• Discussion hier soir à propos du cinéma de Federico Fellini, en présence d’une très forte concentration d’amis italiens, Michele, Raffaella et Maria, et d’ailleurs Maria, comédienne, a un peu travaillé en qualité de doubleuse sur le dernier film de Fellini, la voce della Luna , qui d’ailleurs n’est pas un chef d’œuvre. Et j’apprends dans cette discussion un fait dont j’ignorais tout à propos du cinéma de Fellini, Fellini doublait souvent ses acteurs avec d’autres acteurs, surtout quand les premiers n’étaient pas des acteurs professionnels, mais il semble qu’il y ait même pensé pour Roberto Begnini dans la Voce della Luna justement et qu’il a fallu le raisonner, on ne pouvait pas doubler un acteur aussi connu avec une voix aussi reconnaissable, Fellini, lui, ne voyait pas du tout où était le problème.

    Les quelques personnes françaises présentes à cette discussion apparemment ignoraient cela tout aussi bien, Maria insiste, mais en fait vous devez bien vous rendre compte que ce n’est pas parfaitement synchronisé, mais Maria, nous quand on regarde et donc qu’on écoute les dialogues d’un film de Fellini, on a, en fait, beaucoup recours aux sous titres et du coup on n’est pas hyper concentré sur la synchronisation labiale.

    Et nous découvrons tout un monde, celui, merveilleux, du cinéma de Fellini, demandant à un de ses acteurs de lui expliquer la recette des pâtes à l’amatriciana pour finir par doubler cet acteur et changer du tout au tout le dialogue initial où cet homme, parlant de faire revenir les oignons en salivant, dans le film parle de son désir pour une femme et de fait salive aussi, mais comme on salive pour un plat de viande, un osso buco par exemple.

    J’ai une admiration sans borne pour le cinéma de Fellini qui est une véritable poésie visuelle à mes yeux, je peux regarder la Dolce vita ou Otto y Mezzo , ou encore E la nave va , plusieurs fois de suite, être ébloui par la scène d’ouverture de l’un, le survol du christ en hélicoptère au-dessus du Vatican, et pleurer, presque, sur la scène de fin de l’autre, les danses et les chants des saltimbanques tout autour du décor de pas de tir d’une fusée sur la plage, mais je n’avais pas la moindre idée que Fellini était en fait cet écrivain curieux qui écrivait ses dialogues en regardant les films dans la salle de montage, ou encore un cinéaste assez facétieux pour modifier la signification même d’un dialogue pour la version française — finalement le puriste que je suis, obsédé par les versions originales, découvre toute la validité d’une version française et le fait que la version originale dans le cinéma de Fellini est déjà une notion corrompue — dans Intervista , un badaud demandant au chauffeur de Mastroianni si c’est bien Marcello à l’arrière de la voiture, dans la version italienne, répond quelque chose qui sonne comme Ano et qui veut dire, ben oui, dans la version française, Fellini trouvait que c’était amusant que le chauffeur répondre, Ah non !

    Et nombreux ont été les dialogues que Fellini a écrits de la sorte sur un coin de table dans une cabine de doublage, en collaboration avec des acteurs italiens qui doublaient d’autres acteurs italiens, donnant à telle actrice d’ Otto y Mezzo , Sandra Milo, pour ne pas la nommer, une voix plus souple que la sienne en vrai — qui avait en fait une véritable voix de crécelle avec un accent très vulgaire — et n’est-ce pas, entre autres, cela qui fait qu’un film, un corpus de films, qui, dans le cas présent, ne sont pas juste des films, mais bien du cinéma, une œuvre, des œuvres, un corpus de chefs d’œuvre ?

    Et si on avait laissé Fellini doubler Roberto Begnini dans la Voce de la Luna , ce film serait sans doute le chef d’œuvre qu’il n’est pas dans l’état actuel.

    #qui_ca