les ruines de Gaza grâce à l’installation de nouveaux colons juifs.[31] Un autre, Avi Dichter, a déclaré, de manière plus directe, qu’il s’agissait de la Nakba de Gaza : « Nous lançons la Nakba 2023 », a-t-il annoncé à la télévision.[32] Tous ces projets imaginaires reposent sur une victoire israélienne. Et que se passera-t-il si Israël ne parvient pas à déloger le Hamas et s’essouffle avant de terminer sa campagne de violence génocidaire ? Ou bien si les gouvernements britannique et américain estiment à un moment que les dommages infligés à Gaza nuisent trop à leurs propres intérêts, à leur propre situation intérieure ? Que se passera-t-il alors ?

    Personne ne sait ce que les semaines à venir apporteront à part des morts et de la misère. Mais le plus probable est que, s’étant une fois de plus fixé un objectif irréalisable (la destruction ou l’élimination du Hamas) Israël échouera, comme il a échoué à maintes reprises dans le passé, parce que sa capacité à tuer et à détruire n’a jamais produit de solution politique durable. Les Israéliens auront tué dix, vingt, trente mille personnes et fait de la vie à Gaza un véritable enfer pour celleux qui resteront. Ils n’auront rien accompli de plus que de montrer leur soif de sang et de vengeance. En revanche, ils auront alimenté le sentiment de plus en plus puissant autour du monde, qui circule non pas dans les couloirs du pouvoir occidental mais dans les rues où des manifestant.es se réunissent par centaines de milliers, que les véritables racines du problème ne sont pas les acteurs et actions qui ont émergé en réponse à ces sept décennies d’occupation et d’apartheid (tel que le Hamas) mais bien l’occupation et l’apartheid eux-mêmes.

    La triste ironie est que c’est Gaza qui représente l’exemple le plus clair de cette situation et qui peut provoquer cette prise de conscience. Gaza est le résultat tangible de la politique de dépossession des Palestinien.nes par Israël depuis 1948. La nature transitoire de la vie à Gaza, où les habitant.es vivent dans d’immenses quartiers urbains toujours appelés, à tort, « camps » [alors qu’ils se sont pérennisés], nous rappelle constamment que l’écrasante majorité des habitant.es de Gaza ne sont pas originaires de Gaza. Ils viennent d’Isdood, de Simsim, de Najd et d’autres villages situés à une heure de marche des clôtures et des murs qui les isolent de leur propre terre. Elleux-mêmes ou leurs parents ont été poussé.es vers Gaza lors de la création d’un État qui exigeait leur expulsion ; ielles y sont enfermé.es depuis lors parce que leur liberté est inconciliable avec un projet d’État fondé sur l’épuration ethnique et la violence génocidaire. Ce projet d’État est le principal moteur du conflit. Il l’est depuis 1948 et le restera jusqu’à ce que cette entreprise d’exclusion raciale impliquant l’apartheid, l’occupation et la mort prenne fin et qu’un nouvel État soit formé à sa place, constitué sur la base de l’inclusion, de la démocratie et de l’égalité pour toustes. Il s’agit de la seule issue possible, et la situation à Gaza le montre clairement : si seulement ces clôtures et ces murs étaient démantelés et si la majorité des habitant.es de Gaza étaient autorisé.es à rentrer chez elleux, tout ce cauchemar prendrait fin.

    https://seenthis.net/messages/1024080

  • Du siège génocidaire de Gaza, l’appel à la libération
    https://www.contretemps.eu/siege-gaza-appel-liberation

    En resituant l’actuel assaut génocidaire contre Gaza dans le temps long de l’histoire, Hanna Daoud montre dans cet article les lignes de continuité entre les différentes séquences d’un conflit colonial qui dure depuis près d’un siècle en Palestine. Elle offre en outre une compréhension sensible de l’expérience de la lutte palestinienne, notamment en rappelant que cette dernière est fondamentalement liée à la question de la terre et de la libération.

    --- « Le conflit en Palestine est la lutte pour arracher aux autochtones le contrôle de la terre », Edward Said, 1992 ---

    Depuis plus d’un mois, la bande de Gaza est pilonnée par l’unique puissance nucléaire du Moyen-Orient. Le feu et le fer s’y déversent sans pause, ils éventrent les immeubles, fracassent hôpitaux, écoles, boulangeries, églises, mosquées et infrastructures de l’ONU. Des camps de réfugiés sont réduits en poussière, des quartiers entiers sont rasés, desquels jaillit l’odeur de la mort. Plus de 11 200 victimes dont 4 630 enfants sont recensées par le ministère de la Santé de Gaza [au 14 novembre]. 1,5 millions de personnes sont déplacées. La famine, la déshydratation et les maladies provoquées par le siège complet de l’enclave guettent 2,3 millions de Palestinien.nes.

    Le monde assiste à un probable génocide-en-cours. Un génocide, le mot est lourd mais il est pesé. 800 universitaires et juristes spécialistes de l’étude des génocides s’alarment de sa répétition à Gaza. Sur un territoire de 360 km2, plus petit que le tiers de Londres, 25 000 tonnes d’explosifs ont été larguées en un mois, l’équivalent de deux bombes atomiques. Hiroshima retentit sur Gaza, sans possibilité pour quiconque de fuir. Les technologies militaires de pointe s’associent à un projet génocidaire. À cette expérimentation macabre, l’Occident a donné son blanc-seing.

  • Bon, d’accord, le nouveau taré argentin a l’air sévèrement taré. Mais est-ce quelqu’un aurait des articles avec un peu de fond qui analysent pourquoi ce nouvel étron bolsonaro-trumpiste est parvenu à se faire élire ? (Culture-war réactionnaire ? Nullité du camp d’en face ? Gauche qui aurait abandonné les pauvres ? Classes moyennes barbarisées ?)

    • Notamment cette partie je pense :
      "Le discours de M. Milei touche surtout les jeunes, particulièrement exposés aux réseaux sociaux et aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. « Jamais, depuis la fin de la dictature, la droite radicale n’a eu une résonance aussi puissante auprès des jeunes », constate Ariel Goldstein, chercheur au Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet) à Buenos Aires. Selon un sondage du cabinet de conseil Synopis (9), la moitié des militants de M. Milei, majoritairement des hommes issus des classes moyenne et populaire urbaines, ont moins de 29 ans. Pendant la pandémie, « l’État est devenu leur ennemi », explique Sergio Morresi, politiste de l’université nationale du Littoral. « À leurs yeux, le discours progressiste selon lequel l’État est celui qui prend soin de nous, nous protège, nous aide, n’a pas de sens. Leur seule expérience est celle d’un État qui ne fonctionne pas. »"

    • taux de participation de 76 %

      Ils veulent apparemment le changement, quel qu’il soit.

      De mon côté, suivi de loin, je me souviens :
      – accusations de corruption contre les dirigeants de gauche
      – arrivée au pouvoir de la droite corrompue, marasme économique
      – retour d’une certaine gauche, mais sans retour à la normale
      – tensions sur la monnaie, historique lourd de ce point de vue, marchés internationaux peu amicaux
      – inflation incontrôlable

    • une salve de « vive la liberté, bordel ! », son slogan préféré, crié d’une voix rocailleuse de rockeur.

      « On peut s’attendre à un scénario de grande conflictualité sociale », estime Lara Goyburu, politiste à l’université de Buenos Aires, avec la probable mobilisation des syndicats et des organisations sociales. A moins, ajoute-t-elle, que Javier Milei n’opte pour la répression afin d’imposer ses réformes.
      Le président élu ne dispose pas de majorité au Congrès, ni de gouverneur provincial ou de maire appartenant à sa coalition : les doutes sur sa capacité à gouverner restent entiers. « Cela peut provoquer une paralysie institutionnelle. Car même en comptant sur les députés d’une partie de la droite, il n’aura pas de majorité qualifiée, observe la politiste. Aussi, il ne pourra peut-être pas retirer l’avortement légal ou dollariser l’économie, mais il va pouvoir couper de nombreuses dépenses publiques en gouvernant par décret. »

      dans Le Monde
      https://archive.ph/YfWEQ

      edit vu l’ampleur de la #pauvreté et le taux d’#inflation, on voit mal comme un ministre de l’économie aurait pu contrer ce sale type

      #Argentine

    • à propos de Milei un seen de @deun, " extrême droite et misère de position"
      https://seenthis.net/messages/1019616

      cite DES INSURRECTIONS SANS LUMIÈRES
      https://lundi.am/Des-insurrections-sans-lumieres

      à quoi ont ajouter la parution aujourd’hui de
      QUI EST JAVIER MILEI LE NOUVEAU PRÉSIDENT ARGENTIN LIBERTARIEN ? (D’après Pablo Stefanoni, La rébellion est-elle passée à droite ?)
      https://lundi.am/Qui-est-Javier-Milei-le-nouveau-president-argentin-libertarien

      une ode punk a icelui

      https://www.youtube.com/watch?v=6-g2OjuuNCs

      « Allez vous faire foutre, salauds d’empresaurios[empresario (entrepreneur) et dinosaurio (dinosaure) ] / Allez vous faire foutre, sodomites du capital / On en a marre des ordures keynésiennes / Le moment libéral est arrivé / Nous avons un leader, et c’est un référent majeur / Qui arrive toujours à incommoder l’État / Javier Milei, notre futur président / Javier Milei le dernier des punks / Toujours mobilisé contre la pression fiscale / Toujours mobilisé contre l’étatisme prédateur / Luttant pour une Argentine libertarienne / Et pour la liberté du peuple travailleur. »

      un résumé vidéo du Monde via @sandburg
      https://www.lemonde.fr/comprendre-en-3-minutes/article/2023/11/19/qu-est-ce-que-la-figure-de-javier-milei-nous-dit-des-crises-que-traverse-l-a

      #extrême_droite #paléolibertarianisme #libertariens

    • Argentine : Javier Milei n’est ni Trump ni Bolsonaro, il est pire,
      Ludovic Lamant
      https://www.mediapart.fr/journal/international/201123/argentine-javier-milei-n-est-ni-trump-ni-bolsonaro-il-est-pire

      L’Argentin Javier Milei est le dernier avatar d’un mouvement de fond des droites extrêmes « anti-système » qui s’épanouissent dans les failles et insuffisances des démocraties actuelles. Mais les rapprochements avec Donald Trump ou Jair Bolsonaro échouent à saisir la spécificité du phénomène.
      Le « saut dans le vide » tant redouté par les gauches argentines s’est produit : le #libertarien Javier Milei a été élu dimanche 19 novembre, avec un score sans appel et bien supérieur à ce qu’annonçaient des instituts de sondage décidément très peu fiables pour prendre le pouls du malaise qui traverse ce pays.
      Milei a devancé de plus de onze points son adversaire péroniste, le ministre de l’économie sortant, Sergio Massa, rassemblant pas moins de 14,5 millions de voix (sur 36 millions d’inscrit·es) . Sa formation, La liberté avance, s’est imposée dans 21 des 24 provinces du pays. Il a profité d’un report massif des voix des candidat·es arrivé·es en troisième et quatrième places au premier tour.

      Sans surprise, Donald Trump est l’un des premiers à avoir félicité sur X le vainqueur : « Je suis très fier de toi. Tu transformeras ton pays et lui redonneras de nouveau sa grandeur ! » Lors du premier tour, le 22 octobre, le fils de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, Eduardo Bolsonaro, député à Brasilia, avait fait le déplacement à Buenos Aires pour soutenir Milei : « Javier incarne l’espoir que les choses changent », avait-il dit, alors qu’il arborait ce jour-là une pince à cravate en forme de pistolet devenue virale sur les réseaux.
      Dès le mois d’août dernier, à l’approche des primaires dont Milei était déjà sorti vainqueur, Jair Bolsonaro en personne s’était fendu d’une vidéo de soutien : « [Milei et moi] partageons beaucoup de choses en commun. [...] Nous défendons la famille, la #propriété_privée, le #libre_marché, la liberté d’expression, le droit à se défendre. »

      Le énième avatar d’une « internationale national-populiste » ?

      Le triomphe de l’outsider Milei s’inscrit dans ce mouvement de montée en puissance des #droites les plus extrêmes, engagées dans une #guerre_culturelle contre les gauches progressistes. Milei tempête contre « la caste » comme Trump l’a fait contre « l’establishment » de Washington. Milei s’est fait connaître en tant qu’expert des plateaux de télévision à partir de 2015, comme Trump est passé par la télé-réalité dans les années 2000 pour accroître sa notoriété.
      En plus de leur style agressif, extravagant et télégénique, les trois – avec Jair Bolsonaro – tonnent contre « le communisme » et/ou « le socialisme » et défendent - sur des registres à peine différents - le droit de chaque citoyen à porter une arme pour se défendre. Trump, Milei ou encore Boris Johnson du temps du Brexit se sont nourris d’une explosion des inégalités dans leur pays, capitalisant sur le mal-être d’une classe moyenne appauvrie.

