L’Empire du moindre mal - CQFD, mensuel de critique et d’expérimentation sociales

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  • Clinton, et après ? Les États-Unis pris dans des vents contraires | Gabriel Lattanzio
    http://www.contretemps.eu/elections-etats-unis-clinton

    Le temps de quelques semaines d’automne, la présidentielle américaine s’est révélée un peu plus imprévisible qu’on ne l’imaginait. La raison principale des difficultés rencontrées par Hillary Clinton n’est pas tant à chercher dans les arguments de la candidature républicaine, qui en a peu, ou dans les différentes anecdotes qui émaillent le quotidien des campagnes para-politiques de dénigrement de la candidate, autour de sa santé ou de la gestion de sa fondation philanthropique. Elle dérive surtout de l’incapacité de Clinton à enthousiasmer une partie de sa base électorale anticipée, en particulier la jeunesse et les milieux populaires. Source : (...)

    • Quant à la politique étrangère, Clinton a d’ores et déjà affiché son empressement à intervenir militairement, davantage que ne le faisait Obama. Elle a aussi agi elle-même pour s’assurer que la plateforme démocrate demeure favorable à Israël, reprochant aux Palestiniens d’être responsables de la non-résolution du conflit, et dénonçant la campagne BDS comme antisémite. Enfin, en ce qui concerne les liens avec les grandes fortunes, Clinton a, au travers de sa fondation philanthropique et par les biais habituels des financements de campagne électorale, des liens forts et anciens avec le capital américain. Elle récolte en particulier la quasi-totalité des contributions émanant de la Silicon Valley et des fonds d’investissement. Le système politique américain est particulièrement transactionnel, et l’on obtient une audience avec le prince en l’achetant.

      Alors, faut-il se rallier au vote Clinton ? Cette question appartient aux militants américains avant toute chose, mais l’on peut faire tout de même trois observations supplémentaires.

      Tout d’abord, la stratégie de Sanders qui a légitimé des revendications et la critique des milliardaires n’est pas reproductible. Il n’existe pas de vivier de sénateurs socialistes indépendants qui peuvent gauchir le parti démocrate en se faisant connaître nationalement. Ensuite, le mouvement ouvrier a depuis longtemps essayé d’acheter de l’influence auprès des Démocrates, comme l’a fait le syndicat des services SEIU qui a versé 155 millions de dollars aux campagnes d’Obama en 2008 et 2012, dans l’espoir qu’il aiderait au passage de lois favorables aux syndicats, sans succès. Enfin, si le Parti démocrate a pu se positionner historiquement en faveur de (certaines) revendications progressistes, ce ne fut pas grâce à l’engagement en son sein de forces réformatrices, mais parce que le ton général était donné par des mouvements sociaux proprement indépendants, capables de s’attaquer au consensus de leur époque et aux intérêts des groupes dominants.

      Quels sont-ils aujourd’hui ? La période actuelle est celle d’un état de guerre permanent et d’inégalités toujours croissantes, qui dérivent de la politique des Démocrates autant que de celles des Républicains. Aucune perspective politique sérieuse ne peut commencer par des calculs stratégiques qui ignorent ou feignent d’ignorer cet état de fait, même au nom de l’enjeu immédiat de vaincre Trump. Quoique l’on pense de la juste tactique électorale et organisationnelle, rien n’est plus important pour les classes populaires, mais aussi pour les victimes du racisme et du sexisme, que de regarder les faits en face.

      En l’absence de mouvements politiques et sociaux à même d’impulser la lutte contre les libertés accordées aux capitalistes, le Parti démocrate n’aura pas de raison de prendre au sérieux les revendications de gauche. Le seul vote n’est pas une façon efficace d’exercer une pression sur les dirigeants politiques, et encore moins de proposer une transformation radicale des systèmes politique et économique.

