• L’éditorial du Monde n’est certes pas signé, mais vraiment : qui écrit ces conneries ? Le Liban, une leçon de survie dans l’adversité
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/03/le-liban-une-lecon-de-survie-dans-l-adversite_5024725_3232.html

    La désignation de M. Aoun, elle, est moins brillante. Elle est avant tout le reflet du rapport de forces régional dans l’affrontement en cours entre, d’un côté, un camp sunnite (la branche majoritaire de l’islam), regroupé derrière l’Arabie saoudite, et, de l’autre, un camp chiite (la branche minoritaire) piloté par la République islamique d’Iran. Le premier veut la défaite du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, et le second, son maintien au pouvoir.

    Au Liban, régime parlementaire, la tradition veut que le président soit un chrétien maronite, le chef du gouvernement un musulman sunnite et le président de la Chambre des députés un chiite. Agé de 81 ans, Michel Aoun, ex-chef d’état-major, est à la tête du plus grand parti chrétien. Après avoir longtemps guerroyé contre la Syrie et ses alliés libanais, il a finalement pactisé avec eux, notamment avec ce mini-Etat dans l’Etat qu’est le parti chiite Hezbollah – à la fois formation politique libanaise et puissante milice, armée par l’Iran et déployée en Syrie au service de Bachar Al-Assad.

  • Russel Banks : « Nous allons au désastre »

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/03/russel-banks-nous-allons-au-desastre_5024733_3232.html

    L’écrivain américain Russell Banks, 76 ans, est l’auteur d’une douzaine de romans. L’un d’eux, Continents à la dérive, paru pour la première fois en France en 1987 sous le titre Terminus Floride, vient d’être réédité chez Actes Sud dans une nouvelle traduction de Pierre Furlan. Il met en scène la rencontre dramatique de deux personnages, un Américain et une Haïtienne, sur fond de mondialisation. A la veille des élections américaines, cet auteur considéré comme de gauche commente la situation politique et constate que les problèmes décrits dans ce livre se sont aggravés en trente ans.

    Trump et Sanders, les deux faces d’une même médaille

    « Au départ, je me disais que Donald Trump voulait se faire de la pub, comme quand il met son nom sur ses immeubles… J’ai été stupéfait de le voir gagner les primaires les unes après les autres. Mais pour être honnête, il y a un an et demi, la candidature de Bernie Sanders ne me paraissait pas beaucoup plus crédible. Sanders est un homme respectable dont j’ai suivi la carrière depuis 1985 – j’ai même un peu fait campagne pour lui cette fois-ci –, mais quelqu’un qui se dit socialiste ne semblait pas pouvoir aller bien loin dans un pays comme les Etats-Unis.

    En fait, ces candidats correspondent aux deux faces d’une même médaille. Trump souffle sur les braises du sentiment d’abandon de la population, qui se sent lâchée par le gouvernement, les pouvoirs économiques et l’institution scolaire. Sanders, lui, répond aux mêmes peurs mais en fournissant une réponse de gauche, progressiste. Une part importante de la population américaine souffre des conséquences de la mondialisation économique et de la crise de 2008, du fossé de plus en plus profond qui sépare les plus riches du reste du pays, et a l’impression que le gouvernement est contrôlé par les grands groupes et les lobbys, que les politiques n’arrivent pas à faire face au terrorisme.

    A droite, les électeurs réagissent aussi aux changements sociaux considérables qui ont eu lieu dans les dernières décennies, notamment au fait que le peuple américain est de plus en plus métissé ou que les mœurs ont évolué avec l’extension du mariage gay. Mais ce qui m’étonne, c’est que Trump ait pu à ce point capitaliser là-dessus. Parce qu’il semble littéralement fou. Pas seulement incohérent, mais dingue. Incompétent, ignorant, paresseux. Nous n’avons jamais eu un candidat à la présidence aussi dangereux. »

    Une femme à la présidence

    « Je ne suis pas d’accord avec beaucoup des positions de Hillary Clinton, je la trouve trop prudente, conservatrice, complaisante envers les intérêts des grands groupes, mais elle, au moins, est rationnelle et pragmatique. De plus, la campagne lui aura sans doute été utile. Elle a vécu presque toute sa vie d’adulte à proximité du pouvoir, entourée d’amis riches, dans une bulle sans contact avec la réalité. Là, pendant un an et demi, elle a rencontré beaucoup de gens ordinaires. Ce qui m’ennuie, en revanche, c’est qu’elle est plus agressive qu’Obama en matière de politique extérieure. Peut-être parce qu’elle est une femme et qu’elle doit prouver qu’elle est plus coriace qu’un homme.

    D’une certaine manière, 2016 est l’année des femmes – ou disons qu’elle pourrait l’être si Hillary Clinton parvenait à mobiliser les électrices jeunes qui ont soutenu Bernie Sanders lors des primaires, ce dont elle n’a pas été capable jusqu’ici. Peut-être qu’elle leur rappelait un peu trop leur mère, alors que Bernie Sanders, lui, ne leur rappelle jamais leur père – plutôt le prof de philo qu’elles adoraient au lycée, avec ses charmants costumes froissés, son pull et ses cheveux blancs ébouriffés. Mais, ces dernières semaines, quelque chose a changé : il y a eu la diffusion de la vidéo dévastatrice dans laquelle Trump tient ce qu’il appelle des “propos de vestiaire”, le fait qu’un nombre croissant de femmes – jeunes, pour la plupart – ont raconté les agressions sexuelles dont elles ont été victimes de la part du candidat républicain et, enfin, les trois débats télévisés durant lesquels il a traité sa rivale de “méchante femme”.