      « Des petits commerçants, des indépendants, qui gagnent peu, sont très remontés contre le #péronisme, et voient qu’ils gagnent quasiment la même chose que des chômeurs qui bénéficient de plans sociaux, expliquait à Mediapart le sociologue Gabriel Vommaro, du centre de recherche argentin Conicet et de l’EHESS à Paris. C’est une vieille histoire en sociologie politique, qui se répète : celle du jeune Blanc aux États-Unis, ou du Brexiter en Angleterre. »
      Interrogé par le site en espagnol de CNN, le patron de la version argentine du Monde diplomatique, José Natanson, identifie un autre point commun : tous ont profité, avant leur victoire, d’une « sous-estimation » : « Il y a l’idée qu’ici, cela ne peut pas arriver, qu’un personnage pareil ne peut pas devenir président de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay... Jusqu’à ce que cela arrive. »
      Mais le jeu des échos et comparaisons s’arrête là, au sein de cette « internationale national-populiste ». Les raccourcis qui présentent Milei comme un « Trump argentin » ne suffisent pas à comprendre ce qui se joue à Buenos Aires. L’ascension de Milei s’inscrit d’abord dans un contexte de dégradation du système politique argentin. Et beaucoup de ses caractéristiques sont très spécifiques.

      Un homme sans parti

      Aux États-Unis, Donald Trump s’est imposé aux primaires du parti républicain. Au Royaume-Uni, les partisans du Brexit ont pris d’assaut le parti conservateur (Tories). À Buenos Aires, Milei a construit son ascension sans ancrage national. Son pseudo-parti, La liberté avance, a enchaîné les mauvais scores aux différentes élections régionales qui ont ponctué l’année 2023, preuve que cette entité peine à exister si Milei ne se présente pas.
      Cela signifie d’abord que Milei a les mains libres pour fixer sa ligne radicale, en toute indépendance, avec quelques personnes clés de son entourage. À commencer par son énigmatique sœur cadette, Karina, qu’il surnomme, au masculin, « El jefe » (le chef), ou encore « Le messie », et qui fut la stratège en chef de sa campagne victorieuse.
      Revers de la médaille : à ce stade, son parti est loin de détenir les clés de la Chambre des député·es. Milei ne détiendra que 38 élu·es à la chambre basse (contre trois sur le mandat précédent). La majorité absolue est à 129. Il devra donc convaincre des député·es de la droite plus traditionnelle, par exemple au sein du PRO de Patricia Bullrich et Mauricio Macri.
      D’où les analyses de certains observateurs, qui font déjà de l’ancien président #Mauricio_Macri (2015-2019), le premier à avoir soutenu Milei durant l’entre-deux-tours, le « parrain » de la présidence Milei à venir.

      Une ascension éclair

      Au Chili, le candidat néo-pinochetiste José Antonio Kast, qui a failli l’emporter face à Gabriel Boric en 2021, est élu pour la première fois député en 2002. Au Salvador, Nayib Bukele, devenu l’une des figures les plus inquiétantes de l’extrême droite au pouvoir dans les Amériques après son élection à la présidence en 2019, a démarré sa carrière politique en 2012, depuis la gauche.
      Là encore, Milei tranche avec ce type de parcours. Il a été élu député national pour la première fois en décembre 2021. L’ascension éclair de ce novice en politique, dénué a priori de toute capacité de négociation politique, s’explique en grande partie par un contexte très local : le bilan calamiteux de la présidence péroniste d’Alberto Fernández depuis 2019. En particulier sur le front économique : une inflation de 648 % sur la période, des dévaluations du peso à répétition, et un taux de pauvreté en hausse, à 40,1 % de la population (18,5 millions d’Argentin·es).

      Un candidat « mono-thématique »

      Milei a longtemps été le candidat d’une seule proposition, la dollarisation de l’économie argentine face à l’inflation galopante (et son pendant, la fermeture de la Banque centrale), qu’il a martelée sur les plateaux télé. « Trump parlait d’économie mais de beaucoup d’autres choses, notamment d’international. Milei est davantage mono-thématique : il critique la caste et parle d’économie », relève le sociologue Gabriel Vommaro.
      Carlos Pagni, l’éditorialiste du quotidien La Nación l’explique autrement à Mediapart : « Milei n’est pas Bolsonaro, il serait plutôt comme la fusion de Bolsonaro et [Paulo] Guedes dans la même personne », en référence au conseiller économique ultralibéral de la présidence Bolsonaro.
      Si l’attention des médias, surtout à l’étranger, s’est fixée sur la personne extravagante de Milei, le triomphe électoral de dimanche est bien le fruit d’un binôme. Son choix de s’entourer de Victoria Villaruel comme candidate à la vice-présidence, a été un coup de maître.
      Il lui a permis de se faire entendre sur d’autres sujets que l’économie (critique des féminismes, opposition au droit à l’#avortement, dénonciation de la politique mémorielle sur la dictature menée par les Kirchner, etc.). Villaruel a permis à Milei à se relier à cette internationale ultra-conservatrice, de Giorgia Meloni en Italie à Santiago Abascal en Espagne, pour laquelle le libertarien n’avait jusqu’alors montré que peu d’intérêt.

      Un programme encore plus extrême

      Milei se dit « libéral libertarien » ou encore « anarcho-capitaliste ». Au-delà du vertige des étiquettes, son programme semble aller encore plus loin que ceux de Bolsonaro, Trump ou Kast. L’économiste portègne veut tout à la fois supprimer les ministères de l’environnement et de l’éducation, privatiser les médias publics et les compagnies énergétiques. « Tout ce qui peut se retrouver aux mains du secteur privé, sera remis aux mains du secteur privé », a-t-il déclaré lundi 20 novembre, lors de son premier entretien post-élection.
      Il veut encore libéraliser les ventes d’organes, faciliter le port d’armes et abroger le #droit_à_l’avortement. Il est revenu en fin de campagne sur ses promesses de privatiser l’école et l’éducation, reconnaissant lundi qu’il s’agit d’une compétence des provinces... Victoria Villaruel a de son côté encore électrisé la fin de campagne en promettant de fermer le musée ouvert depuis 2015 dans l’un des principaux centres de torture de la dictature argentine (1976-1983) à Buenos Aires, l’ESMA.
      À ce stade, celles et ceux qui pariaient sur un assouplissement de Milei une fois élu, contraint à des compromis avec des partis traditionnels pour former des majorités au sein de la Chambre, comme l’anticipait durant la campagne Guillermo Francos, annoncé comme son futur ministre de l’intérieur, en sont pour leurs frais. L’économiste de 53 ans, qui préfère « la mafia à l’État », a prévenu dès dimanche soir : « Il n’y a pas de place pour le gradualisme, la tiédeur ou les demi-mesures. »

      Un autre rapport à la religion ?

      Donald Trump et surtout Jair Bolsonaro ont pu compter sur le soutien des évangéliques. Milei confère lui aussi une place centrale au religieux, mais cela s’est surtout traduit, durant sa campagne, par une série de vives critiques à l’encontre du pape argentin François, accusé par des pans de la droite d’être trop progressiste (et de soutenir la campagne des péronistes). Bousculé sur le sujet par Sergio Massa durant le premier débat télévisé début octobre, Milei avait dû faire en partie marche arrière.
      Surtout, Milei assume une forme de mysticisme, qui transparaît dans les entretiens qu’il a donnés sur un registre plus personnel. Lorsqu’il était un peu moins connu, Milei a par exemple expliqué que la Banque centrale était « le malin », et que le socialisme avait été inventé par « le diable ». Son biographe, le journaliste Juan Luis González, auteur d’El Loco (Le fou, Planeta, 2023), décrit un « leader messianique », qui compare ses actions à des passages des textes sacrés, mais se compare aussi lui-même à des figures de la Bible, comme Moïse.
      Milei est persuadé que Dieu, non seulement existe et qu’il est libertarien, mais aussi qu’il lui est arrivé d’échanger avec lui. Il a déjà expliqué très sérieusement qu’il parlait à Dieu à travers son chien, Conan, mort en 2017, et dont il avait fait réaliser, peu de temps avant sa mort, six clones aux États-Unis.
      L’économiste reprend aussi souvent à son compte une citation de l’Ancien Testament, devenue très populaire sur les réseaux : « À la guerre, la victoire ne dépend pas du nombre de soldats, mais des forces du ciel. » L’un de ses autres slogans durant les meetings – « Je suis venu pour réveiller les lions », en référence à ses électeurs –, porte aussi cette couleur messianique, dont on peine à savoir, à ce stade, comment elle jouera sur sa manière de présider l’Argentine.

      #messianisme (de bazar)

    • #Milei_fou_furieux Après le #narco_capitalisme, l’#anarcho_capitalisme (en tant que dernier avatar du #capitalisme_de_désastre)

      L’économiste reprend aussi souvent à son compte une citation de l’Ancien Testament, devenue très populaire sur les réseaux : « À la guerre, la victoire ne dépend pas du nombre de soldats, mais des forces du ciel. » L’un de ses autres slogans durant les meetings – « Je suis venu pour réveiller les lions », en référence à ses électeurs –, porte aussi cette couleur messianique, dont on peine à savoir, à ce stade, comment elle jouera sur sa manière de présider l’Argentine.

      Pour ce dernier point, c’est pourtant assez facile à imaginer ...

    • En Argentine, la naissance du fascisme religieux de marché
      https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/21/en-argentine-la-naissance-du-fascisme-religieux-de-marche

      On pourrait nommer « fascisme religieux de marché » ou « autoritarisme technocratique » le type de régime que les libertariens et les nationalistes conservateurs entendent fonder en Argentine. Une pareille formule a déjà existé dans l’histoire de l’Amérique latine : dans le Chili de Pinochet, dans l’Argentine de Videla, dans le Pérou de Fujimori et dans le Brésil de Bolsonaro. Elle combine des réformes néolibérales avec l’autoritarisme politique, qui s’est exprimé dans les régimes dictatoriaux des années 1970 en Amérique latine et au Brésil ces dernières années. Une différence avec le phénomène Bolsonaro pourrait être que ce dernier bénéficiait d’un fort soutien de la part des militaires et des évangélistes, ce qui ne serait pas si évident à réaliser pour Milei.

      " La victoire de Milei aux primaires montre qu’une partie importante de la société considère que la voie de la recomposition sociale par le biais d’une proposition conflictuelle et autoritaire est plus appropriée. "
      Ariel Goldstein

      Le libéralisme de Milei et la démocratie libérale ne sont pas compatibles. Aucune société démocratique ne peut supporter ces réformes d’ajustement sans autoritarisme. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont son langage combine les appels religieux avec la doctrine économique néolibérale. Il utilise des versets bibliques pour justifier ses positions économiques de réduction des dépenses publiques, telles que « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » (Genèse 3 : 19).

      Une phrase revient souvent dans La révolution libérale, un documentaire de Santiago Oría qui défend l’héritage de Milei, ainsi que dans sa campagne : « la guerre la victoire ne va pas aux plus nombreux, car c’est du Ciel que vient la force » (Maccabées 3 : 19).

      Milei est l’instrument de la revanche d’une partie de la société contre une classe politique perçue comme inutile, parasitaire et uniquement tournée vers ses propres intérêts. L’adhésion à un leader désigné comme celui qui punira un ennemi explique la montée en puissance de Milei, comme tous les phénomènes de droite radicale16.

      « Ceux qui jettent des pierres, je vais les mettre en prison et s’ils encerclent la Casa Rosada, ils devront me sortir mort » a-t-il déclaré lors de l’une de ses dernières apparitions télévisées. Milei mise ainsi sur une violence rédemptrice qui le montre, dans cette vision guerrière et religieuse, comme le grand illuminé. Il semble, en ce sens, avoir un profil plus fondamentaliste que Trump et Bolsonaro, qui dérive peut-être du fait qu’il a moins d’expérience politique que ces derniers.

      Ce que nous vivons est une nouvelle destruction de la composante rationaliste du libéralisme par un autoritarisme et un fondamentalisme religieux qui se l’approprient. Il appartient à la gauche, aux sociaux-démocrates, aux progressistes et aux libéraux de s’unir pour défendre cet ensemble d’idées et de valeurs afin de préserver la démocratie. En effet, le processus de normalisation, sous Milei, a été extraordinairement rapide. Aucun cordon sanitaire n’a été formé comme en Europe.

      Milei semble avoir un profil plus fondamentaliste que Trump et Bolsonaro, en raison de sa moindre expérience politique.

      Il a une vision fanatique de la réalité dans laquelle il fait une distinction entre les personnes « pures » et « impures ». Par exemple, cette réflexion adressée à la dirigeante de l’opposition, Elisa Carrió : « Chacun est gouverné par la morale et l’éthique, les gris disparaissent et les tièdes deviennent de parfaits complices des criminels (ils ne diffèrent que par les formes) ». Dans ce type de réflexion, il défend une croisade morale contre les « impurs », qui est évidemment dangereuse pour la pérennité du système démocratique. Dans cette vision complotiste, ceux qui ne sont pas d’accord avec lui sont transformés en ennemis qui représentent un danger pour son existence.

    • L’ouragan Milei. Les sept clés de l’élection argentine
      https://www.contretemps.eu/argentine-milei-libertarien-extreme-droite-macri

      Cette victoire d‘un économiste qui se définit comme « anarcho-capitaliste » – et qui appartient plus précisément au courant « paléolibertarien » analysé notamment par Pablo Stefanoni – ouvre en tout cas un scénario inédit et imprévisible. Comment comprendre ce basculement politique qui a porté au pouvoir un homme sans expérience politique ni véritable mouvement structuré derrière lui, mais appartenant à une nouvelle extrême droite globale ?

