Mauricio Garcia-Pereira, l’homme qui a filmé l’horreur de l’abattoir de Limoges

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  • Mauricio Garcia-Pereira, l’homme qui a filmé l’horreur de l’abattoir de Limoges

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    Employé depuis sept ans sur le site, ce salarié espagnol a filmé clandestinement l’abattage de vaches gestantes, pour dénoncer une situation « abominable ».

    La seule chose qu’il dit craindre, c’est que l’on s’attaque à ses enfants. Pour le reste, il veut tout assumer. Mauricio Garcia-Pereira, employé par l’abattoir municipal de Limoges, est le premier ouvrier à dénoncer à visage découvert un « scandale » au sein de ce monde hermétique : l’abattage de vaches gestantes, une pratique légale mais pour autant choquante. « Tous les jours, au moins cinquante fois par semaine, on tue des femelles pleines. On voit passer les utérus, plus ou moins gros, qu’on balance à la poubelle, enrage-t-il. Comment peut-on tuer les veaux ? C’est abominable. »

    Dans le salon de son modeste appartement, situé dans un immeuble HLM de la capitale limousine, l’Espagnol de 47 ans, sec et nerveux, raconte comment a débuté cette « guerre » qu’il compte mener « sans relâche ». Dans un coin, la télé tourne en boucle. Sur le canapé, un coussin Spiderman jouxte une petite table supportant une tasse Maryline Monroe ébréchée. Seule fantaisie au mur, quelques photos plastifiées de ses deux garçons, âgés de 9 et 15 ans.

    « Quand je suis entré pour la première fois à l’abattoir, fin 2009, j’étais fier », se souvient-il. Avant, Mauricio Garcia-Pereira enchaînait petits boulots et grandes galères. « J’ai pas mal bossé dans le commercial : je crois que j’ai tout vendu, des encyclopédies, des couteaux suisses, des aspirateurs. Et j’ai longtemps été serveur. » En 2007, il quitte la restauration, qui « l’a empêché de voir ses fils grandir », pour suivre une courte formation dans le bâtiment. Mais la crise économique éclate, en même temps que ses projets de reconversion.

    Enfance dans une ferme

    « L’agence d’intérim m’a demandé si j’avais peur du sang et des odeurs, de tuer des bêtes. Il y avait du boulot en abattoir. » Cadences élevées, horaires décalés, tâches physiques, répétitives et parfois dangereuses : les postes y sont durs et ingrats, parmi les pires de l’industrie française.

    Mais Mauricio se sent de les affronter. « J’ai grandi dans une immense ferme, sur 400 hectares, en Galice, justifie-t-il. Les propriétaires élevaient 2 000 vaches et 10 000 porcs et employaient mes parents. » Le père est comptable, la mère fait les ménages et les repas. Durant ses vacances, le jeune garçon se lève à 6 heures pour nourrir les vaches ou donner le biberon aux veaux. Déjà, il n’aime pas l’école, mais « adore » les animaux.

    En 1998, alors qu’il est saisonnier en Andorre, il rencontre la mère de ses enfants, originaire de Limoges. Il s’installe alors dans la préfecture de la Haute-Vienne, qu’il ne quittera plus, même après leur séparation en 2007. Quand il décroche son premier contrat à durée indéterminée (CDI), au bout d’un an à l’abattoir, il en a « la larme à l’œil ».
    Si le travail n’est « pas cher payé » (1 350 euros nets mensuels), il permet de nourrir ses enfants. Mauricio change tous les jours de poste mais pense constamment à eux, qu’il aspire la moelle épinière des bœufs ou qu’il pèse les carcasses en fin de chaîne. « Je me dis que c’est de la viande que mes fils vont manger, donc je me donne à fond. S’il y a une irrégularité, je fais arrêter la chaîne », se vante-t-il en mimant la scène, avec son fort accent espagnol.

    Métier qui « déshumanise »

    Pourtant, quelque chose ne passe pas. « J’avais déjà repéré, quand j’étais à l’abattage, cette poche bleu clair ou rose tomber du ventre ouvert de la vache, avec les boyaux et la panse », explique-t-il. Mais c’est vraiment à l’atelier de la boyauderie, où les ouvriers trient les viscères, que Mauricio a un « choc » : « Quand j’ai ouvert l’utérus et que j’ai vu le veau, presque entièrement formé, avec des poils, je me suis dit que ça n’était pas possible. Il pesait 25 à 30 kg et mesurait plus d’un mètre. Je ne pouvais pas le soulever alors je l’ai poussé vers la poubelle, sur le plan de travail glissant et gluant. »
    Mauricio va chercher un responsable, qui lui assure qu’« il n’y a aucun problème » et de « faire comme d’habitude ». Ni le vétérinaire ni les salariés ne bronchent. « Quand on en parle entre collègues, on se dit que c’est dégueulasse et on continue, raconte-t-il. Ce métier déshumanise tellement. »

    Mauricio Garcia-Pereira commence à accumuler des preuves, des photos et des vidéos qu’il prend avec son portable. En février, la publication d’une vidéo de l’association L214, dénonçant des cas de maltraitance animale à l’abattoir du Vigan (Gard), constitue un premier déclic. « Je me suis dit : “Si ça choque les gens, imagine-toi si je leur montre mes fœtus.” » Il contacte alors l’association qui lui fournit une caméra GoPro pour filmer à la dérobée. La réaction horrifiée de son aîné lorsqu’il lui montre le résultat achève de le convaincre.

    « Je veux que le peuple français soit au courant. La balle est maintenant dans son camp, pour voter une loi interdisant la pratique », assure-t-il. Et après ? Mauricio Garcia-Pereira espère être licencié par l’abattoir pour « changer de secteur », et « poursuivre le combat jusqu’au Parlement européen si besoin » – sans pour autant arrêter de manger de la viande.

    « Je suis convaincu que la majorité de mes collègues vont me soutenir, avance-t-il. La faute est collective, entre les abattoirs, les vétérinaires ou la grande distribution, mais c’est surtout l’absence de loi pour interdire la pratique qui est en cause. »