Quant à la politique étrangère, Clinton a d’ores et déjà affiché son empressement à intervenir militairement, davantage que ne le faisait Obama. Elle a aussi agi elle-même pour s’assurer que la plateforme démocrate demeure favorable à Israël, reprochant aux Palestiniens d’être responsables de la non-résolution du conflit, et dénonçant la campagne BDS comme antisémite. Enfin, en ce qui concerne les liens avec les grandes fortunes, Clinton a, au travers de sa fondation philanthropique et par les biais habituels des financements de campagne électorale, des liens forts et anciens avec le capital américain. Elle récolte en particulier la quasi-totalité des contributions émanant de la Silicon Valley et des fonds d’investissement. Le système politique américain est particulièrement transactionnel, et l’on obtient une audience avec le prince en l’achetant.
Alors, faut-il se rallier au vote Clinton ? Cette question appartient aux militants américains avant toute chose, mais l’on peut faire tout de même trois observations supplémentaires.
Tout d’abord, la stratégie de Sanders qui a légitimé des revendications et la critique des milliardaires n’est pas reproductible. Il n’existe pas de vivier de sénateurs socialistes indépendants qui peuvent gauchir le parti démocrate en se faisant connaître nationalement. Ensuite, le mouvement ouvrier a depuis longtemps essayé d’acheter de l’influence auprès des Démocrates, comme l’a fait le syndicat des services SEIU qui a versé 155 millions de dollars aux campagnes d’Obama en 2008 et 2012, dans l’espoir qu’il aiderait au passage de lois favorables aux syndicats, sans succès. Enfin, si le Parti démocrate a pu se positionner historiquement en faveur de (certaines) revendications progressistes, ce ne fut pas grâce à l’engagement en son sein de forces réformatrices, mais parce que le ton général était donné par des mouvements sociaux proprement indépendants, capables de s’attaquer au consensus de leur époque et aux intérêts des groupes dominants.
Quels sont-ils aujourd’hui ? La période actuelle est celle d’un état de guerre permanent et d’inégalités toujours croissantes, qui dérivent de la politique des Démocrates autant que de celles des Républicains. Aucune perspective politique sérieuse ne peut commencer par des calculs stratégiques qui ignorent ou feignent d’ignorer cet état de fait, même au nom de l’enjeu immédiat de vaincre Trump. Quoique l’on pense de la juste tactique électorale et organisationnelle, rien n’est plus important pour les classes populaires, mais aussi pour les victimes du racisme et du sexisme, que de regarder les faits en face.
En l’absence de mouvements politiques et sociaux à même d’impulser la lutte contre les libertés accordées aux capitalistes, le Parti démocrate n’aura pas de raison de prendre au sérieux les revendications de gauche. Le seul vote n’est pas une façon efficace d’exercer une pression sur les dirigeants politiques, et encore moins de proposer une transformation radicale des systèmes politique et économique.
Même ceux qui proposent de transformer le Parti démocrate de l’intérieur avec des intentions louables font l’erreur de croire en la possibilité de progrès substantiels en l’absence de mobilisations, grâce à un simple changement de personnel et de discours, sans toucher aux structures de pouvoir. L’histoire nous enseigne pourtant que lorsque des progrès sont accomplis, les politiciens ont bien moins encouragé ou nourri les mouvements de protestation qu’ils n’ont cédé à leurs demandes. Si le Parti démocrate en venait à être dominé par son aile gauche, la nouvelle direction ne devrait pas moins être sujette à la mobilisation des exploités et des opprimés dans les domaines où se décident leur vie.