    • « La victoire de Javier Milei en Argentine s’inscrit dans un contexte mondial de consolidation des droites radicales », Olivier Compagnon, Historien, David Copello, Politiste
      https://archive.ph/p1Uu3

      Une fois que l’on s’est accoutumé au spectacle de foules saccageant le Capitole à Washington, comme cela s’est produit le 6 janvier 2021, ou le palais du Planalto à Brasilia, le 8 janvier 2023, on se formalise moins qu’un nouveau venu, étranger à la scène politique il y a encore trois ans, fasse campagne, tronçonneuse à la main et insultes aux lèvres, en promettant de libéraliser le port d’armes et le commerce d’organes.
      La victoire de Milei s’inscrit donc dans un contexte régional – mais aussi global – de consolidation de droites radicales qui ne cherchent plus à masquer les aspects les plus extrêmes de leur programme, mais les mettent en scène pour en faire des produits d’appel. (...) l’essentiel réside désormais dans l’hubris, la démesure, la provocation, voire la bouffonnerie.

      Ces droites ont des phobies communes, du nord au sud de l’Amérique et de part et d’autre de l’Atlantique – l’avortement, la « théorie du genre » [terme employé pour marquer un rejet des études de genre], les communautés LGBTQIA+, le « marxisme culturel » [une théorie conspirationniste mettant en cause les élites intellectuelles], les migrants, etc. Elles désignent à la vindicte populaire leurs nouveaux ennemis de l’intérieur, qui se sont substitués aux communistes depuis la fin de la guerre froide. Se présentant sous les atours de la nouveauté, leur discours de rejet de la « caste » politique ne s’en accommode pas moins du recyclage de barons de la politique locale, changeant d’étiquettes partisanes au gré des occasions, ou de vieilles gloires des années passées.

      (...) Seize années de kirchnérisme (2003-2015 et 2019-2023), entrecoupées par le mandat du libéral Mauricio Macri (qui n’a pas hésité une seconde avant d’apporter son soutien à Milei), n’ont pas permis de réenchanter durablement le politique, de stabiliser une économie minée par la dette et les crises cycliques ni de mettre en place des politiques de redistribution pérennes.
      Epuisés par l’un des confinements les plus stricts du monde au plus fort de la pandémie de Covid-19, asphyxiés par une inflation qui pourrait atteindre, selon la Banque centrale du pays, plus de 180 % fin 2023, lassés des scandales de corruption, les Argentins ont voté en majorité pour une altérité radicale, bien que celle-ci ne présage pas vraiment de jours meilleurs.
      Le suffrage des plus jeunes, particulièrement prononcé en faveur de Milei, attire l’attention. Celles et ceux qui, nés en 2007, ont voté pour la première fois lors de ces élections n’ont connu, leur vie durant, que des taux d’inflation et des indices de pauvreté supérieurs à 20 %. Face à la misère, la relativisation des crimes passés de la dictature par Milei et sa vice-présidente, Victoria Villarruel, ainsi que leur dénigrement du travail de mémoire ne suscitent guère que l’indifférence.

    • Bon, je ne vois pas beaucoup de réponses à ta question dans les commentaires, donc en voici une réponse largement pompé de cet article :
      https://www.humanite.fr/monde/argentine/argentine-javier-milei-la-victoire-du-fmi

      1ere raison : le fond de crise

      C’est bien la droite de Mauricio Macri, président de 2015 à 2019, qui a créé les conditions de l’arrivée de Milei à la Casa Rosada (maison rose), avec l’aide de l’organisme financier siégeant à Washington.

      En doublant le poids de la dette publique extérieure (69 % du PIB) et en signant, fin 2018, le prêt le plus important jamais accordé par le FMI à un pays (56 milliards de dollars), le gouvernement Macri s’est plié aux recettes du FMI et a plongé l’économie dans une spirale récessionniste. En effet, la stratégie de « l’austérité expansionniste » promue par le programme de réajustement du FMI n’a en rien fonctionné.

      Ce que prédisaient déjà à l’époque nombre de détracteurs de l’accord. « Si le gouvernement s’en tient aux objectifs de ce programme, des millions d’Argentins connaîtront des souffrances et des difficultés accrues à mesure que le chômage et la pauvreté augmenteront avec la récession », prévenaient, fin 2018, les économistes Mark Weisbrot et Lara Merling.

      Ainsi, avec son couteau placé sous la gorge de la banque centrale argentine, le FMI n’a fait qu’accentuer ses difficultés macroéconomiques. Fuite de capitaux, dépréciation du peso, hausse du poids des devises étrangères dans la dette, croissance du déficit de la balance courante…

      L’« assainissement budgétaire » et le resserrement monétaire, appliqué à la lettre par le gouvernement de droite, ont piégé le pays dans le bourbier d’une dette ingérable, alimentée par une spirale inflationniste et dépréciative au coût humain catastrophique.

      Au terme du mandat de Macri, la pauvreté a augmenté de 50 % et l’inflation atteint les 54 %. Seuls vrais gagnants de ce désastre économique : les fonds vautours états-uniens, véritables charognards des marchés financiers, n’hésitant pas à traîner le pays devant les tribunaux américains pour empocher des milliards de dollars, après avoir racheté pour une bouchée de pain des parts de la dette extérieure de Buenos Aires.

      2eme raison : une gauche pas à la hauteur

      Fin 2019, la gauche péroniste reprend les rênes du pays. Mais, dans ces conditions, il est bien difficile pour le président Alberto Fernandez (centre gauche) de redresser la barre. Avec son ministre de l’Économie, Sergio Massa, il hérite d’une situation exécrable et la renégociation d’une partie du prêt du FMI, ramené à « seulement » 44 milliards, n’y changera rien, bien au contraire.

      Contrairement à Néstor Kirchner (2003-2007) et à Cristina Fernandez de Kirchner (2007-1015), qui avaient réussi à relever le pays après la terrible crise de 1998-2002 qui avait poussé 65 % des Argentins en dessous du seuil de pauvreté, lui est pieds et poings liés par un FMI qui se retrouve en position de force, accentuée par un défaut de paiement dès mai 2020.

      Le Fonds continue ainsi d’imposer des coupes à la hache dans les dépenses publiques et sociales. Le contexte mondial ne joue pas en la faveur de l’Argentine, avec d’abord les conséquences économiques de la pandémie de Covid, puis une sécheresse exceptionnelle qui a diminué de 20 % les recettes du secteur des exportations agro-industrielles, pilier de l’économie nationale.

      4,9 milliards d’euros d’« aide » ont été de nouveau débloqués, en avril dernier. En échange de ces crédits, le FMI impose baisse du déficit budgétaire et politique de contrôle des dépenses, avec, par exemple, une suspension des subventions sur l’énergie. « Ce sont des usuriers, ils nous asphyxient avec les intérêts de l’argent qu’ils nous ont prêté », dénoncera plus tard le président Fernandez, conspuant des positions aussi inflexibles qu’« idéologiques ». Le pays est alors traversé par des mouvements sociaux contre l’austérité et l’inflation qui conspuent autant le FMI et sa dette « illégitime » que le gouvernement qui met en place ses exigences.

      Finalement, avec des taux d’inflation frôlant tous les records, les classes populaires subissent une précarisation accélérée et le bilan des années Fernandez est – forcément – mauvais. C’est dans ce contexte que surgit Javier Milei. Quoi de plus simple pour lui que de s’en prendre à l’« establishment », de surfer sur le mécontentement populaire et, au final, de remporter la mise, avec le soutien de la droite qui lui aura préparé le terrain.

      3eme raison : le soutien de la droite traditionnelle entre les 2 tours

      Avec des mesures d’austérité que la gauche n’a pas été en mesure de résilier, la droite a en effet ouvert la porte à l’arrivée de l’extrême droite, ce qui s’est d’ailleurs confirmé après le premier tour. En effet, entre le maintien au pouvoir du centre gauche et l’arrivée d’un néofasciste, celle-ci n’a pas longtemps hésité à se prononcer en faveur de Milei.

      Après sa qualification pour le second tour, celui-ci a en effet reçu le soutien de Patricia Bullrich (22 % au premier tour), candidate malheureuse de la droite traditionnelle, ainsi que de l’ancien président Mauricio Macri en personne.

      4eme raison, en finir avec le Péronisme

      Particularité de ce tribun facho : Il avait en face de lui les héritiers du péronisme, (donc de la dictature, des escadrons de la mort, etc.) . Il ne pouvait donc pas se réclamer du soutien de l’armée comme Bolonaro. Voilà pourquoi son camp a communiqué sur son pseudo « anarchisme de droite » (avec plein de guillemets, hein ? parce que l’anarchie, ça ne peut pas être de droite). Parce qu’il a connoté dans sa campagne, le dépassement de toute forme d’autoritarisme (c’est un comble, mais ça a fonctionné).

      C’est bien résumé ici :
      https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/peron-peronismo-argentine-election-politique-javier-milei

  • Lire la tradition radicale noire aujourd’hui. À propos de Cedric Robinson
    https://www.contretemps.eu/marxisme-noir-cedric-robinson

    Dans son ouvrage Black Marxism : The Making of the Black Radical Tradition, initialement paru en 1983, Robinson revient sur la genèse de cette tradition politique et philosophique et analyse les liens qu’elle entretient à l’égard du marxisme. Il s’attarde sur trois figures – W. E. B. Du Bois, C. L. R. James et Richard Wright – et discute de leur rattachement au radicalisme noir mais aussi au marxisme. L’ouvrage constitue un réel apport, en ce qu’il définit les contours ou la nature de la tradition radicale noire, qui, selon lui, s’ignore comme telle.

    Les éditions Entremonde ont entrepris la démarche attendue et heureuse de traduire ce texte important et de le rendre ainsi disponible à un public francophone[2]. Car malgré l’ampleur de ce travail et son ancrage indéniable dans des débats à la fois historiographiques et militants, Black Marxism n’a pas connu une diffusion à la hauteur des enjeux soulevés. Dans son avant-propos, Robin D.G. Kelley – qui a été l’étudiant de Cedric Robinson – explique que, si l’ouvrage a été finement lu et travaillé par la génération de militant·es à laquelle il a appartenu, il n’a selon lui pas connu la réception attendue du grand public ou du monde universitaire, malgré une réédition en 2000.

    #livres #éditions #communisme #marxisme

  • Une gauche qui ne critique pas le sionisme n’est pas une gauche véritable
    https://www.contretemps.eu/gauche-critique-sionisme-traverso-judaisme-question-nationale

    Enzo Traverso est professeur à l’université de Cornell. L’œuvre prolifique de cet éminent historien explore le long 20e siècle à partir de l’intersection entre marxisme et judaïsme, nazisme et fascisme, révolution et mouvements socialistes. Il est l’auteur de La violence nazie (La Fabrique, 2002), Les Nouveaux visages du fascisme (Textuel, 2016) ainsi que de nombreux articles, dont plusieurs sont parus sur Contretemps. Parmi ses autres titres, traduits en plusieurs langues, figurent Mélancolie de gauche et Révolution.

    Verso Libros vient de publier La cuestión judía. Historia de un debate marxista (2023), une révision actualisée de sa thèse de doctorat qui analyse l’histoire du débat sur la question juive au sein de la famille marxiste, de Karl Marx à l’École de Francfort. La revue Jacobin América Latina l’a rencontré à Barcelone après sa conférence dans le cadre du cycle « L’Europe, laboratoire d’idées », organisé par le Centre de Culture contemporaine de la Capitale Catalane (CCCB). Simón Vázquez, rédacteur de Verso Libros, a mené cet entretien.

    Simón Vázquez – La question juive est un débat qui a traversé le 19ème et le 20ème siècle. Persiste-t-il aujourd’hui à gauche ou est-il désormais un sujet laissé à l’histoire des idées ?

    Enzo Traverso – Ce débat, comme beaucoup d’autres, appartient à l’histoire du marxisme et donc à l’histoire intellectuelle de la gauche. Comme beaucoup d’autres débats sur la question nationale et d’autres questions plus négligées, ils doivent être redécouverts et réinterprétés car ils font partie de l’arrière-plan de la mémoire et de la théorie de la gauche.

    Je ne pense pas qu’il soit crucial, par exemple, dans la Catalogne d’aujourd’hui, de lire mon livre pour chercher une solution politique. Mais, en même temps, je pense qu’il serait important que les Catalans et les Catalanes sachent que ce type de problèmes a existé dans de nombreux autres contextes et à d’autres époques, et que la gauche a essayé de les résoudre. Le débat était donc le suivant : comment définir une nation, qu’est-ce qu’une nation, quel est l’avenir des nations ? La gauche de l’époque que j’étudie dans mon livre présentait différentes approches. Certains marxistes affirmaient que le socialisme représentait l’expression ultime des identités et des cultures nationales, tandis que d’autres soutenaient que le socialisme mènerait à un monde post-national où l’humanité ne ferait plus de distinction entre les nations. Même au sein d’un même parti, ces deux approches ont souvent coexisté.

    La question que certains se posaient alors était la suivante : si nous vivons dans un monde post-national, cosmopolite, avec une humanité unifiée, quelle langue parlera-t-on ? Bien sûr, à l’époque, en Europe de l’Est, le russe prédominait, laissant de côté d’autres langues comme l’ukrainien, le lituanien ou l’arménien. Des formes de nationalisme sont apparues, exprimées dans une perspective universaliste. Il y avait aussi des revendications nationalistes régressives qui proposaient de construire une nation en séparant les gens. C’est un débat très ancien qui résonne encore aujourd’hui...

    • L’antisémitisme existe toujours en Europe et aux États-Unis, comme en témoignent les actes violents, tels que les massacres de synagogues et les actes terroristes. Le terrorisme islamique est fortement antisémite. La lutte contre l’antisémitisme fait toujours partie de l’agenda politique de la gauche, bien que l’on prenne de plus en plus conscience que l’antisémitisme n’est rien d’autre qu’un pilier du conservatisme nationaliste.

