• Altercation
    Sur le parking de l’hôtel
    On a rayé mon automobile

    Moqueries amicales
    Habituelles
    Et matinales

    Je fais provision
    D’un long morceau
    De comté

    Je fais provision
    De poisson et je cuisine
    Deux gâteaux de marrons

    Dorades au barbecue
    Pleurotes à la crème
    Conté. Sieste

    Promenade
    Au temple de Janus
    Tel un rite

    On traverse le pont de l’Arroux
    Sous un ciel orageux
    Une vache se regarde dans l’eau

    Des trombes d’eau s’abattent
    Un orage tonne, bien au chaud
    À travailler sur l’affiche de l’Étreinte

    Bien au chaud à travailler sur l’affiche
    Sur le nouvel ordinateur
    Sept mois que je n’avais pas ouvert Photoshop®©™

    Je sais encore faire du graphisme
    Je travaille avec lenteur
    Nouvel ordinateur

    Je sais encore produire une affiche
    Je suis encore capable
    D’intuitions

    Dîner chez Karim et Sarah
    Soupe aux trois courges
    Gâteaux de marrons, lait de poule

    Karim me parle d’Apnées
    Et me demande si je suis capable
    De le jouer devant n’importe qui

    Je réponds à Karim
    Que je ne sais pas ce qu’est un public
    Fragile, je veux bien jouer avec des rappeurs

    Et je ris de mon audace
    Et je ris que mes filles
    Et je ris de ce que cela va donner

    #mon_oiseau_bleu

  • Les Breton⋅ne⋅s ont RDV avec @philippe_de_jonckheere : Le bloc-note du desordre : 2017-11-19 - 2017-11-26
    http://desordre.net/blog/?debut=2017-11-19#3144

    A Rennes, le premier décembre à 19H00, au Centre de Chorégraphie National de Bretagne (38 Rue Saint-Melaine, 35000 Rennes, entrée libre dans la limite des places disponibles, réservation conseillée au 02 99 63 88 22), Adrien Genoudet et moi-même lirons L’Étreinte d’Adrien Genoudet (éditions Inculte), dans une mise en scène d’Adrien Genoudet, avec des extraits d’une lettre que je lui ai écrite à la lecture de son très beau livre.

  • A Rennes, le premier décembre à 19H00, au Centre de Chorégraphie National de Bretagne (38 Rue Saint-Melaine, 35000 Rennes, entrée libre dans la limite des places disponibles, réservation conseillée au 02 99 63 88 22), Adrien Genoudet et moi-même lirons L’Étreinte d’Adrien Genoudet (éditions Inculte), dans une mise en scène d’Adrien Genoudet, avec des extraits d’une lettre que je lui ai écrite à la lecture de son très beau livre.

    L’Étreinte sur le site d’ Inculte ( http://www.inculte.fr/catalogue/letreinte )
    Une note de lecture de la librairie Charyde ( https://charybde2.wordpress.com/2017/09/27/note-de-lecture-letreinte-adrien-genoudet )
    Article dans La Croix ( https://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/Il-etait-fois-13-novembre-2017-09-28-1200880311%C2%A0%C2%BB%20target= )
    Adrien Genoudet répond aux questions de Fabien Ribery ( https://fabienribery.wordpress.com/2017/10/04/on-avait-mis-des-fleurs-dans-les-impacts-de-balles-entretien )

  • http://next.liberation.fr/livres/2017/06/09/la-blue-note-de-de-jonckheere_1575759

    L’auteur y réussit avec talent, à la manière d’un jazzman parti dans une longue impro subtile, ponctuée de reprises et de variations. La blue note de De Jonckheere tient dans la rythmique que lui offre un signe de ponctuation un peu délaissé : le point-virgule.

    Ca, plus une comparaison d’avec le monologue de Molly Bloom de Joyce, mes enfants sont inquiets que je devienne vraiment insupportable à la maison, ou comme ils disent, genre que je prenne le melon.

    Je n’y coupe donc pas : #shameless_autopromo
    #une_fuite_en_egypte

  • http://www.millepages.fr/-agenda-.html?jour=2017-05-16#Rencontre avec Philippe de Jonckheere

    Mardi 16 mai à 19h30, je suis invité à présenter, lire et signer Une fuite en Egypte à l’excellente libraire Mille pages de Vincennes (91 rue de Fontenay - Vincennes | 01 43 28 04 15 - Métro Château de Vincennes - RER A, arrêt Vincennes, bus 46, 56, 112, 114, 115, 118, 124, 210, 215, 318, 325). Ce sera également l’occasion de venir boire un verre une fois que j’aurais fini de faire mon intéressant, j’espère pas trop longtemps, histoire de fêter, dignement, la sortie de ce livre longtemps maudit, désormais auréolé de gloire.

    Venez nombreux, cela me fera plaisir de voir toutes et tous.

    Amicalement

    Phil

    http://desordre.net/blog/?debut=2017-05-07#3142

    #shameless_autopromo et tout le tintouin.
    #une_fuite_en_egypte

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/agnel_minton.mp3

    J – 90 : C’est souvent que je pense et repense au livre de Peter Handke, Essai sur la journée réussie , qui pour moi aura longtemps été une manière de modus vivendi, peut-être pas autant que Mon Année dans la baie de personne , mais malgré tout une référence. J’aime, par-dessus tout, cette idée qu’il faut réussir sa journée. Que c’est une manière d’œuvre. Qu’il faut pour cela déployer les mêmes moyens que ceux que l’on met en branle qui pour un texte réussi, qui pour une sculpture réussie, qui pour une image réussie, qui pour une musique réussie et dans cette forme très singulière de la réussite que l’on soit son seul juge impartial. J’ai même essayé il y a un an, quand j’avais réarrangé ma chambre après le funeste été 2015 et son invasion de punaises de lit, de laisser le livre un peu en évidence, comme je le fais d’autres livres dont j’aime bien soit la couverture en elle-même, c’est par exemple le cas de la Perte de l’image de Peter Handke avec sa photographie d’Arnaud Class, effet de décoration un peu stupide dans mon cas puisque je dispose de l’originale, je sais c’est idiot, ou encore Breakdows d’Art Spiegelman, Les Américains de Robert Frank, Mon Année dans la baie de personne de Peter Handke, naturellement le Temps retrouvé de Marcel Proust, on ne se refait pas, mais aussi Les Saisons de Maurice Pons, La Chambre claire de Roland Barthes et en fait toutes sortes d’objets aussi, parmi lesquels, en plus des œuvres au mur, une immense tête de lièvre en céramique de Martin, et des ailerons de requins dont quelques-uns en céramique, les autres en pâte à modeler et j’espérais que la simple vue du titre de ce livre en me levant agirait chaque fois comme une admonestation à une telle réussite et tout ce que cela demandais finalement d’effort.

    Mais comme l’explique si clairement Peter Handke, c’est souvent le hasard qui réussit la journée pour nous, et ce n’est pas juste une manière d’enchainements heureux, de dispositions des petits astres de notre journée selon des alignements prometteurs qui est la traduction du hasard, je pense qu’au contraire il s’agit d’une disposition d’esprit, quelque chose qui aurait à voir avec notre capacité d’accueil de la nouveauté. Là c’est moi qui extrapole, Handke est plus engagé dans des enjeux littéraires notamment des ingrédients de la journée réussie.

    Par exemple, cela fait quelques temps que j’ai décidé de me moquer éperdument du jour de la semaine, non pas l’ignorer mais décider une mauvaise fois pour toutes qu’il n’y avait pas de journées noires parce qu’elles étaient mangées par le travail en open space ou encore qu’il pouvait se produire que je ne fasse pas grand-chose d’un samedi ou d’un dimanche au cours desquels j’étais seul et sans enfants à la maison et que si cela me chantait d’écouter de la musique ou de bouquiner tout du long du week-end en buvant des hectolitres de café, be it. Il importait en revanche que je sois accueillant de ce qui viendrait qu’un lundi matin en arrivant au travail, au lieu d’être morose de me réjouir d’une joie simple d’être parvenu à me garer dans la dernière place du parking, dans le troisième sous-sol tout au fond, sans manœuvre et en roue libre tout du long. Que cela en soi était une réussite exemplaire, de noter que j’y étais parvenu en écoutant les Variations Golberg de Bach, et du coup de me connecter un peu plus vaillant que d’autres fois à mon poste de travail, après tout pourquoi pas ? en soi ce n’était pas plus idiot comme désir d’une émancipation minuscule que cet autre chantier que je conduisais par ailleurs, à savoir tout ignorer de la campagne électorale en cours, désormais certain que ce qui serait présenté comme des faits immenses seraient en fait des taupinières et qu’au contraire rien de ce qui importe ne serait abordé, juste par acquis de conscience, rassurez-moi, est-ce que le moindre des candidats à cette mascarade aborde quotidiennement le sujet des réfugiés ou encore celui de la politique carcérale ou encore de l’évasion fiscale ou bien encore de la part de la dette odieuse qui écrase els fiances publiques ? non sans doute pas. Je fais donc bien de continuer à ignorer toutes ces gesticulations et à poursuivre mes petites expériences d’émancipation minuscule.

    Et à défaut de réussir toute la journée aujourd’hui, je pense que j’aurais au moins réussi ma pause méridienne, j’ai aimé, comme chaque midi arriver dans les tout premiers et bénéficier de ce fait d »un réfectoire encore calme et non saturé par la brouhaha de discussions qui toutes ne me font pas plaisir pour le peu que j’en capte, j’ai aimé mon filet de poisson et ses carottes bicolores, j’ai aimé la salade de cœurs d’artichaut et la part d’ananas, j’ai aimé ressortir de la cantine au moment même où cette dernière allait bientôt être saturée par le vacarme collectif, j’ai aimé le tour du pâté de maison que j’ai fait, en prenant quelques photographies à l’aide du téléphone de poche offert par Clémence pour mon anniversaire, j’ai aimé m’arrêter au Bistro du Marché pour prendre un café au comptoir, j’ai aimé tomber par hasard — c’est à cet endroit précis que le hasard a frappé avec grâce — lire cet article du journal Libération qui trainait sur le comptoir et que je n’ai pas eu à ouvrir puisque l’article que j’ai lu était le portrait en dernière page de Cédric Herrou, je n’ai pas aimé la photographie mise en scène de ce portrait, l’article lui était plus neutre et meilleur, mais j’ai aimé cette petite lecture le temps d’avaler mon café, j’ai aimé boucler le tour du pâté de maison en photographiant mes premières affiches détournées de cette campagne électorale, c’est idiot mais je ne demande pas de plus grande récréation visuelle que celle de quelques affiches arrachées t les formes qu’elles produisent par hasard à la manière des travaux de Raymond Hains et Jacques Villeglé. J’ai aimé échanger quelques messages textuels avec Madeleine qui m’informe qu’elle n’a pas trop mal réussi son épreuve de bac blanc d’histoire géo, non sans redouter un hors sujet, j’ai ironisé avec elle sur le faut que l’on ne pouvait pas être hors sujet en histoire que l’histoire n’avait ni de début ni de fin, cela nous a bien fait rire.

