Bob Dylan a tout à voir avec la littérature

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  • Finkielkraut n’a rien compris : Bob Dylan a tout à voir avec la littérature
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    Qui menace donc la littérature ? Un essayiste, parlant avec l’autorité que lui confère l’habit vert, s’étrangle contre Bob Dylan : « Il n’a rien à voir avec la littérature ! » Le Nobel, pour un poète populaire, chanteur de surcroît... Ce même essayiste, qui protestait contre la seconde Palme d’or d’Emir Kusturica, pour Underground... Alain Finkielkraut, car c’est lui, avait même eu l’outrecuidance d’attaquer Underground sans l’avoir vu, au motif des origines serbes et bosniaques à la fois d’Emir, pour ensuite écrire un texte dément, qui commençait par « maintenant que j’ai vu le film »... Et ce film était condamnable, car il faisait appel à la musique, à ce rock yougo, tzigane, qui depuis le Temps des Gitans, rythme tous les films de Kusturica !

    En attendant que notre Immortel écrive un « maintenant que j’ai lu les textes des chansons et les chroniques de Bob Dylan », je voudrais dire deux trois choses de la littérature. Non, je ne pense pas que tout est égal à tout. Mais si l’on parle, par exemple de poésie française, il me semble difficile d’en exclure Serge Gainsbourg, Georges Brassens ou Etienne Roda-Gil, pour ne pas remonter à d’autres, considérés jadis comme écrivains mineurs, Boris Vian, Jacques Prévert et bien d’autres.

    La littérature est née du chant, et les clercs, gardiens de la langue latine pure, n’appréciaient guère la Chanson de Roland, cette poésie de troubadour écrite dans une langue populaire, le françois, mélange de bas latin et d’expressions franques. Le chant contemporain est né de la rencontre, sur la terre américaine, des rythmes d’esclaves noirs et des musiciens venus d’Europe, juifs, tziganes, italiens ou espagnols.

    « CE QUI NOUS TUE, CE SONT LES PETITS ÉCRIVAINS DU SYSTÈME »

    Bob Dylan est l’enfant de cette histoire, de nouveau croisée à celle d’une littérature américaine, passée par la Beat Generation, marchant Sur la route avec Kerouac suivi de Leonard Cohen, croisant la SF psychadélique de Californie et le protest song façon Pete Seeger... Comment peut-on, aujourd’hui, oser écrire que cette musique « détruit la musique savante », quand, depuis Kurt Weil, depuis Darius Milhaud et Arthur Honnegger, depuis Georges Gershwin et Leonard Bernstein, la rencontre avec les rythmes afro-américains a, au contraire, reconstruit la musique écrite !

    Il me faut développer, ailleurs, écrire un pamphlet peut-être... Mais ce qui détruit notre littérature n’est évidemment pas le mélange des genres. Je suis un romancier du premier et du second rayon. Je donne la moitié des académiciens français pour mes compagnons de Série Noire, Jean-Patrick Manchette, JB Pouy, Thierry Jonquet et Jean-Claude Izzo. Ce qui nous tue, ce sont les petits écrivains du système, présentant chaque année devant les prix de petites histoires fades, souvent mal écrites, que l’on voudrait nous faire passer pour de la littérature. La littérature, traverse tous les genres, surtout les mauvais, elle est dans la chanson populaire, le récit journalistique, le polar, l’humour, le dialogue et le scénario de cinéma et, figurez-vous, de bande dessinée.

    J’en ai par-dessus la tête des prétentions au magistère de gens qui ne se sont jamais confrontés à la poésie, au spectacle, au roman ou à la nouvelle. La littérature n’a pas de forme normative, elle ne se soumet pas. Et en ce qui me concerne, j’entends la pratiquer, sans me fixer dans un genre, like a rolling stone.