      Simón Vázquez – A gauche, nous avons vu des accusations d’antisémitisme, souvent liées à la défense de la Palestine ou des droits des Palestiniens et des Palestiniennes, et nous l’avons aussi vu utilisé contre des leaders comme Jeremy Corbyn. Que pensez-vous de cette utilisation de l’antisémitisme dans les luttes intestines de la gauche ?

      Enzo Traverso – Il est clair qu’il y a une instrumentalisation de l’antisémitisme pour résoudre des problèmes internes à la gauche. Accuser un adversaire d’antisémitisme dans un débat interne est une tactique qui sera très médiatisée en Europe. L’utilisation démagogique de l’antisémitisme, notamment pour dénigrer ou stigmatiser l’antisionisme, est un problème grave.

      Une gauche qui ne critique pas le sionisme, surtout à un moment où le sionisme se reflète dans des personnalités comme Benjamin Netanyahu et un gouvernement aux tendances quasi-fascistes, ne mérite pas d’être définie comme gauche. Je crois que la gauche doit avoir une position claire sur cette question et ne pas céder aux campagnes médiatiques de droite qui nous accusent à tort. Il est essentiel de dissiper ces mensonges, semblables à ceux des années 1920 et 1930, lorsque la gauche était accusée d’être trop « philo-sémite ».

      *

      Publié initialement sur Jacobin América Latina. Traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

  • Lire la tradition radicale noire aujourd’hui. À propos de Cédric Robinson
    https://www.contretemps.eu/marxisme-noir-cedric-robinson

    Le livre de Cedric Robinson, Marxisme noir, vient de paraître en français aux éditions Entremonde, 40 ans après sa parution originale en anglais. Anouk Essyad propose ici une lecture de cet ouvrage, attentive à ses apports comme à ses limites, et insiste sur la centralité des rapports sociaux de race dans le capitalisme réellement existant. D’où la nécessité de « faire front face au capitalisme racial et aux différenciations qu’il construit, que celles-ci soient raciales, nationales, ou entre fractions de classe exploitées et dominées ».

    Dans un entretien paru en 1999[1], une revue anarchiste demande à Cedric J. Robinson comment lui, qui a si longuement étudié les liens entre marxisme et tradition radicale noire, définirait ses engagements politiques. Sa réponse mérite qu’on s’y arrête :

    « Quels noms donneriez-vous à la nature de l’Univers ? Il existe des réalités pour lesquelles les dénominations sont prématurées. Mes seules loyautés sont envers un monde moralement juste ; et c’est avec d’autres Noir·es que j’ai trouvé les occasions les plus heureuses et les plus étonnantes de combattre la corruption et la tromperie. Je suppose que cela fait de moi une composante ou une expression du radicalisme noir » (ma traduction).

    Cette belle remarque illustre merveilleusement bien l’ancrage du militant et auteur radical : d’une part, elle exprime une forme de rapport existentiel et humaniste au monde qu’il retrace et analyse dans ses travaux. D’autre part, elle l’ancre dans la longue histoire du radicalisme noir, histoire essentiellement collective.

  • Étoiles de David taguées : un juge va enquêter sur un possible commanditaire étranger
    Plusieurs dizaines d’étoiles de David ont été découvertes, mardi 31 octobre au matin. Le caractère antisémite n’est pas établi à ce stade.
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/07/etoiles-de-david-taguees-un-juge-va-enqueter-sur-un-possible-commanditaire-e
    Un rétropédalage sur une dimension antisémite qui ne semble pas certaine, après les emballements initiaux ?

    Un juge d’instruction a été désigné mardi pour enquêter sur les tags d’étoiles de David bleues, à Paris et dans sa banlieue la semaine dernière, a indiqué la procureure de Paris, qui n’exclut pas que ce marquage « ait été réalisé à la demande expresse d’une personne demeurant à l’étranger ». « L’enquête va désormais se poursuivre dans le cadre d’une instruction judiciaire, tant pour identifier les auteurs que pour analyser l’intention ayant guidé cette opération », a précisé Laure Beccuau dans un communiqué de presse.
    [...]
    La première ministre Elisabeth Borne avait dénoncé des « agissements ignobles », y voyant comme de nombreuses personnalités politiques des actes antisémites.
    [...]
    Dans un premier temps, trois enquêtes avaient été ouvertes à Bobigny, Nanterre et Paris, pour dégradation du bien d’autrui aggravée par la circonstance qu’elle a été commise en raison de l’origine, la race, l’ethnie ou la religion. Les trois ont finalement été regroupées à Paris, a indiqué lundi matin le parquet de la capitale.

    « Il apparaît en effet qu’une même équipe a pu procéder aux différents marquages au cours d’un seul périple. Les investigations se poursuivent », ajoute le ministère public. Vendredi, cette même source avait précisé qu’il « n’(était) pas établi que cette étoile ait une connotation antisémite, mais cela ne peut être écarté d’emblée ». Le ministère public disait enquêter sur « l’intention sous-jacente à ces tags, notamment au regard du contexte géopolitique et à son retentissement au sein de la population en France. »

    • #Bullshit
      Couple de Moldaves arrêté, commanditaire russe… Mystère et silence de Darmanin autour des tags d’étoiles bleues de David
      https://www.humanite.fr/societe/antisemitisme/couple-de-moldaves-arrete-commanditaire-russe-mystere-et-silence-de-darmani

      Des tags portant la même signature ont pourtant continué d’apparaître sur les murs de plusieurs immeubles de France, y compris après l’arrestation du couple. Le même commanditaire est-il à l’œuvre ? Y a-t-il eu un effet pervers d’émulation ?

      Si ces étoiles de David faites « avec sophistication » au pochoir ont évoqué, chez certains observateurs, notamment Jean-Pierre Mignard, le mode opératoire de groupuscules d’extrême droite, le parquet avait indiqué ignorer si elles « ont pour but d’insulter le peuple juif ou d’en revendiquer l’appartenance, notamment puisqu’il s’agit de l’étoile bleue » et non jaune.

      Nul doute que les résultats de l’enquête ouverte pour « dégradation du bien d’autrui aggravée par la circonstance qu’elle a été commise en raison de l’origine, la race, l’ethnie ou la religion » et confiée à la Sûreté territoriale de Paris ne manqueront pas d’alimenter cette bataille de l’information et les clivages au sein de la société, que le ministre de l’Intérieur n’a cessé de pousser à leur paroxysme, depuis le 7 octobre.

    • Anatoli Prizenko, commanditaire présumé des étoiles de David taguées dans Paris, prétend que l’action visait à « soutenir » les Juifs
      https://www.liberation.fr/checknews/anatoli-prizenko-commanditaire-presume-des-etoiles-de-david-dans-paris-pr

      Prizenko s’indigne (ou feint de s’indigner) de la méprise, qu’il met sur les dos des responsables politiques français : « Ne comprenant pas la situation, ils ont suscité une vague de peur et de panique dans la société. J’ai envie de leur demander : comment n’avez-vous pas honte de comparer le symbole du bouclier de David, avec tout le respect qui lui est dû, avec l’étoile jaune fasciste ou d’autres symboles antijuifs ! » Et l’homme d’affaires d’appeler les Juifs à ne pas avoir peur : « Si vous êtes Juif dans votre cœur, et pas seulement dans vos documents, mettez le bouclier de David sur votre maison, sur votre magasin, sur votre voiture. Ce sera un acte de foi, ce sera un acte de non-peur, ce sera un acte de soutien à tous ceux qui ont besoin d’aide et de soutien de la part des autres aujourd’hui. »

      Il est impossible, en l’état, d’apporter le moindre crédit à cette défense. Pourquoi avoir attendu d’être contacté par la presse pour livrer cette version, alors que l’affaire met en émoi la France depuis des jours, suscitant l’inquiétude de la communauté juive ? Prizenko n’apporte aucune réponse à nos questions, renvoyant ses explications à cette hypothétique conférence de presse à Paris. Seule précision : l’homme se défausse derrière une organisation de la communauté juive européenne nommée « Bouclier de David », dont il prétend qu’elle a mené l’opération en France. Une structure que CheckNews n’a pas encore été en mesure d’identifier, rendant impossible de vérifier les dires de l’homme d’affaires.

      Publication antisémite

      En épluchant la production d’Anatoli Prizenko sur les réseaux sociaux, CheckNews n’a par ailleurs découvert aucun soutien explicite aux Juifs. A contrario, en 2014, l’homme avait relayé une publication antisémite concernant plusieurs personnalités ukrainiennes. Le 28 mars 2014, il partageait ainsi un texte, rédigé en russe par un certain Aristarkh Rabinovitch, soulignant l’origine juive de plusieurs hommes et femmes politiques ukrainiens. Un texte ouvertement antisémite affirmant que « les Juifs sont en première ligne du coup d’Etat nazi et de la destruction de l’Ukraine ». L’Etat d’Israël y est qualifié de « colonie des Etats-Unis ».

      #manipulation #antisémitisme

  • Entre Israël et l’Occident, le déni potentiellement génocidaire de la Palestinehttps://www.contretemps.eu/israel-occident-deni-palestine

    Dans ce texte, Ussama Makdisi montre qu’entre Israël et l’Occident, il existe une communauté de langage et un système de vision du monde commun dans lequel l’Arabe, le Palestinien, n’a pas la même valeur ontologique que les peuples du Nord global. Ce racisme est ancré dans l’histoire du colonialisme européen dont le sionisme est une manifestation, et persiste aujourd’hui encore dans les structures sociales des sociétés européennes, américaines du nord et israélienne. Il contient en outre un potentiel génocidaire que l’auteur met ici en exergue et qui se révèle aujourd’hui à Gaza – sous les yeux du monde entier.

    L’amour du sionisme en Occident a toujours eu une relation trouble avec le génocide. Le sionisme en tant qu’idéologie politique trouve ses racines dans une époque où les empires européens justifiaient régulièrement l’extermination de ceux qu’ils considéraient comme des peuples inférieurs et des barbares non civilisés. Sa promesse fondatrice repose sur une sorte de génocide métaphorique.

    Aux racines du sionisme et du philosionisme, un racisme colonial

    L’idée sioniste européenne du XIXe siècle d’implanter et de maintenir un État nationaliste exclusivement juif dans une Palestine multiconfessionnelle est dès le départ fondée sur l’effacement de l’histoire et de l’humanité des Palestiniens autochtones. À la suite de l’Holocauste allemand des Juifs d’Europe, le philosionisme occidental est puissamment renforcé par un sentiment de culpabilité et une sympathie pour l’idée d’un État juif. Aujourd’hui, le philosionisme est arrivé à un point de son cheminement où il endosse l’idée d’un génocide à Gaza au nom de la défense de cet État juif. Depuis que les « diaboliques » guérilleros palestiniens ont quitté le ghetto de Gaza et ont attaqué et tué des soldats, policiers, colons armés et civils israéliens le 7 octobre 2023, le soutien des libéraux et des États occidentaux au « droit d’Israël à se défendre » est écrasant. Ce soutien strident ne faiblit guère alors qu’Israël mène méthodiquement une campagne de terre brûlée depuis près d’un mois, détruisant des dizaines de milliers de maisons, d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées, d’églises et de boulangeries et soumettant la population réfugiée palestinienne de Gaza à une punition collective d’une cruauté inouïe. Ce dernier épisode du philosionisme révèle plus clairement que jamais l’impitoyable double standard qui le sous-tend : l’histoire et les vies des juifs Israéliens sont respectées ; l’histoire et les vies des Palestiniens musulmans et chrétiens sont fondamentalement dévalorisées.

    Ce double standard a une longue histoire qui remonte à l’époque où d’enthousiastes théologiens protestants d’Europe et d’Amérique du Nord adhèrent à l’idée du « retour » des Juifs dans la Palestine biblique, sans s’intéresser ni à la population qui existe alors en Palestine ni à sa diversité. Le mouvement nationaliste sioniste qui émerge en Europe centrale et orientale parmi les Juifs ashkénazes européens ignore lui aussi la population palestinienne autochtone. Cela s’explique en partie par la géographie : le sionisme est né non pas au sein des anciennes communautés juives d’Orient, mais dans la lointaine Europe. Ses dirigeants ne sont pas des Juifs arabes ou orientaux, mais des Juifs ashkénazes européens. Quant à son idéologie nationaliste ethnoreligieuse, elle est forgée non pas par le pluralisme du Moyen-Orient de l’époque, mais par les nationalismes raciaux, ethniques et linguistiques concurrents de l’Europe. L’antisémitisme racial qui se manifeste en Europe est étranger aux rythmes des différences religieuses, de la discrimination et de la coexistence si familiers aux divers habitants de l’Orient islamique ottoman.

    En partie au moins, la condescendance du sionisme européen vis-à-vis de l’autochtone est fondée sur le racisme. Car le projet sioniste se développe comme un projet colonial. Alors que les principaux sionistes sont aux prises avec l’antisémitisme racial de l’Europe, ils expriment, partagent, contribuent et font circuler de nombreux tropes racistes fondamentaux de la culture occidentale du XIXe siècle : les terres des peuples autochtones seraient largement « vides » et donc ouvertes à la colonisation, le colonialisme serait le salut et l’expulsion des peuples autochtones serait inévitable ou nécessaire parce que ces peuples seraient racialement et mentalement inférieurs, non civilisés et donc sans valeur historique ou éthique. En ce sens, l’un des slogans du mouvement sioniste est « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre »...