    Et je suis remonté au travail, prendre note de tout cela. J’ai un peu réfléchi à la question du repas de ce soir, je pense que je vais faire une quiche et je me suis fait toute une joie d’aller au concert ce soir aux Instants écouter Phil Minton, qui plus est en duo avec Sophie Agnel.

    Après tout ce n’était peut-être pas que la pause méridienne qui était réussie.

    #qui_ca

  • J – 103 : Se réveiller, parcourir encore quelques pages de Merci aux ambitieux de s’occuper du monde à ma place de Georges Picard (je peux aussi bien le finir, si j’en lis un tous les cinq ans ce n’est pas cela qui va abimer mes yeux et aggraver ma presbytie), prendre le petit déjeuner avec Nathan peu disert ce matin, descendre dans le garage armé d’une tasse de café, mug offert par mon ancien collègue Bruno sur lequel est écrit, un jour j’irai vivre en théorie parce qu’en théorie tout se passe bien , un véritable héritage d’ingénieur informatique, travailler à la mise en forme des dernières pages de Qui ça ?, en suer pas mal avec toutes les références dans l’article à propos de Close Encounters With Vilmos Zsigmond , me rendre compte que tant et tant de noms propres ont déserté ma mémoire, comme il m’a été difficile de retrouver le noms de certains photographes, avoir connu un certain contentement de m’être tiré d’affaire en m’aidant avec le livre The Legacy Of Light plutôt qu’avec internet, m’interroger de pourquoi, me refaire un café, préparer le déjeuner, nouilles sautées au curry et au lait de coco, pas spécialement réussies, emmener Adèle à son atelier de céramique et découvrir son petit projet d’un animal imaginaire, déposer Madeleine au cheval, en chemin lui parler de politique, d’historicisation même, repasser chercher Adèle et l’emmener chez l’orthophoniste, continuer de lire Merci aux ambitieux de s’occuper du monde à ma place , désormais détaché de tout enjeu (je n’en ferai pas la chronique, livre insuffisamment résistant je trouve, et comme c’est amusant de lire quelques lignes de Georges Picard être fort critique à propos de Cioran dont il boude le caractère philosophique jugé insuffisant, je suis d’accord avec lui, mais continuer de lire pour les plaisirs littéraires de certaines rédactions, je suis d’accord avec lui, mais à la fois pour Cioran, mais pour Georges Picard lui-même) repasser par la maison, répondre au téléphone à mon père qui m’apprend la mort de son frère aîné, douze ans de plus que lui, je console mon père, étonné d’être accessible moi-même à une certaine tristesse pour un homme que je n’ai pas du croiser plus d’une demi-douzaine de fois, mais je crois que cela a trait à cette fameuse scène que j’ai écrite dans le Déluge de Pâques , mes grands-parents, leurs sept enfants, mes oncles et tantes et mon père donc, la tante, Adèle dans le livre, réfugiés dans la cave pendant les bombardements alliés notamment celui de Pâques 1944 quand les Alliés avaient nuitamment tenté de raser la gare de Lille-Délivrance, à l’époque plus grande gare de tri d’Europe et avaient manqué leur cible de neuf kilomètres, rasant ainsi les villes de Lomme, Loos et Lambersart et un peu le Nord-Ouest de Lille aussi, j’avais prêté à Mon Oncle Jean, que je connaissais si mal, les traits du Grand Paul pestant que les cochons d’Anglais , emmener Nathan chez son psychologue, échanger brièvement avec ce dernier puis aller lire transit de froid dans la voiture, finir Merci aux ambitieux de s’occuper du monde à ma place. Déclencher à distance (Nathan envoie un message à Adèle pendant que je conduis) l’allumage sous le bouillon de cuisson des gnocci . Dîner avec les enfants. Aider Adèle avec son Allemand, Adèle fort fâchée avec le genre neutre, concept qu’elle ne comprend pas du tout, elle tolère que les genres soient inversés, Der Mund , la lune, die Sonne , le soleil, mais alors das Stern c’est quoi ce délire ? Faire une partie ou deux d’échecs avec Nathan, en gagne une (un Gambit de la dame pépère, j’attaque la case h7 avec sacrifice), en perdre une (démoli que je suis dans l’ouverture espagnole que je ne sais plus du tout jouer avec les Noirs, Nathan le sait et me l’impose presque systématiquement quand il a les Blancs), descendre dans le garage, traiter quelques images, bailler et monter lire un peu, replonger dans la Guerre du Cameroun . Rechercher aussi sur la tablette ce passage du Déluge de Pâques que je dédie donc à mon Oncle Jean que j’ai si peu connu.

    Tout tremble, cela ne durera que deux fois une demi-heure. Mais ce sont deux demi-heures d’éternité. Souvent le sentiment de rejoindre ceux déjà avalés par l’éternel. L’aîné jure contre les cochons d’Anglais et les sœurs plus pieuses prient pour éloigner le vol de ces forteresses volantes. Mais pas sûr que Dieu lui-même puisse entendre la complainte de ses fidèles au travers de ces grappes d’explosions, par dizaines, par centaines vraiment, qui secouent la terre et défont la belle ouvrage des débuts. La création de Dieu est détraquée, peut-être au-delà du réparable. De la poussière tombe de la voute en brique, du plafond de la cave. Après la première demi-heure, quand les bombes se sont tues, La mère en profite pour se lever et vérifier que le petit dort encore. Attente dans l’anxiété de la sirène qui dit que l’orage est passé. Mais la sirène ne délivre pas encore cette fois. C’est la colère du ciel et des avions obèses qui revient et c’est une nouvelle demi-heure de secousses, d’explosions, d’éclairs tamisés, de ciment poudreux qui tombe sur les longs cheveux des filles. Pleurs. Reniflements, les filles essaient de renifler doucement, d’étouffer leurs éternuements de poussière, pour ne pas faire de bruit dans le tintamarre.

    – Ils n’ont pas bientôt fini ces cochons d’Anglais, explose l’aîné.
    – Paul, répond le Père, qui, de ce seul nom, ordonne le silence de son fils.

    Extrait du Déluge de Pâques

    #qui_ca

  • J – 105 : Ciné-club au Kosmos , cycle Cinéma-parano , ce soir Ces garçons qui venaient du Brésil ( The Boys from Brazil ) de Franklin J. Schaffner, avec comme intervenant, non pas une personne pour nous parler du film en cinéphile, mais un spécialiste du génome humain, généticien, Jean-François Deleuze, qui vient nous parler au contraire de l’angle scientifique de ce très étrange récit de science-fiction nazie.

    Il n’y a pas grand-chose à retenir de cet épouvantable nanar d’un autre âge, dont l’admirable distribution pouvait laisser espérer bien mieux, Gregory Peck, en vieil homme refusant les insultes de l’âge, dans le rôle de Josef Mengele, Laurence Oliver, un peu décati, qui joue le rôle d’un Simon Wiesenthal fictif, James Mason en ancien officier de la SS et Bruno Ganz, tout jeune, en généticien bienveillant qui intervient trop tard dans le film pour le racheter complètement, et dont l’intervention ressemble un peu à celle décalée de Henri Laborit dans Mon Oncle d’Amérique d’Alain Resnais. Le film enfile les perles de fantasmes à propos du Nazisme, allant jusqu’à donner crédit et corps à la démarche pourtant antiscientifique de Mengele à Auschwitz, imaginant qu’il y aurait posé les jalons de découvertes fracassantes de génétique au point de pouvoir, accrochez-vous bien, dans les années septante, au Paraguay, cloner, en une centaine d’exemplaire, Hitler lui-même, on n’ose imaginer à partir de quel fragment de l’oncle Adolf. Un vrai nanar de cinéphile. Et j’ai eu un petit accès de rire quand au générique est apparue la mention que toute ressemblance avec des personnes ou des faits avérés était fortuite. Sans déconner.

    Et franchement lorsque la lumière est revenue dans la salle j’en étais à me demander quelle mouche avait encore piqué Nicolas d’inviter un généticien de renom pour nous parler d’un tel navet. Et je le trouvais bien brave d’oser poser la question de savoir quel était, dans cet épouvantable navet à la si brillante distribution, sans parler de scènes de tournage dans quatre ou cinq pays différents, donc pas le film à petit budget, non un vrai grand ratage dans les grandes largeurs, quelle était donc, dans ce naufrage, la part de véracité scientifique ?

    J’ai bien cru que je n’étais pas complètement sobre quand notre généticien de renommée mondiale a répondu sérieusement que la partie scientifique du film était quasi irréprochable, parfaitement documentée, et complètement en phase avec les connaissances de l’époque et que certainement le film avait bénéficié d’un conseil scientifique très compétent et que les extraits de films qui étaient projetés par le personnage de chercheur en génétique interprété par Bruno Ganz dans ses explications à Herr Liberman (Laurence Oliver) étaient probablement d’authentiques films de laboratoire qui étaient par ailleurs parfaitement commentés. Notre généticien avançait cependant qu’il s’expliquait mal comment le personnage de Mengele dont il disait tout ignorer (apparemment en terminale il devait avoir de meilleures notes en sciences qu’en histoire) pouvait passer de méthodes qui consistaient par exemple en l’injection de solution de bleu de méthylène dans les yeux d’enfants juifs aux yeux marrons (fait historiquement avéré et qui laisse bien voir quel genre de scientifique sérieux était Mengele) aux expériences de clonage trente ans plus tard avec notamment cette préoccupation de recréer un contexte, un environnement, comparable à celui de la véritable biographie d’Adolf Hitler, choyé par une mère jeune et aimante, sans doute de trop, et ayant eu à souffrir le décès du père plus âge, quand il avait treize ans.

