Une tribune de Manouk Borzakian critiquant la géographie_électorale.

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  • Les riches ont voté Trump, les villes Clinton
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/16/les-riches-ont-vote-trump-les-villes-clinton_5031798_3232.html?xtmc=jacques_

    Dissymétrie des espaces

    La ressemblance frappante entre les cartes des trois dernières élections conduit aussi à relativiser l’effet propre du duel Clinton-Trump. Les choix des différents groupes ont en fait relativement peu bougé depuis quinze ans. Le fait que Barack Obama soit noir et que Hillary Clinton soit une femme a eu des effets limités et les attaques de Donald Trump contre les « minorités » n’ont pas empêché les démocrates de perdre un peu de terrain auprès d’elles.

    La question centrale est tout autre. Deux conceptions de la société et, jusqu’à un certain point, deux sociétés se font face depuis le duel serré entre Al Gore et George W. Bush en 2000 et qui se confirme, quel que soit le style particulier des protagonistes qui s’agitent sur la scène. Les électeurs utilisent les candidats pour faire passer leurs propres messages, qui s’opposent point par point.

    L’urbanité ou son rejet, l’espace public contre l’espace privé font résonance avec d’autres éléments très forts : éducation, productivité, créativité, mondialité, ouverture à l’altérité, demande de justice, présence du futur d’un côté ; de l’autre, mépris de l’intellect, enclavement économique, absence d’innovation, appel au protectionnisme, peur de l’étranger, affirmation d’une d’identité fondée sur la pureté biologique, la loyauté communautaire, le respect de l’autorité et la référence nostalgique à un passé mythifié – toutes choses qui ne définissent pas une approche différente de la justice, mais une alternative à l’idée même de justice.

    La dissymétrie des espaces fait écho à celle qui marque leur relation : si les Etats-Unis perdaient les « surfaces rouges », ils deviendraient soudain plus riches et plus inventifs ; s’ils perdaient les « ronds bleus », ils disparaîtraient purement et simplement.

    Le constat que l’on est encore démographiquement puissant mais politiquement inutile contribue à l’angoisse et au ressentiment qu’expriment les électeurs de Donald Trump, tout autant que leur champion. Ce n’est donc pas à un combat entre « peuple » et « élites » puisque les effectifs sont comparables. Ce sont plutôt deux « peuples » qui se font face, avec deux conceptions antithétiques de la cohabitation.


    Le pb avec J. Lévy c’est que ses catégories sont idéologiquement hyper-connotées : la ville c’est bien, le rural c’est réac.

    • Voir en contrepoint ce que lui rétorque Olivier Bougo Olga :
      http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2016/11/19/olivier-bouba-olga-non-le-vote-des-americains-n-oppose-pas-le-centre

      L’erreur consiste à attribuer à un espace donné ou un ensemble d’espaces – les grandes villes – des caractéristiques intrinsèques sur la base des moyennes d’un certain nombre d’indicateurs. Ainsi, le PIB élevé des grandes villes est dû à un effet de composition qui fait que certaines activités apparemment très productives et certaines professions à salaires très élevés y sont concentrées plus qu’ailleurs.

      La même erreur est présente dans les analyses du vote en faveur de Trump, plus fréquent dans les Etats à dominante rurale. Comme les différences de productivité apparente selon la taille des villes, il s’agit d’un simple effet de composition : les étudiants ou les intellectuels des Etats concernés n’ont probablement pas plus voté pour Trump que leurs équivalents de New York ou San Francisco, mais leur proportion dans la population de ces Etats est moins élevée. Trump a séduit les personnes que les évolutions économiques ont réellement appauvries ou qui se sentent menacées par elles, quel que soit l’endroit où elles vivent.
      [...]
      la mauvaise interprétation de moyennes portant sur des espaces géographiques doit céder la place à des analyses plus réalistes des logiques territoriales, prenant en compte la diversité des types d’activités et des contraintes géographiques qui s’exercent sur eux. Enfin, les sciences sociales devraient faire évoluer leur vocabulaire : il serait préférable désormais de se concentrer sur l’analyse des activités sociales et économiques, et la façon dont elles se déploient dans l’espace.
      [...]
      La souffrance et la misère sont bien là, mais elles peuvent se nicher au cœur des villes aussi bien que dans d’autres lieux. Réciproquement, des configurations locales très diverses peuvent favoriser l’inno­vation et le développement d’activités économiques.