    • Israël : de 1973 à 2023, les limites de la puissance militaire, Miko Peled, 7 octobre 2023
      https://www.contretemps.eu/israel-palestine-1973-kippour-2023-limites-puissance-militaire

      Des renseignements fiables indiquaient que les Égyptiens allaient attaquer en 1973. Ces renseignements provenaient de différentes sources, dont le Mossad, les services de renseignements militaires et même le défunt roi de Jordanie Hussein, qui avait prévenu le gouvernement israélien de l’imminence de la guerre. On ne peut que se demander comment les services de renseignement israéliens vont justifier le manque de préparation à l’attaque du 7 octobre 2023.

      Alors que l’humiliation de la guerre de 1973 brûle encore dans le cœur et l’esprit des Israélien.ne.s, une nouvelle humiliation, peut-être plus grande encore, se présente aujourd’hui. Dans les guerres qui ont précédé 1973, Israël a toujours attaqué lorsque ses ennemis étaient faibles et mal préparés. En octobre 1973 et à nouveau en octobre 2023, les Israélien.ne.s ont goûté à leur propre médecine. Et ils se sont effondrés militairement et politiquement.

      ... Une chose est sûre : quel que soit le succès de l’opération qui a démarré le 7 octobre, les Palestiniens risquent d’en payer le prix fort. Mon ami, l’activiste Issa Amro d’Hébron, aurait été sévèrement battu et arrêté par des soldats israéliens. Selon un rapport en provenance d’Hébron, il a besoin de soins médicaux. Il n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il faut espérer que ce succès militaire palestinien se traduira par un gain politique réel pour tous les Palestiniens.

      #Israel_Palestine

  • La littérature antisémite prospère à l’ombre des droites radicales - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/antisemitisme-antijudaisme-edition-extremes-droites-negationnisme

    Les médias dominants et le personnel politique – de Renaissance au FN/RN en passant par LR – prétendent que l’antisémitisme serait passé à gauche. Outre son manque de fondement repéré de longue date par les chercheurs en science politique, cette stratégie de disqualification – promue il y a déjà une vingtaine d’années par Pierre-André Taguieff ou Alain Finkielkraut – a pour effet de dissimuler la persistance, et même le développement, d’un « énorme édifice antisémite », composé de plusieurs dizaines de maisons d’édition, qui prospère à l’ombre des droites radicales.

    [.../...]

    Les 7 thématiques qui nourrissent la littérature antisémite

    Les discours qui apparaissent dans la littérature diffusée en 2023, appartiennent à différents registres qui entrent souvent en intersection :

    1- l’antijudaïsme et l’antisémitisme chrétiens,

    2- l’anti-judéo-maçonnisme,

    3- la thématique de la domination juive (à venir ou déjà réalisée),

    4- la dénonciation de la subversion juive, thématique étroitement articulée à la précédente car la subversion préparerait la domination,

    5- le négationnisme : nier le génocide perpétré par les nazis à l’égard des juifs européens,

    6- l’entretien de l’antisémitisme nazi,

    7- l’antisémitisme littéraire et collaborationniste et la fiction antisémite contemporaine viennent compléter le tableau.

    #antisémitisme #droites_radicales #catholicisme

  • Guerre contre Gaza : lettre de démission du directeur du Bureau de New York du Haut Commissariat aux droits humains - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/lettre-demission-craig-mokhiber-gaza-genocide

    Nous publions la lettre de démission adressée le 28 Octobre 2023 au Haut commissaire des droits humains, Volker Turk, par Craig Mokhiber, qui était jusque-là directeur du Bureau de New York du Haut Commissariat aux droits humains. Cette lettre a été très peu diffusée par les médias français mainstream, et pour cause : elle entre en contradiction totale avec le récit dominant selon lequel la guerre menée par l’Etat d’Israël contre la population de Gaza constituerait une simple « riposte légitime » aux attaques menées le 7 octobre par le Hamas.

    Craig Mokhiber dénonce non seulement une guerre qu’il qualifie de « génocidaire », mais aussi la complicité des gouvernements occidentaux, le rôle des médias, la faillite d’Oslo et de la « solution à 2 États », l’usage de l’argument de l’ « antisémitisme » pour justifier la politique israélienne, ainsi que la compromission de l’ONU. Cette lettre mérite donc d’être lue et largement diffusée.

    *

    Monsieur le Haut Commissaire,

    Ceci sera ma dernière communication officielle en tant que directeur du Bureau de New York du Haut Commissariat aux droits humains (OHCHR).

    Je vous écris dans un moment de grande détresse pour le monde, y compris pour beaucoup de nos collègues. Une fois encore, nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux, et l’Organisation que nous servons semble impuissante à l’arrêter. En tant que personne ayant enquêté sur les droits humains en Palestine depuis les années 1980, ayant vécu à Gaza comme conseiller des Nations unies pour les droits humains dans les années 1990, et ayant effectué plusieurs missions de défense des droits humains dans le pays avant et depuis ces périodes, cette situation me touche personnellement.

    C’est encore dans ces locaux de l’ONU que j’ai travaillé lors des génocides contre les Tutsis, les musulmans bosniaques, les Yazidis et les Rohingyas. Dans chaque cas, alors que la poussière était retombée sur les horreurs perpétrées contre des populations civiles sans défense, il devenait douloureusement évident que nous avions manqué à notre devoir de répondre aux impératifs de prévention des atrocités de masse, de protection des personnes vulnérables et d’obligation d’exiger que les auteurs de ces actes rendent des comptes. Il en a été de même avec les vagues successives de meurtres et de persécutions à l’encontre des Palestiniens, tout au long de l’existence des Nations unies.

    #israël #palestine #onu

  • À Gaza, une guerre génocidaire avec la complicité de l’Occident | Saree Makdisi
    https://www.contretemps.eu/gaza-guerre-genocidaire

    Dans cet article, l’universitaire palestinien Saree Makdisi analyse les ressorts de la guerre coloniale de type génocidaire que mène Israël contre les Palestiniens de la minuscule bande de Gaza. Il revient sur la couverture déshistoricisante des événements récents par les médias occidentaux qui reconduisent et fixent un racisme anti-arabe manifeste justifiant en creux l’anéantissement de Gaza, c’est-à-dire l’étouffement, le meurtre et le déplacement de plus de 2 millions d’êtres humains.

    Comment une personne peut-elle, le temps d’un clip, rattraper sept décennies de fausses déclarations et de déformations délibérées ?

    Récemment, un ami australien et palestinien a été invité sur la chaîne de télévision nationale australienne pour discuter de la situation dans et autour de Gaza[1]. Ses intervieweurs blancs lui ont posé toutes les questions habituelles : Pouvez-vous défendre ce que nous avons vu de la part des militants du Hamas ? Est-ce qu’une telle violence aide la cause palestinienne ? Comment peut-on défendre le massacre de jeunes amateurs de musique lors d’un festival ? Défendez-vous le Hamas ? Ils s’attendaient probablement à une réaction défensive de sa part, mais calmement, dans son anglais doux aux accents australiens, mon ami a rapidement fait basculer l’interview : « Je veux savoir pourquoi je suis ici aujourd’hui, et pourquoi je n’ai pas été invité au cours de l’année écoulée », a-t-il dit gentiment. À la veille du 7 octobre, a-t-il souligné, les forces israéliennes avaient déjà tué plus de deux cents Palestiniens depuis le début de l’année 2023. Le siège de Gaza date de plus de seize ans et Israël opère en dehors du droit international depuis soixante-quinze ans.

    La « normalité » en Palestine, c’est un meurtre par jour – mais un meurtre par jour dans le cadre d’une occupation vieille de plusieurs décennies, ce n’est pas vraiment une nouvelle ; cela ne justifie certainement pas une interview en direct sur une chaîne de télévision nationale. À présent, les Palestiniens sont invités à s’exprimer parce que les médias occidentaux s’en préoccupent soudainement, et ils s’en préoccupent (« comme nous devrions nous en préoccuper », a ajouté mon ami) parce que, cette fois-ci, les victimes comprennent des civils israéliens. Dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, l’Australie a manifesté son soutien à Israël : le Parlement et l’Opéra de Sydney ont été illuminés auxcouleurs du drapeau israélien ; le Premier ministre a déclaré que les rassemblements pro-palestiniens devraient être annulés par respect pour les morts israéliens ; le ministre des Affaires étrangères a été critiqué pour avoir dit qu’Israël devrait s’efforcer de réduire au minimum les morts de civils à Gaza. « Qu’en est-il de nos vies ? », a demandé mon ami.

    Que diriez-vous d’illuminer un bâtiment pour nous ? Lorsque notre gouvernement illumine tous les bâtiments en bleu et blanc, comment sommes-nous censés nous sentir [les Palestiniens australiens] ? Ne sommes-nous pas australiens ? Personne ne devrait se soucier de nous ? Un garçon de 14 ans a été brûlé vif en Cisjordanie par des colons israéliens. Qu’en est-il de nous ?...

    • le piège de tout le dispositif dont pour partie les MSM sont chargés est de faire de la dénonciation de l’attaque du 7 octobre le sésame de la prise de parole légitime. wtf ça signifie aussi refuser de s’en interdir la critique .

      pas besoin d’être « tiers-mondiste » pour être non-aligné. l’expérience du socialisme réel suffit pour le savoir, sans même avoir été qualifié de « trotskiste » ou transformé en zek. qu’encore et toujours la raison tonne en son cratère.

      #Israël #Gaza #Hamas #Palestine

  • Palestine, Israël : nouvelle séquence d’un long conflit colonial - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/palestine-israel-conflit-colonial

    Rashid Khalidi est un historien palestinien-américain, spécialiste de l’histoire moderne de l’Orient arabe. Il est depuis plus de vingt ans rédacteur en chef du Journal of Palestine Studies. Il a été conseiller auprès des négociateurs palestiniens lors des pourparlers de paix dans les années 1990. Il est titulaire de la chaire Edward Said d’études arabes modernes à l’université de Columbia (New York) et auteur de huit ouvrages, dont le plus récent est The Hundred Years’ War on Palestine. A History of Settler Colonialism and Resistance 1917-2017 (Picador/ Metropolitan Books, 2020).

    Dans cet entretien mené par Rebecca Panovka et Kiara Barrow, il analyse les réactions – aux États-Unis, dans le monde arabe et ailleurs – aux événements de ces dernières semaines, en revenant sur l’histoire du projet sioniste, le bilan des processus de paix passés et les termes du débat actuel au sein de la gauche solidaire de la lutte palestinienne.

    [...]
    Que pensez-vous du débat au sein de la gauche étatsunienne – au sein des représentant.es élu.es de gauche, de la gauche militante et de la gauche médiatique ? Y a-t-il une histoire que la gauche omet ou laisse de côté ?

    Il m’est difficile de répondre à cette question, car je ne suis en contact direct qu’avec des activistes étudiant.es. Je pense que les jeunes sont en train de s’éduquer et qu’ils ne sont pas encore totalement éduqués ou politiquement mûrs dans leurs opinions.

    Par exemple, un argument que je vois chez certains activistes étudiant.es est que tou.tes les Israélien.nes sont des colons et qu’il n’y a donc pas de civils. On ne peut pas dire cela si l’on a le moindre respect pour le droit humanitaire international. Le fait qu’Israël soit le résultat d’un processus de colonisation ne signifie pas que chaque grand-mère israélienne et chaque bébé israélien sont des colons et ne sont donc pas des civils. Techniquement, dans un certain sens, nous, citoyen.nes étatsunien.nes, sommes tous des colons, mais cela ne signifie pas qu’un mouvement de libération des Amérindiens serait justifié de tuer des bébés ou des grands-mères de colons étatsuniens blanc.hes. Oui, les habitant.e.s des colonies des territoires occupés qui sont armé.es doivent être considérés comme des combattant.e.s. Celles et ceux qui ne sont pas armés ne sont pas des combattants. C’est un exemple du type de distinction que les gens doivent établir.

    On m’a reproché d’avoir dit que, dans l’histoire, les mouvements de libération n’avaient pas pris soin d’éviter de cibler les civils. Lors de la bataille d’Alger, Zohra Drif et Djamila Bouhired ont posé des bombes dans des cafés et des bars. Elles ont été jugées et condamnées, ont passé des années en prison et ont finalement été libérées. Elles sont devenues des héroïnes nationales en Algérie et toutes deux soutiennent vigoureusement la démocratie contre la junte militaire qui dirige toujours l’Algérie. On peut parler de ce que l’IRA a fait contre les civils et de ce que l’ANC a fait. Il y a un débat très important à mener sur cette question parmi les personnes impliquées dans la libération nationale. Je suis de près la situation en Irlande et les gens remettent ces choses en question aujourd’hui. Ils peuvent le faire parce que, depuis 1998, les gens ne s’entretuent plus au même rythme, Dieu merci. C’est difficile à faire au milieu d’une situation comme celle que vivent les Palestinien.nes en ce moment, mais les militants doivent réfléchir soigneusement à ces questions.

    L’autre chose que je dirais aux activistes étudiant.es, c’est qu’ils et elles doivent comprendre quels sont leurs objectifs politiques. Si vous pensez qu’il s’agit d’un projet colonial, alors vous êtes dans la métropole de cette colonie, ici aux États-Unis ou en Europe occidentale, et les mouvements de libération nationale ont gagné non seulement – parfois même pas principalement – sur le champ de bataille de la colonie. Les Vietnamiens étaient dans une impasse face aux Etats-Unis. Les Algériens étaient en fait en train de perdre sur le champ de bataille. L’IRA était presque au bout du rouleau, militairement parlant, en 1921. Elle a gagné, en partie, parce qu’elle a conquis la métropole. Les Britanniques ont fini par dire : « Nous ne voulons pas faire cette guerre. Nous ne pouvons pas mener cette guerre ». La même chose s’est produite avec les Français en Algérie. Ce ne sont pas seulement les combattants des montagnes qui ont gagné la guerre. Je ne dis pas que cela n’a pas été un élément crucial dans la libération de l’Algérie, voire la condition sine qua non, mais si les Français avaient continué à vouloir tuer les Algériens, la guerre aurait pu durer éternellement. Les Français n’ont pas voulu continuer, parce qu’ils ne voulaient pas subir plus de pertes. C’est la même chose pour l’Afrique du Sud. Ils n’ont pas gagné seulement dans les townships ; l’ANC a gagné parce qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l’opinion publique est passée de son côté.