    S’en suivent des explications extrêmement désordonnées mais passionnantes (ça doit être à la fois génial et fatigant d’être l’étudiant de ce généticien à la pensée tellement profuse et qui part dans toutes sortes de directions simultanées, toutes productives mais pas toutes reliées entre elles) à propos de séquençage, de miniaturisation (j’aime beaucoup l’idée de fabrication d’organes humains à l’échelle de rats de laboratoire pour pouvoir tester différents traitements, en revanche je vis en cauchemar l’idée d’un cerveau humain miniature qui serait prisonnier d’un corps de rongeur, apparemment il y a encore quelques comités d’éthique qui trouvent à redire à ce genre de possibilités, mais pour combien de temps encore ?) de médecine prédictive, et même, même de stockage de données dans des échantillons d’ADN dans lesquels les ressources en matière de stockage paraissent presque infinies, apparemment ce seraient des milliers de films que l’on pourrait stocker (je n’ai pas bien compris comment, mais j’aime bien l’idée et je ne suis pas le seul dans la salle puisque Nicolas demande s’il serait techniquement possible de projeter le film qui serait obtenu par le séquençage de son ADN).

    On se quitte dans un froid mordant et pénétrant, je fais remarquer à Nicolas que parfois les rencontres de ciné-club avec un intervenant non cinéphile sont fort riches. Amical clin d’œil à ma déception s’agissant de Close Encounters With Vilmos Zsigmond . Ou encore que la qualité du film ne laisse rien présager de la qualité des débats d’après projection. Par exemple qu’on peut donc atteindre au sublime en terme de débat avec Ces garçons qui venaient du Brésil , vrai navet et avoir un débat désespérant après Otto e Mezzo (absolu chef d’œuvre), mais confiez les débats au désespérant Pacôme Thiellement et vous serez rentré tôt.

    #qui_ca

  • J-107 : Je ne sais pas si la sortie, cet été, de Marcher droit, tourner en rond d’Emmanuel Venet a fait beaucoup de bruit, si elle a même été remarquée, je fais une confiance sans restriction à l’incompétence crasse de la critique pour s’être aimantée à des ouvrages très secondaires avec lesquels les grandes maisons d’édition ont voulu les aveugler dans l’espoir, sans doute, de vendre du papier et de l’encre, je leur fais cette confiance donc, pour n’avoir pas remarqué l’étrangeté de ce livre, Marcher droit, tourner en rond , sa beauté et surtout l’entrée fracassante d’un narrateur autiste (Asperger) dans la littérature vieillesse comme on dit dans la littérature jeunesse, dans laquelle l’autisme est nettement moins tabou que dans le champ de la littérature vieillesse (voir Le bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon et la Preuve par sept de Georges Bayard, corpus auquel je ne désespère pas un jour de pouvoir y ajouter la Débroussailleuse ).

    Emmanuel Venet reprend le principe du monologue intérieur qui avait donné ce récit admirable de Rien , ou quelles sont toutes les pensées confuses qui traversent l’esprit d’une personne à laquelle on demande à quoi tu penses ? et qui répond la seule chose que l’on puisse répondre à une telle question : à rien. Et c’est un rien extrêmement profus et épais auquel nous sommes invités, livre qui avait la beauté de nous faire toucher du doigt l’admirable richesse de nos pensées quand on ne pense à rien. Ici le narrateur ne répond pas à une question, il assiste aux funérailles de sa grand-mère quasi centenaire, et il est révolté d’y entendre un éloge funèbre sans aucun rapport avec la véritable personnalité de la disparue qui était d’une admirable bassesse. C’est d’autant plus choquant à ses oreilles qu’atteint du syndrome d’Asperger, il entretient un rapport passionné avec la vérité et est entièrement imperméable à toutes les compromissions par lesquelles les neurotypiques de notre espèce parviennent à arrondir les angles d’une vie commune rendue tellement difficile par la mise en avant de nos intérêts divergents.

    La société, nous, ses semblables en prenons pour notre grade, à la fois pour nos compromissions dans les grandes largeurs et nos minuscules bassesses lesquelles s’amalgamant les unes aux autres finissent par créer de grands désordres :

    « on nous serine à plus grande échelle qu’il nous faut à la fois abattre les dictatures et vendre aux tyrans des armes pour équilibrer notre balance commerciale ; produire plus de voitures et diminuer les émissions de gaz d’échappement ; supprimer les fonctionnaire et améliorer le service public ; restreindre la pêche et manger plus de poisson, préserver les ressources en eau douce et saloper les aquifères au gaz de schiste »

    . comme on le constate Emmanuel Venet est très habile à se servir de l’autisme d’Asperger de son narrateur pour révéler, comme Voltaire le fait dans Micromegas , naïf auquel il faut expliquer les raisons de la guerre, l’explication n’étant pas vraiment destinée à un géant imaginaire mais bien au lecteur, à quel point nos logiques sont à la fois viciées et aveugles, et, finalement, mensongères, ce qui est ce qui heurte le plus la susceptibilité du narrateur.

    Il est par ailleurs admirable de voir qu’Emmanuel Venet évite avec bonheur l’écueil des bons sentiments et se garde bien de faire de son Micromegas autiste un saint ou, plus exactement, une manière d’omniscient ou encore de creuset de la vérité. La vérité n’existe pas, Emmanuel Venet en a pleinement conscience qui donne à voir aussi comment les rouages autistiques du narrateur produisent également des logiques avariées, fou amoureux de Sophie Sylvestre, camarade de classe au lycée et qu’il n’a pas revue depuis, mère d’un enfant atteint de mucoviscidose, il ne comprend pas comment cette ancienne camarade prend ombrage de son conseil pourtant bienveillant de recourir pour cet enfant à l’euthanasie, pour le narrateur autiste Asperger de Marcher droit, tourner en rond , toute situation, quelle qu’elle soit, peut se résoudre comme une énigme de scrabble , jeu qui le passionne et qui lui sert autant de boussole dans le monde que son autre intérêt aigu pour les catastrophes aérienne, mais seulement celles sur les lignes commerciales.

    Cet étonnant voyage au pays mal connu de l’autisme de haut niveau est par ailleurs écrit dans une langue parfaitement congruente, celle parfois ampoulée et pédante avec quelques incursions dans la plus frappante des franchises, l’autisme d’Asperger fait donc une entrée réussie dans le monde de la fiction littéraire avec une telle aisance que l’on finit par se demander si la littérature n’était pas faite pour de telles narrations, de tels narrateurs, ou encore que cette dernière s’était déjà montrée une forme fort accueillante d’autre narrateurs autistes, le narrateur du Bavard de Louis-René des Forêts ou encore les différents narrateurs de Thomas Bernhard, notamment celui du Naufragé qui voit dans son camarade Glen Gould un véritable exemple à suivre.

    #qui_ca

    • @reka Non, pas ce matin, ce week end. En fait les chroniques de Qui ça ? sont écrites au fil de l’eau, ensuite, et c’est ce qui prend le plus de temps, je les mets en forme et en ligne dans un endroit tenu secret pour le moment, selon un protocole très contraignant, et seulement quand j’en ai des petits paquets de trois ou quatre, je les copie colle dans seenthis pour les camarades.

      Dans un peu plus d’un mois maintenant, tu prendras conscience de la taille du truc et tu seras épaté, enfin je crois, j’espère. Ou pas du tout. Tu seras, et d’autres avec toi, terriblement déçu. Voir sentiment d’imposture évoqué avec @aude_v ( https://seenthis.net/messages/563253 )

    • Il y a au moins eu des critiques élogieuses dans le monde (par Chevillard) et mediapart, j’en ai vu sur quelques blogs. Ma libraire était aussi dithyrambique, mais son influence est sûrement plus limitée.
      Le gars sait écrire et le début du livre est assez drôle, mais ensuite ça vire à l’acharnement contre les femmes, ce qui rend la lecture pour le moins pénible.

      En fait, les travers de la société, c’est surtout ceux des femmes de sa famille, qui sont coupables de toutes les hypocrisies et mensonges, et qui mènent les hommes à la baguette, quand elles ne causent pas leur mort à petit feu. Il y en a bien une qui se fait battre par son compagnon, mais sa parole est mise en doute, c’est sûrement là aussi un coup tordu. Sa mère, qui est une des rares à le laisser tranquille, est elle coupable de s’en désintéresser complètement pour faire carrière. Et je ne parle pas de la façon dont leur apparence physique est décrite, car évidemment en plus elles sont laides. Il n’y a qu’auprès des hommes qu’il trouve du réconfort. Je conçois que je n’ai peut-être rien compris au livre et à l’autisme, mais ses qualités n’ont pas compensé le dégoût qu’il m’a inspiré.

    • @lyco Tout ce que tu dis là est absolument vrai. Mais aussi parfaitement raccord avec ce narrateur, et je pense que c’est une des grandes forces de ce livre que d’attendre de son lecteur qu’il comprenne que ce narrateur Asperger est à la fois capable de tendre un miroir à la société et ses compromissions et d’être dans le même temps dans un manque patent d’intelligence sociale au point donc de recommander l’euthanasie de ce pauvre garçon atteint de mucoviscidose à sa mère dont il est follement épris. Il y a là un équilibre assez parfait entre la carricature et, au contraire, la fulgurance.

      Par ailleurs les personnages masculins prennent assez cher aussi, mon père est gentil mais il ne me comprend pas du tout (limite il serait trop bête pour ça, voire limité), mes deux grands parents scientifiques étaient des gens merveilleux, ma grand-mère Viollette était une femme merveilleuse d’intelligence et de douceur, mon grandpère était un pochtron lâche, mes cousines se sont mariées avec des hommes de peu de valeur.