      Même ceux qui proposent de transformer le Parti démocrate de l’intérieur avec des intentions louables font l’erreur de croire en la possibilité de progrès substantiels en l’absence de mobilisations, grâce à un simple changement de personnel et de discours, sans toucher aux structures de pouvoir. L’histoire nous enseigne pourtant que lorsque des progrès sont accomplis, les politiciens ont bien moins encouragé ou nourri les mouvements de protestation qu’ils n’ont cédé à leurs demandes. Si le Parti démocrate en venait à être dominé par son aile gauche, la nouvelle direction ne devrait pas moins être sujette à la mobilisation des exploités et des opprimés dans les domaines où se décident leur vie.

      Une excellente analyse de Contretemps

  • L’Empire du moindre mal
    par Emmanuel Sanséau
    paru dans CQFD n°148 (novembre 2016)
    http://cqfd-journal.org/L-Empire-du-moindre-mal

    « La présidentielle ? Pfffff... » Amber est au volant de son taxi. « Je crois que tout le monde est fatigué des Clinton. Bill était pas mal comme président mais Hillary a l’air de convoiter le pouvoir depuis des décennies. On dirait qu’elle est prête à tout pour se faire élire. Alors entre elle et Trump… C’est assez déprimant, vous savez. Dans un pays aussi grand que le nôtre, on s’attendait à avoir le choix. » D’après le magazine Bloomberg, à la mi-octobre, la machine électorale d’Hillary Clinton avait levé 911 millions de dollars (830 millions d’euros), soit plus du double de Donald Trump. Pour ses six derniers mois de campagne, la démocrate ne s’est déplacée que deux fois dans le Massachusetts. Et uniquement pour des levées de fonds. Après tout, abstention ou pas, on est en terrain conquis, ici.

    #Election_US #Fall_River #Massachusetts #Sanseau #election

    • L’État du Massachusetts compte parmi les plus prospères des États-Unis. D’après le Bureau des statistiques, pourtant, 23% des habitants de Fall River vivent sous le seuil officiel de pauvreté, soit près du double de la moyenne américaine. Le taux de chômage y oscillait entre 6 et 9% cette année. Le salaire médian y est deux fois inférieur à celui du Massachusetts. L’épidémie d’héroïne qui ravage le pays y a fait 44 morts l’année dernière.

      Chez le prêteur sur gages de Main Street, trois photographies du vieux Fall River. Les années 1930 et 1945. On peut y voir les rues débordant de passants, les routes emplies de voitures, les enseignes crépitantes des magasins. La ville comptait une centaine de filatures de coton à la fin du XIXe siècle. C’était alors l’un des principaux centres manufacturiers des États-Unis. « Les filatures ont commencé à déserter au sud après la crise de 29, dit Marc, un journaliste au canard local. Puis les années 1970 ont achevé son déclin. Les emplois partaient en Chine, au Mexique, au Bangladesh. L’Alena [accord de libre-échange nord-américain ratifié par Bill Clinton, ndlr] a été un désastre, surtout pour les ouvriers à bas salaires. » Fall River est tout de même restée fidèle aux démocrates. En 70 ans, pas un seul maire républicain n’y a été élu.

      La même hégémonie démocrate régente le Massachusetts. Pour ses autres villes ouvrières comme Lowell et Worcester, c’est là un choix malheureux. Façonné par la crise de 29 et l’appui des syndicats, le parti du New Deal s’est éloigné de son électorat ouvrier au tournant des années 1970, lui préférant la nouvelle classe moyenne de « l’économie du savoir. » À l’État-providence, les Nouveaux Démocrates ont substitué la gouvernance des « experts » et l’idéologie de la « méritocratie » qui prescrit davantage d’éducation pour tous les maux. C’était l’avènement du « ni de gauche ni de droite » et des sacrifices inévitables de « l’économie globalisée. » La mue néolibérale de Bill Clinton consista à tirer le coup d’envoi de la fuite des emplois non-qualifiés vers le Mexique (avec l’Alena), à durcir la répression pénale et à tailler dans l’assistance publique.