    Si vous croyez à cette construction théorique – la colonie et la métropole – alors ce que les activistes font ici dans la métropole compte. Il faut convaincre les gens. Vous ne pouvez pas simplement montrer que vous êtes le plus pur ou le plus révolutionnaire ou que vous pouvez dire les choses les plus extrêmes et démontrer vos références révolutionnaires. Il faut faire quelque chose pour atteindre un objectif politique clair.

    • La Question d’Israël, Olivier Tonneau (10 pages / 43k signes)
      https://blogs.mediapart.fr/olivier-tonneau/blog/161023/la-question-disrael

      Ce texte mûrit depuis des années. J’aurais préféré ne pas l’écrire en des temps de fureur et de sang mais sans l’effroi de ces derniers jours, je ne m’y serais peut-être jamais décidé.

      Effroi devant les crimes du Hamas : j’ai repris contact avec Noam, mon témoin de mariage perdu de vue depuis des années qui vit à Tel Aviv, pour m’assurer qu’il allait bien ainsi que ses proches. Effroi devant les cris de joie poussés par tout ce que mon fil Facebook compte d’ « antisionistes », puis par le communiqué du NPA accordant son soutien à la résistance palestinienne quelques moyens qu’elle choisisse – comme si la guerre justifiait tout et qu’il n’existait pas de crimes de guerre.

      Effroi, ensuite, face aux réactions des médias français qui, refusant absolument toute contextualisation de ces crimes, préparaient idéologiquement l’acceptation de la répression qui s’annonçait. Effroi face à cette répression même, à la dévastation de Gaza. Effroi d’entendre Netanyahou se vanter d’initier une opération punitive visant à marquer les esprits et les corps pour des décennies, puis son ministre qualifier les Gazaouis d’animaux. Ainsi les crimes commis par le Hamas, que seule une mauvaise foi éhontée peut séparer des violences infligées par le gouvernement d’extrême-droite israélien aux Palestiniens, servent de prétexte au durcissement de l’oppression qui les a engendrés. Effroi, enfin, face au concert d’approbation des puissances occidentales unanimes : les acteurs qui seuls auraient le pouvoir de ramener Israël à la raison, qui d’ailleurs en ont la responsabilité morale pour avoir porté l’Etat Hébreu sur les fonts baptismaux, l’encouragent au contraire dans sa démence suicidaire.

      (via @colporteur)

    • Israël. L’agonie d’une démocratie (25 oct. 2023)
      https://www.youtube.com/watch?v=XUE2scIrnQc

      Rencontre avec :
      Charles #Enderlin, journaliste, grand reporter et auteur franco-israélien. Il a été correspondant à Jérusalem pour la chaîne de télévision France 2 de 1981 à 2015. Auteur de nombreux ouvrages dont notamment « Au nom du Temple : l’irrésistible ascension du messianisme juif en Israël, 1967-2012 » (Le Seuil, 2013), « Les Juifs de France entre République et sionisme » (Le Seuil, 2020), « De Notre Correspondant à Jérusalem. Le journalisme comme identité » (Le Seuil, 2021). Il vient de publier « Israël. L’agonie d’une démocratie » (60 pages. 5€. Libelle, Seuil 2023 - https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782021539158-israel-l-agonie-d-une-democratie-charles-enderlin)
      Modération : Jean-Paul Chagnollaud, président de l’iReMMO

      (via @loutre)

    • Palestine, Israël : nouvelle séquence d’un long conflit colonial
      interview de Rashid Khalidi

      https://www.contretemps.eu/palestine-israel-conflit-colonial

      Rashid Khalidi est un historien palestinien-américain, spécialiste de l’histoire moderne de l’Orient arabe. Il est depuis plus de vingt ans rédacteur en chef du Journal of Palestine Studies. Il a été conseiller auprès des négociateurs palestiniens lors des pourparlers de paix dans les années 1990. Il est titulaire de la chaire Edward Said d’études arabes modernes à l’université de Columbia (New York) et auteur de huit ouvrages, dont le plus récent est The Hundred Years’ War on Palestine. A History of Settler Colonialism and Resistance 1917-2017 (Picador/ Metropolitan Books, 2020).

      (via @cabou)

    • Craig Mokhiber, directeur des Droits Humains de l’ONU à New York, vient de démissionner pour protester contre la faiblesse de l’action de l’ONU.

      https://seenthis.net/messages/1024143

      Dans une lettre à son supérieur, il dit, entre autres :

      « Il s’agit d’un cas d’école de génocide. Le projet colonial européen, ethno-nationaliste, de colonisation en Palestine est entré dans sa phase finale, vers la destruction accélérée des derniers vestiges de la vie palestinienne indigène. en Palestine . »

      Vo (anglais, 5 pages) : https://blogs.mediapart.fr/stephane-m/blog/011123/gaza-est-victime-dun-genocide-occidental-commissaire-de-lonu-le-reve

      vf : https://ismfrance.org/index.php/2023/11/01/lettre-de-demission-de-craig-mokhiber-directeur-du-bureau-de-new-york-du-

      (via @stephane_m )

      –—
      Quelques jours plus tard, constat quant à la diffusion de cette lettre :

      https://seenthis.net/messages/1024786

      La lettre n’a pas fait grand bruit, à part sur les réseaux sociaux. Des mots trop lourds de sens (pourtant utilisés délibérément, en prenant appui sur des éléments factuels), en opposition frontale avec la posture prudente et consensuelle de la diplomatie internationale. Tellement que les médias n’ont pas semblé savoir quoi faire de cette patate chaude. Parmi les grands médias anglophones, seul The Guardian s’est aventuré à écrire un papier. Une entrevue sur Al Jazeera. Un mot dans The Independent. Un article atterré sur Fox News. Et un torrent de critiques, d’insultes et d’alertes à l’antisémitisme sur les réseaux sociaux.

      https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231104-la-d%C3%A9mission-d-un-haut-responsable-de-l-onu-symbole-d-un-mon

      Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, Craig Mokhiber n’a pas été le seul haut responsable à jeter l’éponge. Il y a deux semaines, un employé du département d’État américain [1], chargé du transfert d’armes à l’État hébreu, a démissionné, s’inquiétant des conséquences de ces livraisons pour les civils palestiniens et les perspectives de paix au Proche-Orient.

      [1, ndp] Josh Paul, https://seenthis.net/messages/1030146

    • Comment Israël a bombardé une église où des civils étaient réfugiés à Gaza par Juliette Prigent et Olivier Escher (motion design)

      https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/27/comment-israel-a-bombarde-une-eglise-ou-des-civils-etaient-refugies-a-gaza_6

      Le 19 octobre, à 22 h 30, le ministère de l’intérieur gazaoui déclare qu’une église grecque orthodoxe a été bombardée à Gaza. C’est ici que se réfugiaient des centaines de personnes. Selon le ministère de la santé gazaouis, administré par le Hamas, 16 personnes ont été tuées lors de ce bombardement. Le lendemain, l’armée israélienne a reconnu auprès de l’Agence France-Presse avoir réalisé un raid aérien ayant touché l’église. Ce bombardement vient contredire l’argumentaire de Tsahal expliquant que l’armée israélienne ne cible que le Hamas dans la bande de Gaza.

      (vidéo en libre accès, 3 minutes, 27 oct. / trouvé tout seul mais @kassem aussi)

      Tir d’obus à l’hôpital Al-Shifa à Gaza : les images pointent la responsabilité des Israéliens Par Thomas Eydoux , Liselotte Mas , Cellule Enquête vidéo et Adrien Vande Casteele (Motion design, 15 novembre 2023)

      https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/15/tir-d-obus-a-l-hopital-al-shifa-a-gaza-les-images-pointent-la-responsabilite

    • Des pays d’Amérique du Sud et la Jordanie prennent leurs distances avec Israël

      https://www.mediapart.fr/journal/international/011123/le-fil-du-jour-guerre-au-proche-orient-de-premiers-etrangers-et-binationau

      La Jordanie a choisi de rappeler « immédiatement » son ambassadeur en Israël, mercredi 1er novembre, pour protester contre l’offensive menée par Israël à Gaza. Dans un communiqué, le ministre des Affaires étrangères, Ayman Al-Safadi, a dit « rejeter et condamner la guerre israélienne continue à Gaza qui tue des innocents et provoque une catastrophe humanitaire sans précédent ».

      Plusieurs pays d’Amérique du Sud, comme la Bolivie, ont aussi annoncé couper leurs relations diplomatiques avec Israël dans le cadre du conflit au Proche-Orient. La Bolivie a justifié cette prise de distance « en signe de rejet et de condamnation de l’offensive militaire israélienne agressive et disproportionnée menée dans la bande de Gaza ». Le Chili a dénoncé de son côté des « violations inacceptables du droit humanitaire » tandis que la Colombie un « massacre ».

      Le Chili et la Colombie ont rappelé mardi leurs ambassadeurs en Israël pour marquer leur désaccord avec la guerre que mène Israël à la Palestine. Le Chili a déclaré « condamner avec énergie » et observer « avec une grande préoccupation » les opérations militaires israéliennes, dénonçant un « châtiment collectif pour la population civile palestinienne à Gaza ». Le président colombien, Gustavo Petro, a déclaré sur X avoir « décidé de convoquer » l’ambassadrice en Israël, Margarita Manjarrez. « Si Israël ne cesse pas le massacre du peuple palestinien, nous ne pouvons pas rester », a-t-il justifié.

    • Assemblée pour la Palestine
      وحدة الشعوب للتحرير
      Internationalists United !

      https://lundi.am/Appel-internationaliste-a-une-assemblee-pour-la-Palestine

      (Versions française, anglaise et arabe)

      Si ce front est capable de se lever aujourd’hui pour Gaza, il pourra le faire demain contre les bombes des régimes russe et syrien en Syrie, contre celles de la Turquie sur le Kurdistan. Il pourra soutenir les féministes en Iran et à Abya Yala, les révolutionnaires au Soudan ou en Algérie, les luttes des Arménien.ne.s et des Ouïghours, la résistances des Mapuche et des Sahraouis. C’est ce que signifie l’entraide entre révolté.e.s. C’est ce que nous appelons l’#internationalisme des peuples.

      Se battre pour la Palestine, c’est se battre pour le monde.

      Si vous voulez agir mais ne savez pas quoi faire, si vous avez la rage et vous ne voulez plus vous sentir impuissant.e.s, si vous voulez vous mettre en mouvement au lieu de regarder la mort les écrans, rejoignez-nous !

      Nous appelons à une assemblée autonome et transnationale en région parisienne, à Montreuil le jeudi 9 novembre à 18h30 à l’espace AERI au 57 rue Etienne Marcel 93100

    • RSF dépose plainte devant la Cour pénale internationale pour des crimes de guerre commis contre les journalistes en Palestine et en Israël

      https://rsf.org/fr/rsf-d%C3%A9pose-plainte-devant-la-cour-p%C3%A9nale-internationale-pour-des-crim

      Guerre entre Israël et le Hamas : quatre membres de la famille d’un journaliste libanais tués dans une frappe israélienne

      https://www.ladepeche.fr/2023/11/05/guerre-entre-israel-et-le-hamas-quatre-membres-de-la-famille-dun-journalis

    • Guerre Israël-Hamas : « Emmanuel Macron entend pratiquer une diplomatie sans diplomates »

      https://www.mediapart.fr/journal/international/081123/guerre-israel-hamas-emmanuel-macron-entend-pratiquer-une-diplomatie-sans-d

      https://justpaste.it/cpmie

      Directeur d’Afrique du Nord-Moyen-Orient (Anmo) au Quai d’Orsay de 1998 à 2002, ancien ambassadeur au Tchad, en Irak et en Tunisie, Yves Aubin de la Messuzière, arabisant érudit, est l’un des rares diplomates français à avoir dialogué avec les dirigeants du Hamas, en particulier avec l’actuel chef du bureau politique du mouvement islamiste, Ismaël Haniyeh. « Je ne suis d’aucun camp, sinon celui de la paix et des humanistes, précise-t-il. Je condamne toutes les violences contre les populations civiles, qu’elles soient israéliennes, palestiniennes ou autres. »

      [...]

      Ce qui m’a frappé, c’est de constater que par les brèches ouvertes dans la barrière de Gaza sont entrés en Israël, en même temps que les combattants du Hamas en uniforme, beaucoup de jeunes à moto, en short, souvent sans armes, dont certains sont revenus avec des otages. Ces jeunes, sans travail, sans espoir, sans avenir, constituent une bonne partie de la population de Gaza. C’est cette même jeunesse désespérée et révoltée qui avait manifesté en 2018, face à la barrière construite par Israël à l’occasion de la « Journée de la terre », lors des « marches du retour » : armée de pierres et de cocktails Molotov, elle s’était retrouvée face aux snipers de l’armée qui avaient fait des dizaines de morts et de blessés.