      Et quant à sa mère, il semble parfaitement comprendre et excuser qu’elle soit partie et qu’elle soit, ce qu’il respecte, une chercheuse scientifique reconnue.

      En fait en y réfléchissant c’ets plus trouble qu’il n’y parait.

    • Bon, comme j’ai jeté le livre je ne pourrai pas aller me refaire une idée... Comment comprends-tu alors cette épigraphe (je crois que c’est comme ça qu’on dit) de Freud faisant état de sa perplexité devant ce que veulent les femmes ?

    • @lyco Je me suis un peu posé la question, mais certainement pas avec l’acuité avec laquelle tu la poses et pas dans le même éclairage.

      Emmanuel Venet, de ce que j’en sais est psychiatre, donc on peut penser que Freud est son livre de chevet. Cette référence intervient, de mémoire, au milieu du livre quand une des tantes, pas la plus brillante, explique à son neveu Asperger que Freud n’a rien compris aux femmes, que ce qu’elles veulent tient en trois mots : « manger sans grossir ». A la fois la citation et cette grosse bêtise de la part d’une des tantes ne sont sans doute pas à prendre au premier degré, ce que fait précisément, du fait de son autisme d’Asperger, le narrateur.

      Donc peut-être est-ce une manière un peu capillotractée de la part d’Emmanuel Venet de prévenir ses lecteurs que le second degré sera de toutes les lignes de ce qui suit.

      Je dois dire cependant que tes remarques me font vaciller. Et je réalise in fine que peut-être mon enthousiasme à l’entrée d’un authentique Asperger dans le champ de la fiction littéraire m’a aveuglé au point que je n’ai pas remarqué que le reste du livre était problématique. Et que tout ceci ne peut sans doute pas être expliqué à la seule lumière de l’autisme très particulier du narrateur.

      Tu me pousses à une relecture très rapide dis-donc !

    • Oui, désolé de cette question au débotté, je voulais profiter de tes souvenirs de lecture sûrement plus récents que les miens. J’avais vu cette phrase comme une confirmation de mes impressions mais je ne me suis pas vraiment intéressé à l’autisme du narrateur ni n’ai soupçonné que le décalage qu’il induit entre sa vison des choses et ce qu’elles sont effectivement puisse faire l’objet d’une lecture à part entière, le considérant assez vite comme un simple masque derrière lequel se cache l’auteur. Quand tu dis que le narrateur prend cette remarque au premier degré alors qu’elle était vraisemblablement une blague, tu as certainement raison. Mais il me semble que l’auteur ne nous donne pas à voir cette sélection partiale faite par le narrateur, car il ne nous donne aucun autre élément. Il me semble que jamais il ne nous laisse supposer que le narrateur se trompe de voie ou qu’il ne marche pas si droit.

    • Si j’ai bien compris tu n’as pas pu ire le livre jusqu’au bout, heurtée que tu étais par la vision pas très progressiste des femmes du narrateur ? Et du coup je pense qu’effectivement, à moins de connaître un peu le syndrome d’Asperger, tu peux passer à côté de ce qui vient nettement plus tard dans le récit, le dévoilement par déclarations fracassantes (typiquement Asperger) de certaines énormités qui fait alors comprendre que la position de l’auteur par rapport à son narrateur est vraiment une position d’emprunt (ce qui est flagrant dans le conseil de recours à l’euthanasie qui est épouvantable et à la fois logiquement rigoureux).

      En revanche, je viens d’en relire quelques pages, certes certaines énormités s’expliquent par le syndrome Asperger du narrateur (et je maintiens que c’est de ce fait une narration passionnante et très juste, de ce seul point de vue), en revanche je pense que tu vois plutôt juste dans le fait qu’un fond de sexisme existe bel et bien chez l’auteur et que la caricature ne s’explique pas entièrement pas l’autisme du narrateur.

      Même si le narrateur s’en prend pas mal aussi à ses personnages masculins, il est manifeste que ce n’est pas avec la même acidité. Et sur ce point, tu as entièrement raison, et pour ma part, comme je le disais dans le commentaire précédent, j’ai été aveuglé par l’arrivée d’un narrateur autiste dans une œuvre littéraire, arrivée disons officielle, parce qu’une fois encore, je continue de penser que certains narrateurs fameux (et les auteurs, pas moins fameux qui se cachent derrière eux) présentaient déjà de très beaux mélanges d’acuité et de sévérité excessive envers leurs semblables...

    • @lyco Du coup, si tu l’as lu en entier, je ne comprends pas très bien ce qui t’a échappé de compréhension quant à la nature autistique d’Asperger du narrateur : quand il se fait rembarrer par Sophie Sylvestre dont il est amoureux depuis une trentaine d’années et qu’il n’a pas revue et qu’il lui suggère par mail de recourir à l’euthanasie de son fils atteint de mucoviscidose, on doit normalement comprendre (ou est-ce moi qui suis trop impliqué dans le bazar de l’autisme pour ne pas me rendre compte que ce ne sont pas des clefs aussi flagrantes que je veux bien le croire ?, et je dois dire que la lecture de ce passage a été l’occasion d’un éclat de rire pas très discret de ma part) que le narrateur a des logiques pour le moins autonomes.

    • Son autisme ne m’a pas échappé mais... à la fin, pour moi, il est surtout un prétexte pour sortir des énormités qui ne m’ont vite plus fait rire. Il m’a manqué quelque chose dans l’écriture qui m’aurait fait sentir qu’ici les codes sont chamboulés et qu’on peut y dire ces énormités. Là elles m’ont juste accablé. Elles n’ont pas suffi à créer la distance avec laquelle visiblement tu as réussi à lire le livre. Mais c’est peut-être que je manque un peu de subtilité et, comme tu le dis, que je ne suis pas du tout familier de cette logique particulière de l’Asperger.

  • J – 108 : Je crois que je peux dire que j’aime le cinéma, pour mon plus grand malheur, en revanche, je crois que je déteste profondément ses professionnels, une engeance à la fois immodeste et inculte et tellement, mais alors tellement contente de soi, cela doit être douloureux de s’aimer à ce point.

    Vendredi soir au Kosmos , projection et rencontre débat, autour du film Close Encounters with Vilmos Zsigmond de Pierre Filmon en présence du réalisateur et du distributeur.

    Vilmos Zsigmond est un des grands chefs opérateurs de l’histoire du cinéma, autrement appelés directeurs de la photographie ou même cinématographes, donc personne responsable de l’image, à la fois l’éclairage, souvent le cadrage, mais aussi la façon d’exposer le film et de le développer du temps de l’argentique, et Vilmos Zsigmond est un chef opérateur du temps de l’argentique. En fait vous n’imaginez pas le très grand nombre de films que vous avez vus pour lesquels il a été le directeur de la photographie : John McCabe de Robert Altman, Delivrance de John Boorman, The Long Goodbye de Robert Altman, The Rose de Mark Rydell, Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino avec lequel il fera également la Porte du paradis , Rencontre du troisième type de Steven Spielberg Blow out de Brian de Palma, bref, beaucoup de films très connus, parmi lesquels quelques chefs d’œuvre comme Voyage au bout de l’enfer , The Long Goodbye et Delivrance et des navets hollywoodiens, Spielberg etc…, de la grosse artillerie hollywoodienne dans l’ensemble, pas un amateur, pas un manchot.

    Close Encounters with Vilmos Zsigmond de Pierre Filmon s’ouvre sur un plan assez génial dans lequel on voit une discussion entre Vilmos Zsigmond et le chef opérateur de Close Encounters with Vilmos Zsigmond , échange entre les deux chefs opérateur dans lequel Vilmos Zsigmond prend un peu la main, met son grain de sel et donne son avis sur tous les paramètres de l’image que l’on voit se construire, image qui n’est pas non plus très complexe, mais justement cela permet de bien voir que chaque petit choix de lumière ou de cadrage ou encore de position de la caméra sont absolument déterminants sur le résultat final et la perception que nous, spectateurs, avons. On se dit cela part très bien, on va se régaler, on va parler image et on va voir ce que l’on va voir, on pourrait même imaginer un peu de déconstruction à l’œuvre.

    Sauf que.

    Sauf que les gens de cinéma ils aiment surtout parler d’eux-mêmes. Oh bien sûr, ils ne seraient pas assez crasses pour nous bourrer les côtes en s’exclamant et tel plan ou tel autre, vous avez vu comme c’est génial, non c’est bien plus subtil que cela et c’est nettement plus orchestré que cela. En fait les Anglais ont une expression pour caractériser cette façon de faire, cela s’appelle scratch my back and I’ll scratch yours (gratte-moi le dos, je gratterai le tien). Donc plutôt que d’auto-promouvoir son génie, ce qui serait tellement vulgaire, pensez, on demande à des amis de le faire pour vous, et puis quand ce sera le tour de ces amis de se faire gratter le dos, vous vous y emploierez d’importance. Et du coup c’est très décevant de voir défiler tous ces grands hommes du cinéma, les réalisateurs, Boorman, donc, mais aussi Rydell ou Schatzberg, pour vous dire comment il est fortiche le Vilmos, et puis gentil vous n’avez pas idée, modeste même, et comme si cela ne suffisait pas, vous réunissez quelques grands noms de la direction de la photographie autour d’une table avec des bières ou du thé, des enfants terribles du cinéma très vieillis désormais, mais toujours avec des blousons en cuir et des casquettes de baseball, et alors là c’est le royaume des anecdotes et tu te souviens le jour où Steevie — bien sûr, c’est au spectateur de comprendre qu’en fait Steevie c’est Spielberg et Bob, Robert Altman, au moins ce ne sent pas trop fort l’entregent, et c’est même assez curieux que Pierre Filmon nous ait expliqué après le film qu’en fait ils se respectent tous tellement qu’en fait ils se tutoient tous, ce qui est une assez belle prouesse dans une langue, l’anglais, dans laquelle le tutoiement n’existe pas — et là vous comblez avec je ne sais quelle histoire que votre cousin vous a racontée lors du dernier mariage ans votre famille et c’est pratiquement le même effet. Sans compter que des fois, malgré toute cette bonne éducation, ces professionnels du cinéma se contiennent mal et finissent par raconter telle anecdote où ils avaient vu passer une ombre sur le visage de Michelle Pfeiffer et qu’ils étaient les seuls à l’avoir vue et qu’il a fallu retourner la scène, et alors tu te souviens, Vilmos il a fait un truc extraordinaire, suspense, il m’a remercié, à côté de quoi, effleurer la cuisse de Jupiter, c’est rien bien sûr. Et tout un chacun autour de la table fait semblant de se souvenir en riant un bon coup, ah ce Vilmos quand même ! Et nul pour douter qu’à force d’anecdotes, ce qui est dit, eh bien, cela devient très anecdotique.

