• J – 183

    J’avais repéré la chose comme une opportunité d’aller au cinéma avec les enfants, la bande annonce du film que j’ai bien du voir trois ou quatre fois laissait entendre un film avec de nombreux ressorts comiques qui se retournaient manifestement contre les moqueurs ou les contempteurs d’un personnage handicapé mental. Willy premier de Ludovic et Zoran Boukherma. Willy premier est en fait l’histoire extrêmement mélancolique - donc pas franchement comique - d’un homme d’une cinquantaine d’années, légèrement handicapé mental qui vient de perdre son frère, suicidé, pendu - déjà là on rit beaucoup. Les deux jumeaux vivaient encore chez leurs parents, des rustres, intellectuellement mal équipés pour faire face aux implications de cette situation et, qui, donc, Maman et moi, on en a discuté, ont décidé de placer Willy, 50 ans donc, physique âpre, handicapé mental et qui ne se remet pas du tout de la mort de son frère dépressif, jumeau, double, et qui découvre, notamment, en allant sur la tombe de son frère que ses parents ne disposant pas de photographie récente de Michel le jumeau de Willy ont mis une photographie de Willy en médaillon, et ils ne voient vraiment pas où est le mal quand Willy leur en fait la remarque - là c’est carrément la crise de rire -, c’est d’ailleurs la goutte d’eau qui met le feu aux poudres, Willy ramasse ses affaires dans un sac de sport et décide d’aller à pied à la ville voisine, Caudebec, sur le thème, plusieurs fois répété dans le film, à Caudebec j’irai, un appartement j’en aurais un, un scooter j’en aurais un, des copains j’en aurais et je vous emmerde . Donc, a priori , pas de ressorts trop comiques spontanés dans ce film et je me demande bien comment j’ai pu me laisser abuser par cette bande annonce fautive, racoleuse finalement, moi, à qui on ne la fait supposément pas, moi, qui si souvent fustige l’omniprésence de l’humour, et, pire, du second degré, me voilà déçu de l’absence de blagues, dont j’aimais à penser qu’elles feraient peut-être rire Nathan, et, accessoirement, Adèle, j’espérais même quelques blagues revanchardes dans lesquelles les neurotypiques en prendraient pour leur grade, les aventures de Willy premier ne prêtent pas à rire.

    Et le voilà parti. Et il ne s’en sort pas si mal. Les écueils sont nombreux, ils ne sont pas minimisés, pas davantage que ne l’est sa dépression, sa tristesse inconsolable d’avoir perdu son frère Michel, sa mélancolie de bien se rendre compte qu’il ne voyage pas dans l’existence à la même vitesse que tout un chacun, mais il se tient à son but, Caudebec, son appartement, son scooter et ses amis et il nous emmerde.

    Les amis il faut voir. Il y a le collègue homonyme, Willy aussi, homosexuel, pour qui Berlin jouerait le même rôle que Caudebec pour son collègue handicapé, un Eden idéalisé et qui cache, au-delà de son ostracisation en tant qu’homosexuel, une autre douleur et puis il y a la petite troupe des habitués du PMU à laquelle Willy va tout faire pour s’intégrer non sans y laisser des plumes, des boutons de chemises. Jeux d’ivrognes, chantage aux coups à payer, et homophobie ordinaire, moqueries à propos du handicap de Willy, une ambiance à tout casser au PMU de Caudebec.

    Une des forces admirables de ce film apparaît déjà dès le générique d’ouverture, elle tient le récit à hauteur de son personnage principal, c’est son point de vue, il est d’ailleurs de tous les plans comme le sont les personnages féminins, notamment, des films des frères Dardenne, son esthétique enfantine, les dauphins projetés sur les murs pour s’endormir, son blouson de supporter du club de basket local, et de fait, un transfert opère de la même manière que lorsque l’on regarde un film de James Bond on devient James Bond pendant deux heures, dans Willy premier, on devient Willy pendant une heure et demi, il y a indentification.

    Ce qui n’était pas sans m’inquiéter pour ce qui était de mes deux voisins dans le cinéma, Adèle qui était sans cesse au bord des larmes tant l’histoire de Willy est triste, déprimante même, et elle n’avait apparemment aucune difficulté, jeune fille de douze ans, gracieuse comme tout, d’identification à ce gros type dont tout le monde se moque, quant à Nathan je n’en menais pas large, inquiet, évidemment, que l’identification avec le personnage principal ne soit factrice de sentiments tristes et indémêlables par la suite.

    Prudemment, en sortant du cinéma, tandis que je préparais le repas en obtenant, sans barguigner, l’aide de Nathan, je l’interrogeais à propos de ses sentiments après la projection de ce film. Nathan, sans surprise, l’avait trouvé ennuyeux, et pas très drôle ajouta-t-il, ce qui du point de vue de Nathan est indéniable, Nathan, comme tous les jeunes gens de son âge, préférera, et de loin, un film de James Bond dans lequel les scènes d’action sont plus nombreuses, plus fournies. Mais Nathan, dans un film de James Bond ce que tu préfères c’est d’imaginer que tu es James Bond. Ben non, moi c’est Nathan ! Oui, mais tu aimerais bien être James Bond. Je n’ai pas envie que l’on me tire dessus tout le temps - pendant que son père élabore toutes sortes de théories à propos des poursuivants de James Bond, Nathan a, lui, une pensée incroyablement plus raisonnable sur le même sujet. Il n’a pas tort. Et donc, plus directement - je n’ai pas le choix, je veux être rassuré. Et là dans le film que l’on vient d’aller voir ce soir, quand tu le vois tu n’as l’impression que tu es le personnage principal ? Ben non, lui il est gros et vieux, moi je ne suis pas gros. Oui, mais il est un peu handicapé mental, il a des difficultés ? Oui, mais toi tu ne veux pas que j’aille dans un foyer et puis moi je ne suis pas gros. C’est vrai Nathan, de même tu es beaucoup plus jeune que ce personnage.

    Et Nathan d’ajouter. C’est plutôt toi qui devrait te demander si tu ne ressembles pas au personnage principal, parce que toi, quand même, Papa, tu es un petit gros et comme Willy tu dors avec un masque pour respirer la nuit.

    Ce en quoi, Nathan a parfaitement raison. Touché , en anglais dans le texte.

    Exercice #25 de Henry Carroll : Prenez une photo qui ne fonctionne qu’en couleur

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