      (via @ericw)

    • « Je ne suis pas là pour qu’on me dise ce que je dois penser ». Tout fut dit dans cette phrase. A ce moment-là, Leila Shahid aurait dû se lever et partir. L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs et le « terrorisme » n’est que l’alibi pour imposer un point de vue belliciste.

    • "Le cycle de violences est amené à se perpétuer tant que durera l’occupation israélienne" (15 min.)

      https://www.youtube.com/watch?v=iMh_qiAjTTg&t=52s

      Le journaliste et essayiste Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, et directeur du journal en ligne Orient XXI, est notre invité. Auteur de nombreux ouvrages sur le Proche-Orient, il vient de republier un livre co-signé avec Hélène Aldeguer : « Un chant d’amour Israël-Palestine, une histoire française » (Coédition Libertalia/Orient XXI). Son dernier article dans le Monde diplomatique s’intitule « Barbares et civilisés »

    • Henry Laurens : « On est sur la voie d’un processus de destruction de masse » à Gaza, entretien avec Rachida El Azzouzi (Mediapart, 19 novembre 2023).

      https://seenthis.net/messages/1028271

      Pour l’historien, spécialiste de la Palestine, professeur au collège de France, « l’effondrement des conditions sanitaires et l’absence de ravitaillement à destination des populations concernées peuvent indiquer que l’on est sur la voie d’un processus de destruction de masse » dans la bande de Gaza.

      ☆ Conférence à l’Inalco, 18/12/2023, 2h ☆ :
      https://www.youtube.com/live/lMZAGlZcNo0?si=7hZuI3YREkiMsEId

    • Comment le Hamas est devenu le visage violent de la résistance palestinienne | Entretien avec #Tareq_Baconi

      https://seenthis.net/messages/1028148

      les Palestiniens n’ont pas été récompensés de leurs concessions par la moindre forme d’autodétermination. À la place, leur concession a été utilisée pour étouffer toute voix palestinienne effectivement capable d’obtenir des concessions d’#Israël. La leçon durable acquise par le #Hamas auprès de l’#OLP, c’est qu’on ne peut pas concéder, qu’on ne peut assurément pas engager quelque forme de négociation que ce soit, à partir d’une position de faiblesse.

    • Yagil Levy, sociologue : « Le système politique d’Israël est complètement paralysé » (Le Monde, 24 nov. 2023)

      https://seenthis.net/messages/1028409

      Je ne connais aucun exemple dans l’histoire militaire récente [depuis la seconde guerre mondiale] où l’on observe ce ratio de pertes entre soldats et civils. Côté israélien, les pertes se montent à environ 60 soldats, comparé à 14 000 personnes tuées dans Gaza, dont au moins 6 000 enfants. C’est un ratio de un contre cent.
      On ne voit nulle part un tel rapport. C’est à ce prix qu’est économisée la vie des soldats, et cela entre en contradiction avec le besoin de légitimation vis-à-vis de l’extérieur. On n’entend pas en Israël de discours mettant en cause l’action militaire à Gaza, car dès que l’on prend en considération la morale, Israël ne peut plus se battre à Gaza, sauf à perdre plus de soldats. Si le coût humain de l’opération montait en flèche, elle deviendrait illégitime, mais cette fois aux yeux de la population.

    • « A Gaza, plus de cent employés des Nations unies sont morts, c’est sans précédent »

      https://www.lemonde.fr/israel-palestine/article/2023/11/26/a-gaza-plus-de-100-employes-des-nations-unies-sont-morts-c-est-sans-preceden

      L’ancien porte-parole d’agences onusiennes Khaled Mansour souligne, dans un entretien au « Monde », que la fuite des Palestiniens vers le sud de Gaza rappelle des scènes d’exode, au Rwanda ou en Bosnie. Un échec pour la communauté internationale.

    • Gaza : les enjeux de la plainte pour génocide visant Israël devant la Cour internationale de justice

      L’Afrique du Sud, à l’origine de la saisine des juges de La Haye, leur demande, avant même qu’ils se prononcent sur le fond, d’ordonner à Israël de cesser les attaques contre l’enclave palestinienne. Les audiences se dérouleront jeudi et vendredi.

      https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/10/gaza-les-enjeux-de-la-plainte-pour-genocide-visant-israel-devant-la-cour-int

      Il faudra des années avant que les juges de La Haye tranchent sur le fond. Mais l’Afrique du Sud leur demande d’ores et déjà de prendre des « mesures conservatoires » pour arrêter les crimes en cours dans le territoire palestinien. La Cour n’a certes pas les moyens de faire exécuter ses décisions. Dans l’hypothèse où elle appellerait à des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU, il est quasi certain que les Etats-Unis, qui soutiennent l’Etat hébreu dans sa guerre, y mettraient leur veto. Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a d’ailleurs déclaré, mardi 9 janvier, que la plainte visant Israël devant la CIJ est « dénuée de fondement ». L’avis des juges sur les mesures préalables pourrait néanmoins avoir une portée symbolique considérable.

      • La plainte (pdf, 80 pages) : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20231228-app-01-00-en.pdf

      • La plaidoirie (intégrale, 3h18min, voiceover vf, source ONU) :
      https://www.youtube.com/watch?v=0Q_zTb9dfGU&feature=youtu.be

  • La violence de l’exigence de victimes parfaites | Noura Erakat
    https://www.contretemps.eu/la-violence-de-lexigence-de-victimes-parfaites

    Ce texte de Noura Erakat est paru initialement sur le site de Jadaliyya, il a été traduit par la rédaction de Contretemps.

    Le Hamas a lancé une attaque sans précédent contre Israël, visant le régime colonial et d’apartheid qui asservit les Palestinien.ne.s depuis 75 ans. Les réactions occidentales et la couverture médiatique de l’attaque ont mis l’accent sur la faillibilité de l’appareil militaire israélien ainsi que sur les tactiques du Hamas, qui n’a pas fait de distinction entre les cibles militaires et civiles.

    Peu d’observateurs occidentaux ont mis en lumière le contexte de violence structurelle d’Israël qui a condamné les Palestinien.ne.s à une mort lente, manquant ainsi une occasion cruciale de faire avancer une solution véritable et durable dans la région.

    Deux millions de Palestinien.ne.s de Gaza, une enclave côtière méditerranéenne de 365 kilomètres carrés, sont assiégé.e.s par un blocus naval complet et un siège terrestre imposés par Israël depuis 16 ans. Les Nations unies et les organisations humanitaires ont condamné le blocus comme étant illégal et ont qualifié son impact de « catastrophique ». En 2015, une agence des Nations unies a prédit que Gaza serait « inhabitable » d’ici 2020 en raison du manque d’hygiène, d’accès à l’eau potable et des pénuries alimentaires causées par Israël. Nous sommes aujourd’hui en 2023. Actuellement, plus d’un quart des maladies signalées à Gaza sont dues à la mauvaise qualité de l’eau et au manque d’accès à celle-ci. Cinquante-trois pour cent de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et la dépendance à l’égard de l’aide alimentaire pour survivre est passée de moins de 10 % en 2000 à environ 70 % en 2017. Entre l’automne 2016 et l’été 2017, 186 installations fournissant des services de santé, d’eau, d’assainissement et de collecte des déchets solides ont été fermées en raison de pénuries d’électricité dues au siège et au blocus.

    À tout cela s’ajoutent la mort et de la destruction causées par les assauts répétés et massifs de l’armée israélienne. Depuis 2008, Israël a lancé quatre offensives militaires de grande envergure contre une population majoritairement réfugiée, piégée dans l’un des endroits les plus densément peuplés de la planète, tout en refusant un couloir humanitaire pour permettre aux gens de s’en échapper. Au cours de ces attaques, Israël a tué des familles entières, sur plusieurs générations, par des tirs de missiles sur leurs maisons. Israël a également bombardé à plusieurs reprises des hôpitaux et des écoles des Nations unies abritant des civils et portant l’emblème de l’ONU. Malgré la litanie de crimes de guerre bien documentés, personne n’a eu à rendre de comptes et le siège n’a fait que se resserrer.

    Pire encore, les Palestinien.ne.s ont été rendus responsables de leurs propres souffrances pour avoir démocratiquement élu le Hamas à la tête de l’Autorité palestinienne en 2006. Ce discours, qui consiste à blâmer les victimes, occulte le fait que le Hamas n’a été créé qu’en 1987, soit vingt ans après le début de l’occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie et près de quarante ans après l’expulsion massive et la dépossession des Palestinien.ne.s lors de la création d’Israël en 1948.

    Le Hamas pourrait disparaître demain, la politique israélienne d’expansion coloniale se poursuivrait de toute façon. Prenons l’exemple de la Cisjordanie, où l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas, le dirigeant palestinien le plus docile à ce jour, opère sous le contrôle de l’armée d’occupation israélienne. M. Abbas s’est engagé dans une coordination sécuritaire avec Israël pour protéger les colons hors-la-loi qui volent les terres palestiniennes ; il a été complice du siège israélien qui asphyxie les Palestiniens de Gaza. En échange de sa collaboration, Israël a poursuivi sans relâche son entreprise de colonisation, a déclaré son intention d’annexer la vallée du Jourdain et a transféré la surveillance de la Cisjordanie d’une gouvernance militaire à une gouvernance civile, ce qui témoigne de la permanence de l’occupation.

    Le fait de considérer les Palestinien.ne.s comme des victimes imparfaites revient à absoudre la domination coloniale d’Israël et à s’en rendre complice.

    À cela s’ajoute une incapacité abjecte à élever et à célébrer les milliers de Palestiniens qui ont tenté de résister à la domination cruelle d’Israël par le biais de protestations non violentes. Il s’agit notamment des 40 000 Palestinien.ne.s qui, chaque semaine, ont participé à la Grande Marche du retour en 2018 pour réclamer leur droit de retourner dans la patrie dont ils ont été expulsés et la fin du siège, avant d’être abattus comme des oiseaux par des tireurs d’élite israéliens. Elle inclut les milliers de Palestinien.ne.s et leurs alliés dans le monde qui se sont engagés dans des campagnes de boycott, de désinvestissement et de sanctions visant à isoler Israël et à neutraliser sa menace mortelle. Il s’agit également des flottilles civiles qui ont tenté de briser le blocus naval de Gaza, ainsi que des multiples recours juridiques devant les tribunaux nationaux, la Cour internationale de justice et, désormais, la Cour pénale internationale. Ces efforts n’ont pas seulement été marginalisés par les gouvernements occidentaux, ils ont été diabolisés et dénigrés.

    Le message adressé aux Palestinien.ne.s n’est pas qu’ils et elles doivent résister plus pacifiquement, mais qu’ils et elles ne peuvent pas résister du tout à l’occupation et à l’agression israéliennes.

    Pendant ce temps, Israël a tué près de 215 Palestinien.ne.s rien que cette année, sans compter les récents morts à Gaza. Alors que le gouvernement israélien le plus à droite de l’histoire a supervisé trois pogroms de colons contre des Palestinien.ne.s dans les villes de Huwara et Turmus Ayya et a lancé une offensive aérienne et terrestre contre le camp de réfugiés de Jénine, les médias occidentaux sont restés plus préoccupés par la crise judiciaire d’Israël.

    Alors que les organisations de défense des droits de l’homme s’accordent de plus en plus à dire qu’Israël est un régime d’apartheid, le président Biden a encouragé et célébré la normalisation d’Israël avec les régimes arabes, ignorant les souffrances des Palestinien.ne.s, le racisme manifeste et l’extrémisme dangereux du gouvernement israélien. La diplomatie internationale, associée à des reportages biaisés, n’a fait que perpétuer la politique ratée d’Israël visant à enfermer les Palestiniens dans des prisons à ciel ouvert dans l’espoir qu’ils se rendent ou, du moins, qu’ils deviennent un « problème » gérable.

    • L’attaque du Hamas devrait montrer clairement que le problème n’est pas la soif insatiable de liberté du peuple palestinien, mais le statu quo international qui vise à normaliser l’assujettissement permanent des Palestiniens par Israël. Cette crise et la guerre qui s’annonce doivent être comprises comme étant davantage qu’une simple prise d’otages d’une ampleur considérable. Il s’agit d’une crise de la volonté politique de contester les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par Israël, qui nous ont conduits jusqu’ici. L’incapacité permanente à faire face à ce contexte équivaut à dire aux Palestinien.ne.s qu’ils doivent mourir tranquillement. Il s’agit d’une exigence immorale et impossible qui menace bien plus que la vie des Palestinien.ne.s. Toute condamnation de la violence palestinienne doit commencer et se terminer par des demandes de levée du siège, de fin de l’occupation et de démantèlement du système d’apartheid israélien.

      *

      Noura Erakat est avocate spécialisée dans les droits de l’homme et professeur adjoint au département d’études africaines de l’université Rutgers (Etats-Unis). Ses recherches portent sur le droit humanitaire, le droit des réfugiés, le droit de la sécurité nationale et la théorie critique de la race. Elle est l’autrice de Justice for Some : Law As Politics in the Question of Palestine (Stanford University Press, 2019) et coéditrice de Aborted State ? The UN Initiative and New Palestinian Junctures, une anthologie liée aux candidatures palestiniennes de 2011 et 2012 au statut d’État à l’ONU. Elle est également cofondatrice de la revue en ligne Jadaliyya et membre du comité éditorial du Journal of Palestine Studies.