    Mais notre Vilmos quand même. Et puis modeste vous n’avez pas idée.

    D’ailleurs Vilmos, pour vous dire sa modestie, il vous reçoit dans sa piscine et vous pouvez tremper avec lui, laquelle donne sur un des nombreux lacets enchanteurs de Big Sur — ce qui avec Londres doit être l’endroit au monde où l’immobilier est le plus recherché et donc le plus cher —, c’est pour vous dire la simplicité du gars.

    Si vous regardez Close Encounters with Vilmos Zsigmond de Pierre Filmon en ayant malencontreusement débranché votre esprit critique, vous aurez le sentiment que le petit Vilmos qui nous vient de Hongrie, modeste comme tout, et bien il a tout inventé en photographie, comme par exemple le coup du pré-voilage pour les scènes nocturnes de John McCabe , histoire présentée comme du génie absolu, en fait une technique qui remonte au Zone System d’Anseln Adams (je viens de regarder sur internet, c’est quand même bien pratique internet, le Zone System d’Anseln Adams date de 1941, Vilmos Zsigmond avait onze ans). Ou encore, que sans lui les ingénieurs de chez Kodak auraient été fort démunis pour ce qui est d’innover avec des nouvelles émulsions et de nouvelles chimies de développement — au point sans doute qu’il faudrait créditer Vilmos Zsigmond de l’invention du Kodakrome . Quant à l’éventuelle contribution des photographes dans ce champ du traitement de la lumière, elle passe avec perte et profit — à part une courte citation de deux noms de la photographie façon la culture c’est comme la confiture, Diane Arbus et Henri Cartier Bresson dont on ne pourra pas dire ni pour l’un ni pour l’autre que le traitement de la lumière fut l’occasion d’une très grande réflexion, chez Diane Arbus le génie était ailleurs quant à Cartier Bresson, vous savez bien ce que j’en pense —, c’est comme si les photographes comme William Eggelson, Richard Misrach, Joel Meyerovitz, Barbara Crane, Lucas Samaras, Richard Avedon, Cindy Sherman, Barbara Kasten, Sally Mann, Louise Lawler ou encore Mary-Ellen Mark, n’auraient rien été sans la contribution de Vilmos Zsigmond, habile retournement du sens de lecture historique. Ce qui est surtout frappant avec la vision panoptique des différents films de ce grand directeur de la photo, finalement, c’est, en fait, son suivisme en matière d’esthétique, chaque fois, la texture de ses images est celle qui était à la mode au moment du tournage, notamment dans la publicité.

    De façon touchante Vilmos Zsigmond mentionne aussi deux peintres, pour vous dire qu’i a de la culture, le Caravage et Georges de la Tour, en gros deux peintres connus l’un, entre autres choses, pour ses ombres portées et ses éclairages dramatiques, l’autre pour ses scènes éclairées à la bougie, c’est bien Vilmos Zsigmond a remarqué que cela parlait de sa partie, de son petit monde à lui, l’éclairage.

    Et quand cette œuvre d’autopromotion, dont chacun espère toujours que cela sera son tour d’être bientôt gratté dans le dos, ne suffit plus, on invente. C’est très touchant d’écouter Isabelle Huppert parler de ces éclairages tellement chaleureux qui nous enveloppaient, nous, les comédiens sur le plateau de la Porte du paradis, sachant que les dits éclairages devaient être de quelques milliers de watts et pas aveuglants pour deux sous, pensez, la douceur du (modeste) Vilmos. Évidemment aucune contradiction quand, quelques plans plus loin, on explique que le directeur de la photographie du temps de l’argentique était le seul qui savait à quoi ressembleraient les éclairages tellement chaleureux décrits par une Isabelle Huppert presciente.

    En fait, vous l’aurez compris facilement, la vie des étoiles de cinéma que l’on récompense avec des statuettes en toc, ces cérémonies où ces messieurs du cinéma embrassent de force leurs contreparties féminines, des étoiles gravées dans le pavé de Sunset Boulevard, je m’en tamponne un peu, je me dis que ces gens-là doivent beaucoup s’aimer pour avoir de tels besoins de reconnaissance et d’encensement, que pour nombreux d’entre eux l’immaturité doit pousser jusqu’à ne pas pouvoir se satisfaire de villas avec piscines qui surplombent les criques du Pacifique comme marques tangibles de cette reconnaissance et qu’à ce spectacle donc, il faut encore ajouter le dévoiement des moyens stupéfiants de l’image-cinéma pour nous stupéfier encore plus, pour ajouter de la stupéfaction à la stupéfaction.

    Je me demande bien ce qui se cache derrière cet aveuglement volontaire. J’aime mon idée sur le sujet. Le pouvoir, la domination, la consanguinité du milieu et d’avec le pouvoir, et, sans doute aussi, la nudité du roi.

    C’est terrible de s’aimer comme cela. Le cinéma aime le cinéma. Et le cinéma fait de bruyantes déclarations d’amour, à soi-même. On aurait envie d’expliquer au cinéma que les déclarations d’amour ne concernent que la personne à laquelle on déclare sa flamme et que l’amour physique de soi se pratique mieux garanti des regards, sinon c’est un peu dégoûtant tout de même.

    #qui_ca

  • http://desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/047.htm

    J – 109 : Concert au Triton du trio Da da da , Emile Parisien, saxophone, Roberto Negro, piano, et Michele Rabbia, percussions, découverte des deux premiers, jeunes gens très talentueux et inventifs, Roberto Negro puise dans un demie queue ouvert toutes sortes de sonorités pas toutes probables de la part d’un piano, et surtout met admirablement en lumière le jeu envoutant de son saxophoniste, Emile Parisien véritable pile électrique, qui combine l’art du saxophone avec celui d’une danse de Saint-Guy très impressionnante, son jeu de jambes étant le soulignement gracieux des mélopées de son saxophone.

    Et je ne vous présente plus Michele Rabbia, très en forme ce soir-là, dans un entre deux de ce qu’il est capable de faire en jouant avec Dominique Pifarély c’est-à-dire un jeu surtout sur la couleur, et ce qu’il joue, plus percussif, plus batteur, plus énergique, plus en force avec le quartet de Régis Huby. Son set s’est augmenté de quelques instruments très métalliques dont il tire des sonorités tellement subtiles, même dans les passages très free et très énergiques de ce concert, y laissant une énergie qui ferait presque peur quant à sa santé tant il se démultiplie dans le jeu. Était-ce, en revanche l’inspiration d’un soir de faire ainsi, une déficience technique, telles qu’elles se produisent parfois à l’insu du public, heureusement, mais il m’a semblé que Michele ce soir-là était en deçà de ce qu’il produit habituellement en termes de retraitement numérique de ses sons.

    À la réflexion ce n’est pas tous les soirs que l’on écoute un jazz aussi inventif, aussi aventurier, et, oui, adventice, un jazz qui remet sur le tapis ses fondamentaux mêmes, ses bases, celles rythmiques et celles formelles, un jazz qui ne fait pas que s’appuyer sur la déconstruction free pour se renouveler, un jazz qui littéralement pose des bases pour des possibles, un jazz qui louche du côté de la musique sérielle, un peu, mais aussi du côté des grands compositeurs de la fin du XXème, Ligeti notamment. Donc pas le petit concert, un soir au club pour plagier le titre d’un roman de Christian Gailly.

    Et du coup je m’interroge sur cette capacité invraisemblable qu’a Michele se de démultiplier, de s’inventer de nouvelles formes de soi dans toutes ses aventures musicales, en fin d’année, il jouait, un seul soir, ce dont il était très fier, et il peut, le peu que j’en ai entendu, cela avait l’air de sérieusement casser la baraque, avec Roscoe Mitchell, solo, il joue sur d’infimes subtilités de couleurs notamment, ce qu’il fait également avec Dominique, en d’autres occasions, on lui demande presque de faire le batteur de hard rock , peut-être pas, de jazz rock de la fin des années septante oui, contre-emploi dans lequel il tire malgré tout son épingle du jeu, et à chaque fois il apporte sa couleur, son génie, son talent, sa générosité à ces collectifs qui reçoivent en retour de lui des trésors vraiment. Et cette trace est magique, il faut tendre l’oreille pour la déceler dans un enregistrement et pourtant elle est là, bien là, c’est même elle qui fait fonctionner l’ensemble, modestement. Et sans parler de la gentillesse.

    Vivement le 7 février (à 20 Heures pétantes, c’est mal dit) à Suresnes, à la médiathèque, avec Dominique. Franchement vous auriez quoi de mieux à faire que de venir écouter (gratuitement) Dominique Pifarély et Michele Rabbia donner une musique tellement belle à mes images silencieuses ? Présence obligatoire, moi je dis.

    #qui_ca

  • J – 110 : Rendez-vous avec Julien à la médiathèque de Suresnes pour faire les mises au point concernant le matériel (pour Apnées , le 7 février à 20 heures, médiathèque de Suresnes, spectacle gratuit). Je dois commencer à prendre un peu de bouteille dans ce domaine parce que je suis désormais capable d’anticiper quelques difficultés scénographiques et d’éclairage, tout en y trouvant des solutions, grandement aidé en cela par le fait que Dominique et Michele sont parfaitement à l’aise dans le noir, une petite lampe de chevet pour l’un et des clips de lutrin pour l’autre et le tour est joué, enfin, je crois. À moi (mes images) toute la lumière (du vidéoprojecteur), je serai calé dans un coin, côté cour, avec Michele.

