• Je m’interroge sur la signification d’une exposition intitulée Soulèvements , dont le thème est donc celui de la révolte ou de la révolution, laquelle se tient au Jeu de Paume, c’est-à-dire dans un lieu porteur d’une symbolique émancipatrice — n’est-ce pas au Jeu de Paume que le Tiers Etat a prêté serment, en 1788, de ne pas se dissoudre avant d’être effectivement convoqué par le Roi —, aujourd’hui le lieu d’une institution culturelle d’Etat, la signification d’une exposition qui fait la part belle aux représentations du soulèvement notamment contre le joug social, dans l’accession à la violence notamment, et le tout est servi par une muséographie à la fois érudite et polissée, tout en revendiquant que le thème soit d’actualité, si c’est celui du soulèvement, oui, indéniablement si celui de ses représentations, je ne sais pas s’il est d’actualité tant justement je doute beaucoup que ce qui tient de la volonté du soulèvement actuel ne semble pas avoir encore rencontré le désir de quelques artistes de se poser la question de ce soulèvement, d’un côté l’absence de génie ou de talent dans des assemblées constituées spontanément et peu d’enflammées, créations graphiques dérisoires quand ce n’est pas littéralement suivistes d’une certaine idée mercantile de la communication visuelle, de l’autre des artistes officiels habitués à quelques moyens et à leur maniement et qui, justement, dans la pleine disposition de tels moyens ne semblent pas très désireux de s’éloigner des institutions qui paraissent surtout garantir leur confort. (https://seenthis.net/messages/461146 )

    Alors oui, cela fait toujours plaisir de revoir les films tracts de Jean-Luc Godard, les séquenceurs des ateliers animés par Chris Marker en mai 68, cela procure un vrai plaisir esthétique de voir tout ceci dans le voisinage d’encres d’Henri Michaux ou même de photographies des élevages de poussières de Man Ray, ou encore de regarder sous un drap un daguérotype des barricades de la Commune, tout cela très bien, mais dans quel ordre, dans quelle rigueur muséographique qui paraît surtout étouffer toutes possibilités de débordement d’une œuvre sur une autre, qui place à égale valeur une œuvre authentiquement révolutionnaire ou révoltée, à côté d’une photographie d’Henri Cartier-Bresson parti en reportage à l’école des Beaux-Arts en mai 1968, quelle sagesse, quel détournement finalement et enfin, quelle domestication ! Et c’est d’autant plus étonnant en fait de la part de Georges Didi-Huberman qui avait su être tellement créatif à Tourcoing et au Palais de Tokyo pour présenter un collage d’une très grande vigueur pour son exposition des Nouvelles histoires de fantômes , c’est dire la mesure de la déception à la visite de cette exposition proprette et tellement didactique qui serait presque un manuel contre révolutionnaire, qui dans un premier temps, sous couvert d’une certaine poétique qui n’est pas sans regarder du côté de Face à l’insoutenable d’Yves Citton et notamment cette notion de révolte par le geste, s’emploie à rechercher dans les formes qui précèdent les grandes révoltes le grain même de la révolution, un peu à la manière d’une prévision météorologique, pour, ensuite, documenter avec un vrai souci d’exégèse presque, les répressions et les échecs historiques du soulèvement. Et étant donné le public, a priori, d’une telle exposition, il est légitime de se demander si le but presque recherché d’une telle exposition n’est pas celui de rassurer s’agissant des soulèvements, les dynamiques sont scrutées comme pour les déceler en formation et les répressions sont documentées comme pour édifier et refroidir, ou, donc, rassurer, rassurez-vous braves gens, ça ne finit presque jamais bien.

    Une telle façon de faire aboutit au résultat facile à deviner, les éléments de la révolte sont sous cloche, on peut les voir et les écouter, mais pas les toucher, on peut en contempler la beauté sans danger comme on se régale de la fourrure du tigre en étant abrité de ses griffes, les poisons du soulèvement sont parfaitement cernés dans des contenants eux-mêmes protégés, ainsi un exemplaire de la revue Tiqqun est dans un vitrine, comme, finalement, on exposerait un exemplaire original de la première édition de Mein Kampf dans une exposition à propos de la destruction des Juifs d’Europe, cela devient un fétiche — un jour il faudra qu’on m’explique quelle est la valeur d’une telle pièce dans une telle exposition, le livre fermé, intouchable, et pourquoi le même livre ne peut pas être accessible en bibliothèque ou en librairie et être lu pour ce qu’il est, un objet historique, et non en faire, un fétiche ce qui le rend infiniment plus dangereux, je dois dire que je n’ai jamais compris pourquoi on faisait de la sorte. Quant à la librairie de l’exposition, certes on y trouve de nombreux livres de la Fabrique parmi lesquels L’insurrection qui vient du Comité invisible, mais pas À nos amis des mêmes. Et le catalogue de l’exposition, qui a l’air très bien fait, est à un prix pas très révolutionnaire de 50 unités de monnaie européenne, ce qui est, faut-il le préciser, assez cher pour une exposition collective.

    Certes l’exposition des Soulèvements n’est pas l’encanaillement des installations de Thomas Hisrchorn ( http://www.desordre.net/blog/?debut=2014-05-25#3075 ) mais cela reste décidément très propret dans sa présentation. Et donc un peu cher d’accès.

    Exercice #18 de Henry Carroll : Vous êtes Elvis, quelle est votre dernière photographie

    Question stupide, réponse...

    #qui_ca