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    Combien de fois ai-je vu Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, je serais bien incapable de le dire, une dizaine de fois sans doute, au point que je me demande qu’est-ce qui peut bien me pousser à aller le revoir une fois de plus au ciné-club du Méliès à Montreuil ? Mais au point aussi, que je pense que c’est la dernière fois que j’irai. Une sorte de sage décision, un mouvement qui serait presque celui de l’émancipation.

    Le plaisir que je peux concevoir à regarder et écouter la première scène, celle de l’interminable attente du train, ses grincements de rocking chair , le bruit de la mouche prisonnière du canon du révolver, les craquements de doigts, le bruit de la goutte d’eau qui suinte du réservoir, la lumière aveuglante du Grand Ouest en plein cagnard, le strabisme divergeant de Jack Elam, l’arrivée du train, non pas en gare de la Ciotat, mais en gare de Cattle point, le grand quai de gare en madrillets, oui, tout cela je pourrais le revoir, l’écouter encore et encore et cette seule scène me suffirait amplement, en fait dès l’arrivée de Charles Branson, de sa ritournelle à l’harmonica, le plaisir finit par s’estomper.

    Oh bien sûr il y a aussi d’autres scènes qu’il ne faudrait pas nécessairement couper, la démarche aristocratique de Henry Fonda en bottes de cow-boy, les quelques somptueux mouvements de caméra sur grue, notamment celui de la gare, quand dans le même mouvement, on passe de l’embrasure de la fenêtre qui donne sur le bureau du chef de gare, pour passer par-dessus le toit de la gare et finir par découvrir la ville en construction, et que dire aussi de tous les gros plans sur le visage extraordinairement beau de Claudia Cardinale, ses lèvres, mon dieu ses lèvres, et c’est sans doute là justement que je prends la mesure de la limite à ce plaisir aussi coupable de siroter les scènes de ce film qui retiennent en elles de véritables capsules d’un air qui n’aurait plus été respiré depuis 1968, date de sortie de ce film et à l’époque, cela fait sourire autant que cela méduse, le film était interdit au moins de dix-huit ans, mais pas son affiche vue dans tant et tant de chambres des uns et des autres et pas non plus sa musique d’Ennio Moricone, notamment l’air de l’harmonica et ses grands riffs rageur de guitare électrique — repris par John Zorn qui sait appuyer, partout dans ses interprétations, là où l’auteur n’a pas osé et au contraire retrancher là où il aurait dû s’abstenir et cela vaut à la fois pour Ennio Moricone comme pour Ornette Coleman ! — et du coup le désir de voir ce film avant l’heure, avant dix-huit ans, je pense que je l’avais déjà vu deux fois, notamment au studio Galande , de même Orange Mécanique de Stanley Kubrick, pour les mêmes raisons de voir ces deux films avant l’heure, avec tout ce que cela pouvait susciter de désir, aujourd’hui bien sûr cela fait sourire, ne serait-ce que la vue des épaules et du dos nus de Claudia Cardinale dans ce que justement ils n’émeuvent plus et peinent même à provoquer intact le souvenir du temps où ils émouvaient, pour comprendre, in fine, que c’est quand même pas possible ce personnage féminin, nécessairement une ancienne prostituée de la Nouvelle Orléans, puis marieuse, puis veuve sans attaches, même pas bonne à faire du café quand l’homme rentre du bush , femme violée deux fois dans le même film par deux des quatre personnages principaux du film, oui, les couleurs du film respirent la lumière équivoque des photographies de David Hamilton et comment cette lumière était la règle alors — étonnamment alors que les années 80 enterrent dans tant de domaines intellectuelles la brillance de celle des années septante, en photographie c’est le mouvement inverse, c’est avec les années 80 que l’on sort de ces lumières diaphanes, forcément diaphanes, pour des éclairages nettement plus tranchés, plus punk même — et cela rappelle aux enfants de ma génération sans doute bien des choses, l’arrivée des robes longues après la mode des mini-jupes, mais non, impossible désormais de se permettre le moindre trouble devant un personnage féminin qui certes tire les marrons du feu à la fin, mais n’y sera jamais parvenue à la seule force de son caractère et dont l’héritage moral, finalement, c’est qu’elle sait désormais faire du café et qu’elle sait qu’elle ne doit pas s’offusquer, faire comme si de rien n’était, si l’un des hommes qui grouillent autour de sa maison désormais venait à lui mettre la main au panier.

    Et abandonner une mauvaise fois pour toutes le souvenir de cette blague à répétition did you make coffee , parce que justement elle n’est pas drôle. Même si elle m’a fait rire, nous a fait rire, Mr Bart et moi, pendant longtemps. Je me souviens d’une discussion avec Natalie Bookchin sur un sujet similaire, elle disait qu’elle avait du s’apprendre à elle-même à prendre de la distance, une distance saine, une distance d’émancipation d’avec la beauté par exemple des photographies d’Edward Weston pour cette raison d’une représentation conquérante du corps de la femme qui certes produisait des formes agréables à l’œil, des recherches formelles dans lesquelles il n’était pas exclu de trouver son bon plaisir, mais pouvait-on s’affranchir de ce que de telles images véhiculaient aussi. Elle serait surprise, sans doute, Natalie, que je me souvienne de cette discussion, il y a vingt-cinq ans, à New York, et elle serait surprise et sans doute déçue que cela m’a pris tant de temps à la comprendre, et comme la fameuse blague du did you make coffee date plus ou moins de cette époque, de Chicago, cela m’a donc pris plus de vingt-cinq ans pour comprendre que l’on ne pouvait pas tout pardonner à un film coupable, même, et surtout, un film qui aura été une sorte de tube, de slow de l’été, d’hymne, d’étendard, celui d’une jeunesse inculte.

    Exercice #17 de Henry Carroll : De mémoire, recréez une photographie célèbre

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