    Rendez-vous à la mosquée avec Sarah et, plus tard, qui nous rejoint, Arnaud. Plaisir d’esquisser avec Sarah les plans de son futur site, tout en buvant des hectolitres de thé à la menthe, plaisir de retrouver Arnaud, pas vu depuis tellement longtemps, depuis Contre à la médiathèque de Suresnes, finirai-je par mentalement retrouver. Discussion à bâtons rompus à propos de tout, de nos tentatives passées et communes d’écriture en ligne, de ce qu’il en reste, en fait un champ de ruines amères, et de ce qui nous nourrit désormais, l’envie inaliénable de continuer, façon, on ne peut pas continuer, il faut continuer, on continue.

    Je souris à l’idée que depuis quelques temps je mélange allégrement les petits croquis que je fais pour expliquer, ici à Sarah, les maquettes que je voudrais mettre en place et des petits schémas un peu plus rébarbatifs de cheminement réseau et de répartition et d’organisation des données dans le cadre de mon travail d’ingénieur de maîtrise d’ouvrage. Finalement une seule constante entre ces deux types de croquis, ils sont parfois traversés par des ailerons de requin.

    #qui_ca

  • J – 111 : C’est comme si j’avais grandi avec ce cinéma. Celui de Jim Jarmusch. Je me souviens être allé voir Stranger than paradise sur la seule foi de son affiche (et un peu du titre), j’aimais cette image en noir et blanc de ces trois jeunes gens avec leurs airs cool dans une voiture américaine, j’étais dans ma première terminale, rien ne me prédisposait à aimer ce film dans lequel j’avais entraîné deux amis qui, comme moi, n’étaient pas du tout épatés en sortant du film, mais alors je n’aurais pas voulu l’avouer, je ne pense pas que j’avais capté grand-chose de ce film dans lequel il ne se passe pas grand-chose (la grande constante du cinéma de Jim Jarmusch), à une vitesse fort lente (puisqu’il ne se passe pas grand-chose, rien ne presse, l’autre grande constante de ses films), mais il était hors de question que je sois pris en flagrant délit de ne pas comprendre un truc obscur, et je me souviens avoir argumenté dur comme fer à la sortie à propos de la lenteur du film, de son atmosphère, de sa photographie (à l’époque, je me piquais de photographie, je tirais moi-même mes photographies dans ma salle de bain, mais j’étais encore loin de détenir le moindre savoir technique sur le sujet, tout était terriblement empirique, mais ayant accidentellement découvert les vertus de la solarisation et bien que ne sachant pas que c’était de la sorte que l’on appelait ce procédé, j’en faisais grand usage et expliquais que c’était un trucage que j’avais mis au point, quand j’y pense alors j’aurais pu écrire des romans avec de pareilles fictions, et que j’y pense encore, ma vie d’adulte aura surtout consisté à donner un corps à de telles fictions seulement adolescentes, finalement il n’y a guère que dans la musique que je ne suis pas parvenu à faire quelque chose dont je me serais prévalu adolescent, je n’entends rien à la musique et en dépit d’une véritable obstination pour apprendre à jouer de la guitare sèche avec une méthode de piano à queue, en dépit de l’obstination, le manque de méthode n’a rien donné), bref j’avais été de la plus mauvaise foi pour dire que j’avais adoré ce film dont en fait je ne pensais pas grand-chose, alors, parce que, maintenant, je suis en larmes d’émotion à chacun de ses plans ou presque, surtout celui de la visite des bords du lac Erie.

    Down By Law est sorti en septembre 1986 en pleine vague d’attentats à Paris et à la rentrée en première année aux Arts déco, d’ailleurs j’étais fort jaloux qu’une partie des premières années, dans une autre classe, étudiaient le script de ce film dans les moindres détails, dessinant des story boards , reproduisant des scènes en les photographiant etc… et d’ailleurs je suis allé le voir plusieurs fois en bandes organisées au point de très rapidement en connaître des pans par cœur. Et cela aura été pour moi le vrai passeport de mon inclusion aux Etats-Unis, quand je tombais sous la coupe des deux Greg au département photo de SAIC qui s’amusaient énormément avec ma maîtrise très défaillante de leur langue, m’apprenant dans un premier temps du vocabulaire technique photographique de travers, du genre objectif pour margeur et inversement ( easel pour objectif et lens pour margeur), puis ayant passé cette étape des expressions idiomatiques fausses, certaines d’ailleurs dont je ne parviens pas toujours à me défaire, comme de dire que the grass is always greener on the other side of the river et non fence (l’herbe est toujours plus verte chez le voisin, en anglais de l’autre côté du grillage, dans l’anglais fautif des deux Greg, de l’autre côté de la rivière), et je pense que je les avais finalement mis de mon côté, lorsqu’un jour je finis par leur dire, en forçant mon accent français, it is a sad and beautiful world buzz off to you too . Des années plus tard j’aurais eu beaucoup de plaisir à rassurer mon ami L.L. de Mars qui avait les miquettes sur une route à la foi enneigée et verglacée vers le festival d’Angoulême en lui faisant réciter, et en lui donnant la réplique, les dialogues de Roberto avec Jack & Zack, its’ Jack, not Zack, get it straight man.

    J’ai vu Mystery train à Chicago avec Cynthia et cela m’avait même armé pour certaines de nos disputes, quand je finissais par lui dire avec mon accent européen I am sorry I am a bit discumbobulated , et quand cela la faisait rire, elle finissait par me répondre en imitant la grosse voix de Screamin’ Jay Hawkings, yes I know the feeling . J’aime ce film, moins connu, à la folie. J’aime son ambiance de small time America , la petite ville américaine (ce qui n’est pour rien dans mon adoration, désormais, de Paterson ), encore que Memphis tout de même.

    J’ai vu Dead Man à Portsmouth, hypnotisé par les effets de delay de la guitare électrique de Neil Young qui signe là sans doute sa meilleure musique, effondré de rire lorsque le personnage interprété par Mitch Mitchum, son dernier film je crois, monologue avec le grizzly empaillé de son bureau, et ensuite littéralement pris par la main par le personnage de l’Indien quand les hautes portes barricadées du village s’ouvrent et que la vision du personnage interprété par Johny Depp ne cesse de perdre de la netteté. C’est un film qu’ensuite j’ai vu de nombreuses fois par petits bouts, or il me semble que c’est exactement cela un film fort que l’on avale à petites lampées comme un simple malt, des lampées qui brûlent mais qui sont tellement belles ? ou comme on ne relit jamais la Recherche en entier, seulement par extraits presque pris au hasard.

    Night on Earth est sans doute celui qui me fait le plus rire et je ne pense pas que je pourrais le voir dans un cinéma sans m’en faire jeter tellement cela me fait rire fort et avec un petit temps d’avance parce que j’en connais tous les lacets par cœur, la non-rencontre entre Gena Rowlands et Winona Ryder, la folle confession du chauffeur de taxi italien interprété par Roberto Begnini, quand ce dernier explosait encore de talent, et le feu d’artifice d’humour noir kaurisimakien en Finlande

    Ghost dog m’a moins plu, j’en goûte beaucoup l’excellente musique de RZA , le jeu admirable de Forest Whitaker, la narration aussi et la construction du personnage, mais beaucoup moins une certaine forme d’esthétisation des assassinats.

    Coffee & cigarettes est peut-être mon préféré, c’est l’association merveilleuse des deux grandes forces de Jim Jarmusch, une ambiance très calme, enveloppante, et des retours arrières dans le scénario sur le thème du déjà vu, en anglais dans le texte. Quant à la scénette entre Tom Waits et Iggy Pop, qui ont tous les deux arrêté de fumer, je crois que je pourrais la regarder plusieurs fois de suite.

    Broken flowers m’a fait pleurer tellement je trouvais cela beau ce personnage d’homme hanté par son passé amoureux et sa résolution en queue de poisson, et aussi pour le coup un sens admirable du détail qui place toute la confiance dans le spectateur de relever de tels détails pour comprendre la progression du scénario, quels sont les cinéastes qui nous font suffisamment confiance ? Et quel cadeau ils nous font, quand ils le sont !

    Je suis passé entièrement à côté de the Limits of control , mais d’un autre côté je l’ai vu d’après un fichier téléchargé, dans une définition très moyenne, que j’ai regardé dans le train un dimanche soir en revenant de Clermont-Ferrand, sans doute pas la meilleure des justices que l’on puisse rendre à une œuvre cinématographique, qui plus est de la part d’un cinéaste comme Jim Jarmusch.

    En sortant de Only lovers Left alive , j’étais très mitigé, pour une fois la lenteur du film m’a pris à rebrousse-poil, j’avais le sentiment qu’il se regardait en train de filmer, qu’il y avait des problèmes de faux rythme dans cette lenteur et ce n’est qu’après-coup que j’ai compris les nombreuses métaphores du film, celle des vampires qui, immortels, finissaient par périr de notre crise de l’environnement, celle de la solitude des artistes, celle de la fin du monde en situant l’action du film dans les quartiers défoncés de Detroit (et il fallait le faire !), et du coup je me dis souvent qu’il faudrait que je le revoie.

    Bref, vous l’aurez compris Jim Jarmush pour moi cela a toujours été une sorte de grand frère qui aurait fait les Arts Déco dix ans avant moi, qui m’aurait prêté ses disques, notamment ceux de Tom Waits et celui de RZA , un grand frère que j’aurais admiré dont j’aurais parfois voulu copier, toutes proportions mal gardées, une certaine forme de lenteur dans la narration, mais aussi une sorte de copain du bar de mon quartier du temps où j’habitais à Chicago, Jim Jarmusch c’est comme si j’avais déjà joué au billard avec lui au Gold Star . Et ce n’est pas la moindre des qualités que je trouve à son dernier film, Paterson , donc, que de me replonger dans cette atmosphère américaine, celle d’une époque que je tiens pour bénie de mon existence, et dont je sais intuitivement, et c’est sans doute cela qui me retient de traverser l’Atlantique, que je n’en retrouverais aucune trace sur place, si ce n’est donc, de façon fugace dans quelques plans et dans l’ambiance même des films de Jim Jarmusch, singulièrement le dernier, Paterson .

