« Le terme “populisme” est un obstacle à une analyse sérieuse des transformations de la politique »

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  • « Le terme “#populisme” est un obstacle à une analyse sérieuse des transformations de la politique »
    LE MONDE IDEES | 11.11.2016. Propos recueillis par Antoine Flandrin
    Catherine #Colliot-Thélène.
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/11/le-terme-populisme-est-un-obstacle-a-une-analyse-serieuse-des-transformation

    Donald Trump est-il ­un populiste ?

    Catherine Colliot-Thélène.- On peut dire que le président-élu est xénophobe, démagogue, qu’il n’a ­apparemment aucun respect pour les principes constitutifs de l’Etat de droit et qu’il est vulgaire, ignorant, notamment sur l’Europe. Il y a des tas de raisons de s’inquiéter de ce qu’il va faire, en matière économique et sociale comme sur le plan international.

    Mais quand on qualifie Bernie Sanders aussi bien que Donald Trump de « populistes », le terme ne désigne plus que la méfiance envers les ­élites politiques traditionnelles. Or cette ­ méfiance a ses raisons, et celles-ci sont fondées puisque, après tout, ce sont ces élites – partis de gauche et de droite confondus en Europe, Partis républicain et démocrate aux Etats-Unis – qui ont conduit, depuis plusieurs décennies, des politiques économiques ayant créé des inégalités sociales dans des proportions inédites depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

    Les conséquences sociales de ces politiques économiques sont une des causes de cette méfiance. A celle-ci vient s’agréger de la ­désespérance sociale. Et c’est cette désespérance ­ sociale qui alimente la peur de l’étranger, les replis identitaires, l’indifférence aux principes de l’Etat de droit.

    Je suis de plus en plus convaincue que le terme « populisme », du fait des usages inflationnistes dont il fait l’objet depuis plusieurs années, est un obstacle à une analyse ­ sérieuse des transformations de la politique, en Europe ou aux Etats-Unis. Qu’y a-t-il de commun entre les partis qualifiés de populistes qu’on classe à gauche et à droite ? ­Certains sont ­xénophobes, d’autres non. ­Certains s’opposent au libéralisme économique, d’autres non.

    Les responsables politiques et les journalistes voient du populisme partout où s’expriment des positions allant à l’encontre d’une doxa très large sur laquelle s’entendent les partis politiques traditionnels, ceux qui, en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis, ont gouverné en alternance ou en coalition.

    Le ­populisme est devenu, dans le langage ­courant, le nom d’une dissidence qui peut se ­ manifester dans des mouvements extérieurs à ces partis politiques classiques ou à l’intérieur de ceux-ci. C’est bien sûr un terme qui disqualifie les opinions et les individus. De ce point de vue-là, il bloque les analyses.

    [...]

    En France, certains sociologues, pour essayer de sauver le populisme de gauche, font la ­ différence entre les populistes identitaires, qui seraient mauvais, et les populistes plébéiens, qui seraient bons. Réussir à définir un idéal type du populisme est une cause désespérée, tant ce terme recouvre aujourd’hui des éléments hétérogènes.

    Je suis très réticente face aux tentatives de fixer une définition univoque, parce que ­celle-ci sera nécessairement sélective par ­rapport aux phénomènes que nous avons à analyser : elle empêchera de s’attaquer à leurs causes. Une fois qu’on a dit que le mot ­comporte des ambiguïtés, on peut toujours élaborer un certain nombre de critères pour le définir, cela ne changera rien à ses usages ­ordinaires.

    Ce qui me paraît le plus important, c’est d’identifier les phénomènes qui nous ­causent du souci, à savoir la montée de la ­xénophobie et l’indifférence par rapport à certaines libertés, deux phénomènes prononcés, notamment dans les pays d’Europe de l’Est…