    Au bout du compte, Trump pourrait bien avoir fait le boulot de Hillary Clinton à sa place. Une solidarité est née entre les femmes, jeunes et vieilles, blanches et noires. C’est une bonne nouvelle pour Hillary Clinton, et une douce ironie, mais n’oublions pas que tout se périme vite, ces temps-ci. Le 28 octobre, le directeur du FBI a annoncé qu’il relançait l’enquête sur les e-mails privés de la candidate démocrate. Or tout est parti des messages sexuels envoyés à une adolescente de Caroline du Nord par l’ex-mari d’une des plus proches conseillères de Hillary Clinton. Après cela, les jeunes électrices pourraient aussi bien décider de rester chez elles le 8 novembre.

    Si Hillary Clinton gagne, l’image d’une femme commandante en chef sera normalisée, comme l’a été celle d’un président noir avec Obama. Cette élection ne changera pas les mentalités ni les a priori des misogynes grand teint, pas plus que l’élection d’Obama n’a effacé les préjugés des racistes endurcis. Mais la vision du monde et les espoirs des plus jeunes s’en trouveront sûrement transformés. Ceux qui auront grandi avec l’image d’un Noir président puis d’une femme présidente ne comprendront pas pourquoi on a fait une telle histoire de ces questions. Ce sera le cas de ma petite-fille blanche et de mon petit-fils noir, qui sont l’avenir des Etats-Unis. Mais si Clinton perd cette élection, mes petits-enfants ne verront peut-être jamais une femme au poste de président, à moins qu’elle ne soit issue de l’extrême droite du Parti républicain. »

    Un roman prémonitoire

    « Continents à la dérive, écrit au tout début des années Reagan, décrit la situation actuelle, pas seulement dans un petit coin des Etats-Unis mais dans le monde entier. Aujourd’hui, non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais les choses ont encore empiré dans certains domaines : crise des réfugiés, mondialisation économique, dette, pauvreté, inégalités, facilité d’accès aux armes à feu, discrimination raciale… C’est très déprimant.

    Reagan avait joué sur la nostalgie d’un temps où les Américains étaient supposés être tous blancs, protestants, parlant anglais et vivant dans des maisons aux palissades blanches… A l’époque, déjà, ce tableau était en décalage avec la réalité, il l’est encore davantage de nos jours. La classe moyenne s’est appauvrie, les Américains ne croient plus que leurs enfants vivront mieux qu’eux, ni même aussi bien, mais la nostalgie est encore là. A sa manière tordue, Trump essaie de renouer avec un rêve américain prétendument menacé par des gens venus de l’extérieur, des musulmans, des Mexicains, des Chinois.

    Le roman permet de situer un destin individuel, avec tous ses détails, dans une réalité plus large. Je regarde mes personnages à la façon d’un anthropologue. Dans Continents à la dérive, on voit Bob Dubois, l’un des personnages principaux, quitter sa vie ordinaire, tomber amoureux, tenter de renouer avec son frère, mais on sent aussi qu’il se bat avec des forces supérieures, hors de son contrôle et dont il n’a pas conscience : la situation économique notamment, ou le fait qu’il vit dans un monde où les populations évoluent, deviennent différentes, plus sombres de peau… C’est la grande différence avec la pop fiction superficielle et les soap operas qui présentent des drames quotidiens hors contexte. Ils peuvent être attirants, émouvants, mais ils sont toujours un peu limités. »

    Vers le désastre

    « L’époque est intéressante, et l’endroit d’où je l’observe aussi. Comme écrivain, je suis chanceux. Mais comme citoyen américain, je suis pessimiste. La manière dont le pays abuse de l’énorme pouvoir acquis au sortir de la seconde guerre mondiale est devenue très destructrice. Je pense à la prolifération des bases militaires américaines ou au contrôle de l’économie internationale par les Etats-Unis à leur bénéfice exclusif. Je suis aussi catastrophé par notre manque de respect pour l’environnement. Nous allons au désastre.

    En tant qu’écrivain, le seul changement que je puisse espérer, c’est toucher le cœur d’un seul lecteur à la fois. Faire passer quelque chose de ma vie intérieure secrète à celle de quelqu’un d’autre. Je n’ai pas d’intention idéologique. Je me suis d’ailleurs toujours efforcé de séparer mon travail d’écriture de mes responsabilités de citoyen. Parfois, ça se recoupe un peu, mais je me bats pour que ces interférences soient le plus limitées possible. Et c’est difficile. Car dès qu’on est en colère, tracassé ou effrayé par une situation de la vie réelle, on est tenté d’utiliser l’écriture comme porte-voix, ce qui finit toujours par donner de mauvais livres. Les romans ne sont pas des messages. »