    Et justement j’aime dans Paterson , dès la première scène de réveil, la lumière, certes de studio, certes truquée, dans le sens qu’en fin d’été, début d’automne, il ne fait pas à ce point jour à six heures du matin (je soupçonne Jim Jarmusch de ne pas se lever souvent à six heures du matin), mais cette lumière du matin américain, de ses odeurs de café insipide, de bol de céréales avec un lait insipide aussi, même celui donné pour entier, ses bagels, cette lumière rasante qui rentre dans les chambres et qui éclairent les meubles faussement vieux et les petits cadres posés sur des napperons, oui cette lumière-là contient tout ce que je regrette des matins américains. J’aime les collègues qui, à défaut d’aller comme un lundi, ont des soucis infinis avec l’existence et la difficulté de la financer à crédit, j’aime la petite ville américaine qui fait son possible pour ressembler aux grandes, sa main street et les passagers du bus, élèves, étudiants, ouvriers et retraités (tout le reste de la population est en voiture), et j’aime par-dessus tout l’atmosphère sombre et chaleureuse du bar le soir, le même bar où l’on va sans se poser de questions, où l’on appelle le barman par son prénom, où l’on appelle tout un chacun par son prénom, et où ce sont les mêmes clients qui sont là, tous les soirs, autour de la table de billard où on joue à la boule huit, no last pocket , plus rarement à la boule neuf, qui est plus un truc de pool hall dans lesquels gravitent les fameux pool huslers (comme celui de Robert Rossen, dont d’ailleurs toutes les scènes de billard sont tournées à Chicago dans un pool hall fameux où Greg m’emmena un jour, seul endroit de la ville avec un billard français ce qu’il voulait essayer).

    Et dans ce merveilleux écrin, cette atmosphère chaleureuse, ce conte remarquable, parfaitement narré, fondu dans l’enchainement des jours, le quotidien immuable et répétitif, belle gageure de narration répétitive sans générer le moindre ennui, tout au contraire, de la fascination, de celle qui fait que l’on remarque petit à petit certains détails, et, donc, très très bien joué, notamment par Adam Driver au début de la scène finale, des larmes sans larme, un homme vaincu, complètement écrasé, sur le point d’exploser. C’est l’une des plus belles scènes du cinéma de Jim Jarmusch, elle en contient tous les ingrédients habituels, elle prend son temps et c’est un élément étranger qui arrive dans le cadre côté cour, telle la dealeuse à la fin de Stranger than paradise , l’aubergiste italienne de la fin de Down By Law , la veuve italienne à la fin de Mystery Train , celle qui se sent un peu discumbobulated , dans Paterson , le poète japonais égaré, grand lecteur de William Carlos Williams, qui finit par apporter ici le salut, là la solution, dans le cas de Paterson, les deux, et donne au récit, qui avait pris tout son temps, toute son épaisseur, de celles qui vous poursuivent longtemps après avoir vu le film, telle la portée poétique d’un vers. Un poète vaincu, écrasé par le quotidien dont il était parvenu à s’extraire grâce à sa poésie justement, tel l’apôtre Pierre sur le Mont des Oliviers, se renie et répond que non il n’est pas poète, qu’il est juste un chauffeur de bus comme un autre — autant vous dire qu’un certain informaticien de ma connaissance, qui écrit des fictions à ses heures, n’en menait pas très large devant cette scène —, et c’est un autre poète qui le sauve en donnant de nouveau un sens à son existence, une injonction, la seule qui vaille, écris ! Et le poète vaincu qui n’est plus au bord des larmes redevient un poète, il ne pleure plus le recueil perdu, il écrit ce qui le détermine, sa poésie qui est plus grande que lui, plus grande que les poèmes détruits.

    Le poète est à l’image des autres personnages de ce film, un artiste à la recherche de son véritable moi, un moi libre et émancipé, un moi serein, qui vit sereinement dans l’enveloppe charnelle d’un conducteur de bus d’une petite ville des Etats-Unis qui porte le même nom que lui — volonté chez le cinéaste de nous dire que son film est à la fois à propos d’un personnage, Paterson, et à la fois à propos d’une petite ville, Paterson, admirable fusion.

    Mon grand frère Jim a vieilli un peu, il n’écoute plus de rock, il est un peu plus raffiné dans ses prédilections, ses narrations sont encore plus lentes qu’auparavant, il est surtout en train d’entrer dans la catégorie des cinéastes poids lourds et chenus à la fois, les Manoel de Oliveira, les Bergman même, Tarkovski, il touche au sublime. Quel dommage en revanche qu’il n’ait pas pensé à engager un graphiste digne de ce nom pour ce qui est de l’écriture des poèmes à même les images de la ville notamment. Un poète qui écrit sans rature est-il un vrai poète ? Mais en regard de l’immense film qu’est Paterson c’est un infime reproche.

    #qui_ca

    • Ben je ne trouve pas cela très opérant comme critique. C’est un peu, comment dire, primaire.

      Je ne pense pas que le récit de film fasse de hiérarchie entre les différents « artistes » de ce film, et même plutôt le contraire. Tous les personnages ou presque qui ont effectivement un rôle dans ce film sont à la recherche d’une forme d’émancipation, le barman s’entraîne pour son tournoi d’échec de samedi, l’acteur expérimente in situ ses rôles (exprérience un peu limite c’est vrai), le personnage de Laura entreprend de développer sa ligne de cupcakes ET de devenir une chanteuse de folk (avec, en plus, davantage de réussite que son compagnon), et donc Parterson lui-même qui écrit des poèmes. Finalement le seul personnage qui n’est pas dans une telle recherche est celui qui est englué dans ses problèmes domestiques, le contrôleur. Quant à la scène finale, elle voit Parterson réaliser que ce n’est pas tant la sauvegarde de ses poèmes qui est importante mais leur écriture au moment de l’écriture, que c’est surtout pour lui-même qu’il écrit ses poèmes.

      Et en tant qu’auteure de Chez soi , tu ne vas pas me contredire que l’artiste la plus importante parmi tous ces personnages c’est Laura quand on voit cette manière extraordinaire qui est la sienne de transformer quotidien (qui déborde largement, les petites photos tous les jours différentes dans la lunchbox sont une oeuvre en soi) et habitation !

      Vraiment au contraire tous les personnages du film (à l’exception notable du contrôleur dont le problème majeur dans l’existence finalement c’est qu’il est endetté, qu’il vit à crédit) sont des artistes de leur propre existence, des artistes d’eux-mêmes en somme.

    • Ouais, les amies, vous avez sans doute raison. Je pensais que c’était moins flagrant que vous ne le dites, mais à la réflexion, je pense que vous avez sans doute raison. Cela doit tenir de l’impensé chez lui.

      Il faudrait par ailleurs je repense à cela en regard du reste de sa filmographie dans laquelle il me semblait pourtant que les personnages féminins étaient nettement moins caricaturaux que dans les films de ses collègues, que souvent même, c’étaient elles qui sauvaient des situations dans lesquelles les hommes s’étaient embourbés. Enfin cela paraissait plutôt équilibré. Je vais y repenser.

    • http://www.dictionary.com/browse/discombobulated
      http://www.wordreference.com/enfr/discombobulated

      @aude_v Je crois que le seul qui est vraiment peut-être aps raté, mais disons moins réussi que les autres, c’est The limits of control il me semble que tu devrais apprécier Only lovers left alive pour la métaphore à propos de l’environnement. Et Broken Flowers est très beau aussi. Je te parle des récents, les autres tu les connais.

  • J – 180

    Le lendemain, c’est Nathan qui exprime le désir de se promener au Bois, Adèle acquiesce et part en vélo en éclaireur comme elle dit, quant à Nathan selon son habitude et ses grandes jambes, plus grandes que les miennes, et surtout plus toniques et moins arthritiques, il marche loin devant moi, les mains enfoncées dans les poches de son pull, de temps en temps donnant un coup de pied dans un marron qui n’en demandait pas tant pour rouler le long de l’allée, et donc moi, ne refusant pas une part de rab sur le bon plaisir de la veille, l’appareil-photo en bandoulière, m’amusant de passer devant certains reflets et certaines ombres d’hier, cadrant, cette fois-ci, à la différence de la veille, en horizontal, ce qui est plus strictement mon habitude, quitte à faire des fonds d’écran, et du coup, considérant les images de la veille encore sur la carte, et celles d’aujourd’hui, depuis le petit écran de contrôle de l’appareil-photo, me vient cette idée un peu saugrenue, dont je ne suis pas sûr qu’elle donnera grand-chose, mais je vais essayer, de faire défiler, horizontalement les images verticales de la veille (http://desordre.net/bloc/ursula/2017/images/autumn_leaves/v/index.htm ) et verticalement celles horizontales d’aujourd’hui (http://desordre.net/bloc/ursula/2017/images/autumn_leaves/h/index.htm ), je ne sais pas si je me fais bien comprendre, en agissant sur le niveau d’opacité des images et en laissant le fond de la page html qui porte les images transparent, on doit pouvoir, ce serait marrant que cela fonctionne, faire en sorte que les opacités des images verticales et horizontales s’additionnent les unes aux autres pour produire des images tierces (http://desordre.net/bloc/ursula/2017/images/autumn_leaves/index.htm ), je ne sais pas si je me fais bien comprendre, et bien sûr paramétrer des vitesses de défilement des deux pages de telle sorte que l’image tierce ne soit jamais la même réunion, je ne sais pas si je me fais bien comprendre. Je dois même pouvoir ajouter une manière de masque de telle sorte que ne soit visible que l’intersection exacte des deux bandes d’images, je ne sais toujours pas si je me fais comprendre. ( http://desordre.net/bloc/ursula/2017/images/autumn_leaves/index_masque.htm )

    Et du coup, cela m’arrive de temps en temps, je suis en train de prendre des photographies dans la pleine conscience de la façon dont je vais les assembler ensuite en jouant sur leur opacité, c’est quand même un drôle de truc la photographie numérique, là où en argentique, il fallait anticiper les difficultés au tirage, déboucher les ombres, calmer les hautes lumières, en numérique, il faut anticiper les fruits du hasards et les caprices de la programmation (un bien grand mot cela la programmation pour ce que je produis) en html. Je ne sais pas si je me fais très bien comprendre.