  • Premiers commentaires sur la contre-offensive d’octobre du Hamas |
    Gilbert Achcar
    https://www.contretemps.eu/commentaires-contre-offensive-octobre-hamas

    À rebours de l’idéologie coloniale qui imprègne la grande majorité du personnel politique et médiatique français, Contretemps se rattache à la tradition anticoloniale de la gauche française des années 1960 et 1970, marquée par l’engagement des militants pour l’Algérie indépendante. Dans le cadre du soutien à la lutte du peuple palestinien, nous proposons à nos lecteurs·rices des textes d’information et de réflexion sur la situation actuelle en Palestine.

    Cet article de Gilbert Achcar a d’abord été publié en anglais sur son blog, au lendemain de l’offensive des forces armées palestiniennes dirigées par le Hamas. Contretemps propose à ses lecteurs·rices la version française.

    La contre-offensive lancée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, au lendemain du 50e anniversaire d’une autre attaque surprise arabe contre Israël – la guerre d’octobre 1973 – est un exploit bien plus spectaculaire que cette dernière. Alors qu’il y a cinquante ans, les deux États arabes, l’Égypte et la Syrie, lançaient une guerre conventionnelle pour tenter de récupérer les territoires qu’Israël leur avait pris six ans plus tôt lors de la guerre de juin 1967, la nouvelle contre-offensive lancée par le Hamas évoque l’audace du David biblique dans son combat contre le géant Goliath. Combinant des moyens aériens, maritimes et terrestres rudimentaires – l’équivalent de la fronde de David – les combattants du Hamas ont exécuté une offensive surprenante et très audacieuse tout au long de la zone frontalière entre la bande de Gaza et l’État israélien.

    De la même manière que la suffisance arrogante d’Israël face à ses voisins arabes fut brisée en 1973, la sécurité et l’impunité qu’il tenait pour acquises dans ses relations avec le peuple palestinien et dans sa lutte contre la guérilla palestinienne ont été gravement et irréversiblement compromises. De ce point de vue, la contre-offensive d’octobre du Hamas constitue pour la population et l’État d’Israël un puissant rappel de leur vulnérabilité et du fait qu’il ne peut y avoir de sécurité sans paix et de paix sans justice.

    Quoiqu’on pense de la décision du Hamas de lancer une opération aussi massive contre l’État israélien, déclenchant ainsi inévitablement des représailles meurtrières massives de la part de son gouvernement et l’incitant à tenter de liquider le Hamas et ses alliés dans la bande de Gaza, au prix d’un coût énorme pour les civils, il n’en demeure pas moins que cette contre-offensive a déjà et sans aucun doute porté un coup dur à l’insupportable arrogance du gouvernement raciste d’extrême droite israélien et à sa conviction qu’Israël pourrait un jour atteindre un état « normal » de coexistence avec son environnement régional tout en persécutant le peuple palestinien et en lui infligeant une Nakba prolongée combinant dépossession territoriale, nettoyage ethnique et apartheid.

    Non moins insupportable est la précipitation avec laquelle les gouvernements occidentaux (et un gouvernement ukrainien qui aurait dû mieux savoir ce qu’est une lutte légitime contre une occupation étrangère) ont exprimé leur solidarité avec Israël, en contraste très fort avec leurs réactions en sourdine aux attaques brutales d’Israël contre la population palestinienne. Le drapeau israélien a été projeté sur la porte de Brandebourg à Berlin dans la soirée du 7 octobre dans une démonstration méprisable de flagornerie envers l’État d’Israël, la marque habituelle d’une quête mal placée de rédemption allemande pour les crimes nazis contre les Juifs européens par un aval donné aux crimes d’Israël contre les Palestiniens. Cela devient encore pire au moment où le gouvernement israélien se compose de toute la gamme des forces juives d’extrême droite, y compris des personnes qu’un éminent historien israélien de l’Holocauste n’a pas hésité à qualifier à juste titre de néo-nazis dans Haaretz !

    Non moins méprisables sont les tentatives visant à « analyser » l’offensive du Hamas comme un complot iranien visant à faire dérailler le rapprochement en cours, parrainé par les États-Unis, entre le royaume saoudien et l’État israélien. Même s’il était vrai que Téhéran souhaite faire dérailler ce rapprochement au lieu de l’utiliser pour renforcer sa propre revendication de monopole sur l’antisionisme, une hypothèse qui est en effet très discutable, ce déni de l’autonomie palestinienne par le biais d’une théorie du complot est l’équivalent exact des réactions de gouvernement oppresseurs aux révoltes populaires. Il postule qu’il n’existe aucune raison suffisante pour que les peuples opprimés se révoltent contre leur oppression et, donc, que ces révoltes sont nécessairement inspirées par la main invisible d’un quelconque gouvernement étranger.

    Quiconque connaît ce que le peuple palestinien endure depuis des décennies et est conscient du genre de prison à ciel ouvert qu’est devenue la bande de Gaza, depuis qu’elle a été occupée en 1967 puis évacuée par les troupes israéliennes en 2005 – une prison à ciel ouvert qui est périodiquement la cible de « tirs aux pigeons » meurtriers israéliens – on peut facilement comprendre que la seule raison pour laquelle un acte de bravoure quasi-désespéré comme la dernière opération du Hamas ne se produit pas plus fréquemment est l’énorme disproportion militaire entre le David palestinien et le Goliath israélien. La dernière contre-offensive de Gaza fait plutôt penser au soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943.

    Il ne fait aucun doute que ce nouveau chapitre se terminera par un coût terrible pour les Palestinien.ne.s en général, les Gazaoui.e.s en particulier et spécifiquement le Hamas – bien plus élevé que le coût enduré par les Israélien.ne.s, comme cela a été infailliblement le cas dans chaque round de combats entre Israël et les Palestiniens. Et s’il n’est pas difficile de comprendre la logique du « ras-le-bol » qui sous-tend la contre-offensive du Hamas, il est beaucoup plus douteux qu’elle contribue à faire avancer la cause palestinienne au-delà du coup porté à la confiance en soi d’Israël mentionné ci-dessus. Cela aura été réalisé à un coût fortement disproportionné pour les Palestinien.ne.s.

    L’idée même qu’une telle opération, aussi spectaculaire soit-elle, puisse aboutir à une « victoire » ne peut être inspirée que par le type religieux de pensée magique qui caractérise un mouvement intégriste comme le Hamas. La diffusion par son service d’information d’une vidéo montrant les dirigeants du mouvement priant pour remercier Dieu au matin du 7 octobre est une bonne illustration de ce type de pensée. Malheureusement, aucune magie ne peut changer quoi que ce soit à la supériorité militaire massive d’Israël : le résultat de la nouvelle guerre en cours contre Gaza sera certainement dévastateur.

    Les attentats du 11 septembre qui ont frappé New York et Washington ont porté un coup spectaculaire à l’arrogance des États-Unis. Au bout du compte, ils ont considérablement accru la popularité de George W. Bush et lui ont permis de lancer 18 mois plus tard l’occupation de l’Irak qu’il ambitionnait. De même, la contre-offensive d’octobre du Hamas a déjà réussi à réunifier une société et un système politique israéliens auparavant profondément divisés. Elle permettra à Benjamin Netanyahu de mettre en œuvre ses plans les plus féroces visant à infliger une terreur massive aux Palestinien.ne.s afin de précipiter leur déplacement forcé.

    D’autre part, si les dirigeants du Hamas avaient parié sur le Hezbollah libanais – et l’Iran derrière lui – pour qu’il rejoigne la guerre à un niveau qui mettrait réellement Israël en posture difficile, ce pari serait effectivement très risqué. Car non seulement il est loin d’être certain que le Hezbollah prendrait le risque élevé d’entrer massivement dans une nouvelle guerre avec Israël, mais une telle situation, si elle devait se produire, amènerait inévitablement Israël à recourir sans retenue à sa puissance de destruction massive (qui comprend des armes nucléaires), provoquant ainsi une catastrophe d’une ampleur inouïe.

    Contre un oppresseur de loin supérieur en moyens militaires, la seule façon véritablement efficace de lutter pour le peuple palestinien est de choisir le terrain sur lequel il peut contourner cette supériorité. Le point culminant de l’efficacité de la lutte palestinienne a été atteint en 1988, lors de la Première Intifada, au cours de laquelle les Palestiniens ont délibérément évité de recourir à des moyens violents. Cela a conduit à une profonde crise morale dans la société et la classe politique israéliennes, y compris dans les forces armées, et a été un facteur clé conduisant le gouvernement israélien de Rabin-Peres à négocier les accords d’Oslo de 1993 avec Yasser Arafat – aussi défectueux qu’ils aient pu être, en raison de la tendance du leader palestinien à se satisfaire de vœux pieux.

    La lutte palestinienne doit s’appuyer principalement sur une action politique de masse contre l’oppression, l’occupation et l’expansion coloniale d’Israël. La nouvelle résistance armée clandestine organisée par les jeunes Palestiniens à Jénine ou à Naplouse peut être un adjuvant efficace au mouvement populaire de masse, à condition qu’elle soit fondée sur la priorité de ce dernier et conçue de manière à l’encourager. Le soutien régional sur lequel le peuple palestinien doit compter n’est pas celui de gouvernements tyranniques comme celui de l’Iran, mais celui des peuples qui luttent contre ces régimes oppressifs. C’est là que réside potentiellement la véritable perspective de libération palestinienne, qui doit être combinée avec l’émancipation de la société israélienne elle-même de la logique du sionisme qui a inexorablement produit la dérive incessante de son système politique vers la droite extrême.

  • Argent et capital
    https://www.contretemps.eu/argent-capital-monnaie-marx-baronian

    L’économiste Laurent Baronian vient de publier en anglais Money and Capital, A critique of Monetary Thought, the Dollar and Post-Capitalism (Oxon, New York, Routledge Frontiers of Political Economy, 2023). Ce livre se propose de puiser dans les concepts de Marx sur la monnaie et le capital pour rendre compte de nouvelle manière des débats sur la pensée monétaire qui partagent toutes les familles d’économistes.

    Il permet ensuite à l’auteur d’éclairer les contradictions qui traversent le système monétaire international à l’époque où le dollar a acquis le statut de monnaie internationale tout en prenant une relative autonomie par rapport à l’économie des États-Unis. C’est dire l’importance de ce livre au moment où le capitalisme est confronté à une crise multidimensionnelle, au point de remettre à l’ordre du jour la possibilité d’une société post-capitaliste.

    Retour à Marx

    En commençant par un rappel de la théorie de la monnaie de Marx, Laurent Baronian s’inscrit dans la lignée de Suzanne de Brunhoff qui, dans les années 1960-70, avait entrepris déjà de réhabiliter cette théorie dans un ouvrage (La monnaie chez Marx) qui avait fait date parmi les économistes qui, à l’époque, étaient encore influencés par la pensée marxiste et, au delà, se situaient dans un camp hétérodoxe.-.

    Quel est le problème que voulait résoudre Marx ? Baronian explique :

    « il consiste moins à démontrer que l’argent est une marchandise qu’à saisir le processus qui conduit une marchandise à devenir de l’argent » (p. 19)[1].

    C’est le choix méthodologique de Marx d’avoir ouvert le Livre I de son Capital par l’analyse de la marchandise et de la monnaie. Et cela en faisant en ce départ abstraction de l’économie capitaliste pour ne regarder que le rapport marchand. De Brunhoff hier et Baronian aujourd’hui justifient ce choix méthodologique :

    « Marx a commencé son étude de la production capitaliste par une analyse des marchandises, des échanges et de la circulation qui se réfère à la notion d’une production marchande vide de rapports sociaux déterminés : la monnaie apparait sans ses déterminations capitalistes »[2].

    Pour Marx, il y a une nécessité logique de l’existence de la monnaie : c’est ce qu’il nomme la contrainte marchande, ou comme le dit Baronian :

    « Lorsque nous disons que la valeur se manifeste dans la relation d’échange, […] cela signifie que le travail vivant des producteurs acquiert son caractère social par la médiation de l’échange des produits de ce travail. Il est donc nécessaire que le produit du travail en tant que marchandise soit échangé contre un produit du travail qui représente le caractère social du travail. » (p. 23).

    On voit par là comment Marx relie le rôle que joue la monnaie pour que le caractère social du travail soit exprimé, c’est-à-dire que la théorie de la valeur-travail est une théorie de la validation sociale de la valeur par le biais de l’échange marchand. Voilà de quoi apporter une pierre supplémentaire à la réfutation des critiques idéologiques, et donc fausses, apportées à cette théorie de la valeur, aussi bien par l’école néoclassique depuis un siècle et demi que par l’école institutionnaliste aujourd’hui.

  • Fabien Roussel, Don Quichotte d’un communisme introuvable, Paul Elek, ancien militant du PCF
    https://www.contretemps.eu/roussel-pcf-communisme-elections-strategie-melenchon-gauche

    Un double mystère entoure la campagne de Fabien Roussel, le candidat du Parti communiste français pour la prochaine élection présidentielle. Comment un candidat qui recueille invariablement entre 1 et 3% dans les sondages d’opinion peut-il être autant invité dans les « grands » médias ? Comment le candidat d’un parti communiste peut-il recevoir à ce point les louanges de politicien·nes de droite voire de journalistes et d’idéologues réactionnaires ?

    #Fabien_Roussel fustige l’« assistanat » que représenterait la prime d’activité, et ce, au nom d’une défense évidemment légitime de l’augmentation des salaires. Avait-il besoin pour cela de reprendre le vocabulaire et le leitmotiv de la droite et de sous-entendre avec elle que tout allocataire d’une quelconque indemnité est supposé vivre au dépend de la société (« assistés ») ?

    #écologie #travail #communisme (et pas) #PCF