    En cela je me fais, immodestement, penser au Bill Evans de Conversations with myself , sublime disque dans lequel Bill Evans s’est enregistré en piano solo par plages successives, se triplant, trois Bill Evans pour le prix d’un seul baril de Bill Evans, enregistrant la première plage en laissant quelques endroits disponibles pour la seconde et la troisième prise, enregistrant la seconde prise, laissant quelques interstices pour la troisième prise, enregistrant la troisième prise comblant les espaces laissés vacants lors de deux prises précédentes, je ne sais pas si je me fais très bien comprendre.

    Finalement c’est ma version html d’Autumn Leaves . Qui n’est quand même pas du même tonneau que celle de Bill Evans. Je n’y suis pas encore. Sans compter que j’ai hâte de voir ce que cela va donner une fois que je vais lancer le script. Peut-être pas grand-chose. On verra.

    (Autant l’avouer publiquement, la petite fulgurance du Bois de Vincennes a demandé deux heures de travail à mettre en place, et le chemin pour lui donner forme, fut tout sauf rectiligne, du coup ce serait à moitié étonnant que je ne me fasse pas bien comprendre, et vous imaginez sans mal comme il doit être agréable de se promener en forêt avec moi.)

    Exercice #27 de Henry Carroll : Créez une playlist, prenez une photo en l’écoutant.

    Ce qui est, peu ou prou, le principe de l’Image enregistrée. (http://desordre.net/bloc/image_enregistree/index_arthrose.htm)

    #qui_ca

  • J – 181

    C’est Adèle qui en a eu l’idée, comme je lui demandais ce qui lui ferait plaisir de faire cet après-midi où nous étions inhabituellement seuls, elle et moi. Et là où j’aurais volontiers accueilli qu’elle me demande d’aller se promener dans Paris, que sais-je, aller dans un musée, se taper une toile, elle m’a répondu, et si nous allions nous promener au bois de Vincennes ? Moi j’y vais en vélo et je t’attends à la porte jaune. D’accord.

    Et donc pendant qu’Adèle fait des tours du lac des Minimes à vélo, je prends nombre de photographies notamment des reflets automnaux sur les eaux calmes de ce petit étang, rien de bien important, rien de bien nouveau, juste des photographies sur lesquelles je m’applique un peu, limite des cartes postales — aujourd’hui, de façon plus contemporaine, on devrait qualifier de telles images de fonds d’écran —, et d’ailleurs je croise nombre de mes contemporains qui sont apparemment animés des mêmes intentions, eux aussi photographient, essentiellement à l’aide de leur téléphone de poche, une femme à l’aide de son ardoise numérique, rares sont les vrais appareil-photos, les reflets huileux aux teintes mordorées sur l’étang.

    De temps en temps, j’entends le timbre de la bicyclette d’Adèle dans mon dos, nous échangeons un peu, je lui montre mes dernières photos, t’es sûr qu’il y a quelque chose de net sur cette photo papa ? Non, en fait non. Et elle repart faire un tour du lac, en comptant ses tours, en tentant de déterminer combien de tours elle aura fait quand moi je n’en aurais fait qu’un seul à pied, je crois que j’ai fini par transmettre ce goût des mathématiques approximatives à ma fille Adèle — et donc un certain goût pour la littérature à Madeleine, la passion des échecs à Nathan et aux trois un amour immodéré pour les Cévennes et les films de James Bond, je ne me félicite pas pour ce dernier item. Moi, je retourne à mes petites recherches sans prétention, mais qui regardent tout de même du côté du dernier Monet.

    Et, en fait, je ne demande rien de plus à l’existence, et à la photographie, que de me procurer de temps à autre, la joie simple d’une promenade au Bois de Vincennes avec ma fille Adèle et le plaisir de faire quelques fonds d’écran automnaux pour l’hiver.

    http://desordre.net/bloc/ursula/2017/images/autumn_leaves/v/index.htm

    Exercice #26 de Henry Carroll : Prenez une photo qui ne fonctionne qu’en noir et blanc

    #qui_ca

  • J – 183

    J’avais repéré la chose comme une opportunité d’aller au cinéma avec les enfants, la bande annonce du film que j’ai bien du voir trois ou quatre fois laissait entendre un film avec de nombreux ressorts comiques qui se retournaient manifestement contre les moqueurs ou les contempteurs d’un personnage handicapé mental. Willy premier de Ludovic et Zoran Boukherma. Willy premier est en fait l’histoire extrêmement mélancolique - donc pas franchement comique - d’un homme d’une cinquantaine d’années, légèrement handicapé mental qui vient de perdre son frère, suicidé, pendu - déjà là on rit beaucoup. Les deux jumeaux vivaient encore chez leurs parents, des rustres, intellectuellement mal équipés pour faire face aux implications de cette situation et, qui, donc, Maman et moi, on en a discuté, ont décidé de placer Willy, 50 ans donc, physique âpre, handicapé mental et qui ne se remet pas du tout de la mort de son frère dépressif, jumeau, double, et qui découvre, notamment, en allant sur la tombe de son frère que ses parents ne disposant pas de photographie récente de Michel le jumeau de Willy ont mis une photographie de Willy en médaillon, et ils ne voient vraiment pas où est le mal quand Willy leur en fait la remarque - là c’est carrément la crise de rire -, c’est d’ailleurs la goutte d’eau qui met le feu aux poudres, Willy ramasse ses affaires dans un sac de sport et décide d’aller à pied à la ville voisine, Caudebec, sur le thème, plusieurs fois répété dans le film, à Caudebec j’irai, un appartement j’en aurais un, un scooter j’en aurais un, des copains j’en aurais et je vous emmerde . Donc, a priori , pas de ressorts trop comiques spontanés dans ce film et je me demande bien comment j’ai pu me laisser abuser par cette bande annonce fautive, racoleuse finalement, moi, à qui on ne la fait supposément pas, moi, qui si souvent fustige l’omniprésence de l’humour, et, pire, du second degré, me voilà déçu de l’absence de blagues, dont j’aimais à penser qu’elles feraient peut-être rire Nathan, et, accessoirement, Adèle, j’espérais même quelques blagues revanchardes dans lesquelles les neurotypiques en prendraient pour leur grade, les aventures de Willy premier ne prêtent pas à rire.

    Et le voilà parti. Et il ne s’en sort pas si mal. Les écueils sont nombreux, ils ne sont pas minimisés, pas davantage que ne l’est sa dépression, sa tristesse inconsolable d’avoir perdu son frère Michel, sa mélancolie de bien se rendre compte qu’il ne voyage pas dans l’existence à la même vitesse que tout un chacun, mais il se tient à son but, Caudebec, son appartement, son scooter et ses amis et il nous emmerde.

    Les amis il faut voir. Il y a le collègue homonyme, Willy aussi, homosexuel, pour qui Berlin jouerait le même rôle que Caudebec pour son collègue handicapé, un Eden idéalisé et qui cache, au-delà de son ostracisation en tant qu’homosexuel, une autre douleur et puis il y a la petite troupe des habitués du PMU à laquelle Willy va tout faire pour s’intégrer non sans y laisser des plumes, des boutons de chemises. Jeux d’ivrognes, chantage aux coups à payer, et homophobie ordinaire, moqueries à propos du handicap de Willy, une ambiance à tout casser au PMU de Caudebec.

    Une des forces admirables de ce film apparaît déjà dès le générique d’ouverture, elle tient le récit à hauteur de son personnage principal, c’est son point de vue, il est d’ailleurs de tous les plans comme le sont les personnages féminins, notamment, des films des frères Dardenne, son esthétique enfantine, les dauphins projetés sur les murs pour s’endormir, son blouson de supporter du club de basket local, et de fait, un transfert opère de la même manière que lorsque l’on regarde un film de James Bond on devient James Bond pendant deux heures, dans Willy premier, on devient Willy pendant une heure et demi, il y a indentification.

    Ce qui n’était pas sans m’inquiéter pour ce qui était de mes deux voisins dans le cinéma, Adèle qui était sans cesse au bord des larmes tant l’histoire de Willy est triste, déprimante même, et elle n’avait apparemment aucune difficulté, jeune fille de douze ans, gracieuse comme tout, d’identification à ce gros type dont tout le monde se moque, quant à Nathan je n’en menais pas large, inquiet, évidemment, que l’identification avec le personnage principal ne soit factrice de sentiments tristes et indémêlables par la suite.

    Prudemment, en sortant du cinéma, tandis que je préparais le repas en obtenant, sans barguigner, l’aide de Nathan, je l’interrogeais à propos de ses sentiments après la projection de ce film. Nathan, sans surprise, l’avait trouvé ennuyeux, et pas très drôle ajouta-t-il, ce qui du point de vue de Nathan est indéniable, Nathan, comme tous les jeunes gens de son âge, préférera, et de loin, un film de James Bond dans lequel les scènes d’action sont plus nombreuses, plus fournies. Mais Nathan, dans un film de James Bond ce que tu préfères c’est d’imaginer que tu es James Bond. Ben non, moi c’est Nathan ! Oui, mais tu aimerais bien être James Bond. Je n’ai pas envie que l’on me tire dessus tout le temps - pendant que son père élabore toutes sortes de théories à propos des poursuivants de James Bond, Nathan a, lui, une pensée incroyablement plus raisonnable sur le même sujet. Il n’a pas tort. Et donc, plus directement - je n’ai pas le choix, je veux être rassuré. Et là dans le film que l’on vient d’aller voir ce soir, quand tu le vois tu n’as l’impression que tu es le personnage principal ? Ben non, lui il est gros et vieux, moi je ne suis pas gros. Oui, mais il est un peu handicapé mental, il a des difficultés ? Oui, mais toi tu ne veux pas que j’aille dans un foyer et puis moi je ne suis pas gros. C’est vrai Nathan, de même tu es beaucoup plus jeune que ce personnage.

    Et Nathan d’ajouter. C’est plutôt toi qui devrait te demander si tu ne ressembles pas au personnage principal, parce que toi, quand même, Papa, tu es un petit gros et comme Willy tu dors avec un masque pour respirer la nuit.

    Ce en quoi, Nathan a parfaitement raison. Touché , en anglais dans le texte.

    Exercice #25 de Henry Carroll : Prenez une photo qui ne fonctionne qu’en couleur

    #qui_ca